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5 Théories de l'activité

5.2. Théorie de l'apprentissage expansif

5.2.1. Vers une modélisation de la structure de l'activité humaine

La forme triangulaire est assez directement associée par Engeström à la géométrie de l'activité humaine : un important héritage légué par au moins trois générations différentes de penseurs s'avère porté par « le concept de médiation, de tiercéité […] considérée comme la caractéristique constitutive de l'activité humaine » (1987, p. 62). La relation de l'homme aux objets du monde comme à ses semblables n'est donc pas envisagée comme duale, directe, mais ternaire, indirecte, médiatisée par les instruments matériels et symboliques.

La première génération des penseurs identifiée renvoie à celle intéressée par la sémiotique : dans la lignée des travaux de Pierce, ils envisagent la signification comme le produit de l'activité de traitement par un interprétant de la relation entre un référent et un symbole. Si Engeström rapporte les élaborations des sémioticiens, c'est parce qu'elles réfèrent à l'analyse d'une activité intellectuelle individuelle. Il montre cependant que la triade pensée-référent-symbole ne permet

pas de comprendre comment les outils culturels s'élaborent au sein d'activités collectives (1987, p. 70). La deuxième génération de penseurs est rattachée au courant du comportementalisme dit social, émergent des travaux de G.-H. Mead : Engeström décrit le passage qu'ils opèrent de la considération de l'activité intellectuelle individuelle à celle « sociale, interactive de la construction du réel par la médiation des symboles » (p. 77). Cependant, les élaborations théoriques associées ne tiennent toujours pas compte de l'activité matérielle concrète au sein de laquelle sont produits les symboles. Les travaux de Leontiev et Vygotski sont alors mentionnés : ils forment, avec d'autres, la troisième génération des penseurs intéressés par la nature médiatisée des activités225. Une conception ternaire ou indirecte des sujets aux objets du monde est identifiée à travers la modélisation triangulaire de la relation entre le Stimulus et la Réponse (S-R), médiatisée par l'utilisation de signes déterminée par les travaux de Vygotski. Bien que les théorisations et les modèles issus de ces travaux adoptent une approche historico-culturelle et matérialiste du développement des activités humaines, leur faille réside dans l'absence d'unification des aspects instrumentaux et communicatifs (ibid., p. 87).

Engeström s'inspire alors d'un courant de recherches prenant ses sources en biologie : la spécificité des activités humaines, au regard de celles animales, s'identifie dans le développement d'instruments, de la division du travail et de l'évolution des traditions ou des règles culturelles. La modélisation la plus connue issue des travaux d'Engeström marque l'affirmation de ces trois pôles, aux extrémités principales du triangle suivant :

On note la mention des termes « échanges », « consommation », « production » et « distribution » au sein des quatre triangles intérieurs à celui global. Engeström détaille ce qu'ils recouvrent en reprenant l'exemple des chasseurs-cueilleurs :

225. Une autre approche historico-culturelle des théories de l'activité est développée dans (Engeström, 2011a, p. 7, traduction libre) : « nous pouvons discerner trois générations dans l'évolution de l'unité principale d'analyse dans la théorie de l'activité historico- culturelle […]. La première génération, basée sur les travaux de Vygotski, est centrée sur l'action médiatisée comme unité d'analyse […]. La deuxième génération, basée sur les travaux de Leontiev […], a considéré la dimension collective des activités comme principe central pour déterminer l'unité globale de l'analyse des activités. À l'heure actuelle, de nombreux théoriciens de l'activité dans diverses parties du monde se concentrent sur les interactions entre deux ou plusieurs systèmes d'activité, ce qui nécessite une troisième génération d'unité d'analyse comprenant, de manière minimale, deux systèmes d'activité partageant partiellement leur objet ».

