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4 Ancrage de la recherche au sein des didactiques

4.3. Élaborations didactiques issues des recherches menées en FLE

Adami (2009a, pp. 16–17) identifie des activités de formation d'adultes Algériens pour l'apprentissage du français en 1957 à l'initiative du CREDIF (Centre de recherche et d'étude pour la diffusion du français)162. Elles désignent un ancrage « historique », en didactique du FLE, 161. Depuis les années 2000, les cahiers des charges de dispositifs de formation orientent le recrutement de formateurs qualifiés en FLE (Leclercq, 2012, p. 187). Étienne (2004, p. 141) signale également que « les enseignants FLE sont de plus en plus nombreux à travailler dans le secteur social ».

162. Bergère et Deslandes (2007) identifient l'élaboration « d'une méthode par le Centre d'études du français élémentaire », futur CREDIF, en 1954. Le CREDIF est en effet issu du Centre d'études du français élémentaire géré par l'UNESCO depuis la fin des années 1940, il est créé en 1959 et rattaché à l'ENS de Saint-Cloud : ses activités s'ancrent dans la recherche et s'articulent à celles du BEL (Bureau d'études et de liaison pour l'enseignement du français dans le monde), également créé en 1959, aujourd’hui connu sous le sigle BELC (ajout de la notion de civilisation) et rattaché au CIEP (Centre International d'Etudes Pédagogiques) : « la notoriété du BELC s'était surtout affirmée par l'organisation de stages annuels (dits longs) destinés aux enseignants français et étrangers appelés à

d'activités de formation d'adultes n'ayant pas le français comme langue de référence. Mais, plus d'un demi-siècle après cette expérience et celles qui ont succédé, Laurens (2013, p. 188) relève que :

[…] pour l’enseignement du français aux adultes migrants, les principes, outils et ressources du FLE n’étaient pas généralement considérés comme utilisables, dans les représentations circulantes d’une partie, voire d’une majorité, des acteurs de ce secteur, alors que nous constations le contraire dans notre pratique au quotidien sur le terrain […].

Cet écart entre l'ancrage historique et l'affiliation des pratiques de formation des migrants à la didactique du FLE s'avère suffisamment délicat pour se voir seulement évoqué. Son étude indique, de plus, que des événements récents, de rejet ou de spécification de cette filiation, ont notamment pour effet de la rappeler vivement. Je préciserai donc, dans la section suivante, les aspects historiques qui peuvent éclairer les rapports de la didactique du FLE à la formation d'adultes migrants (peu lettrés).

4.3.1. Clarifier les discours sur la prise en compte des adultes migrants (peu

lettrés) en FLE

Dans des textes parus depuis la fin des années 1990, plusieurs praticiens-chercheurs préoccupés par la formation des adultes migrants ont évoqué ou analysé des mouvements de développements conjoints et d'autres, de désintérêt, de la part des didacticiens du FLE. Ces textes montrent qu'après le « bricolage » des années 1960 (Leclercq, 2011, pp. 20–22), les productions scientifiques à caractère didactique s'intensifient en direction des publics migrants (Laurens, 2013, p. 119 ; Leclercq, 2007, pp. 17–18). Ils montrent aussi que, suite aux crises économiques liées aux chocs pétroliers, ces productions diminuent (Étienne, 2004, p. 12), sans pour autant que les expérimentations sur le terrain s'en trouvent ralenties (Bergère & Deslandes, 2007)163.

Plusieurs raisons sont amenées pour expliquer ce désengagement : par exemple, Adami (2009a, pp. 5–6) fait état d'une tension supportée par la didactique du FLE nécessitant une certaine « neutralisation du contexte social […] pour exister comme science ». On peut relever sur ce point que la première maîtrise de FLE est créée en 1984 (Cuq & Gruca, 2005, p. 148). Étienne (2004, p. 141) rappelait cependant qu'il importe, pour toute science humaine, de ne pas se limiter « à une réflexion purement […] théorique [mais bien de] se nourrir de l’expérience du terrain ». Dans une publication ultérieure, à caractère plus militant, elle présentait d'autres motifs à ce désengagement des didacticiens du FLE vis-à-vis de la formation des migrants :

La marginalisation des publics non scolarisés s’est réalisée tant au niveau didactique qu’au niveau politique. On a estimé que l’alphabétisation relevait d’un traitement social exercer des responsabilités pédagogiques ou de diffusion » (Cuq & Gruca, 2005, pp. 35–36).

