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Aperçu des données lexicographiques concernant vrode dans le russe moderne

Quoique la critique du traitement lexicographique du lexème vrode ne constitue pas notre propos principal, il peut être intéressant de voir la description de vrode dans les principaux dictionnaires de la langue russe : cela pourrait être une façon de se rendre compte des problèmes qui se posent dans le cadre d’une description systématique de ce marqueur qui fait l’objet de notre étude.

Le mot vrode est curieusement absent du Slovar’ russkogo jazyka (dir. Ja. Grot, T.1, 1895, lettres A-Ȼ-ȼ-Ƚ)27. Notons que l’édition de cet important ouvrage lexicographique avait été entreprise par l’Académie des Sciences de Russie, sous la direction de Ja. Grot, sur les principes d’un dictionnaire normatif. Cela peut expliquer l’absence de vrode : probablement, le mot a été jugé par les auteurs insuffisamment normatif. Pourtant, dans l’article consacré à la préposition v, on trouve l’exemple v ètom rode ‘dans / de ce genre’.

On constate aussi que vrode est absent du très riche Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka de V. Dal’ (1re édition 1863-1866, 2e édition 1880-1882, 3e édition, retravaillée sous la dir. de I. Baudoin de Courtenay, 1903-1911), y compris de l’article traitant du mot rod. Cela est peut-être explicable : il ne faut pas oublier que ce dictionnaire s’attache à décrire le russe traditionnel du XIXe s. compte tenu de son usage populaire et dialectal.

La première attestation de vrode dans les dictionnaires russes est due au Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka (dirigé par D. Ušakov), T.1-4, M., 1935-1940. L’article sur vrode proposé par D. Ušakov est assez laconique :

« Vrode : Préposition régissant le cas génitif. S’emploie pour marquer la similitude, la ressemblance avec qqn ou qqch. ». Cf.. :

(1) On vrode tebja : ne ljubit rabotat’. ‘Il est comme toi : il n’aime pas travailler’ ;

(2) Ja vstretil sobaku vrode moej ‘J’ai rencontré un chien ressemblant au mien / du même genre que le

25 Nous utilisons ce terme proposé par G. Lazard (Lazard 1956) pour le tadjik (dont le système verbal est riche en marqueurs épistémiques qui renvoie à la source des faits relatés par le locuteur), terme repris ensuite par Z. Guentchéva, concernant les notamment modes « médiatifs » (dits aussi renarratifs) du bulgare (Guentchéva 1989, 1996). En anglais, on utilise parfois le terme data-source marking ou evidentiality (voir Plungjan 2000 : 321-322).

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«Ɍɚɦ, ɜɩɟɪɟɞɢ, ɜɪɨɞɟ ɩɨɬɢɲɟ ɛɭɞɟɬ… » ʊ ɩɪɢɛɚɜɢɥ ɨɧ, ɩɨɦɧɢɬɫɹ, ɬɨɠɟ ɧɟ ɫɜɨɢɦ, ɪɨɜɧɨ ɩɪɨɫɬɭɠɟɧɧɵɦ ɝɨɥɨɫɨɦ, ɯɨɬɹ ɜɟɬɟɪ ɤ ɬɨɦɭ ɜɪɟɦɟɧɢ ɩɨɱɬɢ ɭɬɢɯ, ɚ ɧɟɛɨ ɫɬɚɥɨ ɡɚɬɹɝɢɜɚɬɶɫɹ ɬɟɩɥɨɣ ɦɝɥɨɣ. [Ʌ. Ɇ. Ʌɟɨɧɨɜ. ȼɨɪ. ɑɚɫɬɢ 1-2 (1927)] – « Là, plus loin, on sera probablement à l’abri du vent... », - ajouta-t-il, comme il se rappelait, d’une voix étrange qui ne semblait pas la sienne, d’une voix comme enrouée, quoiqu’en ce moment-là, le vent fût presque tombé et que le ciel commençât à se couvrir d’un voile qui annonçait un temps plus doux.

