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La conception de l’usure dans d’autres pays

Paragraphe II : Assouplissement de la condamnation de l’intérêt

B) La conception de l’usure dans d’autres pays

67. Ainsi dans des pays comme les États unis et le Canada, il n’existait pas une

réglementation permettant de déterminer le taux d’usure, ce pouvoir était réservé aux tribunaux170. Il a fallu attendre une loi du 19 décembre. 2012 qui impose aux banquiers et aux établissements habilités à octroyer des crédits de publier leur taux minimal d’intérêt171. Les lois fédérales américaines ont été abolies à partir de 1978.

68. Le Royaume-Uni s’est interrogé sur la réglementation des taux d’intérêt élevés pour

régulariser le système bancaire et lutter en même temps contre la pauvreté, mais cette tentative s’est finalement soldée par un rejet. En Autriche aussi il n’existe pas de taux

166 Cf. R. Routier, Obligation et responsabilité du banquier, op.cit. ; V. aussi Th. Bonneau, Droit bancaire, 9e, Montchrestien, Paris, 2011. Cette distinction est matérialisée par le TEG Civ. 1er , 22 jan. 2002, n° 99-13.456,

Dalloz, 2002, Jur. 2670, note A. Debet.

167 L. Attuel-Mendés, A. Ashta, « La législation française en matière d’usure et le développement de l’accès a crédit des micro-entreprises », Cahiers du CEREN 21 (2007) p. 8. Cf. Lois, n° 89-1010 du 31 décembre 1989 et n° 2005- 882 du 2 aout 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

168 Ch. Gavalda , J. Stoufflet, Le droit bancaire, op. cit. p. 338.

169 La directive européenne 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit à la consommation 170 L. Attuel-Mendés, A. Ashta, « La législation française en matière d’usure et le développement de l’accès a crédit des micro-entreprises », Cahiers du CEREN 21 (2007) p.4

171 Art. 21 de la loi bancaire canadienne : http// canlii.ca/hckh8. ; Aux Etats unis aussi le taux d’intérêt a connu une baise considérable entre sept. 2007 et déc. 2008, passant d’un taux de 4.75 à 0.25%. cf. http// : général-rates.com

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plafond, mais par contre il existe des réglementations destinées à empêcher l’exploitation de l’un des contractants en utilisant la notion de clauses abusives ou déloyales172.

69. D’autres pays ont suivi la voie française en instaurant des lois qui réglementent les taux

d’intérêts trop élevés. Par exemple en Allemagne, l’appréciation du taux usuraire est laissée au pouvoir des juges qui se basent sur les moyennes des marchés publiés chaque mois par le Bundesbank pour les différents types de crédit. De manière générale est considéré comme taux usuraire en Allemagne le taux qui est le double du taux moyen pratiqué sur le marché du type de crédit considéré. Le taux qui excède de douze points le taux usuellement pratiqué sur le marché est également jugé usuraire. En Espagne, la loi du 23 juillet 1908 prévoyait la nullité de tout contrat dont l’intérêt est « notablement supérieur aux taux normal de l’argent et manifestement disproportionné »173. Ce pays a fait des avancés remarquables dans ce domaine en instaurant un taux usuraire, qui est de 50%174. Cette appréciation, à l’image de la législation allemande, est confiée aux juges, ce qui permet plus de souplesse, mais engendre vraisemblablement plus d’insécurité, car la détermination du taux usuraire est apprécié en fonction des clauses175. En Italie, la loi considère comme usuraire, tout taux qui est supérieur au taux moyen, mais également un taux même inférieur lorsqu’il est appliqué à un emprunteur en grave situation financière176. La France est, depuis peu, en train d’atténuer sa législation sur l’usure, pour faciliter le développement de la micro finance et du micro crédit177.L’évolution de la législation française dans le domaine de l’usure était justifiée, en effet, par des arguments tenant à la difficulté de trouver des financements qui constitue le principal frein pour les porteurs de projets178.

