• Aucun résultat trouvé

10 Phase exploratoire de la recherche

10.2. Méthodologie pour les entretiens

10.2.1. Élaboration du guide d'entretien

Initialement, la modalité d'enquête retenue pour la phase exploratoire avait été celle du questionnaire : l'ambition étant de sélectionner les organismes de la phase d'approfondissement, il convenait d'obtenir des données précises provenant de l'ensemble des terrains identifiés. Mais le test du questionnaire, réalisé en janvier 2012 auprès de deux responsables d'organismes de ma connaissance, a montré que les sujets abordés, à savoir le DILF et les utilisations de TIC pour la formation des migrants, pouvait renvoyer à des sujets « difficiles » : les répondants manifestaient un besoin d'échanges directs à propos des questions posées330. Il est donc apparu que des entretiens semi-directifs apporteraient davantage d'informations et de meilleure qualité.

J'ai transformé le questionnaire à partir des réactions enregistrées lors de son test pour constituer un guide d'entretien semi-directif, présenté en annexe331 : ce guide articule trois thèmes principaux et 44 questions détaillées332. C'est au cours de l'élaboration du guide qu'on a identifié l'objectif intermédiaire de réalisation d'un repérage pour un état des lieux des utilisations de TIC dans la formation des migrants à l'échelle de la région ciblée. Au plan méthodologique, je me suis basée sur les travaux de Jovic (1987), de Porcher et al. (1982) et de Kaufmann (2011) pour l'élaboration du guide et la conduite des entretiens. La méthode de l'entretien semi-directif suppose un échange relativement libre : les questions déterminées dans le guide n'ont donc pas nécessairement été toutes posées et surtout, elles n'ont pas été posées de la même manière, ni

– est utilisé lorsqu'un centre mixte rend impossible la quantité nulle.

329. L'existence de centres mixtes permet de nuancer la représentation moindre de centres accueillant des publics signataires du CAI. Il à noter que le document lacunaire et problématique provenait de l'OFII, ce qui explique aussi qu'ils soient moins représentés dans le corpus. Est-ce à dire que l'OFII souhaite garder l'exclusivité des données relatives au CAI et au DILF ?

330. Notamment en ce qui concerne ce que contenait les « TIC », même si une note d'information précédant le questionnaire en précisait une description sommaire.

331. Voir dans le volume des annexes, l'annexe 3.

332. On rappellera que dans la phase exploratoire, on s'est intéressé au point de vue des prescripteurs intermédiaires que sont les « responsables » des organismes (directeurs, coordinateurs pédagogiques, chefs de projet, conseillers en formation continue, etc.), concernant l'offre de formation, l'équipement en technologies et les utilisations pédagogiques de ces technologies, notamment pour la formation des apprenants relevant du DILF.

dans le même ordre, ni dans le même contexte. Cette remarque sera approfondie lorsqu'il sera question de la méthodologie d'analyse des entretiens.

J'avais choisi de mener ceux de la phase exploratoire au moyen du téléphone, notamment parce que le nombre ainsi que la situation géographique des centres d'examen constituaient une contrainte lourde pour choisir, à l'inverse, de se rendre dans chacun des organismes, ne serait-ce que pour établir un premier contact et ce, d'autant plus au vu du nombre d'erreurs dans les données primaires. Deux entretiens me furent explicitement refusés à cause du canal de communication que j'avais choisi. En dehors de ceux-là, la prise de contact s'est étendue du début du mois de février au début du mois d'avril 2012.

Au cours de la prise de contact avec les organismes, j'ai rencontré une difficulté liée à leur hétérogénéité : des structures locales, de petite taille (des « assoces »), côtoient d'imposants organismes établis à l'échelle départementale ou régionale (des « mammouths »). Pour les structures les plus importantes, il n'était pas évident de s'entretenir avec une personne qui avait suffisamment de responsabilité pour pouvoir décrire l'activité de l'organisme dans son ensemble et, simultanément, assez de proximité vis-à-vis des formateurs pour me parler de leurs pratiques avec des TIC.

Il convient finalement de noter que je n'ai pas testé le guide d'entretien puisqu'il me semblait que le test du questionnaire avait apporté suffisamment d'éléments pour affiner ou reformuler les questions posées. La conduite des entretiens a cependant montré qu'il était nécessaire d'effectuer certains ajustements, ce dont j'ai pris note au fur et à mesure et dont témoignent les transcriptions des entretiens que j'ai réalisées333.

