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Le terme syntaxique qui régit vrode en surface est un adjectif

VRODE EN TANT QUE PRÉPOSITION LIÉE À L’APPROXIMATION

3.1. Le terme syntaxique qui régit vrode en surface est un adjectif

Dans cette configuration, Y est rattaché à une propriété explicitée. Les contextes se distinguent selon la nature sémantique de l’adjectif associable à Y2. Assez souvent, c’est un adjectif paramétrique. Dans ce groupe de contextes, le rapprochement entre le terme syntaxique dont dépend vrode et X est basé sur un présupposé « X est typique de la propriété correspondant à l’adjectif en question ». Cf. :

(1) Gazeta « Serp i molot » sperva peþatalas’ na tolstoj grifel’no-seroj bumage i ne prodavalas’, a raskleivalas’ na domax, zaborax, afišnyx tumbax. Byla ona malen’kaja, vrode dekreta ili vozzvanija3. Postepenno rosla. Stala peþatat’sja na beloj bumage. (PSR : 30)

Le journal La Faucille et le Marteau était imprimé, à ses débuts, sur du papier épais de couleur gris foncé, et il n’était pas vendu ; on le collait aux murs des maisons, à des clôtures et à des colonnes d’affichage. Il était petit, comme un décret ou une proclamation / à la façon d’un décret ou d’une proclamation. Mais peu à peu, il devint plus consistant. On commença à l’imprimer sur du papier blanc. (2) Duraki vzroslye ljubili prodelyvat’ s nim takuju šutku - predlagali vzjat’ iz dvux monet odnu, vybiraj : vysokogo nominala, no malen’kaja po razmeru, ili krupnaja, vrode našego dorevoljucionnogo mednogo pjataka. Kazdyj raz idiot mal’þik tut ze xvatal bol’šuju, þto u mnogoþislennyx zritelej vyzyvalo dobrodušnyj smex. (FO : 47)

Des adultes imbéciles aimaient lui faire une blague : ils lui proposaient de choisir entre deux pièces de monnaie, dont l’une avait plus de valeur, mais qui était petite, alors que l’autre était grosse, du genre de notre pièce de cinq kopecks d’avant la révolution. A chaque fois, l’ingénu garçon saisissait immédiatement la grosse pièce, ce qui provoquait les rires débonnaires des nombreux spectateurs.

Remarquons qu’il ressort de ces deux exemples une particularité caractéristique de vrode dans ce groupe de contextes, qui se basent sur les présuposés tels que Dekret ili vozzvanie - malen’kij (listok) ‘Un décret ou une proclamation, c’est petit (c’est une feuille de petit format)’, Pjatak - (moneta) krupnogo

1 On peut considérer cette structure comme une transformation de Gazeta byla vrode dekreta, takaja že malen’kaja.

2 Il convient de signaler que dans certains contextes, vrode suit un adjectif mais ne se rapporte pas à cet adjectif, malgré l’apparence syntaxique :

Ɏɨɪɦɚ ɷɬɨɝɨ ɩɪɟɞɦɟɬɚ ɛɵɥɚ ɟɣ ɧɟɡɧɚɤɨɦɚ ʊ ɦɚɥɟɧɶɤɢɣ, ɜɪɨɞɟ ɩɪɨɞɨɥɝɨɜɚɬɨɝɨ ɰɢɥɢɧɞɪɢɤɚ. [ɇ. ɇ. ɒɩɚɧɨɜ. ɍɱɟɧɢɤ ɱɚɪɨɞɟɹ (1935-1950)] – La forme de cet objet lui était inconnue : il était petit, du genre d’un cylindre oblong / allongé.

Dans ce cas, la séquence ɜɪɨɞɟ ɩɪɨɞɨɥɝɨɜɚɬɨɝɨ ɰɢɥɢɧɞɪɢɤɚ caractérise le terme ɩɪɟɞɦɟɬ, non l’adjectif ɦɚɥɟɧɶɤɢɣ.

3 Cela renvoie à la réalité russe post-révolutionnaire : les décrets du gouvernement et différents appels à caractère politique étaient habituellement affichés sous forme de feuilles imprimées de format relativement modeste.

razmera ‘L’ancienne pièce de 5 kopecks, c’est une grande pièce’. L’adjectif renvoie en principe à la dimension (‘petit’, ‘grand, gros’), mais le substantif correspondant à X dépasse le cadre strict de la dimension en véhiculant des informations supplémentaires (mode de diffusion du journal, la valeur de la monnaie). En remplaçant dans (1) vrode par kak, on obtient un contexte où X semble renvoyer essentiellement à la dimension :

(1’) Byla ona malen’kaja, kak dekret ili vozzvanie.

