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7 Activités associatives

7.2. Spécificités des associations

7.2.1. À la recherche d'une rationalité associative

7.2.1.1. Une position d'intermédiaire pour révéler des besoins sociaux émergents

On retiendra, pour commencer, une définition de l'association291 qui insiste sur sa position d'intermédiaire, entre l'État et les individus :

Impliquant lors de sa création un engagement entre personnes volontaires, l'association est liée à la raison, […] elle témoigne d'un souci initial de relations entre personnes régies par les principes de liberté et d'égalité, conciliant l'appartenance à la communauté politique et l'affirmation de l'individu. Il n'y a dans cette approche aucune idéalisation. […] La forme associative est donc malléable, pour le pire et pour le meilleur. Par contre le fait associatif est indissociable de la démocratie. (Laville & Sainsaulieu, 2013, pp. 22– 23)

291. Il paraît important de conserver l'épaisseur historique du terme plutôt que d'utiliser de nouveaux termes, quand bien même certains ont déjà marqué une préférence pour celui « plus neutre, moins juridique et donc moins institutionnellement connoté que celui d’associations, celui d’institutions sans but lucratif (ISBL) » (Archambault, 2010, p. 1). Un des problèmes que pose cette désignation est qu'elle peut avoir pour effet de « vider » l'objet des activités en question (« sans but ») ; un autre problème serait qu'elle le vide de sémantique directe du fait de la siglaison.

Pour dégager les spécificités des activités associatives, Laville et Sainsaulieu démontrent qu'elles peuvent se concrétiser seulement « quand ses membres sont en mesure de s'accorder sur une ou plusieurs logiques qui fournissent une base commune à leur action » (ibid., p. 40) : cette importance de la négociation à plusieurs voix n'est pas sans évoquer les sessions des « laboratoires du changement » visant à redéfinir l'objet des activités et, partant, le quatrième type historique d'activité dite « maîtrisée collectivement dans une perspective expansive » (cf. section 5.2.3.1. ).

Confrontant les caractéristiques du secteur associatif à celles des entreprises, Laville et Sainsaulieu (2013, pp. 74-75) mettent en avant le fait que l'entreprise fonctionne toujours par réciprocité, principe qui n'est pas nécessairement valable pour les associations : elles peuvent mettre en œuvre des activités n'engageant pas (formellement) de contrepartie. Une spécificité importante des activités associatives réside ainsi dans une certaine gratuité des activités : on la reprécisera plus tard.

Laville et Sainsaulieu montrent, par la suite, que même si les associations et les entreprises partagent certaines caractéristiques, ces dernières ne se correspondent jamais exactement (p. 152). Ainsi, même si certaines PME fonctionnent sur des modèles dits « d'entreprises communauté », elles restent « dépendantes du chef d'entreprise comme médiateur entre engagements individuels au service de la production » (p. 160). L'associatif s'affirme alors, pour ces auteurs, comme une alternative « aux mondes sociaux cloisonnés et antagonistes des entreprises en perte de légitimité » (p. 161).

Pour distinguer les activités associatives des services publics, Laville et Sainsaulieu commencent par décrire leurs relations d'interdépendances (p. 63). Demoustier (2005) évoque, sur ce point, des phénomènes de mimétisme en termes organisationnels ou structurels :

Les relations étroites avec l’appareil politico-administratif conduisent le mouvement associatif à calquer son organisation sur le modèle alors centralisateur de l’État : en 1947, l’UNIOPSS rassemble l’ensemble des œuvres privées charitables et va les conduire à participer aux politiques d’action sociale ; l’UNAF permet également d’intégrer dans les politiques familiales les différents intérêts parfois antagonistes. Les fédérations sportives copient leur organisation sur celle du ministère de la Jeunesse et des Sports.

Toutefois, à l'instar de la fonction de « laboratoire » des « assoces » identifiée par Fustier (2002), le fait associatif se distingue assez radicalement des activités du secteur public en ce qu'il renvoie à un foyer d'émergence de professions292, en réponse à des besoins sociaux non pris en charge par les institutions. Dans un sens similaire, Noiriel (2005, p. 41) pointe le rôle des associations « dans le renouvellement des domaines de la recherche historique ''académique'' ». Plus encore, comme on l'a mentionné plus haut, les associations ont porté la revendication d'une co-

292. « Ainsi les associations d'éducation populaire, dès 1945, créent des formations diversifiées pour le personnel de maison d'enfants [etc.]. Dans les années 1960 et 1970, les diplômes d'état de moniteurs et de directeurs de colonies de vacances sont créés, les éducateurs spécialisés se voient régis par une convention collective [etc.] » (Laville & Sainsaulieu, 2013, p. 99).

détermination de l'intérêt général par les institutions et les populations, réclamant la réorganisation du pouvoir politique :

[elles] revendiquent ainsi leur autonomie, c’est-à-dire d’être plus que des laboratoires ou des palliatifs. Elles veulent donc être associées en amont aux décisions qui concernent leur champ d’intervention et en aval aux modes d’évaluation de leurs actions. (Demoustier, 2005)

Demoustier relève aussi que « le rôle social et politique des associations ne pose plus question »293 : la position d'intermédiaire des associations pour la régulation des rapports sociaux est donc clairement identifiée comme une spécificité majeure de leurs activités.

