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Y défini par rapport à une autre classe

VRODE EN TANT QUE PRÉPOSITION LIÉE À L’APPROXIMATION

4.1. Exemplification intensionnelle

4.1.1. Y défini par rapport à une autre classe

Y est souvent le résultat d’une interaction intensionnelle avec une classe distincte, contextuellement présente ou induite par le contexte. Cette opération peut se réaliser différemment, selon les configurations discursives qui sont en jeu.

L’exemple suivant fait ressortir le rôle du prédicat dans le mécanisme énonciatif lié à l’apparition

6 La notion d’exemplarité est complexe, comme le rappelle G. Kleiber (1990 : 59-62). Cf. les principales acceptions du mot fr. exemplaire : 1) (subst.) ‘Chacun des objets formés à l’aide d’un type unique reproduit (cf. : un exemplaire d’un ouvrage)’ ; 2) (subst.) ‘Echantillon représentatif d’une même espèce, d’une même catégorie (cf. : un bel exemplaire d’une plante)’ ; 3) (adj.) ‘Qui peut servir d’exemple, de modèle (cf. : une honnêteté exemplaire)’.

de vrode. Cet exemple est particulièrement intéressant, car il montre bien comment fonctionne le mécanisme en vertu duquel X n’est pas considéré comme un simple spécimen de la classe désignée comme associable à Y. Notons que pour l’interpréter de façon adéquate, il faut tenir compte du contexte assez large, puisque cet exemple est tiré de l’encyclopédie Mify narodov mira (article « Angely », signé par S. Averincev), et que les mêmes concepts sont traités dans d’autres articles (« Satana », « Besy », etc.) rédigés par le même auteur. Cf. :

(1) Na arxaiþeskoj stadii iudaizma nebesnye vragi þeloveka vrode satany ešþë ne vosprinimalis’ kak javnye vragi boga (satana v knige Iova vxodit v þislo « synov Eloxim », t. e. angelov, i vystupaet pered bogom v roli naušnika) (S. Averincev, dans MNM : I, 78 ; article « Angely »)

A un stade archaïque du judaïsme, les ennemis célestes de l’homme tels que le Satan n’étaient pas encore perçus comme des ennemis déclarés de Dieu (dans le Livre de Job, le Satan fait partie des « fils des Elohim », c’est-à-dire des anges, et joue auprès de Dieu un rôle de rapporteur).

A priori, un lecteur ne peut pas associer le prédicat « ne pas être perçu comme un ennemi de Dieu » avec X (le Satan), car il est généralement admis que le Satan est l’ennemi de Dieu par excellence. On s’aperçoit que le Satan (X) n’est pas cité parmi les « ennemis célestes de l’homme » (classe associable à Y) de façon arbitraire, c’est-à-dire à titre de simple exemplification extensionnelle.

Premièrement, c’est X qui vérifie le mieux le prédicat principal (« ne pas être perçu dans le judaïsme archaïque comme des ennemis déclarés de Dieu »), car il fournit l’argument développé plus loin (selon un des textes bibliques, le Satan fait partie des « fils de Dieu »).

Deuxièmement, dans la classe des « ennemis célestes de l’homme », le Satan occupe une place centrale, car dans le système traditionnel des représentations mythologiques, c’est lui qui est le « chef des diables » et le « roi des Enfers » (cf. la caractéristique du Satan dans le même ouvrage par le même auteur, MNM II : 412-413).

On constate par ailleurs que le contexte est marqué d’une problématique de l’ambivalence et de la distinction, dans le domaine notionnel qui constitue l’objet du texte : les anges dans les traditions judaïque, chrétienne et musulmane apparaissent tantôt comme les serviteurs de Dieu (et comme bienveillants envers les hommes), tantôt comme les ennemis de Dieu et des hommes. Il y a donc une indistinction première. Cette indistinction première est étayée ensuite par les données mythologiques décrivant certains anges comme étant « neutres » par rapport à cette opposition « compagnons célestes de Dieu versus ennemis célestes de Dieu ».

