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Entretiens et recueil de scénarios participatifs

4. Synthèse et analyse des « visions » recueillies

Dans les limites de cette étude, notre objectif n’était pas d’aborder le plus grand nombre possible de personnes, ou de viser une quelconque « représentativité », mais plutôt de recueillir quelques « visions » dans le détail et en profondeur, aussi complètes que possible, afin d’en saisir les logiques et les cohérences internes (et les incohérences éventuelles) de comprendre leur articulation systémique, et d’être en mesure d’en proposer ensuite des traductions « conformes » sous la forme de scénarios implémentables dans un cadre de modélisation numérique.

Nous présentons ici une courte synthèse des réponses obtenues au cours de quatre entretiens (trois entretiens individuels et un entretien collectif) effectués au cours des mois de juin, juillet, et aout 2015168. Les répondants

166 Ce qui est davantage le cas pour les entretiens collectifs, compte-tenu de la contrainte de disponibilité des participants qui invite à limiter le nombre de séances.

167 Cet effet de lassitude ne semble cependant pas avoir joué d’une séance à l’autre en ce qui concerne les entretiens que nous avons réalisés ici : les participants exprimaient une motivation constante, et nous ont plusieurs fois relancés eux- mêmes pour les entretiens.

168 Un autre entretien reflétant une vision très contrastée par rapport à celles présentées ici a été réalisé au cours de cette même période. Celle-ci se distinguait entre autres par un optimisme technologique marqué (« la technologie va suivre, ce sera une technologie "low carbone" », « espérance de vie à 150 ans », « voitures sans chauffeur d’ici 2050 », « voitures volantes », « transhumanisme », etc.), mais surtout par une forme de fatalisme que le participant exprimait à travers une notion ambigüe « d’invariants » (« l’homme est comme ça »). Ce fatalisme venant interférer à répétition avec les consignes de l’entretien (malgré de nombreuses tentatives de recadrage de l’enquêteur), il s’ensuit une certaine ambiguïté de la vision recueillie, qui ne correspond pas tant à une vision « souhaitable et soutenable » qu’à une vision jugée « inéluctable » ─ ou, autrement dit, à une pré-vision. (Une confusion que révèle particulièrement bien cette phrase extraite de l’entretien

Chapitre 3 - « Dessine-moi un futur » - Entretiens et recueil de scénarios participatifs

4 Synthèse et analyse des « visions » recueillies

103 aux entretiens individuels sont des relations de l’auteur, tandis que les participants à l’entretien collectif sont des amis de l’un des répondants aux entretiens individuels169. Les entretiens ont été réalisés pour l’essentiel par visioconférence, à l’exception de l’un des entretiens individuels, en partie réalisé en présence. Les personnes interrogées se trouvaient généralement dans un cadre familier et une atmosphère détendue (appartement personnel ou appartement d’un ami, bureau de doctorants). Les entretiens ont tous été réalisés en plusieurs séances de durées variées, allant de la demi-heure à des séances de plus de trois heures, pour une durée totale des entretiens d’environ six à dix heures.

Les entretiens réalisés par visioconférence ont été enregistrés, mais n’ont pas été retranscrits faute de temps. Les réponses ont été notées au fil des entretiens, directement dans le document Excel de support, lequel était retransmis en fin de séance aux participants. Ces derniers étaient libres de revenir sur leurs réponses, ou de demander la correction d’éventuelles notes ne leur paraissant pas retranscrire fidèlement leur propos ou leurs idées (cela n’a pas été le cas).

Les Tableau 30, Tableau 31, Tableau 32, et Tableau 33 en Annexe 1 proposent un aperçu synthétique des réponses obtenues au cours de ces différents entretiens, qui tracent les contours de ce qui représenterait a

priori, dans leur imaginaire, une transition vers une société « souhaitable et soutenable »170.

De manière générale, on soulignera les nombreuses similitudes et points communs entre les différentes « visions » exprimées. On retrouve notamment dans chacune les éléments suivants : relocalisation économique (en particulier pour les productions alimentaires, avec des circuits courts) avec maintien de l’ouverture culturelle, logique de réparation et de prolongation de la durée de vie des biens (par amélioration qualitative et réparations), de mutualisation (des équipements et des lieux de vie), le développement de l’autoproduction, de l’autoréparation, du « do-it-yourself », rôle croissant de l’économie informelle et des échanges non monétaires, importance des changements qualitatifs dans la production (dans le choix des matériaux -renouvelables- et des modes de production, idée du « moins mais mieux »), régimes alimentaires moins carnés, transition vers des énergies renouvelables, orientation vers une agriculture essentiellement « biologique », et dans l’ensemble, une tendance globale, plus ou moins forte, à la diminution des consommations de biens et services par personne.

Ces similitudes ne concernent pas seulement les réponses en elles-mêmes, mais aussi les préoccupations des participants, et les critères qui guident la logique de leurs raisonnements. Le plus souvent, ceux-ci renvoient à la question des impacts énergétiques et environnementaux171 (dont déchets, etc. ─ « on conserve ce qui a un

impact négligeable »), à une idée de préservation et de développement du lien social (« logique conviviale »,

« logique de partage »,« jouer au Monopoly en famille plutôt qu’en bourse »), à une notion d’autonomie

(exemple des services domestiques et ménagers : « […]souhaitable de ne pas avoir besoin de services pour subvenir à ses besoins », « mieux vaut passer moins de temps au boulot et faire les trucs soi-même »), et

surtout, de manière générale, à une idée d’ajustement des consommations à des « besoins » qu’il s’agirait : « ce qui va devenir rare, c’est un coin de paradis »). Le caractère très général, relativement abstrait et non-quantitatif des propos recueillis ne permettait pas, par ailleurs de traduire cette vision dans notre cadre de modélisation. Nous ne la présenterons donc pas ici. (Il ne s’agit en aucun cas d’une censure idéologique.)