Il est à noter que (1’) devient plus naturel si l’on fait précéder kak de marqueurs renvoyant à une variation qualitative, concernant la mise en rapport de la dimension du journal avec la dimension de X, tels que sovsem ou poþti ; cette mise en rapport est ressentie alors comme une quasi-identification :

(1’’) Byla ona malen’kaja - sovsem kak (‘tout comme’) prjamo kak (‘tout à fait comme’) / poþti kak

(‘presque comme’) dekret ili vozzvanie.

Et il est significatif que vrode ne puisse pas être précédé de ces marqueurs d’« ajustement » (sovsem, prjamo, poþti) qui renvoient à une possibilité d’identification entre la propriété associable à Y et la propriété associable à X :

(1’’’) Byla ona malen’kaja, *sovsem/ *prjamo/ *poþti vrode dekreta ili vozzvanija.

On voit que vrode n’est pas la trace d’une quasi-identification (au sens où deux éléments, a priori distincts, sont pris comme indistinguables sous certains rapports). Bien au contraire, vrode + N (Gén.) est la trace d’une opération qui est en quelque sorte l’inverse d’une identification (l’indistinguable est pris comme s’il était du distingué). 4

Examinons de plus près les différences entre kak et vrode dans ce type de contextes. Revenons à (1). On peut supposer qu’avec kak, on met en rapport la petitesse du journal avec la petitesse de X

directement (sans que la petitesse de X soit explicité), alors qu’avec vrode, on met en rapport la petitesse du journal non pas avec la petitesse de X, mais avec X lui-même, compte tenu du fait qu’un décret ou une proclamation en tant qu’objets possèdent plusieurs propriétés. Par conséquent, avec vrode, la mise en rapport avec la petitesse de X est indirecte. Soit :

Prédication 1 : Gazeta byla malen’kaja ‘Le journal était petit’ ;

Prédication 2 : Gazeta byla vrode dekreta, kotoryj (kak vsem izvestno) malogo formata ‘Le journal était du genre d’un décret, qui (comme tout le monde le sait) est de petit format.

En revanche, dans (1’), kak supposerait que la petitesse d’un décret ou d’une proclamation (X) est l’unique propriété pertinente dans le cadre du discours tenu. Autrement dit, avec kak, la petitesse de X

justifie pleinement le fait d’invoquer X. Kak signale que X n’est présent dans le discours que d’une façon intensionnellement limitée. Cette limitation intensionnelle (qualitative) du mode de présence de X a pour conséquence la situation suivante : la mise en rapport de Y avec X est considérée comme une quasi-identification (ce qui correspond au principe même de l’opération gérée par kak) 5.

4 Il convient à ce propos d’insister sur la complexité de la notion d’identification. Ainsi, dans la théorie des opérations énonciatives, l’identification peut s’opérer de deux façons : a) identification d’une occurrence donnée à un type (valeur de référence), centre organisateur du domaine notionnel ; b) identification d’une occurrence à une autre, chacune étant identifiée à un type commun, et distinguée par le temps et/ou l’espace. Il peut s’agir d’une identification stricte, ou d’une identification modulée, laissant des latitudes de variation. (Franckel, Lebaud 1990 : 210).

5 Cf. kak avec un effet de sens proche dans cet exemple fourni par Ruscorpora :

Ƚɥɚɜɧɨɟ, ɧɢɱɟɝɨ ɥɢɲɧɟɝɨ. ɑɟɦɨɞɚɧ ɦɚɥɟɧɶɤɢɣ, ɤɚɤ ɩɨɪɬɮɟɥɶ. ɇɟ ɡɚɛɵɬɶ ɩɨɛɪɢɬɶɫɹ ɩɟɪɟɞ ɨɬɴɟɡɞɨɦ. [ɂ. Ƚɪɟɤɨɜɚ. ɇɚ ɢɫɩɵɬɚɧɢɹɯ (1967)] – L’essentiel est de n’emporter que le strict nécessaire. La valise est petite, comme une serviette. Ne pas oublier de se raser avant la départ.

