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La facilitation (souhalat) et Le recours aux sources secondaires

Paragraphe II : Assouplissement de la condamnation de l’intérêt

B) La facilitation (souhalat) et Le recours aux sources secondaires

57. Elle représente un principe qui se déduit indirectement d’un verset du Coran : « Nous

vous éprouvons par un peu de crainte, de faim, par des pertes légères de biens, d’honneurs ou de récoltes 147». Il s’ensuit qu’il convient de rechercher tous moyens de faciliter l’existence des croyants, d’où notamment la règle de la liberté contractuelle, désormais admise par la majorité des jurisconsultes148. Toutes les sortes d’obligations imaginables étant admises149, à moins qu’elles ne fassent l’objet d’une prohibition explicite, la création des contrats innommés150 utiles au développement et au commerce151 devient légitime et relève de l’ingéniosité des juristes152. Là encore, Ibn Taimiya a souligné l’évidence d’une telle opportunité : « On suivra dit-il, le principe suivant : on n’interdira aux hommes aucune des transactions dont ils ont besoin, à moins qu’elles ne soient interdites par le Livre et la Sunna »153. Le recours aux sources secondaires avait permis d’atténuer l’interdiction (1), en faisant appel au mécanisme du hiyal (2).

1) Le recours aux sources secondaires

58. Certaines écoles ont parfois critiqué le recours à des sources secondaires du droit, telles

que qiyas ou hiyal. Mais ces outils, et en particulier le dernier, qui consiste en des expédients

146 Une forme d’assurance, fondée sur la solidarité ou la mutualité, dans le système musulman. Cette notion fera l’objet d’une analyse et d’une étude dans la deuxième partie de cette thèse.

147 Le Coran, Verset 2, sourate 155.

148 G. Causse-Broquet, La finance islamique, 2e éd., Revue banque éditions, 2012, p. 38.

149 A. Abi Haidar, La banque islamique : Essai d’intégration dans un système juridique de type occidental, thèse Paris 2, 1991, p. 285.

150 N. Comair-Obeid, Les contrats en droit musulman des affaires, op.cit. p. 84.

151 Ch. Chehata, Essai d’une théorie générale de l’obligation en droit musulman, Dalloz, 2005, p. 65. 152 Ce qui contribue à l’avènement d’un droit nouveau.

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ou des échappatoires et dont nous avons fourni précédemment un exemple154, sont estimés importants dans la mesure où, permettant d’esquiver certaines interdictions, ils sont utilisés au service du bien-être de la communauté. J. Schacht met l’accent sur la situation de nécessité dans laquelle se trouvent les personnes recourant à de tels artifices :

2) Les hiyals

59. « Permettent à des gens qui, sans cela, sous la pression des circonstances, auraient agi

contre les dispositions de la loi sacrée, de parvenir au résultat désiré tout en se conformant réellement à la lettre de la loi »155. Cette interdiction ne veut pas dire que le capital ne doit pas être rémunéré. Ce qui est interdit c’est l’intérêt fixé d’avance. La formule de rechange aux taux d’intérêt fixes est la participation aux profits et le partage des pertes.

Le droit musulman n’interdit pas le fait qu’un débiteur paie volontairement un excédent au créancier156. D’autre part le droit musulman permet d’emprunter à intérêt en cas de nécessité. L’état de nécessité est défini par le Prophète Mahomet : « c’est quant du matin au soir on ne trouve pas de quoi se nourrir ». De ce fait, les juristes ont défini la cessation de l’état de nécessité par le fait de calmer sa faim, à la différence de l’Imam Malik, qui le définit par le rassasiement157. Les docteurs religieux et l’autorité religieuse de l’Université Al-Azhar, ont été influencés par le législateur de certains pays musulmans, tels que celui de l’Algérie et de l'Égypte qui ont autorisé dans leurs codes civils la pratique de l’intérêt, puisque ces législations, ne s’appliquent qu’aux personnes physiques. L’exemple le plus frappant est celui du Bahreïn, qui autorise les intérêts en matière commerciale158.