27 On rappellera que l’édition du dictionnaire a été reprise au début du XXe siècle par A. Šaxmatov, sur des principes différents (dictionnaire non-normatif) : t. 2, 1907 (E-ɀ-Ɂ), t. 4 (K). L’ouvrage n’a jamais été achevé ; le dernier volume, s’arrêtant à la lettre O, est sorti en 1937.

mien / d’une race proche de celle du mien’.

Ensuite, le dictionnaire note : « S’il ne régit pas le génitif, vrode s’emploie devant des énumérations au sens de conjonction explicative : kak-to, a imenno, cf. :

(3) Starinnye slova, vrode ljuboþestie, spokojstvo, v našem slovare ne pomešþeny ‘Les mots anciens, comme / tels que ljuboþestie ‘ambition’, spokojstvo ‘tranquillité’, n’apparaissent pas dans notre dictionnaire’.

Il est à souligner que Ušakov ne fait pas état de vrode employé comme particule. Le dictionaire signale seulement, à la fin de l’article, l’expression (annotée comme « populaire ») vrode kak, avec la valeur de ‘kak budto’ (‘comme si’). Cf. : Posle bolezni menja šatalo vrode kak p’janogo

‘Après ma maladie, j’avais une démarche chancelante, comme si j’étais ivre’.

En outre, on s’aperçoit d’une chose intéressante et un peu inattendue : les exemples qui illustrent vrode préposition ne sont pas tirés de textes littéraires, et ils sont censés refléter l’usage vivant. Les deux exemples cités (1, 2) sont liés à une certaine négativité (en tout cas, au bas degré dans une échelle de valeurs) : normalement, le fait de rencontrer un chien dans la rue est moins positif que, par exemple, le fait de rencontrer un acteur célèbre. On pourrait se demander en effet, si la présence de ce type d’exemples est due à une particularité sémantique : la présence dans le contexte d’une forme de négativité28. Remarquons que cette caractéristique ne ressort pas des données des autres dictionnaires analysés ci-dessus (parus ultérieurement).

Le dernier paru des grands dictionnaires russes, Slovar’ sovremennogo russkogo literaturnogo jazyka (en 20 volumes), dont la 2e édition, revue et mise à jour, est publiée depuis 1991 (éditions « Russkij jazyk », Moscou), propose dans son tome 2 (1991) un article, de taille assez modeste, sur

vrode. On y distingue trois emplois :

1. Préposition régissant le cas génitif, avec la glose : « napodobie kogo-, þego-libo, kak kto-,

þto-libo » (‘à la manière de qqn, qcch., comme qqn, qqch.), cf. :

(4) [Steny] byli vykrašeny kakoj-to goluben’koj kraskoj, vrode seren’koj. (N. Gogol’, Mërtvye duši) - Les murs étaient peints d’une espèce de peinture bleu clair, comme grise / tirant sur le gris29.

Autre exemple proposé pour illustrer cet emploi :

(5) On i byl, po xarakteru-to, vrode rebënka. (M. Gor’kij, Detstvo) - Il était bien, par son caractère, comme un enfant.

Le dictionnaire signale ici les locutions neþto, þto-to, þem-to (etc.) vrode..., avec la glose : « à propos de qqch. qui ressemble à qqch., qui rappelle qqch. », cf. :

(6) Solneþnyj luþ na železnoj kryše sozdaët neþto vrode gornogo lednika. (M. Prišvin, Vremena goda) - Le rayon de soleil, éclairant le toit en tôle de fer, forme quelque chose comme un glacier de montagne. (7) S pervyx dnej na Severe ja pisal Kate... Èti pis’ma stali þem-to vrode moego dnevnika. (V. Kaverin, Dva kapitana) - Dès les premiers jours passés dans le Nord, j’ai écrit à Katia. Ces lettres sont devenues en quelque sorte mon journal / quelque chose comme mon journal.