Dans ce cas, la petitesse de la valise est mise en rapport avec la petitesse d’une serviette (d’un porte-documents) de telle sorte que la valise s’identifie à une serviette, du point de vue de l’énonciateur (qui part pour un déplacement professionnel et qui ne veut surtout pas être trop chargé).

Par ailleurs, ce trait de kak est sans doute en rapport avec son fonctionnement au sens de ‘en tant que’, cf. Govorju tebe èto kak drug ‘Je te le dis en tant qu’ami’ ; On sanitar, no rabotaet u nas kak vraþ‘Il est infirmier, mais il travaille chez nous en tant que médecin’6. Cf. aussi Ego znali, kak Lenina ‘Il était connu, comme Lénine l’était / aussi connu que Lénine’ (comparaison) et Ego znali kak Lenina ‘Il était connu sous le nom de Lénine (qui n’était pas son vrai nom)’ (quasi-identification). Pour une analyse détaillé de kak, voir (Sériot 1987).

Cela explique (cf. exemple 20, chap. IV, 4.2.1) l’impossibilité pour kak d’apparaître dans les contextes d’exemplification sans que Y soit précédé d’un marqueur comme takie : Inye – takie (,) kak Kol’ka, - daže oskorbljalis’ ‘Certains, comme par exemple Kol’ka Zabaluev, se montraient vexés’, mais

Inye – ??kak Kol’ka – daže oskorbljalis’ serait contraint. Takie signifie que la classe Y n’est prise que par rapport à une propriété quelconque ; cette propriété est hypostasiée par X. En revanche, vrode ne peut pas être introduit par takie : Inye - *takie vrode Kol’ki - daže oskorbljalis’.

A la différence de kak, vrode suppose que la petitesse de X n’est pas la seule propriété pertinente dans le cadre du discours. Autrement dit, la petitesse de X n’est pas le seul trait de Y (le journal en question) et ne justifie pas pleinement le fait d’invoquer X (un décret ou une proclamation). Il existe des traits supplémentaires (comme le mode de diffusion du journal, le fait qu’il n’était pas vendu, mais collé comme une affiche) qui sont à prendre en compte. Le mode de présence de X n’a pas de limitation intensionnelle. Avec vrode, la petitesse du journal en question est en quelque sorte « hypostasiée », au sens philosophique (« substantialisée ») par X. Vrode implique une démarche à la fois conceptualiste (ou

réaliste) et nominaliste, toujours au sens logico-philosophique ancien7.

Insistons à ce propos sur une autre différence entre kak et vrode : kak, contrairement à vrode, n’apparaît jamais dans les constructions liées à la dénomination approximative, cf. : þto-to vrode nenavisti

‘une sorte de haine’, mais il est impossible d’avoir *þto-to kak nenavist’.

Quant à l’exemple (2), remarquons qu’il présente un fonctionnement assez proche de (1). Dans ces deux exemples, on observe par ailleurs que la situation décrite est liée à une sorte de négativité exprimée dans le contexte (« ce n’était pas un véritable journal, vu la qualité du papier, ses dimensions et son mode de diffusion ; c’était une pièce de peu de valeur »). On pourrait aussi observer la présence d’une certaine négativité dans quelques autres contextes marqués par l’apparition de vrode.8

Mais voici un exemple un peu différent, où la négativité associable à Y (qui correspond en surface à un adjectif paramétrique) est bien moins évidente que dans les contextes vus ci-dessus :

(3) Xodil on v širokix, vrode raspašonok, tolstovkax, s rasstëgnutym na beloj šee vorotom - stradal astmoj i ne vynosil tesnoj odeždy. (PSR : 33) – Il portait des blouses amples, à la façon des brassières de bébé, à col déboutonné découvrant son cou blanc – il souffrait de l’asthme et ne supportaient pas les vêtements trop serrés.

Notons d’abord que le mot tolstovka désigne une « blouse ample et plissé, avec une ceinture » (širokaja sborþataja bluza s pojasom – selon TSRJa 1992 : 829) ; le nom fait référence au type de vêtement qu’affectionnait Lev Tolstoj (Léon Tolstoï) et qu’on appelle en français blouse à la Tolstoï 9. Il

6 En dépit de certains emplois anciens où il avait un sens proche de ‘en tant que’, cf. chap. I, 1.4, vrode ne peut pas fonctionner de cette façon : On sanitar, no rabotaet u nas ??vrode vraþa est très contraint (même si On u nas vrode vraþa ‘Il nous sert en quelque sorte de médecin’ est possible dans un style familier), et Govorju tebe èto *vrode druga est impossible.