Il apparaît cependant que les méthodes ou les règles, les instruments et l'objet des activités des associations semblent toujours « mal interprétés » par les institutions, celles-ci ayant des difficultés à : « […] considérer leur activité économique autrement que comme une prestation de service aux membres ou à la collectivité, ce qui, de fait, en encourageant l’assistanat ou la commercialisation, contredit les prétentions des associations à activer la démocratie et la citoyenneté » (Demoustier, 2005). Comment les associations peuvent-elles se dégager de ces « méprises » ?

Mettant en avant le fait que les associations ne standardisent pas la demande et singularisent les réponses, Laville et Sainsaulieu (2013, pp. 99-100) proposent une piste de réflexion originale en affirmant que « [la] rationalisation [de l'association] n'est pas industrielle ou taylorienne : elle est

professionnelle [je souligne] ». Si Chessel et Nicourd (2010) sont plus nuancés dans leur

description des rationalités possibles pour les organisations associatives294, on revient néanmoins sur cette affirmation dans la suite, ainsi que sur ce qu'elle engage comme re-conceptualisation de leurs spécificités.

7.2.1.2. Une rationalité professionnelle ?

Créatrices de professions, employeurs dynamiques, attachées à singulariser les réponses aux besoins des bénéficiaires plutôt qu'au profit (ce qui revient à la gratuité de ces activités, qu'on présentait plus haut comme une spécificité importante des associations) : l'idée d'une rationalité

professionnelle paraît caractériser les activités associatives d'une manière assez juste et plutôt

originale. Si elle valorise l'ensemble de ces activités, il convient de ne pas sous-estimer les tensions qui caractérisent historiquement les rapports entre les institutions et les associations. On peut, de fait, rester sceptique quant aux « difficultés » des institutions pour comprendre la spécificité des associations. Laville et Sainsaulieu (2013, pp. 162–181) montrent d'ailleurs

293. « […] elles sont fortement sollicitées pour alimenter le lien social, le civisme, et répondre aux nouveaux besoins sociaux de plus en plus différenciés. L’opinion publique les plébiscite pour leur participation à la lutte contre l’exclusion et pour la reconnaissance de droits. Les pouvoirs publics reconnaissent aisément le rôle du bénévolat associatif, la responsabilité des dirigeants, et l’apport des associations à l’innovation et à la cohésion sociale » (Demoustier, 2005).

294. « Au carrefour de multiples emprunts, les associations composent aujourd’hui entre plusieurs répertoires d’action, sans que l’on sache si une rationalité finira par s’imposer comme forme dominante ».

clairement que les relations entre les associations et les pouvoirs publics sont, actuellement et pour le cas de la France, marquées par une perspective néolibérale (p. 203) ou par une orientation « sociale-étatiste » qui dissimule à peine l'instrumentalisation des activités associatives :

Avec la tertiarisation de l'économie, créer des emplois n'équivaut plus à générer de la dignité sociale, les « petits boulots » peuvent contribuer à augmenter les inégalités sociales et à entériner la régression sociale par le retour à la domesticité. Dans ce contexte, la construction institutionnelle des emplois importe tout autant que leur nombre. De ce point de vue, les formes de l'emploi associatif peuvent être très différentes et ce dernier peut devenir un sous-emploi public. (ibid., p. 233)

L'hypothèse d'une relation de solidarité entre l'État et les associations n'est pas écartée (pp. 174– 181), notamment parce qu'elle s'est déjà produite au cours de l'histoire (p. 207). Mais les questions de coordination sont vives pour les associations : singularité des luttes et unité dans la revendication paraissent s'exclure, tout en étant interdépendantes. On identifie là une situation proche de la double contrainte :

Les associations semblent prises dans une spirale qui les dépasse mais à laquelle elles participent : cherchant à rapprocher les actions des citoyens pour les sortir de l’isolement, elles risquent de s’isoler elles-mêmes si elles n’inventent pas d’autres moyens de capitaliser toutes ces initiatives locales ; cherchant à lutter contre la segmentation sociale, elles risquent de s’enfermer dans le palliatif qu’elles dénoncent si elles ne prennent pas collectivement une parole publique. (Demoustier, 2005)

L'enjeu qui demeure entier dans l'articulation des activités institutionnelles à celles associatives est bien celui d'un puissant régulateur pour la société (française) :

[…] depuis un siècle, associations et pouvoirs publics sont appelés à intervenir conjointement pour répondre à la fois aux besoins sociaux qui se sont multipliés et pour tenter de conjuguer droit commun et droits spécifiques, égalité et différenciation, obligation et participation. (Demoustier, 2005).