163. « […] absence de publication scientifique ne signifie pas absence d’expérimentation. Bon nombre des recherches préconisées ont été effectuées sur le terrain, empiriquement. Les outils pédagogiques créés dans ce contexte ont été publiés par les associations ou à compte d’auteur et restent souvent mal connus en dehors d’un cercle limité de professionnels ».

et non pédagogique et exagérément pensé que n’importe qui était en mesure de faire de l’alphabétisation [je souligne] avec de faibles moyens.164

Avec cet extrait, on relève une autre idée reçue relative à la formation de migrants (peu lettrés) à propos de laquelle on reviendra en détail, notamment dans la partie 4 . 6 . Au sujet du désengagement des didacticiens, Leclercq (1999, p. 24 ; 2007, p. 18) décrit des changements au plan des financements et des dispositifs de formation qu'on peut relier à l'impact social des crises économiques. Elle identifie également une alternance de « sectorisation/désectorisation » des publics migrants qui dessert leur identification165 :

Ce secteur est tantôt considéré comme spécifique sur le plan politique (liens avec les problèmes d'immigration) et sur le plan pédagogique (priorité à l'apprentissage de la langue du pays d'accueil considérée comme langue étrangère). Tantôt il est vu comme faisant partie intégrante de la formation postscolaire des publics de niveau infra V. Cette alternance de mouvements de sectorisation / désectorisation (Leclercq, 1995) suscite quelques points de friction institutionnelle. Il n'existe pas de cadre unifié pour une politique de formation aux compétences de base, s'adressant à la fois aux publics issus de l'immigration et aux publics de langue maternelle française, malgré des tentatives pour instruire ce dossier. (Leclercq, 2007, p. 22)

Dans les années 1960, par exemple, les travailleurs migrants n'étaient pas distingués des autres travailleurs dans les formations initiées par les syndicats (Adami, 2009a, p. 18). Mais l'intensification des recherches dans les années 1970, la structuration de ce champ d'action qui se marque durant cette décennie (Leclercq, 2011, pp. 22–26) tend à sectoriser ces pratiques. Si, à partir des années 1980, une désectorisation de plus en plus marquée s'observe, entre autres du fait de l'invention de l'illettrisme (Lahire, 2005), celle actuelle tend à s'affaiblir avec la création du CAI puisqu'il ne s'adresse et ne considère que des apprenants étrangers.

Les textes compulsés au sujet des rapports entre les élaborations didactiques pour l'enseignement du FLE et les pratiques de formation des migrants signalent en effet une certaine reprise des débats et des publications didactiques à partir des années 2000, du fait des réformes de la formation des migrants et, en particulier de la détermination du CAI et du DILF (Bergère & Deslandes, 2007 ; Étienne, 2008). C'est donc principalement la période allant du milieu des années 1980 au début des années 2000 qui peut être pointée comme une période de désengagement des didacticiens du FLE vis-à-vis de la formation des migrants166.

164. Étienne, S. (2008). «  Alphabétisation  », un concept à étudier de près. Fédération nationale des AEFTI. Consulté le 21/02/14, de : http://aefti.eu/dossiers/droit-a-la-langue/%AB-alphabetisa

165. Sur ce point, voir aussi (Leclercq & Vicher, 2002). On verra cependant que l'évolution des méthodologies du FLE dans les années 1980 propose des concepts aptes à résister à ces désectorisations : l'approche dite communicative assouplit les préconisations méthodologiques notamment pour favoriser l'adaptation des enseignants aux groupes dont ils sont responsables, la notion d'analyse des besoins étant l'un des apports forts dès la publication du Niveau-seuil (Coste et al., 1976).

166. On a cependant relevé que Py (1994, p. 45) signale un certain nombre de travaux dans le courant de la décennie des années 1980 et dans le domaine spécifique de l'acquisition des langues qui ont pu nourrir les analyses relatives aux publics migrants. Une requête sur Google Scholar ciblée sur la période 1980-2000 et composée des mots clés suivants : « acquisition langue* "milieu naturel" migrant* » , donne392 résultats. Cela dit, les acquisitionnistes s'intéressent au « processus d'appropriation naturel, implicite, inconscient […] » (Cuq & Gruca, 2005, p. 113) et se distingue donc assez fortement des analyses des processus mis en œuvre dans des conditions d'enseignement et d'apprentissage formelles.