7 Dans ce sens, le réalisme (« le concept existe réellement, a une réalité ») s’oppose au nominalisme (« le concept n’est qu’un nom »). Cf. la définition de H. Bergson : « Les nominalistes .. ; ne retenant de l’idée générale que l’extension, voient simplement en elle une série ouverte et indéfinie d’objets individuels », cit. in : Lercher 1985 : 91.

8 Cf. : ȼɫɟ ɷɬɢ ɥɸɞɢ… ɹ ɢɯ ɧɟ ɥɸɛɥɸ… ɧɟ ɭɜɚɠɚɸ: ɨɧɢ ɠɚɥɤɢɟ, ɨɧɢ ɦɚɥɟɧɶɤɢɟ, ɜɪɨɞɟ ɤɨɦɚɪɨɜ… [Ɇɚɤɫɢɦ Ƚɨɪɶɤɢɣ. Ⱦɚɱɧɢɤɢ (1904)] – Toutes ces gens... je ne les aime pas... je n’ai pour eux aucun respect : ils sont pitoyables, petits, comme des moustiques...

9 Dans l’usage contemporain, tolstovka désigne un vêtement chaud et confortable de type différent, proche d’un sweetshirt, avec ou sans capuche, avec ou sans manches.

est à souligner aussi que raspašonka, qui se rapporte en principe à une brassière de bébé, peut désigner par extension, dans le russe familier, tout vêtement ample qui recouvre le haut du corps : une blouse, une chemise (TSRJa 1992 : 681).

Ici, on observe un fonctionnement analogue à celui de (1) : X n’est pas seulement invoqué pour donner une idée de l’ampleur des vêtements (d’autant plus que la qualification « ample » fait partie de la définition du terme tolstovka), mais surtout pour donner une idée de la forme, de la coupe des vêtements en question. Si l’on substituait kak à vrode : ... v širokix, kak raspašonki, tolstovkax ..., on comprendrait que kak X se rapporte uniquement à l’adjectif širokix et n’actualise que l’ampleur des brassières, sans insister sur leur forme. On aurait également l’impression que kak insiste davantage sur l’ampleur absolue des brassières, plutôt que sur leur ampleur relative.

Par conséquent, kak risquerait d’imposer une lecture quasi absurde : si les vêtements de cet homme plutôt corpulent avaient l’ampleur des brassières de bébé, cela voudrait dire que les vêtements étaient trop étroits pour lui !

Vrode raspašonok se rapporte en réalité à toute la séquence (ego) širokie tolstovki comme type de vêtement qui était propre au personnage et tend à exclure toute lecture absolue de la comparaison. Vrode

met en valeur la forme, l’impression générale que donne le vêtement en question10.

Si la négativité est absente du contexte (3), vrode semble ici associé à un effet de surprise : il est en effet paradoxal que les vêtements portés par Zalesskij, un homme respectable, âgé et corpulent, puissent être comparés à des brassières, même s’ils présentent des analogies dans la coupe. C’est ce caractère inédit, inattendu de X qui semble lié à l’apparition de vrode11. Certes, l’effet de surprise ou le caractère inédit peut être interprété en soi comme une forme de négativité.

On remarquera que dans ces exemples, vrode peut être remplacé par kak ou napodobie, mais non par slovno.

Dans un autre goupe de contextes, le terme syntaxique correspondant à Y est un adjectif exprimant l’irréalité, l’inconsistance ou l’anormalité. Il s’agit de contextes où Y est associé à une idée de « non authenticité » (adjectifs tels nenastojašþij ‘irréel, fictif’, mifiþeskij ‘mythique’), et à la négation d’une qualité attendue. Voici un exemple qui semble confirmer notre hypothèse selon laquelle kak ne retiendrait qu’une seule des propriétés assignables à X, alors que vrode tiendrait compte de plusieurs propriétés assignables à X :

(4) (Anfisa travaille comme infirmière dans un hôpital militaire ; elle est malheureuse après le départ de Grigori, son amant)

Žizn’ byla kakaja-to nenastojašþaja, vrode sna. A sny-to kak raz byli nastojašþie, vo snax prixodil Grigorij, stuþal kostyljami, xotel eë celovat’, no tut kak raz son konþalsja, ona prosypalas’ i plakala. (GVP : 21) – Sa vie était en quelque sorte fictive / irréelle, comme un sommeil / un rêve. En revanche, ses rêves avaient une réalité ; dans ces rêves, elle voyait apparaître Grigorij avec ses béquilles qui faisaient du bruit, Grigorij qui voulait l’embrasser, mais c’était là que le rêve s’interrompait, qu’elle se réveillait et pleurait.