Si la rationalité professionnelle peut caractériser les « mammouths » tout autant que les « assoces » (et l'ensemble des déclinaisons entre ces deux pôles), d'autres particularités relèvent davantage du second pôle : entre autres, le caractère émergent de cette rationalité et la place d'intermédiaire des « assoces » dans la division des tâches ayant pour objet la réorganisation des activités sociales sur un plan général.

Considérant cela, les activités des associations qui se rapprochent des « assoces » relèveraient du

signalement d'un besoin et de propositions de réponses. Elles se caractériseraient, peut-être davantage

que d'autres types d'activités, par la re-formation constante de leur objet, renvoyant de ce fait au quatrième type historique d'activité (l'activité collective maîtrisée dans une perspective expansive), bien plus qu'au premier (l'activité artisanale). Au sujet d'une évolution de la prise en compte des associations, Laville et Sainsaulieu évoquent l'idée d'un « secteur quaternaire

producteur de biens collectifs d'utilité sociale » (2013, pp. 228–229) ou celle d'une « socio- économie plurielle »295 où :

[…] les associations ne pallient pas le désengagement de l'État, au contraire elles questionnent le service public dans le sens d'un renouvellement de ses modalités d'intervention, garantissant la professionnalisation des emplois mais faisant plus de place à l'expression des usagers et à l'engagement des bénévoles. (ibid., pp. 419-420).

Par cette dernière remarque, on constate que la description des spécificités des activités associatives demande encore à être précisée : on s'appuiera pour cela sur l'étude du bénévolat.

7.2.2. À propos du bénévolat

Le fait associatif et celui bénévole sont très proches mais ils ne se recouvrent que partiellement : comme on l'a vu plus haut, les associations créent différents types d'emplois ; par ailleurs, certains emplois du secteur privé et de celui public peuvent engager une part de bénévolat. On en retiendra, pour commencer, la définition suivante : « action libre, sans rémunération et en direction de la communauté[, ou en d'autres termes, un] travail pour ''l'honneur'' » (Ferrand- Bechmann, 2004, p. 15). La dimension honorifique des actions bénévoles rejoint la gratuité des engagements associatifs identifiée plus haut et, partant, leurs fonctions civico-politiques. Elle a aussi probablement à voir avec la dimension constructive de toutes les activités (voir section 4.7.2. ) et les bénéfices que perçoit l'individu à propos d'un engagement volontaire, même s'il n'est pas rémunéré (voir section 4.2.1. ).

Dépassant cette première définition, Simonet-Cusset (2004, pp. 251–252) interroge l'opposition entre les notions de « bénévole » et de « travail ». À partir de l'analyse des discours de bénévoles français et américains, elle met en évidence la position singulière du bénévolat dans la sphère du travail :

Le bénévole apparaît à ce titre comme un outsider au monde du travail … un outsider qui participe pourtant à des situations de travail. Plus l'activité du bénévole l'inscrit à l'intérieur du monde du travail, plus l'étrangeté du bénévole à ce monde apparaît comme un facteur de désordre. Plus le cadrage de la pratique bénévole par des procédures inspirées du monde du travail […] apparaît alors comme une réponse produite par les organisations dans (ou par) lesquelles les bénévoles interviennent, comme un principe d'organisation de la pratique et donc, au moins en partie de l'expérience bénévole. Ces procédures que l'on désigne parfois à tort de « professionnalisation du bénévolat » relèvent bien plutôt d'un processus d'institutionnalisation de cette pratique : elles visent à institutionnaliser la présence de ce travailleur non institutionnel dans une situation de travail institutionnalisée.

Les bénévoles participant à sa recherche décrivaient tous de multiples interactions entre leurs « carrières bénévoles » et celles professionnelles. Ces considérations éloignent le bénévolat de l'amateurisme ; elles rapprochent aussi les activités associatives de la rationalité professionnelle déterminée dans la section précédente pour caractériser leurs spécificités. On peut penser que 295. Ces remarques évoquent également les débats relatifs à la détermination des « communs » (Coriat, 2013).

l'expérience du bénévolat s'articulera d'autant plus aux pratiques professionnelles si l'engagement est régulé par l'organisation dans laquelle le bénévole inscrit ses actions, mais les pratiques de régulation de l'expérience bénévole ne sont pas systématiques : pour la situation française, Murat (2005) identifie plutôt des faiblesses aux dispositifs d'intermédiation et de formation.

