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3 Considération des TIC dans la formation des migrants peu lettrés

3.1. Part et traitement des technologies dans les référentiels

Au plan étymologique, un référentiel renvoie à un « système d'axes de coordonnées permettant le repérage de la position d'un point de l'espace »78. Le substantif renvoie, au plan définitoire et dans le même dictionnaire, à une entrée en mathématiques-mécanique et une autre en physique, conservant, toutes deux, cet aspect d'instrument pour le repérage. Je considère, suivant ces définitions, que les référentiels ont des fonctions de cadrage et d'orientation des activités de formation ; ils peuvent être utilisés à des fins de prescription mais ce n'est pas nécessairement ce qui a présidé à leur conception.

Leclercq (2011, p. 52) montre que les usages de référentiels pour l'enseignement s'inscrivent en ce sens dès les années 1970 : « […] inspiré par la méthodologie de la pédagogie par objectifs, ce support liste des objectifs généraux et opérationnels de formation [ ; il] établit les formes et conditions de l'évaluation ». Elle montre, plus loin, que les référentiels permettent l'échange entre des « partenaires différents : représentants des milieux professionnels, membre des jurys d'examens [etc.] ».

Vicher (2004, p. 11) rappelle toutefois la définition juridique du référentiel selon laquelle il correspond à « un ''document technique définissant les caractéristiques que doit présenter un produit ou un service et les modalités de contrôle de la conformité du produit ou du service à ces caractéristiques'' (Loi n° 94-442 du 03/06/1994) ». Ici, les aspects prescriptifs des référentiels

77. « Qu’ils aient été scolarisés ou non, certains se sont approprié ce dispositif dès les premiers courriels, d’autres ont mis davantage de temps à comprendre ainsi qu’à participer aux échanges didactiques en ligne. Concernant les apports des courriels, nous avons vu qu’ils semblent favoriser le développement de stratégies d'écriture ainsi que l'émergence de réflexions orthographiques, pragmatiques et situationnelles » (p. 13).

78. TLFI. (2014). Référentiel, étymologie [Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales]. Consulté le 19 janvier 2015, de : http://www.cnrtl.fr/etymologie/r%C3%A9f%C3%A9rentiel

ressortent, notamment via les caractéristiques sémantiques des termes « doit », « contrôle » et « conformité », ces termes référant à une norme essentialisée.

De nombreux référentiels ont été conçus pour la formation d'adultes peu qualifiés79, qu'ils soient migrants ou non : Vicher (2004) en analyse, par exemple, douze différents qu'elle a sélectionnés en fonction de deux critères principaux, à savoir « une approche compétence » et une orientation relative à « l'acquisition ou l'évaluation des compétences de base ». Néanmoins, les TIC ne sont représentées que dans un seul de ces douze référentiels. Je m'intéresserai, pour ma part, à quatre textes parus dans le courant des années 2000 qui sont apparentés au genre du « référentiel », même si le second de ces textes s'en éloigne un peu. J'ai choisi ces textes parce que deux d'entre eux ciblent spécifiquement les adultes migrants ; les deux autres concernent des publics plus larges mais il est connu qu'il leur est fait référence dans le cadre de marchés publics visant la formation d'apprenants migrants. De plus, ces textes couvrent des facettes importantes de l'intégration des migrants : le premier concerne l'apprentissage de la langue française ; le second, les compétences nécessaires pour vivre dans les sociétés européennes ; le troisième, les compétences nécessaires en milieu professionnel ; le dernier, l'intégration dans un sens assez large et politisé. Voici la liste de ces textes par ordre chronologique de parution :

1. Beacco, J.-C., de Ferrari, M., & Lhote, G. (2005). Niveau A1.1 pour le français. Paris : Didier80.

2. Parlement Européen & Conseil de l’Union Européenne (Éd.). (2006). Recommandation du Parlement Européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie.

3. ANLCI (Éd.). (2009). Référentiel des compétences clés en situation professionnelle. 4. Adami, H., et al. (2011). Référentiel FLI, Français Langue d’Intégration. Ecrimed,

DAIC.

