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2 Perspectives sur l'immigration

2.4. Statistiques actuelles

2.4.1. Des flux régulés ?

Le rapport sur la politique d'immigration publié en janvier 2014 par le Ministère de l’Intérieur établit que la population française compte « 5,5 millions d'immigrés dont 40 % sont issus de l'Union Européenne »58, avec des flux migratoires « modérés », « régulés » autour de 100 000 migrants accueillis chaque année, auxquels s'ajoutent 80 000 migrants dits temporaires (étudiants et professionnels)59.

Comparer les flux français au flux migratoire des États-Unis les minimise60 ; les comparer avec ceux des pays européens voisins est plus juste, ne serait-ce qu'en termes démographiques : la France était devancée, au début des années 2000, par l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni qui recevaient « 71 % des entrées nettes de migrants dans les États membres de l’UE » (Commission européenne, 2004). Ces écarts se sont maintenus jusqu'en 201261.

En ce qui concerne l'immigration clandestine, les données sont généralement présentées comme « vraisemblables » sans pour autant pouvoir être formellement attestées : « entre 200 000 et 400 000 étrangers en situation irrégulière seraient aujourd’hui présents sur le territoire national et entre 80 000 et 100 000 migrants illégaux supplémentaires y entreraient chaque année » (Othily & Buffet, 2006, p. 43). On peut reproduire ici le tableau synthétisant le nombre de personnes en

58. Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. (2014). Politique de l’immigration : bilan et perspectives, p. 1.

59. ibid., p. 17.

60. « en moyenne, un million d'immigrants par an sont légalement admis depuis les années quatre-vingt-dix (le chiffre serait sans doute double si l'on comptait les sans papiers) » (Collomp, 2005, p. 17).

61. Eurostat (Ed.). (2012). Total number of foreigners including citizens of other EU Member States and non-EU citizens, usually resident in the reporting country.

On peut aussi préciser les chiffres relatifs aux personnes accueillies en tant que réfugiées62 : Fin 2010, 160 500 personnes disposent d’un titre de réfugié. Près de la moitié d’entre elles sont originaires d’un des six pays suivants : le Sri-Lanka, le Cambodge, le Viet- nam, la Turquie, la République démocratique du Congo et la Russie. La part des réfugiés parmi les ressortissants turcs vivant en France est faible (près de 5 %). Au contraire, les ressortissants du Sri-Lanka établis en France sont en majorité des réfugiés (plus de 75 %). (INSEE, 2012b, p. 144)

Quantifier les flux migratoires pose donc différents problèmes du fait du nombre de catégories, de statuts pour les personnes concernées (immigrés réguliers, temporaires ou saisonniers, irréguliers, réfugiés, etc.) mais surtout du fait de la variabilité interne aux statuts eux-mêmes, les personnes pouvant passer d'un statut à l'autre de manière relativement rapide et imprévisible. Le nombre annoncé par le Ministère de l'Intérieur s'apparente alors davantage à la quantité de migrants tolérée qu'au flux réel des populations sur le territoire.

2.4.2. « Diversification » des flux migratoires ?

En termes de pays d'origine, les nationalités variées citées dans le cadre de la demande du statut de réfugié illustrent la diversification des flux migratoires qui se marque davantage à partir des années 1970. Dans le cas des signataires du CAI, un rapport assez récent de la DGLFLF signale que :

[…] la formation linguistique a concerné en 2012 des personnes originaires de plus 140 pays. Cependant, six de ces pays concentrent plus de 50 % des besoins dans ce domaine : il s’agit de la Turquie, de l’Algérie, du Maroc, du Sri Lanka, de la Russie et de la Chine63.

