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6 Évolution historico-culturelle des activités de formation des migrants

6.1. Professionnalisation, certes, mais de quel métier ?

D'après le TLFI, la première occurrence du nom commun « professionnalisation » date de 1946259. Au plan lexicologique, il est dérivé par suffixation du nom commun « professionnel » et renvoie à « l'état, [au] caractère de ce qui est rendu professionnel, le fait de devenir un professionnel »260. Si la signification de ce terme se déduit aisément de sa morphologie, sa création et son usage (les sens pris par ce terme en discours) ont référé à une mise en question de la formation initiale puis à une interrogation portée au « monde du travail » ou à la gestion politique de l'emploi.

259. Entrée lexicale consultée le 15 juillet 2014, à l’adresse http://www.cnrtl.fr/definition/professionnaliser

260. À noter que l'étymologie du terme « profession » est associée au domaine religieux : « déclaration publique de ses sentiments, ses idées ou sa foi » (entrée étymologique consultée le 29 juin 2014 de : http://www.cnrtl.fr/etymologie/profession)

Pour les formateurs d'adultes, l'utilisation du terme pose d'abord question quant à la caractérisation des métiers concernés par ce processus (soit le pôle sujet du système d'activité). Encore de nos jours, rien n'est moins évident pour ces professionnels :

Dès le début des années quatre-vingt, certains ne parleront déjà plus de formateurs d’adultes, mais d’« agents de la formation continue » (Malglaive, 1983a) exerçant des « métiers de la formation ». Un article de 1974 faisait déjà état de la « diversification foisonnante de l’activité d’enseignement » et présentait une liste non exhaustive de 87 appellations pour dénommer les métiers de la formation (Le Boterf, Viallet, 1974). Aujourd’hui encore, les bulletins de salaire des formateurs d’adultes présentent une palette tout aussi large d’appellations diverses et variées […]. (Laot & De Lescure, 2006, p. 83)

À la question de la détermination des métiers concernés par la professionnalisation des formateurs d'adultes s'ajoute celle relative aux modèles conçus pour leurs formations en elles- mêmes, soit une tension entre le sujet-formateur d'adultes et le système d'activité directement voisin à ce pôle, celui qui engendre son activité de formateur.

On a remarqué l'originalité du modèle qui prévaut entre les années 1960 et 1970 en France : il procédait en effet selon un principe dit de « démultiplication » qui visait, non pas à sélectionner des individus afin qu'ils deviennent les formateurs d'adultes (soit une totalité renvoyant à une nouvelle fonction au sein de la division sociale du travail), mais à former différents salariés, à tour de rôle, afin qu'ils diffusent ensuite les savoirs acquis à leurs pairs : « plutôt que des formateurs professionnels, ce dont la généralisation de l'éducation permanente a besoin, c'est d'un régiment infini de formateurs occasionnels » (De Lescure, 2008, p. 92). Le modèle de la démultiplication, que d'aucuns qualifient d'utopiste261, va cependant s'essouffler au début des années 1980 :

[…] au refus de la professionnalisation qui domine pendant les années 1960 et 1970 succède, à partir de 1982, une période intermédiaire où le consensus initial s’effrite et où des conflits apparaissent. L’incertitude est finalement partiellement levée en 1988 par la signature d’une convention collective nationale des organismes de formation. Cette signature ouvre une nouvelle période qui dure jusqu’à aujourd’hui et pendant laquelle les discours sur la professionnalisation des formateurs prolifèrent sans que pour autant leurs conditions d’activité et de carrières ne soient marquées par des changements importants. (Laot & De Lescure, 2006b, p. 84)

Cette citation met en relief une contradiction primaire pour le pôle du sujet-formateur d'adultes qui peut correspondre à une reformulation de celle identifiée pour l'objet de leurs activités : elle concernerait alors la relation entre la reconnaissance institutionnelle d'un corps professionnel (déterminant la valeur d'échange associée à leur activité) et la professionnalisation de ce corps par la formalisation des compétences et des savoirs associés (valeur d'usage).

On constate, avec ce qui précède, qu'il est encore difficile de concevoir une catégorie unifiée de « formateurs d'adultes », d'arrêter l'ensemble des fonctions sociales qu'ils remplissent au sein de la

261. Alors qu'on peut voir, dans cet objectif, une volonté d'atteindre le quatrième type historique d'activité déterminé par Engeström, soit celui de l'activité maîtrisée collectivement dans une perspective expansive.

division du travail et, partant, de formaliser des voies de professionnalisation. Les formateurs d'adultes migrants échappent-ils à ces tensions ?