172 L’article 190ter du Code civil énonce qu’il est interdit de mentionner un taux d’intérêt nettement supérieur au taux usuel ;

173 La loi du 07. 01. 2000 stipule que les taux d’intérêt ne peuvent être sensiblement supérieurs au taux d’intérêt moyen. Ainsi l’évaluation précise de l’usure est laissée à l’appréciation des tribunaux. V. Travaux parlementaires, Rapports « Accès des ménages au crédit en France : les législations sur l’usure sont différenciées en Europe » : disponible www.senat.fr/rap/r05-261/r05-261.

174 A. Broder, Histoire économique de l’Espagne contemporaine, Economica, 1998, p. 298 ; V. aussi A. Huetz de Lemps, L’économie de l’Espagne, Armand Colin, Paris 1998, 303 pages.

175 Au cours des années la Deutsche Bundesbank, a convergé vers l’idée d’un taux égal au double du taux moyen 176 V. Travaux parlementaires, Rapports « Accès des ménages au crédit en France : les législations sur l’usure sont différenciées en Europe » : disponible www.senat.fr/rap/r05-261/r05-261; V. Banque de France, comité de suivi de la réforme de l’usure, Exercice 2012, p. 9.

177 Loi sur l’initiative économique du 1er Aout 2003 et Loi Lagarde de 2010

178 L. Attuel-Mendés, A. Ashta, « La législation française en matière d’usure et le développement de l’accès a crédit des micro-entreprises », Cahiers du CEREN 21 (2007) p. 5.

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70. Cette volonté de réformer l’usure était considérée comme une réponse nécessaire pour

promouvoir le micro crédit et la micro finance. Aussi, après le renversement de la majorité parlementaire en 2002 et l’arrivée d’un gouvernement de droite au pouvoir, qui s’était donné comme principale mission la libéralisation de l’initiative économique179. Dans ce contexte, le législateur a adopté le 1er août 2003 la Loi sur l’initiative économique180, qui prévoit la suppression des dispositions relatives à l’usure pour les personnes

morales sauf pour les découverts en compte. Il faudrait attendre une loi du 2 août 2005 qui a dépénalisé et déplafonné le taux usuraire pour les entrepreneurs individuels. Par conséquent la sanction pénale181 qui figurait à l’article L 313- 5 du Code de la consommation ne s’applique plus et seule la sanction civile demeure182. Ce qui ne veut pas dire cependant qu’il n’existe plus de la législation sur l’usure en France, mais elle est seulement limitée aux crédits à la consommation et les découverts en compte pour les entreprises183.

71. On peut, du reste, se demander pourquoi des pays comme la France qui avaient été si

farouchement opposés à l’intérêt puis qui l’avaient admis en le limitant par la notion d’usure, ont été conduits finalement à dépénaliser et déplafonner l’usure ce qui est en contradiction avec la protection des emprunteurs. Pourquoi un tel délaissement et quelles sont les autres solutions permettant d’assurer la protection des consommateurs ?

On constate qu’en France que le taux de chômage est devenu tellement élevé que les autorités gouvernementales et patronales ont cherché des moyens pour remédier à ce phénomène social qui affecte l’économie française. Dans ce but, une nouvelle orientation a été adoptée, celle-ci s’oriente vers la création de nouvelles entreprises. Mais ces innovations nécessitent des financements et on constate que les banquiers ne voulaient pas prendre le risque de soutenir des petites entreprises qui ont un risque d’insolvabilité trop élevé. Le banquier une fois engagée, ne peut plus se désengager sous peine de commettre une rupture abusive184. Parallèlement on constatait l’avènement et l’expansion de la micro finance qui pouvait constituer une réponse adéquate au chômage. C’est dans cette perspective que le législateur

179 B. Bouloc, « La réforme de l’usure », Revue de droit bancaire et financier, n° 6 nov.-dec. 2003, p. 387. 180 Loi numéro, 2003-721, 1er Aout 2003.

181 Outre l’annulation de la stipulation d’intérêt, une amende de 45000 euros est prévue, Cass. Civ. 1er , 21 jan. 1992, n° 90-18.120.

182 45000 euros

183 Montpellier, 16 mai 2003, RD. Financier 2004, 136.

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français a abrogé les dispositions de l’article L 313-5 du Code de la consommation qui fait de l’usure un délit sanctionné pénalement et par la même occasion il a aussi supprimé le plafond de l’usure185. Cette intervention a eu des effets positifs, car elle a permis la création d’entreprises par le biais de la micro finance qui va jouer un rôle contre le chômage et produire un effet de relance économique.