Il est alors intéressant d'analyser certains événements récents, notamment parce qu'ils semblent « trahir » la permanence des liens de ce secteur d'activités à la recherche en didactique du FLE. Dans la poursuite des réformes impulsées par les directives européennes relatives à la gestion commune des politiques migratoires, l'instauration du label qualité FLI (Français Langue d'Intégration) par décret167 a soulevé un vif débat au sein de la communauté des didacticiens du FLE (Puren, 2014) : alors que ceux qui ont participé à l'élaboration du label clamaient le besoin de reconnaissance du secteur et propulsaient ce label comme un instrument au service de cette reconnaissance, leurs détracteurs mettaient en avant la récupération politique de questions scientifiques qui donnait lieu à des ingérences au sein des programmes universitaires et qui légitimait, simultanément, une nouvelle violence symbolique liée à l'obligation de formation pour l'obtention des titres de séjour (Arditty, 2013).

L'intensité de cette controverse révélait, d'après moi, la position singulière de la formation des migrants au sein de la didactique du FLE : elle y figure, en quelque sorte, comme « un enfant illégitime » dont « ces parents-là » s'occupent mais secrètement ou « à couvert », ce qui induit des productions, en termes quantitatifs, plutôt restreintes. De ce point de vue, les motifs relatifs au faible intérêt théorique de la formation d'adultes migrants ne tiennent pas longtemps : on constatera d'ailleurs, dans les sections qui suivent, que par le passé, la prise en compte des publics migrants a participé à des évolutions majeures pour le champ de recherches auquel renvoie la didactique du FLE.

4.3.2. Références méthodologiques et conceptuelles issues de la didactique du FLE

4.3.2.1. Époque « audio-visuelle »

En termes de méthodologies pour l'enseignement et l'apprentissage des langues étrangères dans les années 1960-1970, l'intérêt des didacticiens se concentrait autour des approches dites SGAV (Structuro-Globale Audio-Visuelle), inspirées à la fois des théories comportementalistes de l'apprentissage, du structuralisme en linguistique et des développements des technologies audio- visuelles (cinéma, radio, télévision). Encore imprégnée des courants méthodologiques précédents, « la leçon SGAV » s'organise selon un rituel fixe et rigoureux en cinq phases168 (Cuq & Gruca, 2005, pp. 262–263). Mais, dès les années 1970, cette organisation est critiquée et donne lieu à des propositions d'assouplissement qui engendrent ce que « historiens de la didactique du FLE caractérisent de seconde génération [SGAV] » (ibid.). Au cours du troisième colloque international SGAV organisé en 1974 sous l'égide du CREDIF, plusieurs contributions font état de réflexions relatives aux publics migrants.

167. Décret n° 2011-1266 du 11 octobre 2011 relatif à la création d’un label qualité intitulé « Français langue d’intégration », 2011- 1266. Récupéré de : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024659119, page consultée le 27/07/14

168. présentation d'un dialogue enregistré accompagné d'images, explications « image par image », répétition pour la correction phonétique et la mémorisation des structures, exploitation ou réemploi « dans des situations légèrement différentes », transposition dans des « jeux de rôle » par exemple.

Cortes (1974, pp. 289–297) présente, par exemple, une expérience menée dans un cadre d'éducation permanente, pour la formation d'ouvriers. À la suite de la présentation de cette expérience, l'auteur de la communication interroge la raideur de la méthodologie en vigueur : « que la classe prenne un tour didactique très affirmé et c'est l'ensemble de leurs moyens d'expression que l'on risque de bloquer » (p. 297), allant même jusqu'à affirmer que « l'éducation permanente ne se fait pas au moyen d'un matériel préfabriqué. La mort du manuel, de tout manuel est confirmée par elle » (p. 296). L'important besoin de construction de ressources en fonction des groupes d'adultes formés émerge donc tôt, si on met en regard ces affirmations avec celles relevées dans la section 3.3.5.2. , au sujet des ressources informatisées.