60. Une jurisprudence venue de la plus haute juridiction islamique, Al-azhar, peut illustrer

l’atténuation de cette prohibition, posée dans toutes les sources du droit musulman.

Les faits remontent à 1968, la faculté de médecine de l’université Al-azhar avait commandé des matériels médicaux auprès d’un commerçant et un premier paiement a été effectué, le jour même de la commande. Après la livraison, quelque temps après, l’acheteur s’est aperçu que le

154 Cf. Paragraphe relatif à l’assouplissement du principe de l’interdiction du riba 155 J. Schacht, Introduction au droit musulman, Maisonneuve et Larose, 1983, p. 71.

156 Un compagnon du Prophète avait consenti un prêt à Mohamed, ce dernier lui a rendu plus qu’il ne lui avait prêté. D’après un hadith « le meilleur d’entre vous est celui qui rembourse mieux sa dette », voir K. Malika :

Une banque originale, la banque islamique, Imprimerie NajahEl-Jadidah, Casablanca, 2002, p. 77.

157 Ibid.

158 L’article 76 du Code commerce du Bahreïn de l’année 1987 promulgué le 22 mars 1987 « Le prêt en matière

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bien livré ne répondait pas aux conditions du contrat et il refuse de payer le reste du prix de vente du bien en question. Le fournisseur l’assigne en justice, en demandant le paiement de la somme restant due en plus des intérêts moratoires. Le tribunal administratif accueille la demande du fournisseur, ainsi que les intérêts relatifs au retard de remboursement, au taux de 4%. L’acheteur saisit la Cour administrative en soulevant l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 226 du Code civil égyptien, relatif aux intérêts dits moratoires qui sanctionnent le retard dans les obligations de sommes d’argent. L’affaire est renvoyée devant la cour suprême qui condamne l’université à payer les intérêts moratoires à son fournisseur159. Elle refuse l’argument de l’université en déclarant que l’article 2 de la constitution qui édicte que la charia est la source principale de la législation ne vise que les seules lois qui lui sont postérieures. Les textes antérieurs, dont le Code civil de 1984, ne saurait en revanche être attaqué pour inconstitutionnalité, puisque la nouvelle règle n’a pas d’effet rétroactif et qu’ils datent d’une époque ou ils n’encouraient nullement un tel reproche.160 Cette position du législateur dans certains pays musulman, tendant à légaliser la pratique des intérêts moratoires, dans leurs textes législatifs, soutenu par certaines juridictions, marque un assouplissement de cette interdiction qui est pourtant très forte et absolue dans toutes les sources du droit islamique.

61. Cette appréciation de l’intérêt a connu une évolution, non seulement dans les courants

de pensées, mais aussi sur les écrits des trois religions monothéistes. Au départ il a été interdit dans toutes les religions et au fil du temps des tempéraments ont été apportés avant que l’intérêt ne soit canalisé à travers la notion d’usure. L’interdiction se retrouve au-delà d’une limite à partir de laquelle l’intérêt devient usuraire. La pratique de l’intérêt a été légitimée à travers les religions. Surtout en Europe, avec la poussée du commerce et des échanges commerciaux, l’intérêt était devenu un élément indispensable pour l’épanouissement de l’économie.

62. Après sa légalisation, il a fallut trouver un moyen de la réglementer afin d’eviter toutes

pratiques abusives, certaines pratiques pouvant être néfastes pour le débiteur. C’est de cette réglementation qu’est née la distinction entre l’intérêt et l’usure.

159 Dans son arrêt du 4 mai 1985 la Cour constitutionnelle s’est prononcée indirectement sur le fond de cette affaire en affirmant l’article 226 n’est pas conforme à la constitution.

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I) Distinctions juridiques favorables à l’intérêt

63. Les thèses développées en faveur pour l’abandon de l’interdiction de l’intérêt ont été

avancées sur la distinction entre l’intérêt et l’usure. La conception posée en France (A) en distinguant l’intérêt et l’usure est différente de la législation d’autres européens voire américains (B).