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Le rôle de l’argent et la neutralité du temps

Paragraphe II) Les fondements éthiques

B) Le rôle de l’argent et la neutralité du temps

145. La richesse et l’argent ont toujours été des sujets tabous dans les religions299. Les particularités dans l’Islam sont que l’argent ne peut être un objet qui se vend ou se loue car il n’a pas de valeur en soi. C’est seulement un outil de mesure, d’échange et de réserve de valeur. Aucun contrat, aucune transaction n’est légitime s’il permet à l’argent de créer de l’argent sans association du capital physique et du travail dans une activité productive. En plus de cette conception spécifique de l’argent, l’Islam considère que le temps est la création de Dieu et n’appartient qu’à Lui. Donc, toute transaction dans laquelle intervient le temps, doit faire intervenir le facteur travail pour être licite. Le temps est assimilé à la vie. Négocier à propos du temps revient à négocier sur la vie, c’est prendre de la vie de l’autre, d’où

295 Ibid.

296 Coran, sourate al Bakara , verset , 284.

297 Le capitalisme, l’éthique protestante, l’urbanisation…

298 Coran verset 5 sourate 2 « Entraidez-vous dans la charité et la piété … » 299 G. Causse Broquet, Les banques islamiques, op. cit .p. 33.

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l’interdiction de l’intérêt basé sur le temps300. Le musulman est un simple gérant sur terre (1) , il croit aussi en une vie après la mort (2).

1) L’homme, simple gérant sur terre

146. L’individu est le lieutenant de Dieu sur terre. « C’est Dieu qui vous a désigné gérant de

la terre… »301. La propriété absolue telle que nous la connaissons en occident n’existe pas : « aucune propriété n’est le bien exclusif, voire même réel de son possesseur. Le véritable propriétaire c’est Dieu qui la laisse à l’homme, son vice-gérant sur la terre qui doit la faire fructifier »302. Cette notion de propriété, non exclusive, ne porte pas préjudice à la liberté et à la responsabilité individuelle mais conduit à une forme plutôt sociétale de la propriété qui est de nature à éviter certains abus comme la concentration et ou l’accumulation du capital, le gaspillage de la richesse, la thésaurisation.303

147. Dieu transfère un certain nombre de ses pouvoirs à l’homme, sur terre pour que ce

dernier soit son mandataire, le terme de mandat, « istikhlaf » se trouvant également clairement édicté dans le Coran. C’est Dieu, qui a fait de vous son successeur sur terre…304. Par cette qualité, l’homme doit exercer son rôle dans le respect strict des règles religieuses et de la justice sociale. « Nous avons effectivement envoyé nos messagers avec des preuves évidentes, et fait descendre avec eux le livre et la balance, afin que les gens établissent la justice… »305. De ces versets découle une règle sociale qui permet de considérer tous les hommes comme des frères entre eux et selon laquelle toutes les ressources mises à leur disposition leur ont été confiées par lui en vue de leur utilisation d’une façon juste, pour le bien-être de tous sans exception. Par ce principe, on considère que tout l'univers est la propriété de Dieu. L'être humain n'est qu'un lieutenant ou un délégué qui a le droit d'exploiter et de jouir des biens et des avantages donnés par Dieu dans le cadre des lois et des directives coraniques. Il est un agent qui exécute les ordres de Dieu.

De nombreux principes en découlent au plan juridique. Par exemple que la propriété n'est pas un droit absolu, mais un don divin qu'on doit utiliser et exploiter d'une façon rationnelle. Si

300 G. Causse Broquet, « Les principes de la finance islamique », op.cit. p. 32. 301 Coran, verset 6 sourate 165.

302 L. Siagh, Islam et le monde des affaires, éd. d’Organisation, 2003, p. 123. 303 G. Causse Broquet, op. cit p. 31.

304 Coran verset 35, sourate 30. 305 Coran, verset57 sourate 25.

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cette exploitation a été abandonnée ou transformée d'une façon non productive, la propriété diminue306 et peut être confisquée. Le but de la propriété est la construction de la vie terrestre307 et l'amélioration du niveau de vie de tous les êtres humains, sans distinction de races ou de classes sociales308. Cela est fait pour réaliser le but essentiel: préparer l'homme à remercier Dieu.