Il se trouve que cette indistinction est confirmée par la négation d’une autre indistinction (identification tacite) qui constituait jusqu’ici un présupposé (« Les ennemis célestes de Dieu sont les ennemis des hommes »). Or, justement, le contexte nous dit que certains ennemis célestes des hommes n’étaient pas considérés comme des ennemis de Dieu. Illustrons ce cheminement fort complexe par ce schéma de raisonnement sous une forme simplifiée :

Y = les anges ennemis de l’homme

Z = les anges ennemis de Dieu

X = un représentant (un exemplaire) de la classe associable à Y (le Satan)

P = prédicat / propriété « être l’ennemi de Dieu »

i) a priori, la classe associable à Y semble se confondre avec la classe Z ; ii) en principe, tous les termes de Z vérifient P ;

iii) a priori, X fait partie de Y, donc X doit faire partie de Z ;

iv) or, X ne vérifie pas P (sous certaines conditions), contrairement à ce qu’on pouvait croire au début ; v) par conséquent, certains termes de Y ne vérifient pas P ;

vi) donc, l’indistinction première Y=Z est remise en question ;

vii) par voie de conséquence, se pose un problème de définition de la classe associable à Y.

classe associable à Y.

L’interprétation de Y vrode X (Gén.) au sens de « exemplification intensionnelle » n’est pas exclue si X est un nom propre désignant une personne déterminée. Un exemple comme (2) montre que le statut de

X, s’il est pris hors contexte, ne permet en rien de préjuger de l’interprétation réelle (en contexte) de toute la séquence Y vrode X (Gén.). Cf. :

(2) Napravlenie glavnogo udara na vsex lotkax odinakovoe i formuliruetsja tak : ostrosjužetnyj zarubežnyj detektiv. Ostrosjužetnyj, to est’ dinamiþnyj, gde uže na pervoj stranice svoraþivajut skulu : èto vam ne logiþeskie krossvordy dobryx staryx angliþanok vrode Agaty Kristi. Absoljutnyj þempion «krutogo detektiva» i absoljutnyj ljubimec publiki - Džejms Xedli ýejz, angliþanin, živšij v Švejcarii i pisavšij ob Amerike. (S. Džimbinov, Koèfficient iskaženija. NM 1992 N 9 : 220)

Tous les éventaires [il s’agit des innombrables bouquinistes et autres revendeurs de livres dans les rues de Moscou] présentent une tendance identique qui peut être formulée ainsi : le roman policier « à sujet captivant » d’auteurs étrangers. « Sujet captivant » veut dire sujet dynamique, où le personnage se fait casser la figure dès les premières pages : on est loin des énigmes logiques des bonnes vieilles Anglaises du genre d’Agatha Christie. Le champion absolu du roman policier « à sujet captivant » et le favori absolu du public, c’est James Headley Chase, un Anglais qui a vécu en Suisse et qui situait l’action de ses romans en Amérique.

Il faut en particulier noter la négation : la classe associable à Y n’apparaît dans cet énoncé que pour mieux faire ressortir la spécificité d’une autre classe (Z) à laquelle celle-là s’oppose. Cette négation signifie que Y n’est pas l’enjeu contextuel : Y n’est invoqué que pour montrer que l’autre classe (Z) n’a pas les propriétés de Y. Agatha Christie (en tant que personne physique et écrivain) n’est pas visée directement dans l’énoncé : elle n’intéresse l’énonciateur qu’en tant que l’auteur symbolisant un certain type de roman policier traditionnet de qualité. C’est le symbole, le type d’une certaine littérature policière de qualité.

On peut paraphraser la séquence qui nous intéresse par dobryx staryx angliþanok, kotorye pišut vrode A. Kristi. Y vrode X (Gén.) renvoie donc non à des entités prises extensionnellement, mais à des entités ayant un caractère intensionnel. On remarquera également que cette interprétation intensionnelle est par ailleurs fondée syntaxiquement : toute la séquence logiþeskie krossvordy ... etc., est en position prédicative.

Mais par ailleurs, il y a ici un certain effet de sens proche de la « fausse exemplification » (cf. 4.2.5) : on a l’impression que pour l’énonciateur, la classe associable à Y se réduit en fait à X, dans la mesure où la seule bonne vielle Anglaise écrivant des romans policiers, connue de la plupart des russophones, c’est justement Agatha Christie.