Toutes les activités de leur vie peuvent correspondre à la production dans un sens large. En même temps, ils ont seulement utilisé une certaine quantité de temps à chasser et cueillir - ce qui pourrait correspondre à la production dans un sens étroit. Le partage de la nourriture était un élément distinctif de leur vie quotidienne qui peut correspondre à la distribution. Ayant obtenu leurs parts, ils les mangeaient, ce qui peut correspondre à la consommation. Finalement, il y avait « une bonne partie de temps libre » (Leakey et Lewin 1983, p. 126) utilisé dans diverses formes d'interactions sociales - les échanges. En d'autres termes, chaque sous-triangle dans [la figure 4] est potentiellement une activité en elle-même. (pp. 95, traduction libre)

La possibilité de « zoomer » dans la figure pour en voir émerger de nouvelles, ayant la même structure, permet de tenir compte de la mobilité interne des opérations, des actions et des activités. On a donc assez rapidement relevé l'importante plasticité de cette modélisation. Mais, parmi les quatre aspects nécessaires pour modéliser de manière unifiée la spécificité des activités humaines, le deuxième devait permettre l'analyse de l'activité « dans son évolution et ses changements historiques ». Ce type d'analyse est rendu possible par l'ajout d'un nouveau signe médiateur au modèle : celui de la « contradiction interne [comme] source de la dynamique et du développement dans l'activité humaine » (p. 97). On verra, dans la suite, que le concept de contradiction correspond à une caractéristique de l'activité aussi fondamentale que sa nature médiatisée.

5.2.2. Le concept de contradiction

L'activité humaine manifeste toujours différentes contradictions, précisément au sens où il ne suffit pas de choisir entre deux alternatives : « [une] contradiction ne peut pas être résolue par des décisions morales » (Engeström, 1987, p. 130). Une solution est alors de repenser l'activité en elle-même :

Les bons managers doivent être capables de combiner différentes perspectives : non pas penser l’une ou l’autre de ces deux perspectives, mais penser les deux… Et bien ceci n’est pas une logique dialectique, ce n’est pas une logique hégélienne ! L’idée hégélienne consiste à considérer que les contradictions ne peuvent être dépassées qu’en travaillant sur un troisième niveau : celui qui dépasse les deux pôles en opposition. Quelque chose comme une totalité, ouvrant de nouvelles possibilités pour un nouveau niveau de développement de la totalité, et non pas seulement une façon d’équilibrer deux éléments en opposition. Ce n’est pas un mouvement d’équilibration, ni une addition de deux termes, encore moins un compromis ou un amalgame : c’est un dépassement. (Engeström, 2011b, p. 172)

La première des contradictions internes à l'activité humaine renvoie alors à sa dualité intrinsèque : la vie de chaque individu constitue une activité indépendante, simultanément subordonnée à l'activité sociale totale. Cette contradiction prend ses sources dans la division sociale du travail et renvoie, d'une certaine manière, à celle identifiée par Marx entre la valeur

d'échange et la valeur d'usage226. Engeström propose, à son tour, une lecture originale de cette contradiction :

La valeur d'échange des biens est essentiellement déterminée par la quantité moyenne de travail social nécessaire à sa production. La contradiction essentielle consiste alors dans l'exclusion et la dépendance, simultanées et mutuelles, de la valeur d'usage et de la valeur d'échange. Cette double nature et cette agitation intérieure caractérise tous les angles de la structure triangulaire de l'activité. (ibid., traduction libre)

On devine, dans la relation de la valeur d'échange à celle d'usage telle qu'elle est formulée par Engeström, l'influence du concept de double contrainte, lié à la hiérarchisation des apprentissages telle qu'elle a été élaborée par Bateson dans le courant du XXe siècle. On rappellera cette hiérarchisation des niveaux d'apprentissage ou de quatre types de correction des erreurs :

Le niveau 0 est caractérisé par la spécificité de la réponse – vraie ou fausse – insensible à la correction. Le niveau I est alors un changement dans la spécificité de la réponse par la correction des erreurs de choix au moyen d'un ensemble d'alternatives pour ces choix.

Le niveau II correspond à un changement dans le processus de niveau I : par exemple, une correction est apportée à l'ensemble des alternatives à partir desquelles le choix est fait […].

Le niveau III correspond à un changement dans le processus de niveau II : par exemple, une correction est apportée au système de correction de l'ensemble des alternatives à partir desquelles le choix est fait. […]

Le niveau IV correspondrait à un changement dans le processus de niveau III, mais il n'a encore probablement jamais eu lieu pour aucun organisme adulte de cette planète. […] La combinaison de la phylogenèse à l'ontogenèse, en fait, atteint le niveau IV. (Bateson 1972, cité par Engeström, 1987, p. 147, traduction libre).

