• Aucun résultat trouvé

Certaines contraintes caractéristiques et leur explication

VRODE EN TANT QUE PRÉPOSITION LIÉE À L’APPROXIMATION

2.3. Certaines contraintes caractéristiques et leur explication

Plusieurs cas de figure sont envisageables selon le sémantisme de Y (substantif générique avec des degrés d'individuation / pronom indéfini) et de X (substantif moins générique que Y, avec des degrés d'individuation) :

- X et Y renvoient à des êtres animés :

(i) Ja uvidel (kakuju-to) sobaku vrode lajki ... / (kakoe-to) životnoe vrode sobaki / kakogo-to þeloveka vrode dvornika, / nasekomoe vrode muxi etc ‘J’ai vu un chien genre husky / un animal genre chien / un homme genre concierge / un insecte genre mouche’ ;

- X et Y renvoient à des substances inanimées ou considérées comme telles. Y est un substantif :

(ii) Ja našël grib vrode gruzdja / kakoj-to grib vrode gruzdja / rastenie vrode klevera, etc. ‘J’ai trouvé un champignon genre lactaire / une plante genre trèfle’.

- X et Y renvoient à des substances inanimées ou considérées comme telles. Y est un indéfini :

(iii) Ja uvidel þto-to vrode gruzdja / klevera // skaly / kusta, etc. ‘J’ai vu quelque chose comme un lactaire / un trèfle // un rocher / un buisson’.

1° Animé / inanimé.

Il est significatif que les énoncés (ii) soient facilement paraphrasables en énoncés du type (iii) où Y correspond à un indéfini, alors que le les énoncés (i) ne le sont pas, cf. : Ja uvidel ?þto-to vrode kota / sobaki / lajki / ??þto-to / ??kogo-to vrode dvornika / rebënka.

- Première explication : Lorsque X est un animé hautement individuable, X est considéré dans le cadre de l’opération comme exemplaire de rien, et il peut difficilement fonder une classe telle que Y.

27 Dans certains exemples tirés de textes contemporains, cette construction avec vrode apparaît dans une question directe. Cf. :

ɇɚɦɟɪɟɧɵ ɥɢ ɜɵ ɜ ɞɚɥɶɧɟɣɲɟɦ ɡɚɧɢɦɚɬɶɫɹ ɱɟɦ-ɥɢɛɨ ɟɳë, ɜɪɨɞɟ ɚɜɢɚɛɢɡɧɟɫɚ? [Ȼɨɪɢɫ Ɇɭɪɚɞɨɜ.

ȼɨɫɫɬɚɜɲɢɣ ɢɡ ɚɞɚ (2001) // «Ɏɨɪɦɭɥɚ», 2001.11.15] – Avez-vous l’intention de vous consacrer à l’avenir à quelque chose d’autre, genre business aérien ?

Il convient de noter aussi la présence de ešþë ‘encore’ qui module þem-libo et entraîne le détachement syntaxique (virgule devant vrode).

- Autre explication: si Y est un indéfini inanimé (þto-to), cela suppose que dans un premier temps Y est considéré comme un exemplaire de la (macro)classe (extrêmement vaste) des non-animés ou assimilés. Or, cette caractérisation de Y étant sémantiquement insuffisante et/ou pas assez précise, on reconsidère Y comme étant exemplaire d’une (sous-)classe fondée sur X. Quant on dit classe fondée sur X, cela suppose qu’il reste une certaine marge entre Y et X, ce dernier pris comme le « prototype » de la classe. Par exemple, dans (ii) : ce que j’ai trouvé (un champignon) a des propriétés non explicitables par moi, donc je le reconsidère comme exemplaire d’une sous-classe de champignons dont le lactaire constitue le prototype, mais ce n’est pas à proprement parler un lactaire.

Cette configuration devient difficile si X renvoie à un animé (animal ou humain). Pourquoi ne peut-on pas avoir un indéfini animé (kto-to) à la place de Y ? Lorsqu’on a kto-to dans un énoncé (cf.