Dans les sections suivantes, je commence par identifier les « points de départ » de ces problématiques dans l'histoire des formateurs d'adultes migrants. Par la suite, l'analyse de leur développement historique montre qu'une solution aux contradictions identifiées s'apparente à l'autonomisation de la formation linguistique des migrants.

6.1.1. Problématiques initiales

La détermination du métier des « moniteurs d'alphabétisation » a posé des difficultés assez tôt, comme l'atteste, par exemple, la description qu'en donnait Lestage (1981, p. 25) :

La difficulté même à le dénommer témoigne de l'ambiguïté de son rôle et de son statut. Spécialiste de l'éducation des adultes, éducateur, instructeur, animateur, enseignant, sont tour à tour employés sans grande précision et parfois avec une gêne mal dissimulée.

On a remarqué aussi qu'avant même d'interroger la désignation du métier, des recherches ont pris pour objet les problématiques posées par la formation des « moniteurs d'alphabétisation ». François (1976) décrit, par exemple, des besoins de formation à caractère interdisciplinaire qui entrent en contraste avec le profil généralement mono-disciplinaire des enseignants en France. Ces besoins font assez directement signe de la diversité de leurs fonctions : les « moniteurs d'alphabétisation » doivent en effet pouvoir former en mathématiques, droit (du travail), santé, langue, etc. ; il est aussi nécessaire qu'ils aient des compétences en psychologie, sociologie, voire en démographie et en urbanisme (ibid., p. 110). Ici, on retient donc la manifestation d'une contradiction primaire relative aux règles : la « culture » française de la mono-disciplinarité, qui détermine en général la valeur d'échange de l'activité enseignante, paraît contraindre la valeur d'usage de l'activité des formateurs d'adultes migrants.

Malgré des propositions concrètes pour répondre aux questions posées par la formation des « moniteurs d'alphabétisation », un troisième problème est identifié par cette auteure, à savoir :

[…] la confusion qui règne, dans la situation actuelle, en ce qui concerne le statut de l'alphabétisation. On sait que les droits des travailleurs immigrés en matière de formation permanente sont extrêmement limités puisqu'ils ne peuvent généralement pas accéder directement à des stages de formation professionnelle et l'on constate la carence des services publics auxquels les moyens nécessaires ne sont pas donnés. Qui alphabétise ? Qui est alphabétisé ? Où ? Comment ? Il s'agit souvent de bénévolat mais parfois aussi d'activité professionnelle à temps plein ou à temps partiel, parfois d'un second métier exercé, le plus souvent, le soir. Et les problèmes de rétribution en sont compliqués à l'extrême. (ibid., p. 114)

Ici, c'est à la fois l'origine associative, la dispersion des initiatives sur le territoire, la diversité des profils de formateurs262 et celle des organismes impliqués qui posent question : en d'autres 262. François l'illustre par cette description : « la population des moniteurs stagiaires est, en effet, très diversifiée : en âge (en 1974, le benjamin du groupe avait dix-sept ans, la doyenne soixante-dix ans), en niveau d'études (du BEPC à l'agrégation), en profession (beaucoup d'étudiants et d'enseignants, mais aussi des personnels de comités d'entreprise, des ''sans-profession'', notamment parmi les

termes, la structuration et la reconnaissance institutionnelle de ce secteur de la formation. Plus encore, malgré les précautions de langage, c'est bien la question des droits des migrants à la formation qui est posée. Alors même que les travailleurs migrants participent de manière profitable à l'économie française, François (1976, p. 114) se demande s'il « faut » professionnaliser l'alphabétisation : c'est-à-dire s'il est possible de le faire, au regard des calculs institutionnels qui sont, comme chacun sait, des secrets de polichinelle.

Ici, on peut voir émerger une contradiction secondaire entre le pôle du sujet-formateur et celui de

l'objet correspondant à l'intégration sociale des apprenants formés : comment les formateurs

peuvent-ils faire face à la complexité des situations et des besoins des apprenants si, parce que leurs droits ne sont ni reconnus ni valorisés, la formalisation des savoirs et des savoir-faire nécessaires pour leur propre formation reste limitée ?