La situation de double contrainte est associée aux apprentissages de niveau II : elle a pour caractéristique de se constituer dans le temps, au travers d'interactions paradoxales (ibid.). Si Winkin (2008, p. 65) montre que le concept a donné lieu à de multiples dérivations, Wittezaele (2008, p. 27) en rappelle les constituants, qu'on peut reformuler de la manière suivante : deux

personnes ou plus partagent des occurrences répétées d'interactions qui réalisent trois types d'injonctions paradoxales227, au point de rendre impossible toute fuite ou résolution évidente de la situation. La fille de Bateson propose, quant à elle, plusieurs exemples issus d'interactions menées à l'échelle internationale, à propos desquelles on peut souligner l'actualité :

[…] les États-Unis disent au peuple irakien : « vous devez choisir d’être une démocratie »[, or, on ne peut] pas contraindre quelqu’un à être libre. […] En Irak, on 226. Elle avait aussi été associée par Leontiev à une pré-condition pour l'analyse d'une quelconque activité au sein d'un système capitaliste (Engeström, 1987, p. 101).

227. La première injonction négative consiste par exemple à simultanément interdire et obliger à faire la même chose ; la seconde renforce la première et pourrait se formuler par exemple par « ne pense pas à ce que tu ne dois pas faire » ; la troisième et dernière injonction « interdit à la victime d'échapper à la situation » et n'est pas forcément formulée de manière négative : elle peut, par exemple, prendre la forme d'un chantage affectif.

dirait que cela génère de la folie. Permettez-moi de vous suggérer de prendre l’exemple extrême d’un terroriste kamikaze […] et de faire l’effort de voir cela comme un acte adaptatif raisonnable en réponse à des circonstances qui ressemblent à une double contrainte. Si la situation dans laquelle le kamikaze se trouve est une situation où il ne peut survivre tout en continuant à être lui-même, le suicide par la bombe est une affirmation d’identité personnelle et nationale. (2008, p. 132)

Même si l'exemple fourni est macabre, il montre clairement que la situation de double contrainte impose d'inventer des solutions qui dépassent les aspects polarisant la contradiction. Engeström propose, à partir de ce concept, un système de contradictions, toutes conçues comme « des forces opposées concurrentes au sein de l'activité […] aussi bien positives que négatives » (1987, p. 101)228 :

Les contradictions primaires des activités dans un système économique capitaliste renvoient au conflit entre la valeur d'échange et la valeur d'usage pour chaque angle du triangle de l'activité.

Les contradictions secondaires sont celles qui se manifestent entre les angles. […] Les contradictions tertiaires apparaissent lorsque les représentants de la culture (par exemple, les enseignants) introduisent un objet et un motif d'une forme culturellement plus avancée d'activité centrale dans la forme dominante d'activité centrale. […]

Les contradictions quaternaires exigent de tenir compte des « activités voisines » liées à celle centrale, objet initial de l'étude : [celles] dont les objets sont en relation assez directe avec celui de l'activité centrale (qu'on peut appeler « activités de production de l'objet »)[ ; celles] qui produisent les instruments pour l'activité centrale (qu'on peut appeler « activités de production d'instruments) [ ; celles] d'éducation et de formation des sujets de l'activité centrale (« activités de production de l'activité des sujets »)[ ; celles enfin] d'administration et de législation (« activités de production des règles »). (pp. 102- 103, traduction libre)

Ce système de contradiction donne lieu à une nouvelle modélisation, assurant cette fois, l'analyse dynamique ou processuelle des transformations de l'activité dans son histoire :

228. On a relevé que ce système articule quatre degrés (qu'on peut aussi concevoir comme des ordres différents) de contradiction, ce qui rappelle également la hiérarchisation des niveaux d'apprentissage déterminée par Bateson.

Engeström précise que si les modèles élaborés pour représenter les activités humaines et le concept de contradiction « [suggèrent] beaucoup de possibilités d'analyser une multitude de relations à l'intérieur de la structure triangulaire de l'activité », il convient de s'efforcer de « saisir l'ensemble systémique, et pas seulement des connexions distinctes » (p. 94, traduction libre). Mais il ne se contente pas d'unifier les spécificités de l'activité humaine à travers cette modélisation ou de conceptualiser ses transformations dans l'histoire : il utilise en effet le modèle et le concept de contradiction pour analyser les activités d'apprentissage, s'appliquant par là, la méthode de la double stimulation229. Le fruit de son activité, ainsi médiatisée, lui permet de mettre au jour un nouvel objet pour les activités d'apprentissage, ce qu'il nommera l'activité d'apprentissage expansif.

