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La critique culturelle de la Technique et de la société industrielle

historique autour de la croissance à l’émergence de la Décroissance

1. L’imaginaire du développement et de la croissance

1.2. Les premières théories du développement comme projet et programme universels

1.3.3. La critique culturelle de la Technique et de la société industrielle

Par ailleurs, en parallèle de cette critique économique, se développait une critique culturelle plus large, interrogeant notamment la technique au sens large, et de son « progrès », dont le début du XIXème siècle portait déjà les germes. De ce deuxième courant, mentionnons ici quelques-uns des principaux protagonistes.

1.3.3.1. L. Mumford et le mythe de la machine

Aux Etats-Unis, l’historien des sciences, de la technologie, de l’architecture et de l’urbanisme Lewis Mumford publiera plusieurs ouvrages au cours de la décennie 1960 (dont Le mythe de la machine Mumford, 1974, 1973) en 1973 et 1974), qui prolongeront sa réflexion déjà initiée dans les années 1930 (dans Technique et civilisation

de 1934), et à travers lesquels il critique l’expansion des villes (qui leur font perdre leurs avantages initiaux, à

savoir leur capacité à faire communauté, et la possibilité par leur concentration d’économiser temps et énergie) ou encore la tendance propre à la technologie moderne à la croissance continue de la production et à l’obsolescence, qui va à l’encontre de l’efficacité sociale et de la satisfaction humaine. La centralisation des lieux de décision et de production qui a rendue possible la croissance irait à l’encontre du maintien d’un lien politique effectif entre la population et les responsables politiques, ce qui lui fait craindre la perte de la maitrise de leurs conditions de vie par les citoyens. Le développement de systèmes techniques complexes engendrerait quant à lui la perte de la maitrise des outils techniques.

1.3.3.2. Charbonneau et Ellul, la critique du système technicien et de sa rationalité

En France, la critique de la Technique sera surtout portée par Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, sous un angle toutefois plus fondamental. Ce dernier, dans son essai La technique ou l’Enjeu du siècle, paru en 1954, puis dans Le Système technicien (1977) et Le bluff technologique (1988), avance la thèse d’une interdépendance des techniques modernes constituées en système, et d’une autonomisation de ‘la’ Technique, qui, obéissant à ses propres lois et soumettant l’humain à ses impératifs, est devenue le principe organisateur de la société dans son ensemble. Dans sa conception, la Technique procède de « la préoccupation de l’immense majorité des

hommes de notre temps de chercher en toute chose la méthode absolument la plus efficace » (Ellul,

1990(1954)) : dans cette perspective, sa critique ne s’arrête pas au machinisme, mais s’étend également à toutes les méthodes d’organisation de la vie sociale, y compris les méthodes de travail, les bureaucraties, etc. Pour Ellul, en se développant, la technique a changé de nature : d’un simple intermédiaire entre l’humain et son environnement, elle est devenue milieu environnant à part entière, et par là a été sacralisée, substituant alors en tout lieu la recherche de l’efficacité aux anciennes valeurs.

1.3.3.3. H. Marcuse et l’uniformisation des individus par la société industrielle Dans One dimensional Man (Marcuse, 1968(1964)), Herbert Marcuse développera la thèse selon laquelle la société industrielle avancée et la rationalité technologique intègre les individus au système de production et de consommation de masse à travers la création de besoins illusoires, résultant en un univers conformiste, uniforme, où l’esprit critique et la contestation sont écartés pour laisser place à une pensée et à des comportements « unidimensionnels ».

1.3.3.4. I. Illich, la convivialité contre le monopole technologique et la contre- productivité du développement

Il faut aussi mentionner ici les écrits d’Ivan Illich, qui deviendra plus tard l’une des principales sources d’inspiration du mouvement de la Décroissance. A travers son œuvre, Illich souligne la contre-productivité du développement, et des « outils » des sociétés modernes industrielles. Il faut entendre ici le concept d’outil dans un sens très large, comme tout type de moyen employé pour servir une finalité : il peut ainsi s’agir d’un moyen technique (par exemple l’automobile) aussi bien que d’une institution (l’école, etc.). Pour Illich, « lorsqu’une

activité outillée dépasse un seuil défini par l’échelle ad hoc, elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier » (Illich, 2003, p. 11). Il développera le concept de monopole radical,

Chapitre 1 – De la controverse historique autour de la croissance à l’émergence de la Décroissance

1 L’imaginaire du développement et de la croissance

31 qui traduit non pas la situation monopolistique d’une entreprise ou d’une marque, mais celle d’un type de produit ou d’un outil qui par son développement au-delà d’un certain seuil qu’il conviendrait de définir, devient l’unique mode de réponse à un besoin donné, excluant les alternatives non industrielles et restreignant ainsi la liberté. Ainsi, selon lui, si l’on prend l’exemple des transports, « au-delà d’une vitesse critique, les véhicules à

moteur engendrent des distances aliénantes qu’eux-seuls peuvent surmonter » (Illich, 1975a) et la vitesse, en

devenant le privilège de quelques-uns, devient créatrice d’inégalités. Il analysera de même l’école (Deschooling

Society, 1971), ou encore la médecine (Nemesis médicale, 1975). Dans cette perspective, il dénonce dans La convivialité (Illich, 2003(1973)), les coûts sociaux de la croissance économique et sa contre-productivité

résultant de la création incessante de besoins nouveaux. Contre le monopole radical et la démesure des outils de la société industrielle, il prône l’usage d’outils « conviviaux » dont l’un des critères essentiels est celui de leur maîtrise par les personnes qui s’en servent, autrement dit, celui de l’autonomie.

Dans la pensée d’Illich, comme dans celle d’Ellul, de Charbonneau ou de Mumford, le développement de la technique au-delà de certains seuils entraine une perte de sa maitrise, et constitue un obstacle à la démocratie.

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2. Un discours de crise globale autour des limites physiques à la

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