10.2.2. Choix pour la transcription des entretiens

Des approches très différentes de la transcription d'entretiens existent et varient principalement en fonction des traditions disciplinaires. Cependant, quel que soit le modèle de transcription choisi, il induit une première interprétation des données : on peut dire en ce sens que « transcrire, c'est trahir ».

La transcription réduit un événement oral à un texte écrit. Cette opération donne à l'événement premier une forme différente et une consistance lacunaire par rapport au contenu des données initiales. Elle consiste, plus particulièrement, en une transformation de la nature des données. Malgré la conscience des opérations effectuées, l'illusion peut subsister, certains analysant le texte obtenu en tant que tel, sans se référer davantage à l'événement initial, le modifiant pour qu'il « se lise mieux », corrompant davantage les données334. Les choix de transcription peuvent influer sur

333. Voir volume des annexes (annexe 4, pp. 12-166).

334. Le cas de la ponctuation illustre particulièrement bien ce qui peut relever d'une « corruption » des données orales : le chercheur qui ajoute un point d'exclamation note-t-il une intonation montante (qui peut s'interpréter de façon très différente en fonction du contexte de cette intonation montante : étonnement, joie, colère, etc. ; autant de paratexte que ne peut rendre seul le point d'exclamation : l'ensemble des conventions de transcription vise en ce sens à marquer les spécificités de l'oral) ? Ou bien surinterprète-t-il un segment de texte en se laissant influencer par son point de vue de lecteur-producteur du texte ?

l'épaisseur335 du lien entre l'événement oral et sa transposition à l'écrit, mais ce produit n'égale jamais la source primaire des informations.

En ce qui concerne les choix de transcription, on peut deviner à ce qui précède que mon expérience a été assez riche. Afin de me positionner, je me suis tout d'abord appuyée sur la description effectuée par Mondada (2008) des contrastes existants entre différents degrés de finesse de transcription ainsi que sur les significations de ces choix :

Elles concernent la conception du locuteur ou plutôt des co-participants de l'interaction : leur catégorisation et leur statut sont élaborés dans l'organisation détaillée des enchaînements des tours et des unités de construction du tour dans l'interaction ; elles concernent aussi la conception du langage – dans sa dimension émergente, son organisation incrémentale […], et plus généralement la conception des ressources intervenant dans l'interaction – ressources qui, outre les ressources lexicales, grammaticales et prosodiques, concernent les détails sonores présents et irréductibles à la verbalité […] (ibid., p. 103)

J'ai choisi, dans un premier temps, de respecter les exigences de la linguistique interactionnelle puisqu'elles correspondent à ma conception du langage, des rôles de chacun qu'il permet d'instituer et de celui des éléments non-verbaux et paraverbaux dans l'évolution des interactions. Les conventions adoptées pour la transcription des entretiens de la phase exploratoire de ma recherche ont permis de rendre compte, entre autres, des chevauchements dans la prise de parole (marqués par les crochets), des hésitations dans la formulation du discours (marquées par deux points pour les allongements ou des tirets pour les abrègements), de silences (marqués par les points de suspension ou des secondes entre parenthèses dès lors que le silence excédait trois secondes), d'interruptions et d'éléments contextuels comme les bruits identifiés au-delà des voix elles-mêmes. Voici, en guise d'exemple, un extrait d'une des transcriptions du corpus :

QUA : & donc euh on: on a de de mul- un:: champ d'activités de- au- le long de l'année important des des visites des spectacles des [sorties] cinéma et caetera hh &

DOC : [oui]

QUA : & mais nous avons: … des … des temps < ((DOC tousse)) particulièrement > euh précis euh par exemple cette année à partir du mois de septembre … y'a eu vraiment un: … une sorte de bachotage [quoi] de prépar[ation au DILF] avec des &

DOC : [ouais] [ouais ouais]

QUA : & des méthodologies qui permettent euh: avec des examens blancs et caetera & DOC : d'accord

335. S'il a été décidé de ne produire qu'une prise de notes sélective ou de réaliser une transcription intégrale, si des conventions de transcription ont été définies ou non (des annotations minimales à la prise en charge des éléments prosodiques et temporels de l'énonciation) ou encore, en fonction des choix relatifs à l'anonymisation, etc.