Za stenoj kto-to zašumel ‘Quelqu’un derrière le mur a commencé à faire du bruit’), ce pronom s’interprète habituellement comme renvoyant à un humain, non à un animal. Cela exclut donc les animaux. Pour expliquer le caractère contraint du syntagme ??kto-to vrode dvornika / rebenka, il convient de souligner le fait que kto-to s’interprète généralement comme ‘une personne dont les propriétés ne sont pas explicitées mais sont explicitables’, cf. :

(iv) Tebe kto-to zvonil = Tebe zvonil odin þelovek, imja kotorogo ty legko smožes’ uznat’, esli on perezvonit ‘Quelqu’un t’a appelé au téléphone’ = ‘Une personne t’a appelé, et tu pourras savoir de qui il s’agit si elle te rappelle’.

Par conséquent, avec kto-to, la marge entre Y et X n’est pas assez importante pour avoir vrode. Autrement dit, kto-to confère à Y une caractérisation sémantiquement (presque) suffisante. Ja vstretil ??kogo-to vrode dvornika est contraint, car il impose une lecture du genre : ‘J’ai rencontré une personne dont les propriétés, sans être explicitées, sont explicitables, mais je dis en même temps que certaines de ses propriétés ne sont pas explicitables par moi, ce qui m’oblige à reconsidérer Y comme ... etc.’. Il y a donc une contradiction. En revanche, Ja vstretil kakogo-to þeloveka vrode dvornika sera beaucoup plus facile, car Y est construit de telle façon qu’on résorbe la contradiction: ‘J’ai rencontré une personne dont je dis tout de suite qu’elle a des propriétés non explicitables par moi, ce qui m’oblige à reconsidérer Y comme... etc.’

2° Degré d’individuation. Il est à noter que

(v) Ja vstretil þeloveka vrode dvornika (avec omission de kakoj-to) est contraint, alors que (vi) Ja vstretil sobaku vrode lajki

est normal. La raison tient au dégré d’individuation des humains et des chiens. Les chiens sont peu individués ; mais par ailleurs, ils sont divisés en races.

Remarquons que

(v’) ?Ja vstretil þeloveka est bizarre, alors que (vi’) ne l’est pas : (vi’) Ja vstretil sobaku.

Le fait est que (vi’) s’interprète naturellement comme ‘J’ai rencontré un chien d’une certaine race, d’un certain type’. Cette interprétation ne vaut pas pour (v’), à cause du haut degré d’individuation des humains et de l’absence de toute classification préétablie concernant les humains. Pour débloquer (v’), il faut un indéfini qui implique que Y a des propriétés non-explicitables, comme

kakoj-to qui introduit une sorte de perplexité : « Y a des propriétés telles que je ne peux pas le rattacher immédiatement à un prototype ou à une catégorie socio-professionnelle ».28

Pour des raisons analogues, (vii) Ja vstretil ??pisatelja vrode romanista est contraint, car déjà (viii) Ja vstretil ?pisatelja est bizarre.

Même avec kakoj-to, (vii) reste mauvais : (vii’) Ja vstretil ??kakogo-to pisatelja vrode romanista,

car en ce qui concerne les écrivains, les genres littéraires ne constituent pas une classification

28 A propos de la valeur d’« étrangeté » concernant kakoj-to, cf. Ch. Bonnot, « L’étude des indéfinis dans une théorie de l’énonciation ». - III Colloque de linguistique russe. P.: IES, 1983, pp.11-24.

stricte (un même écrivain peut s’illustrer dans plusieurs genres). Par ailleurs, ce sont les qualités individuelles des écrivains (talentueux ou non, classiques ou modernes, etc.) qui priment. Il est donc difficile d’imaginer un écrivain ayant des propriétés non explicitables telles qu’il faut le reconsidérer comme étant exemplaire d’une sous-classe d’écrivains dont romanist constitue le prototype. Autrement dit, dans (vii’), il n’y a pas pas de place pour la perplexité : la perplexité ne va pas naître du rapport de Y à telle ou telle sous-classe des écrivains. En revanche, la perplexité peut naître du rapport de Y à la classe même des écrivains (cf. kakoj-to pisatel’ vrode žurnalista).