Cependant, au-delà de ces avantages, cette nouvelle position va donner naissance à des inconvénients d’une très grande envergure, car si le taux d’intérêt n’est plus plafonné les banquiers pourront l’utiliser à leur guise et les emprunteurs vont perdre leurs moyens de protection. Comment, alors, faire face à cette situation ? Il est vrai que cette loi sur la suppression de plafonnement ne s’applique pas aux prêts à la production et aux découverts en comptes pour les entreprises, selon l’article L 313-3 du Code de la consommation186. Mais les entreprises doivent être protégées contre le comportement abusif des banques et la rupture brutale de crédit par le banquier187.

72. On voit donc que la pratique de l’intérêt a beaucoup évolué dans les pays occidentaux.

La condamnation traditionnelle de l’intérêt fondée sur des considérations religieuses et morales a cédé la place à une permissivité dangereuse188. Qu’en est-il de la pratique de l’intérêt par référence aux préceptes coraniques ? Certes, la pratique du riba est toujours prohibée en Islam, cela ne veut pas dire que les opérations bancaires sont gratuites dans les pays de droit musulman, ou dans ceux qui appliquent la charia comme réglementation bancaire. Cela renvoie du reste à la double question : Qu’est-ce véritablement que le riba et cette notion trouve-t-elle une correspondance en droit français189 ?

73. Au terme de cette sous-section, il convient de noter que même si l’Islam n’a pas été la

seule religion à interdire la pratique de l’intérêt et le prêt à intérêt lui-même, elle est aujourd’hui la seule à avoir respecté ce principe, malgré, d’une part, la réaction de certains oulémas (sages) musulmans voulant moderniser le mode de fonctionnement du droit musulman et d’autre part, l’assouplissement de ces principes par la jurisprudence musulmane,

185 Cass. Crim. 2 oct. 2002, n° 01-85.931, Bull. Crim., n° 179

186 Civ. 1er, 21 février 2006, RJDA, 2006, n° 52, Droit des sociétés 2006, n° 87, obs. Lucas : cette disposition ne s’applique au découvert en compte courant.

187 Cour d’Appel d’Aix-en- Provence, 20 oct. 2011, RG, n° 11/00420, Cf. F. Boucard, « La responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit », in Le crédit aspect juridiques économiques, Dalloz, 2012, p. 18.

188 J. Lasserre Capdeville, « Le prêt usuraire », Revue Lamy droit des affaires, oct. 2008, n° 31, pp. 98 et s. 189 Ce point sera abordé dans la seconde cette section de ce chapitre premier.

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notamment dans l’affaire évoquée précédemment de la faculté de médecine de l’université Al-azhar. Cette interdiction est inscrite dans toutes les sources du droit musulman aussi bien les sources principales que les sources secondaires et pour tous les types de conventions, qu’il s’agisse du prêt, de l’échange, du crédit à la consommation ou du prêt à la production190. Elle est renforcée par la législation de certains pays musulmans191. On pourrait dire, du reste, que les dispositions des pays sanctionnant l’usure ou fixant un taux d’intérêt maximal, sont des réminiscences de l’interdiction prononcée par les trois religions monothéistes et notamment l’Islam. Cependant ce principe de l’interdiction de l’intérêt, même s’il est l’épine dorsale du

système financier islamique,

n’est pas le seul à fonder ce système. Il serait donc intéressant d’examiner les

fondements de ce système et les principes qui contribuent au fonctionnement des banques islamiques.

190 M. Fall Ba, « Fondement fiqhi de la finance islamique », Techniques de financières et développement, n° 90. Le prêt à intérêt est prohibé quelque soit l’opération de crédit, la durée ou les modalités de paiement. C’est ce qui découle des conclusions du deuxième congrès islamique de l’académie de recherche islamique ;

191 E. Brack, Systèmes bancaires et financiers des pays arabes : Vers un modèle commun, op. cit. p. 207, l’auteur cite l’Egypte, la Tunisie et le Royaume du Maroc.

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