5.2.3. Une application aux activités d'apprentissage

5.2.3.1. Évolutions historico-culturelles de l'activité d'apprentissage

Analyser les activités d'apprentissage commence par établir leur histoire : Engeström montre que leur forme originelle est liée aux activités de production au sein desquelles l'apprentissage survient de manière non intentionnelle et inconsciente.

Les premières actions d'apprentissages conscientes et volontaires s'avèrent ensuite déterminées par la spécialisation des formes de transmission du savoir et de l'expérience : Engeström associe les relations notées dans les triangles intérieurs du modèle qu'il a élaboré (« production », « distribution » et « échange ») à trois voies de spécialisation de ces formes de transmission. La première d'entre elles correspond à la production d'instruments matériels et symboliques qui cristallisent, à la manière des langues, les savoirs, et expériences préalables à leur constitution. La production de ces instruments est distribuée, ce qui favorise la spécialisation des activités de production. Intervient finalement la forme de transmission consistant dans les échanges « ritualisés ». Ces trois voies de spécialisation ont constitué les sédiments des activités d'apprentissages professionnels, scolaires, scientifiques et artistiques (p. 108).

Développant l'analyse historico-culturelle de chacune de ces trois activités d'apprentissage, Engeström identifie différentes contradictions. Par exemple, l'analyse de l'activité scolaire l'amène à identifier une contradiction principale liée au pôle de l'objet : il montre que l'impact de l'écriture sur les sociétés a transformé cet objet jusqu'à réduire les textes et leurs contextes à « des textes morts » (pp. 109-117). Cette contradiction exige une solution créative de la part des élèves, qui peut prendre la forme des techniques de tricherie aux examens. Si ces techniques « dévient » les objectifs des activités scolaires, elles peuvent aussi être utilisées par les éducateurs : Engeström (2007b, p. 367) explique comment il invite ses élèves à construire des antisèches, à les utiliser pendant les examens et à les remettre à la fin, avec le devoir. Ces moyens médiationnels pour

229. Dans un chapitre d'ouvrage paru en 2007 (b), Engeström revient en détail sur cette méthode et sur la façon dont il l'a transférée dans ses recherches sur l'apprentissage expansif.

leurs activités font alors partie des objets qui régulent les évaluations, parce qu'elles témoignent de l'élaboration des apprentissages.

Engeström (1987, p. 228) propose alors une représentation de l'évolution des activités humaines en fonction de quatre types historiques. On en a élaboré une traduction, qui a des dimensions interprétatives, et on verra, dans la deuxième partie de la thèse, qu'elle peut être modifiée230 :

Pour chacun des types historiques d'activité, les descriptions des différents pôles de la structure de l'activité humaine connaissent des variations. On approfondit, dans la suite, les spécificités du

230. Notamment parce que les formes prises par les activités d'apprentissage au cours de leur évolution historico-culturelle ne suppriment pas leur héritage : ainsi, quand bien même l'école est l'institution sociale dévouée à l'apprentissage, on apprend toujours dans l'activité pratique quotidienne, liée entre autres au travail.

dernier type, ancrées à la théorie de l'apprentissage expansif, qui vise à maîtriser la redéfinition constante de l'objet des activités.

5.2.3.2. Caractéristiques de l'apprentissage expansif

Pour Engeström, la spécificité de l'apprentissage expansif est reliée à la nature même de l'apprentissage ; il la décrit en ces termes :

L'essence de l'activité d'apprentissage est la production de nouvelles structures et de nouveaux objets d'activité sociale […] à partir des manifestations des contradictions propres à la structure et à l'objet de l'activité précédente. L'activité d'apprentissage correspond à la maîtrise de l'expansion des actions en une nouvelle activité. Alors que l'école traditionnelle est essentiellement une activité de production de main-d’œuvre, alors que la science traditionnelle est essentiellement une activité de production d'instruments, l'activité d'apprentissage est une activité de production d'activité. (pp. 133-134, traduction libre)