2. Particule familière (en russe, razgovornaja - on notera que d’autres dictionnaires qualifient cet emploi de « populaire », prostoreþnoe), avec la glose : « s’emploie pour exprimer le caractère

28 Dans l’usage moderne, on peut très bien avoir des énoncés à contenu positif, tels que On vrode tebja : ljubit rabotat’ ‘Il est comme toi : il aime le travail’ ; Ja vstretil milogo rebënka vrode tvoego syna ‘J’ai rencontré un charmant bambin, comme ton fils’. Cependant, la négativité est bien présente dans l’exemple proposé par la nouvelle version du dictionnaire de S. Ožegov (S. Ožegov et N. Švedova. Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka. M., 1992) : On vrode tebja, takoj že þudak ‘Il est comme toi, le même genre de loufoque’.

29 Dans certaines éditions anciennes de ce texte de Gogol, on observe l’orthographe v rode. Remarquons aussi que rien n’empêche, du point de vue des emplois de vrode dans la langue contemporaine, d’interpréter seren’koj non pas comme un génitif, mais comme un instrumental accordé avec kraskoj. On aurait alors affaire à un vrode particule, et la lecture serait (avec éventuellement des changements prosodiques) du type ‘Les murs étaient peints d’une espèce de peinture bleu clair, (mais) on dirait plutôt du gris’. On s’aperçoit d’ailleurs que ces deux lectures ne sont pas tellement éloignées l’une de l’autre.

hypothétique de l’énoncé, correspond du point de vue du sens aux mots budto, kak budto, kažetsja ». Cf. :

(8) [Gajdar :] A kto ego razberët... vrode niþego, neploxoj vrode... (Arbuzov, Šestero ljubimyx) – On a du mal à le situer… mais il a l’air d’être bien, on dirait qu’il n’est pas mal…

Ici même, le dictionnaire fait état des combinaisons : vrode kak, vrode by (sans les gloser), cf. :

(9) Bulanin þuvstvoval sebja vrode kak oduraþennym. (Laptev, Put’ otkryt) - Bulanin se sentait en quelque sorte berné.

(10) Vrode by i duševnyj þelovek, i skuposti za toboj ne zameþal. A ne ležit k tebe duša. (Ofin,

Vosklicatel’nyj znak). - Tu es en apparence un homme de coeur, et je ne t’ai jamais trouvé avare. Pourtant, tu ne m’es pas sympathique.

Le dictionnaire fait ensuite état d’une expression phraséologique populaire vrode Volodi, avec la glose « o þëm-to neopredelënnom, somnitel’nom » (‘se dit de qqch. d’indéterminé, de douteux’) : (11) U Tixona Parabukina doþ’ – artistka ! Tak sebe, dumal, þto-nibud’ takoe, vrode Volodi... A nynþe smotrju - v publike razgovor ! (K. Fedin, Neobyknovennoe leto) - La fille de Tixon Parabukin est une artiste! Au début, j’avais cru que ce n’était pas sérieux, que c’était un truc bidon... Et voilà que maintenant ça fait parler !

Cette expression n’est plus usitée aujourd’hui. A notre connaissance, il s’agit d’une allusion au poème pour enfants d’Agnija Barto (1906-1981), très connu dans les années 1950 ; ce poème tournait en dérision la mode linguistique de vrode, qui irritait les russophones cultivés, ce qui rappelle d’ailleurs les réactions actuelles à la vogue du mot tipa utilisé comme particule (voir ch. VII, 7.5) :

Sprosili u Volodi : « Ty pioner ? » - « Da vrode » ‘On a demandé à Volodja : « Es-tu pionnier ? » - « Oui, on dirait ».

3. Particule familière, qui « s’emploie devant l’énumération de qqch. ; elle correspond d’après le sens aux mots kak-to, a imenno ‘à savoir’ ». L’exemple qui est donné pour illustrer cet emploi : (12) Ot neë ja nabralsja slov zamyslovatyx, vrode : « refleksy », « iniciativa », « psixologija ». (Sartakov, Gornyj veter) – Il apprit grâce à elle des mots sophistiqués, à savoir : réflexes, initiative, psychologie.