Toujours en termes de formation de formateurs d'adultes migrants, Porcher et al. (1982, p. 96) dégagent, six ans après la publication du travail de François, d'autres besoins dont la teneur peut étonner. En effet, par rapport à la publication précédente, ils paraissent moins ambitieux263 :

[…] ce type d'étude, loin de faire l'économie d'une formation de formateurs, met en évidence au contraire et avec acuité, son urgence. Il s'impose la nécessité d'une formation pédagogique […] centrée sur le modèle de pédagogie par objectifs, sur la notion de centration sur l'apprenant et ses implications, sur les problèmes de linguistiques posés par l'apprentissage d'une langue étrangère : approches fonctionnelle et notionnelle, sur les problèmes inter-culturels.

Le lexique utilisé (« urgence », « acuité », « impose », « nécessité ») et les objectifs des formations décrits témoignent du « retard » qui s'accumule, dans le secteur, pour la constitution d'un corps professionnel spécifique, fédéré autour de consensus en termes de savoirs et de méthodes pour leur enseignement.

Les recherches citées tendent donc à montrer que, dans l'histoire, les formateurs de migrants ont connu les deux problèmes identifiés pour la professionnalisation des formateurs d'adultes en général, à savoir : un processus problématique d'amélioration des pratiques pour un corps professionnel dont la désignation n'est pas stabilisée et dont les fonctions restent également mouvantes, sujettes à une diversification plutôt importante. Dans la suite, on met ces premières observations à l'épreuve d'une analyse historique : celle-là fera d'abord ressortir la lenteur et l'incomplétude de l'institutionnalisation de la formation des adultes migrants, ce qui influe très logiquement sur le processus de professionnalisation des acteurs de ce champ.

6.1.2. Lenteur et incomplétude des processus d'institutionnalisation

On a évoqué précédemment les activités de formation d'apprenants en situation d'analphabétisme et ne parlant pas le français comme langue première à la fin des années 1950, en Algérie (Adami, 2009a, pp. 16–28) : pilotées par le CREDIF, ces activités sont soutenues par femmes, relativement nombreuses), en ''motivations'' enfin » (1976, p. 114).

les autorités ministérielles françaises. Les suivent, au début des années 1960, des cours du soir organisés par la CGT en collaboration avec l'Amicale des Algériens en Europe. Mais, toujours selon Adami (2009a, p. 18), il faut attendre la loi de 1971 qui génère une « brèche [dans laquelle] s'engouffrent militants syndicaux et associatifs[,] universitaires [etc.] », pour que les premiers organismes de formation pour les migrants soient identifiés en tant que tels.

Leclercq (2012, p. 175) situe toutefois cette effervescence une décennie plus tôt et insiste sur la part des associations dans le secteur d'activités qui émerge :

[…] ce sont surtout les associations, notamment des mouvements confessionnels ou caritatifs, qui s'impliquent dans le domaine de « l'alpha ». L'enseignement du français, pris en charge par des bénévoles, complète d'autres interventions : le logement, la santé…

On rappellera qu'entre la fin des années 1950 et celle des années 1970, la formation des migrants apparaît assez fortement sectorisée (Leclercq, 2007, p. 16)264 et, simultanément, assez faiblement formalisée puisqu'autant les premiers modèles de l'éducation permanente se refusent à la création d'un corps professionnel spécifique de formateurs d'adultes, autant les acteurs les plus présents sur le « territoire de l'alphabétisation » sont des acteurs associatifs, dont il est dit qu'ils résistent à la formalisation des démarches de formation (ibid., p. 36).

Au plan législatif, un ensemble de mesures plus étoffé vient progressivement régir ce secteur de la formation. On remarquera que ces mesures ciblent, dès le milieu des années 1970, la formation linguistique des migrants :

[…] deux circulaires (21/05/1975 et 14/05/1975) définissent les orientations de la « Formation à Dominante Linguistique » (FDL) […]. Des politiques de formation plus ambitieuses et plus structurées se dessinent, organisées autour de deux grandes finalités : meilleure insertion en France, y compris pour les épouses et adaptation des salariés aux transformations économiques. […] De façon générale, le contexte est plus favorable au développement de la professionnalité d'intervenants rémunérés. (Leclercq, 2012, p. 180)