On remarquera en particulier que l’adjectif associable à Y (nenastojašþaja) est introduit par

10 Et il existe des contextes similaires qui montrent l’importance de la forme, de l’aspect général :

Ʉɭɥɚɤ ɭ ɧɟɝɨ ɛɵɥ ɛɨɥɶɲɨɣ, ɚ ɧɨɫ ɦɚɥɟɧɶɤɢɣ, ɜɪɨɞɟ ɩɭɝɨɜɤɢ, ɜɟɫɶ ɩɨɤɪɵɬɵɣ ɜɟɫɧɭɲɤɚɦɢ. [ɇɢɤɨɥɚɣ ɇɨɫɨɜ. ɇɟɡɧɚɣɤɚ ɜ ɋɨɥɧɟɱɧɨɦ ɝɨɪɨɞɟ (1958)] – Il avait un gros poing, alors que son nez était petit, comme un bouton de chemise, tout couvert de taches de rousseur.

Dans ce cas, on invoque non seulement la petitesse d’un bouton de chemise (le mot pugovka peut désigner aussi un bouton pression, quoiqu’il existe un terme plus précis knopka), mais aussi sa forme ronde qui est proche de la forme du nez en question.

11 Cependant, l’effet de surprise peut caractériser aussi certains contextes ironiques et hyperbolisants avec kak : ɇɨ ɢ ɦɚɥɟɧɶɤɢɣ, ɤɚɤ ɞɚɦɫɤɚɹ ɫɭɦɨɱɤɚ, ɚɜɬɨɦɨɛɢɥɶɱɢɤ ɜ ɯɨɡɹɣɫɬɜɟ ɧɟ ɩɨɦɟɲɚɟɬ. [Ɉɥɶɝɚ ɍɬɟɲɟɜɚ. Ⱥɜɬɨ ɤɚɤ ɩɪɚɡɞɧɢɤ ɠɢɡɧɢ: cherchez la femme (2002) // «Ⱦɨɦɨɜɨɣ», 2002.05.04] – Mais une toute petite voiture, comme un sac à main, ne serait pas inutile dans la vie d’une famille.

l’indéfini kakaja-to12, ce qui peut s’interpréter comme la trace d’une opération posant l’existence de toute une classe Y d’occurrences de la notion « être fictif, irréel » : concernant l’irréalité de la vie, cette irréalité peut se manifester de plusieurs façons ; il existe plusieurs façons de comprendre ou de dire cette irréalité. Inversement, l’irréalité de X (son = « le sommeil » et « le rêve ») n’est pas la seule propriété pertinente de

X, dans la mesure où dans la phrase suivante, sny au sens de ‘rêves’ est redéfini comme ayant une propriété contraire à la notion fondant Y (« Ses rêves avaient en revanche une sorte de réalité »). Le mot russe son a en effet un double sens (‘sommeil’ et ‘rêve qu’on fait en dormant’) et donne lieu ici lieu à deux oppositions : « vie active // sommeil » et « vie réelle // rêve ».

Malgré la possibilité théorique d’avoir Žizn’ byla kakaja-to nenastojašþaja, kak son, la conjonction kak serait à notre avis assez contrainte dans ce contexte. Kak aurait pour conséquence d’aplatir la complexité des rapports en jeu, en donnant à la mise en rapport de Y avec X les allures d’une comparaison banale. Kak mobiliserait surtout le sens ‘rêve’ (cf. fam. Otpusk prošel prekrasno, kak vo sne

‘Les vacances, c’était super, comme dans un rêve’). Notons également que l’omission de l’indéfini

kakaja-to faciliterait l’emploi de kak.