L'analyse de ces textes par ordre chronologique de parution donne à voir une certaine évolution dans la prise en compte des technologies pour la formation des migrants peu lettrés. En effet, le premier de ces textes comporte une description des apports de l'utilisation du clavier au développement des compétences à l'écrit :

Plus la personne est amenée à utiliser le clavier informatique de façon précoce, meilleure est sa compréhension du rapport graphème-lettres, lettres-graphème, phonème-graphème, graphème-phonème. Le fait de ne pas devoir se focaliser sur la production graphique manuelle permet en effet de se concentrer sur l’observation du fonctionnement du système et sur sa matérialisation dans l’espace graphique. Le clavier 79. Les formations de base « englobent les dispositifs de remise à niveau, de lutte contre l'illettrisme, d'alphabétisation, de développement de savoirs de base en français écrit et oral, en mathématiques, en logique, etc. Ces actions relèvent d'une remédiation postscolaire » (Leclercq, 2007, p. 11).

80. S'il est noté que dans la présentation du référentiel, les auteurs le destinent à des « publics migrants ou non » (p. 15), la préface le restreint à la description des « compétences langagières attendues d'un locuteur de langue étrangère » (p. 3), sa filiation avec le CECRL et son contexte de production/diffusion l'associent à un instrument pensé principalement pour la formation des migrants.

et l’écran deviennent les médiateurs par excellence favorisant la mise à distance de la production écrite et permettant une relecture intériorisée, qui accélère vraisemblablement le processus d’accès au système grapho-phonologique. (Beacco et al., 2005, p. 164)

On trouve également, dans les listes de vocabulaire à comprendre au niveau A1.1, les expressions « sms, mél, courriel » ainsi que les verbes « se connecter » et « imprimer »81.

Le second de ces textes de référence détermine, quant à lui, des compétences numériques avoisinant, en importance, celles en langues : elles donnent en effet lieu à une catégorie spécifique décrivant les savoir-faire induits par « l'usage sûr et critique des technologies de la société de l'information […] au travail, dans les loisirs et dans la communication »82. On considère que ces compétences sont également identifiables dans la catégorie de la « compétence mathématiques et [des] compétences de base en sciences et technologies » : par exemple, avec la mention des « aptitudes [à] l'utilisation et [au] maniement des outils technologiques et des machines […] pour atteindre un but […] »83.

Le troisième de ces textes propose, quant à lui, une grille opératoire pour guider les actions de formation qui inclut des compétences en informatique en fonction de repères assez détaillés : ces compétences sont, par exemple, rattachées aux savoirs appliqués, par opposition aux savoirs

généraux. Le référentiel décline ces compétences en fonction de trois degrés de maîtrise associés à

trois pôles de compétences, eux-mêmes sous-divisés en fonction de sept activités différentes. Par exemple, la recherche d'information sur le web est associée au deuxième degré de maîtrise, dans le pôle de compétence lié à la réalisation (distinguée de l'interaction et de l'initiative), pour l'activité nommée « comprendre et justifier ».

Le dernier de ces quatre textes prescrit l'intégration des TIC aux démarches de formation pour les organismes de formation candidats à la labellisation FLI : on peut identifier explicitement cette action de prescription puisque plusieurs des items du référentiel en lien direct avec les TIC84 sont présentés comme des « […] critères [devant] être remplis pour obtenir le Label FLI® ou l’Agrément FLI® » (Adami, Bergère, et al., 2011, p. 17).

Si les pratiques des formateurs paraissent orientées vers une prise en compte croissante des instruments informatisés à des fins d'insertion, il convient cependant de mettre en regard l'évolution présentée par ces textes avec la quasi-absence de la prise en compte des TIC dans les douze référentiels analysés par Vicher (2004). On pourrait alors considérer que cette prise en

81. Les premiers sont situés dans le lexique des « notions spécifiques » (p. 123) ou mots hyper-fréquents ; les seconds dans la catégorie des « services publics et privés » (p. 140).