Poilroux et Colombier (1974, pp. 321–325) approfondissent l'analyse des différents problèmes posés par l'application de la méthodologie SGAV avec les publics d'adultes migrants, relevant notamment l'importance des questions interculturelles. Celles-ci sont soulevées à la fois par les fonctions de l'image et par les représentations de la formation qui sont véhiculées par les cultures d'origine. Pour ce dernier point, les auteurs précisent qu'une adaptation partielle de la méthodologie ne saurait constituer une prise en charge suffisante des questions interculturelles :

L'apprentissage est lié aux degrés d'identification auquel parvient l'auditoire par rapport aux situations et aux dialogues présentés. […] On ne résout pas le problème en présentant dans le dialogue des immigrés s'exprimant en français : cet autre modèle, celui de l'immigré assimilé […] est peut-être encore plus insupportable. (pp. 324-325)

Au sujet de l'utilisation des images, les auteurs décrivent les difficultés des apprenants concernant « l'identification d'un personnage d'une image à l'autre ; la stylisation dans le dessin ; la convention qui régit l'utilisation de la séquence d'images pour représenter la succession dans le temps » (p. 322). Ils pointent, plus loin, l'attrait pour les industriels des méthodologies appuyées sur les développements technologiques, la concurrence forcée que cela génère entre les organismes de formation169 ainsi que l'apparition d'une contradiction pour les acteurs de terrain :

Il arrive aussi que l'acte de foi aveugle dans la machine soit utilisé comme argument pour réduire la durée de la formation […], les organismes les plus conscients des impératifs incompressibles d'une vraie formation apparaissant alors comme incapables de modernité et d'efficacité. (p. 323)

Ces auteurs mettent cependant en garde contre « une pratique de l'audio-visuel qui reproduirait au niveau pédagogique quelque chose de cette division du travail, la machine restant l'instrument du pouvoir du formateur », plaidant de ce fait pour que formateurs et organismes ne relèguent pas ces questions trop rapidement en renonçant à des exploitations pédagogiques des technologies audio-visuelles avec ces publics170.

169. « Dans le contexte actuel, la technologie éducative renforce le clivage entre les organismes dans le champ particulier de la formation des travailleurs étrangers, en fonction des investissements pédagogiques qu'ils peuvent consentir » (p. 323)

170. Sur ce point et au sujet des campagnes d'alphabétisation à l'international, des difficultés dans la généralisation des technologies aujourd’hui dites de l'information et de la communication sont observées dès 1981 : « On sait par ailleurs l'appui que peuvent fournir au texte les auxiliaires audiovisuels, des plus simples aux plus complexes. Les premiers – affiches, tableaux de feutre, films fixes, diapositives, films en boucle, radiovision, etc. - ont été étudiés et utilisés dès les premières campagnes d'alphabétisation dans les années cinquante. […] La plupart des questions que l'on se posait au sujet de la production et de l'utilisation de ce matériel – dont on

Ils abordent finalement le problème posé par la prédominance, dans la méthodologie SGAV, des compétences orales : « différer la réponse à une demande en lecture-écriture conduira fréquemment à provoquer l'abandon de la formation » (p. 323). Allant plus loin, ces auteurs montrent que les besoins des migrants peuvent remettre en question cette priorité de l'oral sur l'écrit, prégnante dans les méthodologies depuis le début du XXe siècle, notamment dans la méthodologie directe171. Ils marquent, du même coup, leur rejet de programmes de formation fonctionnels, pris dans un sens restreint (p. 325). Poilroux et Colombier concluent sur des remarques qui augurent l'émergence d'une nouvelle approche méthodologique de l'enseignement des langues :

La considération du contenu et de son organisation abstraite est sans doute moins déterminante dans les choix pédagogiques que certains autres éléments de la situation de formation, notamment le public (du point de vue culturel et socio-économique) et le cadre institutionnel. Le respect de ce quasi-truisme (qui porte en lui le principe de la diversification des modes d'intervention) est la condition essentielle du progrès pédagogique en ce domaine. (ibid.)

De ces travaux, on peut retenir l'importance de l'adaptation des programmes de formation et des ressources choisies (ou construites) aux groupes de formés ainsi que la pertinence de la réflexion interculturelle, particulièrement en ce qui concerne l'utilisation de « nouvelles technologies », soit ici, celles audio-visuelles. Deux ans après l'organisation de ce colloque autour des questions soulevées par l'application des méthodologies SGAV, la publication du Niveau-Seuil (Coste et al., 1976) détermine l'émergence de ce qui sera nommé « l'approche communicative » : on verra dans la suite que les élaborations didactiques afférentes ont particulièrement tenu compte des publics migrants.