Le processus d'institutionnalisation de la formation des migrants est néanmoins affecté, tout au long des années 1980, par les chocs pétroliers et la crise économique consécutive. On peut dire, globalement, que si des avancées didactiques, législatives ou administratives sont identifiées, chacune d'entre elles comporte un pendant négatif : ainsi en est-il par exemple, de la détermination des situations d'illettrisme, dont on a vu qu'elles engendrent une désectorisation des formations conçues pour les migrants mais aussi, qu'elles viennent stimuler des recherches sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à l'âge adulte (cf. section4.4. ). Si des compromis liés à la situation de crise économique sont observés en rapport à l'accès des immigrés à des formations de base lorsqu'ils sont demandeurs d'emploi, il est vraisemblable, par ailleurs, que ce contexte ne leur donnait pas la priorité pour l'entrée en formation.

264. Sauf en ce qui concerne la formation en entreprise dans les années 1960 ? Adami (2009, p. 18) précise qu'à cette époque, les travailleurs immigrés n'étaient pas pris en charge dans des dispositifs spécifiques, les formations initiées par les syndicats ne les distinguant pas des autres travailleurs.

La multiplicité des opérateurs de ces formations265 et le manque de coordination de leurs interventions auprès des publics migrants semblent aussi correspondre à des causes importantes de la stagnation de la structuration du champ de pratiques dans les années 1980, quand bien même des réseaux d'acteurs émergent et élaborent des référentiels de formation ou des matériels pédagogiques. Le fait que les associations continuent d'occuper une place centrale dans le secteur est pointé comme une explication aux faiblesses de la professionnalisation des activités des formateurs, entre autres du fait de l'opposition du professionnalisme au bénévolat266 (Leclercq, 2004, p. 190).

Les années 1990 marquent un tournant dans la structuration du champ, en premier lieu, du fait de l'influence d'organisations supranationales telles l'OCDE, organisant des recherches sur les niveaux de compétences des adultes à l'international ou encore, du fait de la structuration progressive de l'espace géopolitique européen (Leclercq, 2014, pp. 16–19). Des mouvements internes sont aussi observés en France à partir des réseaux d'acteurs mentionnés précédemment : ainsi en est-il du réseau associé au CUEEP de Lille qui, en collaboration avec le FAS267 et d'autres institutions publiques, va rééditer et diffuser gratuitement le référentiel pour la formation de base créée dans la décennie précédente (Leclercq, 2012, p. 185) :

[Il] fait l'objet […] d'un programme de formation des formateurs à l'initiative du FAS. Cette référence obligée à un outil commun constitue une étape décisive, et ce dans un contexte marqué par une hétérogénéité croissante des publics, dont une partie est davantage scolarisée et par la question cruciale de l'emploi. (ibid.)

Une évolution majeure est finalement constituée par l'affirmation du mode de financement de ces activités par commandes publiques, aux dépens du modèle de la subvention qui prévalait depuis les années 1960. On a noté que les premiers signaux de l'évolution du financement de ces activités ont été donnés suite aux lois relatives à la formation professionnelle continue de 1971 :

L'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970, la loi de juillet 1971 sont de plus en plus utilisés pour le financement d'actions d'alphabétisation en entreprise. Le nouveau système législatif et contractuel a facilité le développement de ce que l'on peut convenir d'appeler un véritable ''marché de la formation''. La portée économique de ce marché est loin d'être négligeable : les personnes actuellement formées (cinquante à 265. Kaltenbach (1995, p. 15), président du FAS de 1986 à 1990, précise qu'entre la fin des années 1970 et les années 1990, le nombre d'associations créées explose : « A partir de 1975, surgit la dernière et quatrième vague, la plus forte jamais vue, la véritable explosion. C'est elle qui voit les créations annuelles déclarées en préfecture passer de 20 000 en 1975 à 60 000 en 1990. Au cours de ces quinze années, il va se déclarer 655 000 associations. Et là, nous changeons de planète ».