Comme l'analyse des contradictions correspond au moteur de la transformation des activités quelles qu'elles soient, en faire l'objet de l'activité d'apprentissage expansif correspond bien à un changement d'une action en une activité à part entière231. Engeström propose une modélisation de la structure de cette activité d'apprentissage mettant en relief son caractère transitoire et expansif :

Que signalent les flèches dans ce modèle ? La transition d'un pôle à l'autre de ces flèches n'est pas immédiatement interprétable. Observant aussi qu'elles manquent de précisions, particulièrement au sujet de ce qui transforme une « contradiction en une situation de double contrainte qui demande des instruments qualitativement différents pour sa résolution » (p. 165),

231. Engeström (2011b, p. 171) réaffirme la centralité de l'objet pour les dernières générations des théoriciens de l'activité : « je pense en premier lieu au principe fondamental consistant à focaliser la recherche sur l’objet même de l’activité. En effet, même si, dans le courant du pragmatisme, l’objet de l’activité est bien observé dans un sens similaire, cet objet est en général considéré comme une tâche immédiate. Or, dans la TA, nous considérons aussi l’objet comme quelque chose qui donne un sens à long terme à l’activité. Ce point revêt une importance cruciale : si vous passez à côté de l’objet, si vous ne pouvez pas sérieusement saisir l’objet de l’activité, vous ne pouvez pas réellement faire une recherche fondée sur la Théorie de l’Activité ».

Engeström formalise les cycles de l'apprentissage expansif ainsi qu'une méthodologie interventionniste visant à appuyer leur bon déroulement232. Il défendra plus tard la portée unifiante de cette méthodologie qui « transcende les dichotomies entre les niveaux micro et macro, le matériel et le symbolique, l'observation par rapport aux interventions » (Engeström, 2000, p. 960).

Les travaux auxquels elle a donné lieu sont nombreux (Engeström, Miettinen, & Punamäki, 1999) : ils ont concerné aussi bien des institutions médicales (Engeström, 2000), que des écoles (Teräs, 2007), des banques (Engeström, 2007b) ou les services postaux (Engeström, 2007a). On ne peut revenir en détail sur toutes ces analyses : dans la suite, j'éclairerai seulement la base de la méthodologie de recherche interventionniste déterminée en 1987 parce qu'elle a fondé une partie de ma démarche de recherche.

5.2.4. La méthodologie interventionniste des « laboratoires du changement »

Dans une dernière partie de son travail, Engeström (1987) associe les quatre degrés233 de contradiction à quatre phases permettant de décrire la transition expansive de l'apprentissage :

1. la structure de l'activité initiale manifeste des contradictions primaires qui déterminent un « état de besoin », celui de la transformation de cette structure ;

2. les contradictions secondaires font ensuite émerger une situation de double contrainte qui nécessite d'engager la redéfinition de l'objet ou du mobile général de l'activité ; 3. pour remplir ce nouveau mobile, la production d'instruments spécifiques est nécessaire

mais elle est à l'origine de contradictions tertiaires entre l'activité orientée par l'objet initial et celle orientée par l'objet culturellement plus avancé ;

4. dans la généralisation de la nouvelle forme de l'activité, des contradictions quaternaires s'observent entre l'activité nouvelle et toutes les activités voisines.

Par là, Engeström réinterprète et étend la catégorie de la ZPD : si les travaux de Vygotski vont du socio-culturel vers l'individuel, ses modélisations partent, quant à elles, « de l'individu [vers] la société[ ; mais l']individu n'est lui-même compréhensible qu'en tant que produit de l'évolution historico-culturelle des activités sociales » (p. 240). La description du cycle de l'apprentissage expansif permet aussi d'élaborer une méthodologie de recherche visant à soutenir le déroulement de ces activités d'apprentissage.

Celle-ci commence par une « analyse phénoménologique » permettant de délimiter l'activité initiale, suivie d'une analyse historique, théorique et empirique de l'activité devant faire émerger les contradictions de l'activité initiale. Si des contradictions secondaires amènent une situation de

232. Engeström s'appuie, pour cela, sur l'étude d'un corpus assez original puisqu'il comprend l'analyse de deux romans (Les aventures