Vrode sna renvoie à une configuration plus complexe : on dépasse le cadre d’une simple comparaison. On dit bien plus que « la vie était comme irréelle » ; le narrateur fait comprendre que le problème est aussi de délimiter la vie du sommeil, la réalité du rêve, et qu’on peut redéfinir la vie d’Anfisa comme une non-vie (« un état proche du sommeil et/ou d’un songe, d’un rêve »). Si kak mobilise mobilise surtout le sens ‘rêve’, vrode mobilise les deux sens du russe son : ’sommeil’ et ‘rêve’.

On pourrait aussi expliquer l’apparition de vrode en termes de référentialité : kak son signifierait que X n’est employé que pour préciser le sens de nenastojašþaja, c.-à.-d. de façon absolument non-référentielle, intensionnelle, alors que dans ce contexte, grâce à vrode, le « sommeil » / le « rêve » est pris dans un sens en partie référentiel, extensionnel. Il est à remarquer que dans le contexte droit, le même mot est employé au pluriel (sny au sens de ‘rêves’) de façon référentielle. Vrode fait partie d’un mécanisme discursif complexe :

i) Sa vie n’était pas réelle, d’un certain point de vue.

ii) Normalement, un rêve n’est pas réel. Mais le sommeil (le fait de dormir) relève de la réalité. iii) Sa vie était à la fois comme un rêve et comme un sommeil.

iv) De plus, ses rêves étaient en quelque sorte réels (avaient une sorte de réalité).

Cf. un contexte proche du précédent, où Y correspond syntaxiquement (en surface) à un adjectif exprimant une forme d’irréalité :

(5) V Amerike, strane logiþnoj, prestižna zarplata, a ne professija, tem bolee polumifiþeskaja, vrode gida po puškinskim mestam. (VGP : 152) – En Amérique, qui est un pays de logique, c’est le salaire qui est prestigieux, non la profession, surtout une profession semi-fictive, genre guide qui fait visiter les lieux liés à la mémoire de Puškin.

Cependant, en analyse plus profonde, on s’aperçoit que vrode se rapporte à toute la séquence

polumifiþeskaja professija. On pourrait avoir V Amerike prestižna zarplata, a ne polumifiþeskaja professija(,) vrode gida po puškinskim mestam.

Ce rapport de vrode dans les contextes de type comparaison à la notion d’« anormal », d’« atypique » est particulièrement manifeste dans certains exemples où l’on nie une caractéristique attendue :

(6) V redakcii do togo neobstavleno i pustynno, do togo niþego net, krome golyx stolov i rvanyx plakatov,

þto šagi v vysokix komnatax èxom otražajutsja ot sten. Stoly ne pis’mennye - prostye, vrode kuxonnyx, s odnim vydvižnym jašþikom ; pis’mennye byli tol’ko u Drobyševa i Akopjana. (PSR : 32) – Le local de la

12 Par ailleurs, kakoj-to peut avoir un effet de sens de type ‘inexplicable, incompréhensible, bizarre’, voir l’analyse dans Paillard 1984.

rédaction était si dépouillé et vide, il était tellement peu meublé : il n’y avait rien, sauf quelques tables dégarnies et des affiches toutes déchirées, et les hauts murs de ses pièces renvoyaient l’écho des pas. Les tables n’étaient même pas des bureaux, c’étaient des tables toutes simples, genre tables de cuisine, à un tiroir ; seuls Drobyšev et Akopjan disposaient de vrais bureaux.

S’agissant d’un local de rédaction d’un journal, il serait normal de s’attendre à ce que les meubles de travail soient des bureaux. Or, contrairement à l’attente, ce n’étaient pas des bureaux, c’étaient des tables toutes simples. Mais en disant simples, on risque de banaliser cette caractéristique, alors que l’objectif de ce discours est de montrer que l’ameublement du local est extraordinairement indigent. Vrode X semble participer à cette logique de l’accumulation de surprises désagréables, du renchérissement dans l’atypicité. Vrode vise le paradoxe : ce qu’on croyait être des bureaux de journalistes ne sont pas des bureaux ; même si on pouvait penser à de simples tables de travail pour journalistes, cela ressemble plutôt à des tables de cuisine.

Quant à la la différence entre vrode et kak, notons que ...prostye, kak kuxonnye... aurait pour conséquence de banaliser en quelque sorte la comparaison. Avec kak, il n’y aurait rien d’étonnant à comparer les tables de travail des journalistes à des tables de cuisine. Kak supposerait la présence d’un