4.3.2.2. Époque « communicative »

Au plan méthodologique, ce qui distingue l'approche communicative des méthodologies précédentes consiste à la fois dans la prise de distance assez radicale avec l'enseignement des langues comme enseignement d'un code172 et vis-à-vis de l'imposition rigoureuse d'un déroulement des cours : Puren (1994, p. 51) explique cette absence « [de] cohérence méthodologique forte du fait de la priorité accordée au respect des stratégies individuelles d’apprentissage ». Ainsi, l'enseignant est invité à respecter les « trois principes fondamentaux [pour] la spécification des objectifs d'apprentissage, qui doivent être : axés sur les besoins, centrés

use aujourd’hui sans complexes – se sont révélées inutiles, mal posées ou fausses, ou bien elles ont été, depuis, résolues. On ne pourrait pas être aussi optimiste en ce qui concerne l'emploi des ''moyens de grande information'' (presse, radio, télévision, cinéma) à des fins éducatives. De par leur nature, leur expansion, les domaines qu'ils couvrent, ils dépassent de beaucoup l'alphabétisation, l'éducation des adultes et l'éducation tout court. Se voiler la face devant leur extraordinaire puissance et leur dangereuse aptitude à modeler la vie individuelle et sociale n'est qu'un signe de faiblesse » (Lestage, 1981, p. 23).

171. L'originalité de cette méthodologie « consiste à utiliser dès les débuts de l'apprentissage et dès la première leçon, la langue étrangère pratique en s'interdisant tout recours à la langue maternelle [...] » (Cuq & Gruca, 2005, p. 256).

172. « La pire solution dans l'enseignement des langues, fut-ce à un « niveau-seuil », serait donc de présenter la parole comme un code, c'est-à-dire de donner à l'apprenant des moyens d'expression, des actes de parole qui seraient rigides, biunivoques, au point de transformer l'énonciation de la langue enseignée en ''code restreint'' » (Coste et al., 1976, p. 87).

sur l'apprenant, fonctionnels » ; mais il est rendu libre d'adapter ce cadre très général aux circonstances et aux groupes auxquels il enseigne.

Le Niveau-seuil est conçu comme un outil modulable, pour guider les enseignants dans l'analyse des besoins d'apprentissage de cinq publics spécifiques, parmi lesquels « les travailleurs migrants et leurs familles » occupent le deuxième rang (p. 47), derrière les touristes et les voyageurs. L'ouvrage contient des inventaires langagiers distinguant des actes de parole, des aspects grammaticaux ainsi que des objets et notions à mobiliser dans les formations afin que les apprenants acquièrent « une compétence minimale de communication [devant] être caractérisée de manière fonctionnelle, c'est-à-dire par rapport à ce que cette compétence permet de faire » (p. 2)173.

Les spécificités des publics migrants174 ainsi que leurs besoins dans les cinq domaines d'activité langagière retenus pour tous les publics175 sont ensuite décrits dans l'ouvrage. Ces descriptions mettent notamment en avant les « incidences sur les échanges verbaux à l'intérieur de la famille » liées au rôle de liaison que peuvent avoir les enfants avec les services publics ou privés (p. 67). L'importance de l'écrit en milieu professionnel est relevée, tant en ce qui concerne la mise en œuvre de consignes que les démarches liées à la recherche d'emploi (p. 68). La description des besoins des migrants dans le cadre des relations grégaires est, quant à elle, reconnue comme étant limitée du fait des conditions d'accueil et donc réduite aux contacts professionnels, à la vie syndicale, ou éventuellement aux clubs sportifs. En ce qui concerne la relation aux média, elle est dite « potentiellement riche et diversifiée pour les migrants » (p. 70) ; néanmoins, les auteurs relèvent qu'y accéder, pour eux, reste compliqué, notamment du fait de l'absence de scolarisation mais aussi à cause du manque de matériel pédagogique adéquat. Ils ouvrent finalement la réflexion en ces termes :

Les travailleurs migrants et leurs familles constituent sans doute le public dont les besoins langagiers sont les plus importants. […] On a eu trop tendance à estimer que l'apprentissage de la langue étrangère par les migrants pouvait se réduire à la maîtrise de quelques consignes professionnelles liées à un poste de travail. (p. 70)

On comprend, par là, que cette prise en considération du public migrant, bien qu'elle soit marquée dans le Niveau-seuil, reste tardive et lacunaire, par rapport à celle réalisée pour d'autres publics. On retiendra néanmoins que l'époque communicative est marquée par une focalisation sur la compétence de communication176 par opposition à la maîtrise d'un système linguistique,

173. On peut noter ici les correspondances entre l'ambition du Niveau-seuil et celle du référentiel associé au DILF qui accorde « une