En 2014, huit autres nouvelles nationalités viennent s'ajouter aux 140 identifiées en 2013, l'Inde et le Vietnam rejoignant les 6 pays concentrant 50 % des besoins en formation linguistique identifiés dans le cadre du CAI64. Mais plusieurs études démographiques dépassant le cadre des signataires du CAI montrent qu'en général, les pays d'Afrique Subsaharienne (ceux du Maghreb en particulier) et la Turquie restent les plus représentés dans les statistiques d'immigration pour la France :

La plus grande partie des étrangers ayant obtenu un premier titre de séjour en 2010 sont de nationalité africaine (54 %), notamment algérienne et marocaine. Les autres ont une nationalité d’Asie (25 %), des pays d’Europe des Balkans et de l’ex-URSS (5 %) et de l’Amérique et Océanie (16 %). Cette répartition varie suivant le motif d’immigration 62. On remarque que les données relatives aux réfugiés sont marquées par une augmentation forte ces dernières années : « A travers le monde aujourd'hui, un être humain sur 122 est un réfugié, un demandeur d'asile ou un déplacé interne. Soit 4 fois plus en 4 ans. En 2014, chaque jour, quelque 42.500 personnes ont été dans l'obligation de se déplacer, pour cause de guerre, de conflit ou de persécution. » Information consultée de : France Culture (Éd.). (2015). Migrants  : 3 cartes pour comprendre les déplacements de réfugiés. http://www.franceculture.fr/2015-07-03-migrants-3-cartes-pour-comprendre-les-deplacements-de-refugies

63. DGLFLF. (2013). Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française (p. 82). Ministère de la culture et de la communication. Consulté de : http://www.dglflf.culture.gouv.fr/rapport/2011/Rapport_Parlement_2011.pdf

64. DGLFLF. (2014). Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française (p. 85). Ministère de la culture et de la communication. Consulté de : http://www.dglflf.culture.gouv.fr/rapport/2011/Rapport_Parlement_2011.pdf

considéré. Ainsi, plus de 6 personnes sur 10 d’une nationalité du Maghreb ou de Turquie migrent pour une raison familiale tandis que 6 ressortissants Chinois sur 10 sont venus en France pour suivre des études. (INSEE, 2012b, p. 138)

Régnard et Domergue (2011) signalaient également cette prépondérance des pays d'Afrique du Nord. Ils pointaient aussi, à l'instar de Noblecourt (2014), la part croissante de femmes : cela est expliqué par la réduction de l'immigration de travail à partir des années 1975 voyant les migrations familiales prendre de l'ampleur. Malgré plusieurs lois qui sont venues contraindre les demandes de regroupement familial, comprenant celle du 20 novembre 2007 qui « module la condition de ressources en fonction de la taille de la famille » (INSEE, 2012b, p. 142), les femmes ont représenté, en 2008, 52 % de l'ensemble des immigrés en France. Les raisons de la migration des femmes ne sont pas nécessairement le regroupement familial, un certain nombre de femmes migrant en effet pour étudier ou travailler :

57 % des migrantes originaires d’Afrique centrale ou du Golfe de Guinée (Cote d’Ivoire, Cameroun, république Démocratique du Congo) partent seules […]. Leurs motivations sont liées à une volonté d’émancipation, à un rejet des contraintes familiales ou statutaires jugées trop rigides ou à la recherche de plus grandes opportunités sociales et professionnelles que celles offertes par les pays d’origine, en particulier pour les diplômées. (Noblecourt, 2014, p. 10)

On peut retenir trois problématiques spécifiques à la féminisation des migrations : la faible maîtrise du français65, les difficultés dans l'accès à l'emploi (rejoignant celle de la déqualification forte des emplois occupés)66 ainsi que celle de la vulnérabilité plus importante des femmes67. Au- delà des deux traits par lesquels on observe une diversification des flux migratoires français (pays d'origine et féminisation), des points récurrents sont attestés dans l'histoire migratoire française et, en premier lieu, celui lié aux niveaux de formation des personnes accueillies.

2.4.3. Niveaux de formation et expérience scolaire

Actuellement, et bien que le niveau de formation initiale augmente depuis une vingtaine d'années (INSEE, 2012a, p. 164), une part toujours importante des adultes qui s'installent en France est peu ou non scolarisée68 :

65. « La grande majorité des immigrées ne disposent que d’une connaissance très modeste de la langue française à leur arrivée en France » (Noblecourt, 2014, p. 13)

66. Taux de chômage supérieur (17,7%) à celui des hommes immigrés (15% ; nature des emplois pourvus (temps partiel, importante part d’activités non déclarées) (Noblecourt, 2014, p. 26).

67. « Les migrantes en situation irrégulière se trouvent, notamment, dans une situation d’hyper-précarité – administrative, matérielle et sociale […]. Les femmes immigrées sont par ailleurs exposées à des formes spécifiques de violences faites aux femmes : mariage forcé, polygamie, répudiation, mutilations sexuelles » (Noblecourt, 2014, p. 23).

