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2 Perspectives sur l'immigration

2.5. Politiques publiques de formation des migrants

L'étude des phénomènes migratoires nécessite une réflexion dépassant l'analyse des flux et des politiques nationales : à l'échelle de l'Union Européenne, par exemple, on peut dater le démarrage du processus d'harmonisation des politiques migratoires à la signature du traité d'Amsterdam en 1997, qui prévoit une gestion communautaire de ces politiques (Castagnos-Sen, 2002 ; Giugni & Passy, 2002). Des conséquences importantes ont pu être observées sur les terrains, notamment suite aux différentes réformes des conditions d'accueil et de formation des migrants (Donnard, 2009, pp. 46-48 ; Extramiana & Van Avermaet, 2010).

Une étude de législation comparée (Vincent, 2005) analyse les formations prévues par dix pays européens70 pour l’intégration des migrants : elle montre que tous ces pays ont défini des

dispositifs de formation ayant fréquemment (7 fois sur 10)71 un caractère obligatoire, notamment

pour les primo-arrivants. Cinq ans plus tard, Extramiana et Van Avermaet (2010) actualisent et complètent ces informations :

En 2009, ce sont 82 % des pays (19 sur 23) qui proposent des cours de langue officiels. Pour 42% de ces pays (8 sur 19), le cours de langue est obligatoire […]. Tous les pays conditionnant l’entrée sur le territoire à la maîtrise de la langue sont situés en Europe de l’Ouest, ce qui représente 6 pays sur 13. […]

Ces tendances sont finalement confirmées par un rapport récent du Conseil de l'Europe72: « en 2013, 17 pays imposaient des conditions liées à la langue pour l’accès au pays » (p. 16), « entre 2007 et 2013 [le] nombre de pays subordonnant à des conditions liées à la langue […] l’obtention d’un titre de séjour d’un côté, et l’obtention de la nationalité de l’autre [augmente] de 10 à 13

70. La France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique (communauté flamande), le Danemark, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

71. Pour l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, les formations ne sont pas obligatoires.

72. Unité des Politiques linguistiques. (2014). Intégration linguistique des migrants adultes : Politique et pratique. Strasbourg, France : Conseil de l’Europe.

pour la première catégorie, de 12 à 16 pour la seconde » (p. 17), ou encore, dans l'interprétation des résultats :

Dans la majorité des cas, la langue est donc requise pour la résidence, voire l’entrée sur le territoire, et l’accès à la nationalité. C’est ce groupe qui nous intéresse en priorité. Il concerne 19 Etats, soit plus de la moitié des 36 Etats ayant participé à l’enquête en 2013. Neuf d’entre eux (l’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la France, le Liechtenstein, les Pays-Bas, la Pologne (professions médicales) et le Royaume-Uni) ont étendu l’obligation à l'entrée sur le territoire. (p. 19)

Ces réformes des conditions d'accueil et de formation des migrants ont engendré des mobilisations diverses autour d'une notion montante, celle du « droit à la langue » des pays d'accueil. On peut citer, sur ce point, l'organisation en 2003 par une importante fédération d'associations françaises, les AEFTI73, en partenariat avec le Centre de Ressources pour l'Illettrisme de la région PACA, d'une journée de débats intitulée « Pour la reconnaissance d'un véritable droit à l'apprentissage de la langue française à tous les migrants »74. Plusieurs interventions ont mis en question les moyens mis en œuvre, notamment concernant le statut des formateurs. D'autres interventions ont interrogé le sens et la visée des réformes annoncées au début des années 2000 en France : ce droit à apprendre la langue du pays d'accueil n'existait-il donc pas déjà ? Serait-il suffisant pour l'intégration sociale des immigrés ?

Donnard (2009) s'est également intéressée à l'enthousiasme autour de la notion de « droit à la langue » pour les migrants : elle montre que ce droit existe depuis les années 1960, avec l’article 19 de la Charte sociale européenne, et qu'il a été réaffirmé en 1977 avec l'article 14 de la Convention Européenne. À l'instar d'autres observateurs, elle identifie « le CAI [à] un durcissement des exigences concernant la connaissance de la langue française [qui] devient une condition incontournable du droit au séjour, voire un instrument de contrôle des flux migratoires » (ibid., 2009).

Malgré cette tension entre le « nouveau » droit à la langue du pays d'accueil et les injonctions à l'intégration par la maîtrise de la langue, les réformes engagées peuvent viser la professionnalisation75 d'un secteur marqué par le bénévolat ou des cadres assez informels pour les pratiques de formation ; un autre objectif peut également être celui de la structuration de parcours pour les migrants (Candide & Cochy, 2009)76. Il reste cependant certain que l'obligation d'assiduité aux formations pour l'obtention des titres de séjour constitue une contrainte importante pour les

73. Association pour l'Enseignement et la Formation des Travailleurs Immigrés et de leurs familles, voir en ligne : http://aefti.eu/ 74. AEFTI, & CRI PACA (Eds.). (2003). Pour la reconnaissance d’un véritable droit à l’apprentissage de la langue française à tous les migrants. Consulté de : http://www.illettrisme.org/components/com_remository_files/downloads/160_DroitLangueFrancaise.pdf 75. On approfondit cette question dans le chapitre III, en particulier dans la partie intitulée Évolution historico-culturelle des activités de formation des migrants

76. Donnard (2009, pp. 76–81) pointe cependant les faiblesses de cette notion : concerne-t-elle le parcours d'insertion ? Celui professionnel ? Celui langagier ? Elle identifie l'important besoin de coordination des offres de formation ainsi que les risques pouvant émerger d'une « tyrannie » du parcours : celui d'une vision linéaire figée, positionnant par exemple la formation linguistique comme « un préalable à l'emploi ou à l'entrée en formation professionnelle », celui aussi d'une hyper-spécification des publics pour un suivi plus précis risquant d'engendrer des atteintes à l'équité.

personnes, simplement du fait de l'instabilité et de la précarité de leur situation. Il s'agit d'ailleurs justement d'un aspect qui m'avait poussée, en tant que formatrice, à mettre en œuvre après une première année d'enseignement, un dispositif de présentiel enrichi via l'utilisation des courriels (Beauné, 2011a, p. 3). Leur utilisation m'était apparue comme un moyen pour permettre à ceux qui étaient dans l'impossibilité de venir aux séances présentielles, de suivre malgré tout une partie du travail réalisé. L'expérience a montré que même les apprenants les moins scolarisés ont bénéficié du dispositif77.

Dans la partie suivante, j'analyse la part prise par les technologies au sein de textes de référence pour la formation des migrants : je me suis particulièrement intéressée aux adultes migrants peu lettrés, d'une part parce que l'analyse statistique précédente a montré qu'ils étaient toujours assez nombreux parmi ceux s'installant en France, mais aussi parce que j'avais pu observer le potentiel de ces instruments pour leur parcours d'apprentissage.