• Aucun résultat trouvé

Non-prise de position : « Réponse évasive »

VRODE EN TANT QUE PRÉPOSITION LIÉE À L’APPROXIMATION

5.3. Principaux types de contextes avec vrode particule

5.3.4. Non-prise de position : « Réponse évasive »

dans la mesure où selon l’énonciateur, la vérification de la validation de X n’a pas lieu d’être. L’énonciateur se positionne en « hors XX’ ». Cette configuration correspond à des contextes dialogiques, où l’état de choses X est en quelque sorte préconstruit, car X est supposé par la question de S1. Ce que S1 attend de l’énonciateur dans la plupart des cas, c’est la simple confirmation de l’état de choses X. D’une certaine manière, S1 considère l’énonciateur comme obligé de confirmer X. En répondant à la question (ou à un énoncé à forme non-interrogative, mais appelant une réaction) de S1 supposant X, l’énonciateur répond par vrode X, considérant que l’état de choses réel X est indiscernable de la classe d’états de choses

Y, mais que cette indiscernabilité peut être remise en question dans la mesure où l’énonciateur se place en position hors altérité XX’.

Ce mécanisme donne des effets de sens proches de ce que l’on pourrait appeler la « réponse évasive ». Bien entendu, les contextes réels peuvent être assez différents : soit l’énonciateur est absolument sûr de X, qui est une vérité générale, un préconstruit ; soit l’énonciateur n’est pas sûr de X, mais il ne se soucie que très peu de savoir si c’est X ou X’ ; ou bien encore l’énonciateur ne veut pas se lancer dans la discussion sur X/X’. Les contextes du type « réponse évasive » se laissent diviser en trois groupes selon les effets de sens observés en surface : 1) confirmation ; 2) réponse ; 3) pseudo-acquiescement.

Par ailleurs, ces trois groupes se caractérisent par des particularités d’ordre plus formel : 1) X reprend littéralement la formulation de la question de S1 ;

2) X ne reprend pas la formulation de l’énoncé de S1 qui n’est pas une véritable question : il y a reformulation ;

3) X ne reprend pas la formulation de la question : X est un simple acquiescement.

On peut dire (en simplifiant les choses) que le caractère évasif de la réponse vrode X, peu marqué en 1, s’accroît en 2 et devient très marqué en 3.

5.3.4.1. Confirmation

Cf. le contexte suivant : (43) (Les préparatifs à une expédition)

Nado bylo ne zabyt’ spiþki, sol’, nožik, topor... V nosu lodki svaleny seti, nevod, fufajki. Est’ xleb, kartoška, kotelok. Est’ ruž’ë i tugoj, tjazëlyj patrontaš. – « Nu, vsë ? » - « Vsë vrode... » (ŠukR : 316)

Il fallait penser à prendre des alumettes, une hache, du sel, un couteau... Notre barque est chargée de filets de pêche, de sennes, de vareuses. Il y a du pain, des pommes de terre, une marmite. Il y a un fusil et un lourd cartouchier bien rempli. – « Alors, tout est là ? » - « Tout est là, on dirait... »

L’énonciateur ne semble pas douter de ce qu’il dit : l’énonciateur est quasiment certain que tout l’équipement nécessaire est dans la barque, car il vient d’en faire l’inventaire. Le caractère évasif de la réponse est peu perceptible. Vrode fait davantage figure d’une simple précaution discursive. Ici, la traduction de l’énoncé comportant vrode n’est pas aisée. L’effet de sens est proche de l’’évidence’ (« Cela va de soi, pas de doute! »). Concernant la position de vrode, remarquons que vrode vsë... serait possible, mais aurait un sens légèrement différent : cette réponse serait moins confirmative, cf. : (Da)16

vrode vsë, no ne pomnju, položil li nožik v rjukzak. La postposition de vrode indique que pour l’énonciateur, X correspond à un préconstruit.

5.3.4.2. Pseudo-réponse : « Laissez-moi tranquille »

Voici un contexte où la réponse est introduite par un da d’acquiescement. On remarquera cependant que l’énoncé de S1 n’est pas une véritable question, mais que cet énoncé demande la réaction de l’énonciateur :

(44) (N. S. essaie de savoir comment va A., mais A. ne lui raconte rien sur sa vie)

- « Ty podxamlivaeš’, - radostno voskliknul Nikolaj Sergeeviþ, - znaþit, u tebja vsë v porjadke ! » - « Da, vrode nalaživaetsja », - sumraþno otvetil Andrej, i nejasno bylo, þto on imeet v vidu : svoju zaputannuju žizn’ ili rabotu. Nesmotrja na dolguju družbu s Andreem i bol’šoe želanie znat’ pravdu, Nikolaj Sergeeviþ iz obyþnoj svoej delikatnosti ne stal niþego utoþnjat’ . (ILG : 125)

– Tu commences à être grossier, - s’exclama Nikolaj Sergeeviþ joyeusement, - ça veut dire que tout va bien bien pour toi! - Oui, on dirait que ça s’arrange, - répondit Andrej d’un air morose, sans qu’on pût comprendre ce qu’il avait en vue : sa vie peu ordonnée ou son travail. Malgré sa longue amitié avec Andrej et son fort désir de savoir la vérité, Nikolaj Sergeeviþ, par son habituelle délicatesse d’âme, ne voulut pas insister pour obtenir des détails.