« Les immigrés âgés de plus de 65 ans, originaires de pays extérieurs à l’UE, représentent environ 350 000 personnes dont 41% de femmes. Les difficultés rencontrées par celles-ci, majoritairement originaires du Maghreb, sont connues : modicité des ressources et veuvage précoce fréquent, santé précaire, éloignement des dispositifs sociaux de droit commun, isolement social pour certaines femmes » (ibid., p. 30).

68. Dans les données récentes, il apparaît aussi que les réfugiés « sont moins diplômés que les autres (seulement 14% sont diplômés de l’enseignement supérieur contre 20% pour l’ensemble) » (INSEE, 2012b, p. 140).

Au moment de la migration, 40 % des nouveaux migrants n’ont aucun diplôme ou un diplôme d’enseignement primaire, 39 % ont un diplôme de l’enseignement secondaire (Brevet des collèges, CAP/ BEP, baccalauréat) et 21 % sont diplômés de l’enseignement supérieur. (Domergue, 2012)

Même si la part des personnes peu diplômées diminue depuis les années 1990, il reste probable que les personnes arrivées dans ces années-là ont toujours des besoins en termes de formation. On souligne d'ailleurs que toutes les personnes peu ou non diplômées n'accèdent pas nécessairement aux formations : par exemple, en 2009, ils représentaient 33 % des 21 % des signataires du CAI (au nombre de 97 736) qui se sont vu prescrire une formation linguistique69 (Régnard & Domergue, 2011, p. 11).

À l'instar d'autres spécialistes, Bretegnier (2011, p. 4) semble vouloir insister sur le fait que « la majorité des migrants actuels sont loin de relever de situations d'analphabétisme » mais il convient de relever que la part mineure des personnes non scolarisées qu'elle mentionne (12 %) ne concerne pas les niveaux de formation des migrants dans leur intégralité : elle concerne seulement celui des « personnes entrant en formation ». Or, les écarts entre l'offre de formation, les besoins identifiés ou ressentis et l'entrée en formation ont été signalés à différentes reprises (Candide, 2007, pp. 191–192 ; Étienne, 2004, p. 28 ; Poilroux & Colombier, 1974, p. 323 ; Régnard & Domergue, 2011).

On a observé aussi que les données d'études récentes entrent parfois en contradiction pour ce qui relève du niveau de formation des femmes migrantes : ainsi, certaines font valoir qu'en « moyenne [leur] niveau de diplôme [est] inférieur à celui de leurs homologues masculins : 40 % sont sans diplôme, contre 36 % des hommes immigrés » (INSEE, 2012a, p. 164) quand d'autres montrent l'inverse :

Les femmes sont plus diplômées que les hommes : 26 % des femmes ont un diplôme universitaire contre 17 % des hommes. A l’opposé, 28 % des femmes sont sans diplôme contre 34 % des hommes. (Domergue, 2012 ; Noblecourt, 2014, p. 26)

Les femmes sont mieux diplômées que les hommes […]. Ce constat ne résulte pas d’un effet d’âge à l’arrivée en France. Jusqu’à l’âge de 35 ans à l’arrivée, la part des peu diplômés est toujours inférieure pour les femmes et celle des hauts diplômés (diplôme de l’enseignement supérieur) toujours supérieure. Aux âges d’arrivée plus élevés, le niveau des femmes rejoint celui des hommes. Cette convergence peut s’expliquer par la baisse de la part des conjointes de Français à mesure que l’âge d’arrivée en France augmente. En effet, les conjoints de Français, qui représentent le principal motif d’admission au séjour […], sont en majorité des femmes et présentent les meilleurs niveaux de diplôme. (Domergue, 2012)

Malgré ces contradictions, on peut retenir qu'un nombre toujours important de migrants résidant en France ont des expériences scolaires brèves ou inexistantes. Que des nouveaux migrants soient davantage diplômés ne fait finalement qu'accroître l'hétérogénéité de ces populations, ou

69. Ce qui signifie seulement qu'en 2009, un peu moins de 7000 migrants peu diplômés ont bénéficié d'une formation linguistique dans le cadre du CAI.

les écarts entre ceux qui n'ont jamais été scolarisés, ceux qui l'ont été brièvement (parfois de manière peu performante), ceux qui l'ont été plus longuement (et/ou de manière plus performante). On verra, dans la section suivante, qu'un autre trait récurrent de l'histoire migratoire française s'observe, en lien, cette fois, avec le degré de francophonie des personnes.