Dans l’ensemble, la présentation de vrode faite par ce dictionnaire (censé être le plus complet des dictionnaires récents) est acceptable, dans la mesure où elle ne semble pas contraire à l’intuition linguistique d’un russophone. Un linguiste russisant resterait néanmoins insatisfait. Tout d’abord, on notera une relative pauvreté d’exemples pour les acceptions 1 et 2 : les exemples cités sont fiables, mais ne reflètent pas tous les principaux types d’emplois de vrode. Même sur le plan strictement syntaxique, plusieurs interrogations surgissent. Ainsi, en se basant sur l’exemple de Gogol’ et celui de Gor’kij, on pourrait croire que vrode préposition se rapporte à un adjectif accompagnant un substantif ou à un substantif accompagné d’un adjectif, ou bien à une place dans une relation prédicative, mais non à un substantif non qualifié. On se demande aussi si l’antécédent de vrode pourrait être un adjectif en fonction d’attribut de prédicat nominal.

Sur le plan syntaxico-sémantique, on s’aperçoit que les effets de sens au niveau des constructions avec vrode ne sont pas les mêmes dans ces deux exemples.

Dans l’exemple de Gogol’ (4), il s’agit d’une peinture de couleur indéterminée, qui tirait réellement sur le gris, ou qui pourrait être réellement du gris. Or dans l’exemple de Gor’kij (5), il s’agit apparemment d’un personnage adulte que l’on compare, à cause de son caractère, à un enfant, mais qui n’était pas réellement un enfant. La valeur de vrode n’est pas tout à fait la même dans ces deux cas. On s’aperçoit également, dès qu’on approfondit un peu la réflexion, que ces exemples sont différents du point de vue des transformations syntaxiques possibles. Le premier ne peut pas être paraphrasé d’après le modèle du second, cf. :

*Kraska byla vrode seren’koj, alors que le second peut être paraphrasé d’après le modèle du premier : On byl po xarakteru naivnym, vrode rebënka.

En ce qui concerne la construction de vrode avec les indéfinis, on accepte la glose, mais on s’interroge sur l’interprétation de l’exemple de Prišvin (6). Comme il est pris hors contexte, son ambiguïté est gênante. D’une part, on peut comprendre que le toit était couvert de neige et que le

rayon de soleil transformait la neige en glace (car il faisait encore froid). D’autre part, on peut comprendre que la situation décrite n’a rien à voir avec la glace réelle, et il ne s’agit que de l’impression produite par le rayon de soleil qui se reflète sur le toit brillant par une belle journée d’été. Dans le deuxième cas, neþto vrode gornogo lednika s’interprète davantage comme une métaphore. Il est difficile de décider également si l’exemple tiré du roman de V. Kaverin) présente un emploi de

vrode qui serait identique au premier (malgré la différence au niveau des indéfinis).

Quant à l’acception 2 (vrode particule), l’exemple (8) tiré du texte d’Arbuzov (il s’agit d’une pièce de théâtre) pourrait faire croire que cet emploi de vrode ne serait typique que du discours direct qui reproduit les structures de l’oral.

Toujours dans l’acception 2, on est surpris par l’importance de la place accordée à une expression figée avec vrode : vrode Volodi (relevant du registre « populaire »). Nous avouons ne l’avoir jamais rencontré dans les textes contemporains ni entendu dans les conversations des rsussophones. Nos informateurs russes à qui nous avions demandé s’ils connaissaient cette expression, nous ont dit qu’ils ignoraient son existence. L’exemple cité par le dictionnaire (tiré de K. Fedin) ne convainc pas davantage, car il peut s’agir d’un emploi occasionnel, relevant d’un jeu de langage (du type Tu parles, Charles!), même si cette expression a pu être à la mode à une certaine époque. On pourrait également émettre des doutes sur les critères qui ont motivé le traitement de cet emploi de

vrode comme particule, donc distinct de son emploi prépositionnel : grammaticalement, vrode régit bien le génitif Volodi.

Une remarque s’impose à propos de la caractérisation stylistique de ce marqueur. On sait bien que c’est un domaine extrêmement subtil et fluctuant, et que les dictionnaires sont généralement en retard sur l’évolution des emplois réels.

Les critères stylistiques qui associent vrode particule au registre familier semblent discutables. Comme on le verra plus tard, vrode particule est assez fréquent dans les textes littéraires contemporains et dans la presse (ceci non seulement dans le discours direct des personnages, mais dans le discours de l’auteur).