Cet exemple est assez caractéristique : S1 attend de l’énonciateur des détails concernant sa vie, sans cependant l’y obliger (car ce n’est pas un interrogatoire, cf. le contexte). D’une certaine manière, la réponse de l’énonciateur est une non-réponse, car elle n’apporte pas les précisions que S1 souhaite obtenir. C’est une façon de couper court à une conversation que l’énonciateur n’a aucune envie de poursuivre. Dans certains exemples, le locuteur imite la forme dialogique (question - réponse). On a dans ce cas des « fausses » questions et réponses. Cf. (la proposition précédant l’énoncé comportant vrode est syntaxiquement proche d’une question que l’on se pose à soi-même) :

(45) - « Da, - skazal djad’ka, pomolþav, - mog by ja byt’ ne to þto rabotnikom prilavka - kem ugodno mog byt’ ; da tak kak-to vremja provël. » - « A zaþem že vy ego zrja provodili ? - skazala tëtja Paša snisxoditel’no. - A vy by provodili ne zrja, luþše b bylo. » - « Sejþas þto govorit’, - skazal djad’ka, - posle vsex proisšestvij. Sejþas govorit’ vrode ni k þemu. Nu, spasibo vam, tëtja. Pojdu dopilju ». (PS : 107)

– « Oui, dit l’homme après un bref silence, - j’aurais pu devenir non seulement vendeur, j’aurais pu avoir n’importe quel métier ; mais je n’ai fait rien de bon durant ma vie. » - « Pourquoi n’avez-vous donc fait rien de bon ? - demanda la tante Paša avec condescendance. – Cela aurait été mieux si vous aviez fait quelque chose de bien. » - « A quoi bon en discuter maintenant, - dit l’homme, - après tout ce qui est arrivé. En discuter maintenant, (vrode) ça ne sert à rien. Merci, ma petite dame. Je vais finir de scier mon bois. »

Il est à remarquer que ce contexte est lié, comme le précédent, au désir de l’énonciateur de couper court à la discussion (qui lui est désagréable, car elle concerne son passé de délinquant). Mais dans ce cas, c’est l’énonciateur lui-même qui fait la réplique finale qui lui permet de sortir du débat. Dans le même temps (cf. sejþas), l’énonciateur suppose que dans d’autres conditions (par exemple, autrefois, avant que l’énonciateur ne s’écartât du droit chemin), cette discussion aurait pu avoir un vrai intérêt.

La particularité de ces contextes est que l’énoncé précédent vrode X n’est pas une véritable question (du point de vue de la forme, ou du point de vue du statut de S1 qui coïncide avec l’énonciateur). Par conséquent, l’énonciateur n’est pas obligé de répondre. L’énoncé avec vrode est un moyen de sortir de la conversation. On notera que le remplacement de vrode par un autre opérateur est difficile ou impossible (cf. ??kažetsja, *poxože, *požaluj). En revanche, l’omission de vrode est plus facile dans ces contextes que dans ceux du 5.3.4.1 ou de 5.3.4.2. D’une certaine manière, vrode est plus redondant ici.

5.3.4.3. Pseudo-acquiescement

Certains contextes, quoique proches des précédents, présentent une particularité. La situation y est telle que l’énonciateur se voit obligé de répondre. Par ailleurs, S1, croyant savoir à l’avance la vérité, lui impose une certaine réponse. A la différence de 5.3.4.1. où l’énonciateur confirme réellement X (car il le choix), dans ce cas, l’énonciateur ne confirme que par obligation, car S1 ne lui laisse aucun choix (c’est parfois un effet « acquiescement arraché »).

A la différence de 5.3.4.2 (où l’énonciateur ne disait rien de concret, c’était une réponse « passe-partout »), l’énonciateur donne la réponse que S1 souhaite obtenir. Dans ce type de contextes, les effets de sens de vrode sont proches de požaluj. Cf. :

(46) - « Ty vrag. A s vragami u nas, znaeš’, kakoj razgovor ? » - « Smotrja komu vrag », - budto ne podozrevaja vsej ser’ëznosti svoego položenija, tixo, no tvërdo vozrazil starik. - « Svoim. Russkim ». - « Svoim ja ne vrag ». Starosta uprjamo ne soglašalsja, i èto naþinalo razdražat’ Rybaka. Ne xvatalo ešþë dokazyvat’ ètomu prislužniku, poþemu tot - xoþet togo ili net - javljaetsja vragom sovetskoj deržavy. Vesti s nim takoj razgovor Rybak ne imel nikakogo želanija i sprosil s ploxo skrytoj izdëvkoj : - « ýto, možet, siloj zastavili ? Protiv voli ? » - « Net, zaþem ze siloj », - skazal xozjain. - « Znaþit, sam ». - « Kak skazat’. Vrode tak ». « Togda vsë jasno, - podumal Rybak, - ne o þem i razgovarivat’ ». (VS : 19)