Ce qui est important, c’est que les humains sont en général plus individuables que les animaux, lesquels sont plus individuables que les plantes et les objets inanimés, etc. Il y a donc une graduation dans l’individuation. Si l’on reprend le principe de l’arbre de Porphyre (dans une modification qui en est proposée par Stepanov 1981: 76), on constate que le degré d’individuation augmente de 1 vers 2, de 2.1 vers 2.2 et ainsi de suite:

0. Tous les noms substantifs 1. Métasignes / 2.<Objets> (Non-objets) 2.1. Non-vivants / 2.2. <Vivants> («Choses») 2.2.1. Inanimés / <Animés> («Plantes») 2.2.2.1. Non-personnes / 2.2.2.2. <Personnes> («Animaux») («Humains») Notons également que le pluriel de Y est quelquefois difficile, cf. :

(ix) Ja vstretil ?sobak vrode lajki ‘J’ai rncontré des chiens genre huskys’.

Le caractère contraint de (ix) tient au fait que dans la réalité, il est rare de rencontrer un groupe de chiens semblables et présentant des particularités communes telles que l’on ne peut pas rattacher immédiatement ces chiens à une race ou à une sous-classe précise. Si l’on imagine la possibilité d’une telle rencontre, (ix) serait moins contraint. Par ailleurs, le pluriel de X avec un Y au singulier est carrément impossible dans cette configuration, puisque X serait considéré non comme fondant une classe suffisamment floue dont Y peut être exemplaire, mais comme renvoyant directement à une classe bien définie (préconstruite, homogène) dont Y par définition ne peut pas être exemplaire. Cf. : (ix’) Ja vstretil *sobaku vrode laek.

Autrement dit, dans ce cas, le pluriel de X signifierait que la classe associable à X est pré-construite, ce qui est contraire à l’opération où la classe est construite sur la base de X dans le cadre de la problématique de l’exemplarité mise en place par vrode. Il est intéressant que s’agissant des insectes, on puisse facilement avoir Y au pluriel, et même X au pluriel. Cf. :

(x) V uglu ja uvidel nasekomoe / nasekomyx vrode tarakana / nasekomyx vrode tarakanov ‘Dans un coin, j’ai vu un insecte / des insectes du genre de cafard / des insectes du genre de cafards.

Les insectes sont d’une part moins individuables que les chiens. D’autre part, on a l’habitude de voir certains insectes, comme par exemple les cafards, par groupes de spécimens habituellement considérés comme indistinguables. C’est pourquoi ici Y, même au pluriel, est suffisamment singulier sémantiquement.

Pour conclure, concernant les contextes analysés dans ce chapitre, on peut constater que la valeur d’« approximation » n’est pas inhérente à vrode lui-même, mais qu’elle est le produit de différents facteurs contextuels. Cette valeur, qui suppose certaines conditions contextuelles, s’explique de la façon suivante : dans la mesure où Y est défini comme une occurrence difficile / impossible à spécifier (ou à rapporter à quelque notion que ce soit), le fait de l’associer à une classe basée sur X

tend à s’interpréter comme une dénomination par approximation ; Y n’est une occurrence de la classe fondée sur X que « par défaut », « faute de mieux ».

CHAPITRE III

VRODE EN TANT QUE PRÉPOSITION LIÉE À LA COMPARAISON

Il s’agit d’un groupe d’emplois que l’on peut réunir, de façon certes conventionnelle, sous l’étiquette « comparaison ». Parmi les principaux types syntaxiques, on trouve les suivants :

(a) Gazeta byla malen’kaja, vrode dekreta 1 ‘Le journal était petit, comme un décret’ ; (b) Ona byla ej vrode sestry ‘Elle était pour elle comme une soeur’.

Il s’agit de contextes où vrode se laisse paraphraser (mutatis mutandis) par kak, slovno ou

napodobie. Remarquons que les deux derniers marqueurs sont plus sélectifs : il y a des contextes où vrode

ne peut pas être remplacé par slovno, mais peut être remplacé par napodobie (cf. a), et d’autres contextes où le rapport est inverse (cf. les contextes de type (b)). En tout cas, dans tous les exemples relevant de ce type d’emplois, vrode peut être remplacé, avec plus ou moins de facilité, par kak.