Malgré ces insuffisances, le nombre de bénévoles connaît une forte croissance depuis les années 1980 (Archambault, 2005 ; Brodiez, 2004, p. 281) : à la fin des années 1990, un Français sur quatre déclarait un engagement bénévole. La tendance à l'augmentation du bénévolat se marque toujours dans des textes encore plus récents : « les Français sont de plus en plus nombreux à souhaiter s’engager : sa croissance en volume est de l’ordre de 4 % par an, ce qui est considérable » (Archambault & Tchernonog, 2012, p. 4 ) . Murat (2005) identifiait aussi un contingent de bénévole en augmentation mais il pointait une diminution du temps consacré à ces activités en 1996 et 1999 :

Les bénévoles sont aujourd'hui plus nombreux. Certaines associations, les plus grosses, reçoivent, de l'aveu même de leurs responsables, trop de demandes […]. Plus nombreux, ils consacrent néanmoins moins de temps à leur engagement qu'avant. L'estimation du volume horaire réel du travail bénévole en 1999 […] était de l'ordre de 716 000 emplois en équivalent temps plein (ETP). En 1996, l'étude LES-ISL-Fondation de France l'estimait à 1 116 000 emplois en ETP. Il semble donc qu'entre 1996 et 1999, le volume de travail bénévole ait baissé.

On peut associer cette diminution du temps de l'engagement bénévole aux constats de la recherche menée par Archambault et Tchernonog (2012, p. 4) :

Le développement des associations s’inscrit dans un mouvement de professionnalisation qui conduit les associations à rechercher des bénévoles ayant la formation ou les compétences spécifiques nécessaires à la mise en place de leur projet : la volonté élevée et croissante d’engagement bénévole de nos concitoyens va de pair avec des difficultés signalées de façon récurrente par les associations pour trouver et conserver les bénévoles ayant les qualifications nécessaires pour répondre à leur professionnalisation croissante.

Si « l'intensité de la participation des bénévoles » détermine le potentiel d'action d'une association ou son poids par rapport aux institutions (Laville & Sainsaulieu, 2013, p. 88), les difficultés de stabilisation des engagements bénévoles relevées par Archambault et Tchernonog (2012) évoquent à nouveau l'instrumentalisation des associations par les institutions. En effet, la hausse des exigences relatives à la professionnalisation des associations renvoie aux malentendus concernant leurs spécificités ainsi qu'aux faiblesses du soutien et de la reconnaissance attribuées par les institutions aux associations. La volonté de s'engager des civils, si elle est soulignée par les recherches, ne peut concrètement contribuer à l'unification des revendications associatives si elle est déterminée par une fragmentation importante des engagements ou une diminution du temps qui leur est consacré.

Au plan de la diversité des engagements contractés, Brodiez (2004) situe les « bénévoles » d'aujourd'hui dans la filiation des « militants » des années 1970. Il montre que les différences

entre le « militant bénévole » et le « bénévole militant »296 ont toujours existé dans l'histoire des engagements297. L'auteur plaide de ce fait, pour la (re)connaissance des cycles du militantisme. Dépassant l'idée de boucles répétitives d'un même schéma d(e) (dés)engagements, Lochard (2004) met en évidence un renouvellement de l'intervention sociale qui tend à se dégager des différentes formes du paternalisme à travers l'expansion, si ce n'est la généralisation, de la notion d'accompagnement (ibid., p. 128). La place accordée à l'accompagné par l'accompagnant lui reconnaît des compétences, une lecture historique peut donc être faite du succès de la notion d'accompagnement : il signalerait une nouvelle époque de l'engagement social, marquée par la notion d'alliance, par opposition à celle de lutte (ibid., p. 134).

Si les associations étaient valorisées en tant que productrices professionnelles d'engagements civiques et de solidarité sociale (et non pas de « sous-emploi public » ou d'alternatives aux mondes cloisonnés des entreprises), elles pourraient peut-être remplir leur fonction civico- politiques et révéler plus clairement les besoins sociaux émergents ? Cette vision peut sembler naïve : l'analyse des activités associatives pour la formation des migrants la déformera-t-elle ? Dans la partie suivante, on s'est interrogé à propos de l'histoire comme de l'état de ces activités aujourd'hui : les associations prenant en charge la formation des migrants sont-elles aussi dynamiques que l'ensemble des associations, notamment en termes de création d'emploi ? « Recrutent »-elles beaucoup de bénévoles ? Ont-elles toujours un rôle à jouer dans ce champ ?