Par ailleurs, en admettant que vrode soit stylistiquement marqué comme « familier », on serait tenté de croire que la différence entre, par exemple, budto et vrode soit uniquement d’ordre stylistique. Or, une telle analyse est tout à fait insuffisante, si l’on veut distinguer ces deux marqueurs.

Sans chercher à critiquer ce discours lexicographique (car tel n’est pas notre propos), on constatera que cette présentation de vrode soulève un problème essentiel (ce problème se pose d’ailleurs pour la description lexicographique de tous les mots du discours) : les gloses proposées ne permettent pas de comprendre la spécificité de vrode par rapport aux mots ayant des emplois proches, notamment par rapport aux unités citées comme équivalentes (kažetsja, budto, etc). Parfois, les conditions d’emploi de vrode ne sont pas tout à fait claires.

Si l’on compare la 2e édition du Slovar’ sovremennogo russkogo literaturnogo jazyka à sa première édition, SSRLJa-1 (en 17 volumes, 1948-65), on y trouve presque le même traitement de

vrode (t. 2, p. 810). Pourtant, il y a quelques différences qu’il serait intéressant de noter.

Tout d’abord, dans la structure de l’article correspondant : le SSRLJa-1 fait ressortir les différents emplois de vrode sans les présenter comme des acceptions distinctes.

En effet, vrode est défini surtout comme « une préposition régissant le cas génitif », avec une remarque : « Autrefois, ce mot s’écrivait séparément, en règle générale »30. Les autres emplois sont présentés comme découlant de l’emploi prépositionnel, ce dernier étant considéré comme essentiel :

« Au sens d’un adverbe, emploi populaire », avec la glose : slovno, budto, kak budto ‘comme si’. On remarquera en particulier que l’on parle ici de l’emploi adverbial de vrode, non de son emploi en tant que particule.

Deux exemples sont cités, dont voici un :

(21) Mat’ gruzno vybežala v seni i þto-to tam tronula metalliþeskoe, i vrode paxnulo moroznym vozduxom. (Fadeev, Molodaja gvardija, ch. 53) - La mère se précipita d’un pas lourd dans l’entrée et on l’entendit toucher un objet métallique, et on crut sentir une bouffée d’air froid.

30 Cette dernière remarque explique pourquoi dans l’exemple de Gogol’ (repris par la 2e édition) et dans celui de Gercen (cité plus loin) l’orthographe de vrode (v rode seren’koj) est différente de celle de la deuxième édition.

« Au sens d’une conjonction explicative ; s’emploie devant une énumération », avec la glose :

kak-to, a imenno ‘à savoir’. Cet emploi n’est illustré par aucun exemple.

Par ailleurs, il est à noter que les exemples illustrant l’emploi de vrode dans les locutions neþto / þto-to vrode ne sont pas les mêmes que ceux de la 2e édition (qui dans la plupart des cas a substitué aux exemples anciens des exemples plus récents), mais ressemblent particulièrement (au niveau du type de contexte immédiat) à ceux de la 2e édition, cf. :

(22) Volny vybili v gornoj porode neþto vrode pešþery i ispolinovyx kotlov. (Arsen’ev, V gorax Sixotè-Alinja, ch. 6) - Les vagues ont creusé dans la roche quelque chose comme une grotte et des chaudrons géants.

(23) Zapiski èti - ne pervyj moj opyt. Mne bylo let dvadcat’ pjat’, kogda ja naþinal pisat’ þto-to v rode vospominanij. (Gercen, Byloe i dumy, XII, 5) - Ces notes ne sont pas mon premier essai d’écriture. J’avais vingt-cinq ans environ, lorsque j’avais commencé à rédiger quelque chose comme des mémoires / dans le genre des mémoires.

On constate que la ressemblance avec les exemples de la 2e édition est certaine, mais que l’exemple de Arsen’ev est plus facile à interpréter que l’exemple, tout à fait analogue, de Prišvin (6).