2.4.4. Degré de francophonie

Les données disponibles concernant le degré de francophonie des nouveaux entrants relèvent toutes d'auto-évaluations, soit de déclarations des migrants eux-mêmes : on ne s'est donc pas étonnée du contraste entre la part de migrants peu ou non scolarisés et l'important taux de personnes se déclarant à l'aise à l'oral et à l'écrit (72 %) dans un rapport récent (INSEE, 2012a, p. 164).

D'autres études présentent des parts moins élevées : parmi les signataires du CAI en 2009, « deux tiers d’entre eux déclarent un bon niveau général de français à l’oral, ils sont moins nombreux à se sentir à l’aise à l’écrit (53 %) » (Quentrec-Creven, 2013a). Dans cette étude, l'auteure avance des explications reliant langues premières et langue cible : « [pour] les migrants originaires d’Asie […] les taux d’aisance en français sont les plus faibles […]. Au contraire, les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne […] et du Maghreb sont plus fréquemment à l’aise en français ». Elle pointe finalement l'hétérogénéité des compétences, quelles que soient les langues premières :

Être à l'aise ne signifie pas maîtriser parfaitement la langue. Une part notable des ressortissants des pays du Maghreb ont une aisance faible : 18 % des personnes originaires du Maroc, 12 % pour l’Algérie et 6 % pour la Tunisie. De même, l’Afrique francophone recouvre des situations hétérogènes. Ainsi, la Côte d’Ivoire […] se caractérise par un taux de fluidité plus élevé que celui du Mali ou du Sénégal […] (respectivement 70 %, 40 %, 56 %). Cela peut s’expliquer par le fait que 99 % de francophones sont recensés à Abidjan contre 74 % à Dakar et 65 % à Bamako.

En ce qui concerne les femmes plus particulièrement, toutes les études consultées s'accordent, cette fois, à propos de leur maîtrise moins importante du français, certaines notant des difficultés plus importantes pour les femmes venues du Maghreb (INSEE, 2012a, p. 164), d'autres pour les femmes d'Asie du sud-est et de Turquie (Noblecourt, 2014, p. 14), ou d'autres encore corrélant l'âge à une aisance moindre en français (Quentrec-Creven, 2013a). Deux de ces études font également le lien entre une faible participation au monde du travail et une aisance moindre en français (Noblecourt, 2014, p. 14 ; Quentrec-Creven, 2013a).

Sur un plan plus général, on retiendra que « la part des personnes d’aisance faible en français diminue entre 2010 et 2011 […] aussi bien chez les hommes que chez les femmes » (Quentrec- Creven, 2013b) et qu'en moyenne, les personnes accueillies en France sont plutôt francophones : 44 % des signataires du CAI sont très à l'aise en français en 2013 (Quentrec-Creven, 2013a). Régnard (2008) signale cependant qu'en 2006 :

Les non-signataires du CAI [n'étaient] ni les plus francophones, ni les plus aptes à s’intégrer sans ce contrat [: par rapport aux signataires, ils sont] légèrement plus jeunes

[avec] une durée de présence en France avant l’admission au séjour légèrement plus élevée […] moins diplômés[ ;] à peine un tiers est en emploi au moment de l’enquête[ ;] une majorité d’entre eux […] parle une autre langue que le français en famille alors qu’ils se sont moins fréquemment vu dispenser un enseignement en langue française dans leur pays d’origine […].

On a vu, avec les sections précédentes, que les personnes peu ou non scolarisées restent assez nombreuses même si, dans les organismes de formation, les formateurs ont à gérer (depuis toujours) des groupes hétérogènes en termes d'âges, de langue(s) de référence, d'expérience migratoire et de formation antérieure. On constatera également qu'une large majorité des études citées font référence au CAI, qu'on a décrit, dès l'introduction générale, comme un événement important parmi les réformes récentes de la formation des migrants. Il convient alors de préciser l'évolution des politiques publiques de formation des migrants.