QUA : & et sinon le: le reste de euh de de l'année on- on balaye un champ relativement large &

DOC : ouais

QUA : & d'activités euh:: euh:: … pou- pour ne pas euh … pour ne pas euh tomber dans le piège d'une nous n'avons pas des cours d'alphabétisation euh classiques &

DOC : [d'accord]

QUA : & [nous ne] sommes pas une association h d'alphabétisation h & DOC : ouais

Extrait du quatrième entretien, première transcription

Ces conventions ont donné une importante épaisseur, pris également ici au sens littéral, au corpus des 17 entretiens qui, une fois transcrits de la sorte, ont constitué un document de 560 pages. Si l'exercice a attiré mon attention sur certaines tournures discursives, à l'instar de la dénégation qui clôt l'extrait sélectionné (« nous ne sommes pas une association d'alphabétisation »), s'il a mis en évidence une certaine progression en matière de conduite d'entretiens, s'il m'a également interrogée au sujet des apports de l'analyse du discours à mes travaux, l'ampleur du corpus et l'absence de question de recherche à visée interactionnelle ont eu pour effet de gêner la progression de l'analyse. C'est ce dernier point ainsi que des questions de traitement des entretiens avec le logiciel Modalisa qui m'ont orientée vers de nouveaux choix de transcription. En effet, suite aux premières transcriptions, j'ai constaté que l'ensemble des conventions adoptées gênaient le traitement du corpus avec Modalisa : les marques ajoutées aux discours nuisaient au repérage de récurrences thématiques tout en s'avérant inutiles pour le type d'analyse visé (analyse de contenu).

J'ai réalisé malgré tout une première analyse des dix-sept entretiens ainsi transcrits, en déterminant trente-neuf variables à partir de plusieurs lectures des entretiens et d'une collecte d'informations complémentaires à propos des organismes, via des recherches en ligne (Beauné, 2013b). Le contenu des entretiens a été ensuite classé en fonction des différentes modalités de réponse déterminées pour chacune des variables. Un tel traitement revient à transformer les interactions en réponses à un questionnaire. S'il tient peu compte de la nature initiale des données, il a néanmoins permis une première analyse des données de la phase exploratoire, assez cohérente pour ce stade de la recherche.

Il importait cependant de procéder à une analyse des entretiens qui rende mieux compte de leur nature et, surtout, de leur contenu. Modalisa permet des analyses thématiques de textes pour lesquelles la désignation des thématiques n'est pas contrainte par le logiciel : autrement dit, le marquage peut concerner aussi bien des thèmes récurrents que des aspects formels de l'énonciation. L'analyse thématique partielle permet aussi de surcoder un même segment de texte :

en choisissant cette fonctionnalité, plutôt que celle d'analyse thématique globale (qui ne permet d'associer qu'un seul thème ou aspect à l'ensemble d'un tour de parole ou d'un entretien), on peut envisager des traitements assez riches du contenu des entretiens.

Le constat de l'inadéquation des conventions interactionnelles aux fonctions d'analyse de Modalisa m'a finalement donné à observer l'activité de traitement d'un corpus, instrumentée avec ce logiciel d'analyse de données : si elle était conditionnée par les fonctions constituantes de Modalisa, elle était tout autant déterminée par celles que je suis parvenue à constituer. Les transcriptions initiales ont donc été transformées pour mener l'analyse du contenu des entretiens avec la fonction d'analyse thématique partielle de Modalisa. J'ai fait le choix d'utiliser un format tabulaire distinguant les tours de paroles, des conventions de transcriptions plus légères ont également été déterminées336. On peut donner l'exemple suivant, toujours issu du premier corpus d'entretiens :

TDP LOC Discours

1. DOC moyen d'accord n'hésitez pas à me signaler si vous n'avez pas compris voilà donc j'ai organisé cet entretien

2. CFC2 ce que j'vous entends très de c'est très distant hein / ça semble très très lointain

Extrait du quatorzième entretien, seconde transcription

Une analyse thématique partielle du contenu des entretiens a ensuite été réalisée avec Modalisa : elle a permis d'enrichir la première analyse tout en rendant davantage justice à la nature discursive des données recueillies. Je décris, dans la suite, les organismes du corpus de la phase exploratoire, les publics qu'ils forment ainsi que les caractéristiques des équipes de formateurs employées en me basant sur la première des analyses réalisées.

10.3. Discussion au sujet des organismes représentés dans le corpus de la phase