82. Parlement Européen, & Conseil de l’Union Européenne (Eds.). (2006). Recommandation du Parlement Européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (p. 7). Consulté de : http://eur- lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2006:394:0010:0018:fr:PDF

83. Ibid., p. 6

84. On retrouve les éléments de vocabulaire du premier des référentiels analysés dans la section des compétences pour l'accès au monde de l'écrit par les apprenants (Adami, Bergère, et al., 2011, p. 22) et par deux fois dans celle relative à l'ingénierie andragogique (ibid., pp.25-26).

compte plus importante des technologies au sein des référentiels de formation constitue une tendance assez récente. Ces questions s'avèrent cependant plus anciennes puisque des expérimentations et des recherches relatives aux utilisations de TIC pour la formation de migrants ou d'adultes peu qualifiés sont repérées dès les années 1970 (Allier, 2009 ; Bergère & Deslandes, 2007 ; Leclercq, 1999, p. 158). On verra, plus loin, que la question de la mémoire du champ se pose depuis l'émergence des activités de formation des migrants ; on peut aussi considérer qu'elle se voit ravivée par les réformes récentes de ces activités.

À l'échelle européenne, la tendance à la prise en compte croissante des technologies pour la formation de base des adultes peu qualifiés, migrants ou non, s'identifie, par exemple, dans la charte des formateurs ainsi que dans le manifeste des apprenants constitués dans le cadre du projet Eur-Alpha (Beauné, 2012a ; Eur-Alpha, 2012a, p. 6, 2012b, p. 6). À l'international, l'UNESCO a publié en 2011 un référentiel de compétences pour les enseignants exclusivement consacré aux TIC, qui liste l'ensemble des savoirs et savoir-faire qu'ils devraient maîtriser en fonction de trois niveaux : l'alphabétisation technologique, l'approfondissement et la création de connaissances (Unesco, 2011b, pp. 21–42). Ce document donne accès à des exemples de ressources éducatives conçues pour chacun de ces niveaux.

On peut aussi se référer aux textes conçus en Norvège où l'agence nationale pour la formation continue, VOX, également responsable de l'enseignement du norvégien et de l'orientation socio- culturelle des adultes migrants, a constitué un référentiel basé sur quatre niveaux de maîtrise de compétences numériques (« digital skills ») distinguant trois domaines principaux, à savoir : l'utilisation de TIC, la gestion de l'information consultée via les réseaux et la production d'information85. Ce référentiel procure des exemples qui « ne devraient pas être considérés comme obligatoires ou restrictifs [mais] adaptés et complétés avec d'autres exemples et Figures qui sont pertinents pour les participants »86.

Tous ces textes constituent des instruments de repérage pertinents pour le développement des utilisations de TIC, entre autres, pour la formation d'adultes migrants peu lettrés : on constate donc que cet ensemble de ressources se développe et il paraît vraisemblable que cette tendance s'affirmera au cours des années à venir, voire que ses aspects prescriptifs se renforceront. Avant d'étudier les apports de la recherche au sujet des utilisations de TIC pour la formation d'adultes migrants peu lettrés, il convient d'éclaircir plusieurs questions de terminologie : en effet, l'histoire des activités de formation des migrants (peu lettrés) a occasionné le mélange des études concernant ces publics à celles d'autres publics d'adultes (peu qualifiés) ; les objets d'apprentissage, pour ces publics, ont aussi fait l'objet de redéfinitions fréquentes entre les années 1980 et aujourd'hui. Je préciserai donc, dans la partie suivante, ce qui distingue et ce qui

85. VOX (Ed.). (2014). The Competence Goals. VOX. Consulté le 21/02/15, de :http://www.vox.no/English/Basic-skills/the- competence-goals/

86. VOX (Ed.). (2014). The Competence Goals. VOX. Consulté le 21/02/15, de :http://www.vox.no/English/Basic-skills/the- competence-goals/

rapproche les situations d'illettrisme de celles d'analphabétisme, ainsi que ce en quoi consistent les savoirs dits de base.