169 Nous avions commencé à adopter une stratégie « buissonnante » suivant laquelle chaque contact est susceptible d’en fournir à son tour un ou plusieurs autres. Cette stratégie était efficace ; mais compte-tenu du temps nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de chaque entretien, nous nous sommes limités à un petit nombre de participants et n’avons pas eu à la poursuivre.

170 Nous précisons que les éléments qui sont rassemblés dans ces tableaux sont ceux qui nous semblent les plus pertinents pour décrire les scénarios qui seront modélisés. Pris hors du contexte de la discussion dont ils proviennent, ils peuvent ne pas en refléter l’esprit ou les valeurs sous-jacentes.

171 La préoccupation des participants pour des productions « locales » semble le plus souvent sous-tendue par la question des impacts (comme le suggère la proposition du groupe de limiter la proportion des imports en fonction de la distance de transport). Bien que le lien ne soit pas apparu explicitement dans tous les entretiens, il est également possible que cette préoccupation soit justifiée sur la base de considérations socioéconomiques, celles-ci étant exprimées à d’autres occasions (exemple : des téléphones «produits dans le respect de chartre éthique sur les conditions de travail des ouvriers ».)

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d’évaluer, et qui sont donc implicitement considérés comme finis (« ici on ne garde que ce qui est nécessaire… » - « pas besoin de 4 assiettes par personne » - «utilisation restreinte à quand il n’y a pas d’autres solutions [pour les piles électriques]», « on n’importe que ce dont on a besoin », etc.). Ce dernier aspect que les entretiens mettent en évidence s’opposant fondamentalement au postulat de besoins illimités sur lequel repose la fiction théorique de l’homo œconomicus172. La logique des raisonnements qui sous-tendent les réponses des participants se présente ainsi souvent comme une recherche de compromis entre ces différents critères173. Ces multiples similitudes sont bien sûr à mettre en parallèle avec les nombreuses caractéristiques communes des participants : ils sont tous assez jeunes (entre 25 et 40 ans), à haut degré d’éducation académique (diplômés d’une école d’ingénieur), très intéressés et concernés par les enjeux sociaux et environnementaux, plus ou moins familiers avec la notion de Décroissance, n’ont ni parent ni enfant « à charge », etc. Il n’en reste pas moins que le degré de convergence des visions recueillies (dans les propositions quantitatives autant que dans le détail et la formulation des propositions qualitatives) nous paraît remarquable. On ne saurait bien sûr prétendre que cela est révélateur de l’émergence globale d’un paradigme sur la base de ces quelques entretiens seulement. Il serait donc intéressant, à l’avenir, de poursuivre cette enquête et d’étendre la série d’entretiens à une population plus large et plus diverse.

Il nous paraît intéressant, enfin, de mentionner la difficulté des participants à exprimer leurs « visions » par le biais d’évolutions quantifiées de certaines variables. Cette difficulté découle souvent de limites cognitives que nous avons mentionnées plus haut, et de la difficulté inhérente à ce processus de traduction qui consiste à passer des idées aux chiffres ─ souvent en passant par les mots. Mais elle paraît également relever, dans certains cas, d’une forme de refus de se prononcer sur les évolutions qui seraient « souhaitables et soutenables », malgré un statut quo qui ne satisfait pas pour autant. Dans plusieurs cas (par exemple au sujet de la santé), le « souhaitable » exprimé par les participants ne consiste pas tant en une situation particulière ou en un « état des choses » bien défini, qu’en la mise en place de « réflexions collectives ». Il semblerait que l’on retrouve ici, d’une certaine manière ce paradoxe qui caractérisait déjà, selon certains, le moment de Mai 1968 : l’expression simultanée du « refus du ‘vieux monde’ et [du] rejet de la tentation de dire de quoi ‘le nouveau’

devrait être fait » (Entropia, 2008, p. 5). Une posture que l’on ne saurait condamner, mais qui ne facilite guère

la démarche prospective.

Pour conclure, nous avons donc recueilli à travers ces entretiens quatre « visions » particulières de transition vers une société « souhaitable et soutenable ». Celles-ci présentent de nombreuses similitudes, et reprennent toutes, par ailleurs, un certain nombre d’éléments et de propositions que l’on retrouve au sein des mouvements de la Décroissance, en les déclinant avec différentes nuances. C’est sur la base de ces « visions » que nous construirons, dans la suite de notre étude, différents scénarios destinés à être implémentés dans notre modèle numérique.

172 Un postulat maintes fois invalidé par l’anthropologie, la sociologie et la psychologie, mais pourtant encore largement répandu dans la littérature économique, de manière implicite, à travers l’adoption d’hypothèses de « fonctions d’utilité » strictement croissantes.

173 Une recherche de compromis qui s’exprime parfois en termes « d’optimisation », notamment pour le participant à l’entretien C : « optimisation de l’usage de l’existant », « optimisées du point de vue énergétique », etc.

Chapitre 3 - « Dessine-moi un futur » - Entretiens et recueil de scénarios participatifs

0 Bibliographie du Chapitre 3

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Bibliographie du Chapitre 3

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Chapitre 4 - Description du cadre de

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