D’autres contextes sont plus délicats à analyser, vu l’absence de négation explicite. Pourtant, l’interaction intensionnelle avec une classe initialement posée y est présente, cf. :

(3) Bežat’ nel’zja i nekuda. No možno otstupit’ kuda-nibud’ v ten’, na vtoroj plan. Naprimer, uexat’ v Varykino. Ja podumyvaju o Varykinskom dome. Èto porjadoþnaja dal’ i tam vsë zabrošeno. No tam my nikomu ne mozolili by glaz, kak tut. Približaetsja zima. (...) Pravda, tam teper’ ni duši, žut’, pustota. Po krajnej mere, tak bylo v marte, kogda ja ezdila tuda. I, govorjat, volki. Strašno. No ljudi, osobenno ljudi vrode Antipova ili Tiverzina, teper’ strašnee volkov. (PDŽ : 307-308)

Impossible de fuir et où fuirait-on ? Mais on peut se retirer, se cacher à Varykino par exemple. C’est à une bonne distance et c’est complètement désert. Là-bas, nous ne gênerions personne. L’hiver approche. (...) C’est vrai que là-bas il n’y a pas une âme, c’est effroyable, c’est le désert. Tout au moins, c’était ainsi en mars, quand j’y suis allée. Et on dit qu’il y a des loups. C’est terrifiant. Mais à l’heure actuelle, les hommes, surtout les Antipov et les Tiverzin, sont plus terribles que les loups

[traduction empruntée à l’édition française du roman (p. 528), intéressante du point de vue de la façon choisie de rendre l’effet de sens induit par vrode dans la construction].

Le discours de l’énonciateur, qui pèse les pour et les contre concernant son projet de départ, véhicule des schémas négatifs implicites. En parlant des risques que représente le séjour envisagé,

l’énonciateur évoque les loups. Or, selon l’énonciateur, il faut penser aux risques qui sont plus importants (mais auxquels on peut ne pas penser immédiatement), aux risques que représente la vie en ville. Donc, le vrai danger, ce ne sont pas les loups, ce sont les hommes. Et parmi les hommes les plus dangereux (Y) pour l’énonciateur et l’interlocuteur, ce sont justement ceux que l’énonciateur et l’interlocuteur a priori ne devraient pas craindre, c’est-à-dire Antipov et Tiverzin (X) qui sont les vieilles connaissances de l’énonciateur et de l’interlocuteur. Plus exactement, Antipov est le mari de Lara (l’énonciatrice) ; son interlocuteur est Jurij Živago.

Notons aussi que la séquence introduite par vrode ne peut pas être omise (dans la mesure où l’on restreint la classe des humains à celle des gens du type de Antipov et Tiverzin).

Schématiquement, le mécanisme est le suivant : Situation 1 : Les loups (-), les hommes (+) ;

Situation 2 : les loups (+), les hommes (-), si les hommes (-) sont exemplifiés par X (-).

On voit que ce schéma est assez proche du schéma de l’interaction avec un classe initialement posée. Or ici, le travail sémantique est encore plus marqué : pour l’énonciateur, il s’agit de dire quel est le type des humains qu’il faut appréhender avant tout. Certes, Antipov et Tiverzin en tant qu’individus sont visés eux aussi, mais dans l’esprit de l’énonciateur, ils apparaissent avant tout comme les symboles de la classe des « révolutionnaires fanatiques et sans scrupules ».

La négativité se manifeste souvent comme le principe fondateur de la classe associable à Y. Dans certains contextes, la négation est impliquée par le sens même du substantif correspondant à Y. Ici, Y n’est pas une classe réelle, dans la mesure où cette classe est définie intensionnellement, comme une exception par rapport à une certaine régularité. Dans ces cas, le terme syntaxique correspondant à Y est souvent un mot sémantiquement dérivé d’un prédicat signifiant ‘erreur, fausseté’ ou ‘absence’ (cf. : Èto ošiboþno --> èto ošibka) .