– « Tu es un ennemi. Et tu sais comment nous traitons les ennemis ? » - « Il faut voir, ennemi de qui... », - objecta le vieil homme d’une voix basse mais ferme, comme s’il ne se rendait pas compte de toute la gravité de sa situation. – « Des nôtres. Des Russes. » - « Je ne suis pas l’ennemi des nôtres ». Le staroste s’obstinait à nier, ce qui commençait à irriter Rybak. Il n’était pas question de prouver à ce collaborateur pourquoi il était l’ennemi de l’Etat soviétique, qu’il le voulût ou non. Rybak n’avait aucune envie de poursuivre avec lui une conversation de ce genre, et il lui demanda avec un sarcasme à peine dissimulé : - « Eh bien quoi, on t’avait peut-être forcé ? Contre ta volonté ? » - « Non, pas vraiment forcé », - dit le staroste. – « Alors, tu l’as fait de ton plein gré. » - « Comment dire... On va dire que c’était ça. » Rybak pensa : « Tout est clair, ce n’est pas la peine d’en discuter ».

L’exemple (46) est intéressant dans la mesure où l’énonciateur ne cherche pas vraiment à savoir la vérité : pour lui, tout est clair à l’avance (« Le staroste est un traître, un ennemi »). Par ailleurs, les interlocuteurs opposent deux logiques différentes. Pour Rybak, qui est un résistant combattant les Allemands en Biélorussie, tout est parfaitement tranché : ceux qui se battent ouvertement contre les Allemands, sont « les nôtres », tous les autres (y compris le staroste, qui a accepté de collaborer avec les Allemands pour pouvoir aider les gens de son village à survivre) sont « des ennemis ». De même, on ne peut accepter de collaborer, selon lui, que dans deux cas opposés : soit sous la contrainte et les menaces, soit de plein gré.

Dans le second cas, aucun doute ne serait permis : il s’agit d’un « traître ». Par conséquent, le staroste est un traître. Mais pour le staroste, un vieux paysan qui connaît bien la vie, la situation est beaucoup plus complexe, plus nuancée. Il ne peut pas choisir simplement entre « j’ai accepté sous contrainte » et « j’ai accepté de mon plein gré ». Or il se rend très bien compte que Rybak, homme intransigeant et un peu borné, ne comprendrait pas son raisonnement. De plus, il n’a aucune envie de discuter avec lui. C’est pourquoi dans sa réponse, il se met en dehors de l’altérité qui lui est imposée par Rybak. On remarquera également un élément discursif qui insiste sur l’impossibilité pour l’énonciateur de choisir entre X/X’ (kak skazat’).

Voici un exemple un peu différent, mais qui malgré sa proximité apparente avec 4.1, relève à notre avis du même mécanisme que l’exemple précédent. On notera que S1 (un journaliste chevronné, initiant l’énonciateur aux secrets du métier) ne cherche pas à savoir une quelconque vérité. Il est persuadé que l’énonciateur éprouve exactement le même sentiment que tous les autres journalistes débutants, lorsqu’ils voient pour la première fois leur papier imprimé dans le journal.

Dans ce sens, la question de S1 n’est pas une demande de confirmation : il sait à l’avance que l’énonciateur ne peut pas répondre autrement. On peut dire aussi que l’énonciateur a la conviction d’exprimer tout haut ce que S1 ressent intuitivement sans pouvoir le formuler. Cf. :

(47) Svoju zarisovku v gazete on bez konca pereþityval, ona kazalas’ emu þuzoj i ètim pritjagivala kak magnit : on þital i þital, pytajas’ udostoverit’sja, þto èto soþineno im. Napeþatannye slova byli nepoxoži na napisannye ot ruki, každoe slovo stalo vypuklym, gromkim, ego budto vynesli na jarkij svet. Sevast’janov zametil èto sam, i to že skazal emu Vadim Železnyj. – « Oni otpali ot vas i zažili otdel’noj žizn’ju, ne pravda li ? » - « Da, vrode », - podtverdil Sevast’janov. (PSR : 68)

Il lisait et relisait sans cesse son reportage dans le journal, le texte lui semblait être écrit par un autre, ce qui justement l’attirait : il lisait et relisait, essayant de s’assurer que cela avait été rédigé par lui-même. Les mots, une fois imprimés, ne ressemblaient plus aux mots manuscrits. Chaque mot avait pris du relief, se faisait entendre, comme si on l’avait sorti au plein jour. Sevast’janov le remarqua lui-même, et

Vadim Železnyj lui dit la même chose : - Les mots se sont détachés de vous et mènent désormais leur propre existence, n’est-ce pas ? - Oui, c’est un peu ça, - confirma Sevast’janov.

L’énonciateur accepte la formulation de S1 (donnée sous forme de question ) comme étant proche de ce ce qu’il pourrait dire lui-même à propos de ce qu’il ressent en voyant imprimé son premier article (cf. : Da, vrode togo / ètogo, avec un sens proche).