2) La croyance en une vie dans l’au-delà après le jugement dernier

148. Pour l’Islam, comme pour la plupart des religions monothéistes, la mort n’est pas une

fin mais un commencement. Cela sous-entend l’existence d’une autre vie après la mort, et le sort de l'homme dans cette nouvelle vie dépend des actions qu’il a accomplies sur terre. « Œuvre pour ta vie terrestre comme si tu vivais l’éternité et œuvre pour ta vie dernière comme si tu allais mourir demain’.309 » Ces principes relativisent les richesses et les profits réalisés dans cette vie terrestre qui est éphémère, et invitent tous les musulmans à penser à cette vie de l’au-delà. Ce principe est lié avec celui selon lequel l’homme est le lieutenant de Dieu sur terre, pour déterminer la conduite du musulman. Il renforce chez lui l’autocensure et modifie les notions de succès et de richesse bâties sur un point de vue purement matérialiste. La croyance au jugement dernier élargit métaphysiquement les horizons temporels et agit sur le comportement de l'individu, d’autant que son sort dans la vie dernière dépend des actions qu'il a accomplies sur terre. Cependant la doctrine islamique ne permet pas d'interpréter ces principes comme un encouragement à l'ermitage ou à la consécration de tout le temps à la prière. Au contraire, elle appelle l'homme à entreprendre des activités productives et bienfaisantes pour s'assurer une vie heureuse sur terre et dans l'au-delà.

Ces trois principes qui régissent la vie des musulmans entrainent un rejet d’une souveraineté quelconque des consommateurs ou des producteurs, car l’homme est plutôt un usufruitier qu’un propriétaire absolu. Cependant que tous les hommes puissent être les vice-gérants de Dieu est une finalité mais qui doit tenir compte des réalités socio-économiques.310.

306 Comme le cas des sommes thésaurisées qui diminuent de 2.5% par an au moment de la zakat (l’aumône légale)

307 Coran, verset 11, sourate 61

308 Vous êtes tous des serviteurs de Dieu, les plus aimés de lui sont les plus utiles à ses serviteurs, (Tradition citée dans M. SIBAI, le socialisme de l’Islam, la maison Ed Arabe, Damas 1960, p. 184

309 Hadith, rapporté par Alboukhary l’un des accompagnons du Prophète

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149. Le droit des contrats dans le système islamique est gouverné par des principes différents

de ceux issus du droit français311. Ainsi en droit musulman, les principes de l'équivalence et la simultanéité sont des conditions de validité de toutes transactions. L'interdiction du riba en Islam pourrait correspondre avec certaines règles du système français lorsque qu'il s'agit de protéger la partie faible du contrat. Dans le souci d'éviter des transactions donnant naissance à des prestations déséquilibrées, comme le souligne Madame Comair, l’élément moral joue un rôle de protecteur312. Ainsi le riba est prohibé parce qu'il correspond à une rémunération garantie pour le préteur, alors que les risques sont totalement assumés par l'emprunteur.

150. Cette recherche d'équité et de protection se retrouve aussi au sein de la législation

française et plus précisément à travers les dispositions du droit de la consommation, qui traitent des clauses abusives comme dans la plupart des pays européens. Il serait intéressant de rappeler ce mode de protection des consommateurs dans le système français pour examiner comment le droit français aussi bien que le droit musulman est inspiré par l'éthique dans la mesure où il garantit la protection de la partie la plus faible du contrat. Cette protection en droit musulman se fait en fonction de la conception retenue, selon qu’elle est extensive ou restrictive.

En deçà des fondements religieux et éthiques de cette interdiction il est certain que l’instauration d’un système financier islamique. Trouve sa source également dans des fondements sociaux.

II) Les fondements sociaux

151. L’intégration des valeurs sociales et morales est un élément important dans la vie

économique du musulman car elles en sont les fondements, les composantes principales. Ce sont les gages de réussite véritable de ce système et c’est ce qui le diffère du système conventionnel.313 « Vos richesses et vos enfants ne sont même qu’une tentation alors qu’une récompense sans limite se trouve auprès de Dieu. »314 Donc le comportement correct du musulman, doit se manifester, non seulement dans la gestion de ses richesses, c'est-à-dire dans

311 F. Guéranger, La finance islamique une illustration de la finance éthique, op. cit. p. 32. 312 N. Comair-Obeid, Les contrats en droit musulman des affaires, op. cit. p. 89.

313 P. Grangereau, M. Haroun, « Financement de projets et financements islamiques : Quelques réflexions prospectives pour des financements en pays de droit civil », Revue Banque et Droit, n ° 97 septembre octobre 2004, pp. 55. et s.

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la fructification de son patrimoine mais aussi, dans sa générosité vis-à-vis de son prochain315. Ce caractère social, du point de vue de la banque, peut se manifester de différentes manières. D’abord par la ressemblance entre la banque islamique et la banque de l’économie sociale (A), mais aussi par son caractère redistributive (B).