266. On verra toutefois, dans la partie 7.2.2. , que cette opposition n'est pas si nette.

267. Créé en 1958 par le général De Gaulle, le Fonds d'Action Sociale pour les travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et pour leur famille (FAS) était un établissement public national, voué, selon l'ordonnance ayant donné lieu à sa création, à « promouvoir une action sociale et familiale en faveur des salariés travaillant en France métropolitaine dans les professions visées par le régime algérien d'allocations familiales et dont les enfants résident en Algérie ». Ses missions se sont progressivement élargies à l'ensemble des immigrés pour leur insertion. En 2001, une réforme réoriente ses priorités, le FAS devient le Fonds d'Action et de Soutien pour l'Intégration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD) ; mais, 5 ans plus tard, il se voit remplacé par l’ACSé (Agence pour la Cohésion Sociale et l'égalité des chances) en 2006. La mission de l’ACSé vise depuis à mettre en œuvre la politique gouvernementale en matière de politique de la ville, de lutte contre les discriminations et d’égalité des chances. Seulement trois ans après sa création, les missions de l'ACSé sont modifiées : elle n’a désormais plus de compétences pour intervenir en faveur de l’intégration des migrants, aujourd’hui du domaine de l’OFII.

soixante-dix mille par an) ne représentent que 1/10 du potentiel des candidats). Les travailleurs immigrés représentent donc une ''demande de formation'' qui se développe et se diversifie. L'appareil de formation tend à s'organiser sur un modèle concurrentiel. Du coup, les organismes de formation doivent s'armer sur un plan pédagogique pour affronter la concurrence et démontrer leur efficacité. Le produit de formation proposé aux entreprises doit satisfaire à des normes de consommation de plus en plus exigeantes. (Poilroux & Colombier, 1974, p. 323)

En 1995, l'utilisation d'appels d'offres et la constitution de marchés pour la formation des migrants se voient réaffirmées par le FAS (Étienne, 2004, p. 20 ; Leclercq, 2012, p. 183). Il est à noter que des dispositifs subventionnés ont été maintenus de manière variable, en fonction des échelles territoriales et des territoires eux-mêmes, du fait de la régionalisation des services du FAS entamée dans les années 1980 (Leclercq, 2012, pp. 182-183).

Si le maintien de subventions permet d'entretenir une certaine diversité de l'offre de formation, le financement par marchés publics tend à se généraliser268 : son utilisation est à nouveau renforcée au début des années 2000 (HCI, 2012, p. 7). Les associations peuvent encore obtenir des subventions qui autorisent leur survie mais le Haut Conseil à l'Intégration relevait, en 2012, que « le nombre [de celles] financées par l'État et œuvrant expressément dans le domaine de l'intégration des immigrés […] a diminué de 80 % » entre 2000 et 2010 (ibid., p. 6).

La réduction pour le moins radicale du nombre d'associations prenant en charge l'accueil et la formation des migrants pose plusieurs questions vives à propos desquelles on avancera différentes pistes de réflexion dans la suite. On relèvera simplement ici que l'affirmation du changement dans le mode de financement de ces activités a créé une disjonction, pour les différents organismes de formation, « entre leur survie et leur mission éducative première » (Leclercq, 2012, p. 188) : est-ce à dire que les cahiers des charges des formations commandées par les institutions ont d'autres objets que des activités éducatives ?

Cette citation a le mérite de faire émerger une nouvelle contradiction primaire pour l'objet des activités de formation des migrants : s'agit-il, pour les organismes, de répondre à la commande (valeur d'échange) ou de remplir un objet plus ambitieux relatif à l'insertion sociale des apprenants (valeur d'usage) ? Dans quelle mesure les marchés publics transforment-ils l'objet des activités de formation des migrants ?

On peut penser que l'imposition des marchés publics force dans une certaine mesure la professionnalisation des intervenants : elle ne reconnaît en effet que les organismes supposés être en mesure de répondre à la commande et elle les soumet à des contrôles plus importants que ceux réalisés pour les financements par subvention. Cela dit, elle ne constitue pas en soi un changement qui suffit à institutionnaliser les formations pour les migrants.

268. Des subventions sont encore accordées aujourd’hui mais les financements sont, pour de nombreux acteurs associatifs, de plus en plus difficiles à obtenir (notamment à cause des exigences administratives toujours plus importantes à remplir), de moins en moins conséquentes au regard des besoins détectés et pour des périodes de plus en plus brèves dans le temps (de 3 ans à un an pour la majorité des financements).

Un de ses effets majeurs est plutôt de renouveler la question de l'adéquation de l'offre à la