Notons encore un détail qui peut paraître intéressant du point de vue de l’évolution des valeurs de vrode dans le russe contemporain. Le SSRLJa-1 cite la combinaison vrode kak (sans la gloser, mais avec un exemple de Saltykov-Šþedrin, dans l’orthographe ancienne : Marija Sergeevna u našego barina v rode kak èkonomka žila ‘Marija Sergeevna vivait chez notre maître en qualité de gérante’), mais la combinaison vrode by n’y apparaît pas. Dans la mesure ou seul le SSRLJa-2 fait état de vrode by, on pourrait supposer que l’officialisation de cette locution est relativement récente.

Pour compléter le tableau, analysons les données des deux éditions du dictionnaire de l’Académie dit « dictionnaire de l’Académie en 4 volumes » : Slovar’ russkogo jazyka (SRJa) dirigé par A. P. Evgen’eva, T.1-4 ; 1re éd. : 1957-61, 2e éd., augmentée et corrigée en 1981.

La structure des emplois de vrode rappelle celle du SSRLJa-2, sauf que l’emploi de vrode

particule est qualifié ici (dans les deux éditions) de « populaire », comme le fait SSRLJa-1. Concernant

vrode introduisant des énumérations, le SRJa-1 annote cet emploi comme « particule familière »), mais cet emploi n’est pas mentionné dans le SRJa-2. En revanche, les combinaisons vrode kak et

vrode by, annotées dans le SRJa-1 comme « populaires » et placées sous la rubrique des phraséologismes, apparaissent dans SRJa-2 comme une acception à part (annotée comme « particule »).

Autrement dit, le traitement de vrode particule dans le SRJa-2 est quelque peu contradictoire : si l’acception 2 présente vrode comme une « particule populaire », l’acception 3 définit vrode

également comme « particule populaire », en précisant : « souvent en combinaison avec les mots kak, by : vrode kak, vrode by ». S’agit-il de deux particules différentes vrode, ou d’une seule particule

vrode, suceptible de se combiner avec les mots tels que kak, by ? En tout cas, l’acception 3 ne propose, pour l’emploi de vrode en question, aucune glose permettant de comprendre sa différence par rapport à l’emploi de vrode présenté dans l’acception 2.

Dans le récent Dictionnaire des mots structurels de la langue russe (Morkovkin 1997 : 92), qui vise une certaine précision dans la description des unités lexicales polyfonctionnelles, vrode

apparaît sous deux entrées :

vrode1, préposition qui régit le génitif :

1. (souvent en combinaison avec les pronoms þto-to, neþto) : « est utilisée pour désigner un individu, un objet, un phénomène, etc., la ressemblance avec lequel constitue une caractéristique de l’individu ou l’objet dont il est question »31. Synonymes : tipa, napodobie. Exemples : Xarakter u neë vrode tvoego – takoj že vspyl’þivyj ‘Elle a un caractère proche du tien : tout aussi impulsif’ ; Èto bylo kakoe-to strannoe sooruženie vrode bašni ‘C’était une construction bizarre genre tour’ ; Ona vrode tebja : sama niþego ne delaet i mne ne velit ‘Elle est comme toi : elle ne fait rien et elle m’oblige à faire de

même’ ; On napisalþto-to vrode povesti, obešþal pokazat’ ‘Il a écrit une sorte de récit, il m’a promis de me le montrer’ ;

2. (familier) : « est utilisée pour désigner un individu, un objet qui, sans avoir exactement tel statut, remplit les fonctions correspondantes, joue le rôle correspondant ». Exemple : On byl mne vrode otca

‘Il était pour moi comme un père’.

vrode2, particule :

1. (familier) : « est utilisée pour donner à l’énoncé un caractère suppositif, pour exprimer l’incertitude par rapport à ce qui est dit ». Synonymes : vrode by, budto, kak budto, kak budto by, kažetsja, poxože. Exemple : Posmotri, vrode dožd’ sobiraetsja ‘Regarde, on dirait qu’il va pleuvoir’ ;

2. (populaire) : « est utilisé comme réponse en tant que confirmation hésitante en réaction à l’énoncé