Dans ce type de contextes, l’existence de la classe associable à Y est présentée comme induite à partir de l’existence de X, alors que l’existence de X est en contradiction avec certaines attentes de l’énonciateur (ces attentes étant exprimées dans le contexte). Cf. :

(4) V otliþie ot množestva nynešnix javno neprofessional’nyx « perekladov » osnovnoj tekst perevedën vpolne udovletvoritel’no. Tem dosadnee ošibki vrode takix biografiþeskix svedenij ob Arone, kak zašþita im dvux dissertacij v 1938 godu (zašþita byla, razumeeetsja, odna - po tekstu dvux predstavlennyx knig).

(A. Rutkeviþ, NM, 1994, N 6 : 233).

A la différence des nombreuses « traductions-trahisons » d’aujourd’hui, qui sont fabriquées par des non-professionnels, le texte principal est traduit à un niveau très satisfaisant. D’autant plus regrettables sont les erreurs telles que les données biographiques selon lesquelles il aurait soutenu deux thèses en 1938 (il n’y a eu en réalité qu’une seule soutenance, à laquelle Aron présentait les textes de deux ouvrages).

On remarquera que X, tout en ayant un contenu extensionnel (il s’agit d’un fait affirmé par les traducteurs et les éditeurs sur la biographie de Raymond Aron), est introduit sous une forme intensionnelle qui insiste sur le côté qualitatif (takix biograficeskix svedenij). Essayons de mettre en évidence le mécanisme contextuel qui explique l’apparition de vrode dans ce contexte :

i) En disant que la traduction du texte est bien faite, on a tendance à croire que la classe des « fautes sémantiques de traduction » est vide.

ii) Or, contrairement à cette représentation première (souhaitable pour l’énonciateur), il y a X qui ne permet pas de croire que la classe est vide (car X à lui seul suffirait pour dire que cette classe existe). iii) Par conséquent, puisqu’il y a X, on peut supposer qu’il y a d’autres termes dans cette classe (car l’énonciateur ne prétend pas avoir relevé toutes les erreurs dans le texte).

iv) Le prédicat associable à Y signifie que l’existence de cette classe ne correspond pas aux attentes de l’énonciateur.

(5) Preimušþestvo na vkljuþenie pered takimi vnešnimi zaimstvovanijami imejut, na moj vzgljad, zaimstvovannye slova, tesnee svjazannye s tradicionnoj kul’turoj i otražajušþie mežnacional’nye kontakty v tradicionnyx ramkax staroj Rossii. Zdes’ sluþajutsja - priþëm ne u odnogo tol’ko Fasmera s ego vosemnadcat’ju tysjaþami slovarnyx statej, no takže u Dalja s ego dvuxsottysjaþnym slovarnym zapasom, a takže i v drugix, sovremennyx nam slovarjax - zanjatnye propuski vrode otsutstvujušþego, no vpolne real’nogo (i ne takogo už redkogo !) slova basturma ‘mjaso, prigotovlennoe vprok osobym sposobom’, kotoroe ja tak nigde i ne našël ; reþ’ idët o slove tjurkskogo proisxoždenija. (O. Trubaþev, Posleslovie k ÈSRJA : I, 571-572)

Par rapport à ces emprunts extérieurs, les emprunts qui sont plus étroitement liés à la culture traditionnelle et reflètent les contacts inter-ethniques dans le cadre traditionnel de la vieille Russie, sont à mon avis prioritaires. Il arrive, non seulement chez Vasmer avec ses dix-huit mille entrées lexicales, mais aussi chez Dal’, dont le vocabulaire atteint deux cent mille mots, qu’il y ait dans ce domaine de curieuses omissions, comme c’est le cas du mot basturma ‘sorte de viande préparée pour conservation’, mot absent, mais bien réel (et qui est loin d’être rare). Ce mot, je n’ai pu le trouver nulle part ; il s’agit d’un emprunt aux langues turciques.

Il est significatif que la classe associable à Y soit d’emblée définie négativement : il s’agit de la classe de toutes les omissions, de tous les oublis que présentent les dictionnaires, concernant certains mots (mots intéressants du point de vue historico-culturel, selon l’énonciateur). En même temps, l’énonciateur n’affirme pas avoir recensé toutes les omissions.

Précisons aussi que syntaxiquement, on peut considérer qu’on a affaire à une ellipse, cf. : (5’) ... zanjatnye propuski vrode [propuska] slova basturma.