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Les critiques économiques du développement dans les pays « développés »

historique autour de la croissance à l’émergence de la Décroissance

1. L’imaginaire du développement et de la croissance

1.2. Les premières théories du développement comme projet et programme universels

1.3.2. Les critiques économiques du développement dans les pays « développés »

Les critiques du discours, des théories et des visions normatives du « développement », de ce en quoi il devrait

consister pour les pays encore « hors développement » restèrent toutefois assez marginales dans un premier

temps. Mais en parallèle, sur cette même période, se développait également dans les pays « développés » une dénonciation et une remise en cause du processus réel, constaté, du « développement » occidental, avec ce qu’il implique de transformations institutionnelles, organisationnelles, techniques, économiques, sociétales et politiques.

En ce qui concerne cette critique du développement occidental, « réel », trois axes de critique principaux (mais pas nécessairement indépendants) peuvent être distingués : une critique économique de la croissance, une critique culturelle portée entre autres sur le phénomène technique, ainsi qu’une critique environnementales, portée par des mouvements écologistes, et sur laquelle nous reviendrons plus tard.

1.3.2.1. K. W. Kapp et les effets (pas si) secondaires de la croissance

L’économiste germano-américain Karl William Kapp fut, dans les pays occidentaux, l’un des premiers à remettre en question le bien-fondé de la croissance économique. Sa critique mettait notamment en avant l’absence de prise en compte des effets indésirables des processus de production sur la société et l’environnement. Il s’agit donc en quelque sorte d’une critique de la mesure de la croissance (van Griethuysen et al., 2003). Dans son ouvrage The social cost of Private Enterprise (Kapp, 1950) (et sa deuxième édition Social Costs of Business Entreprise, Kapp, 1963), dont la publication n’a eu que peu d’écho à l’époque, Kapp souligne le fait que les mécanismes de marché conduisent les agents économiques à négliger dans leur calcul économiques tout ce qui ne relève pas directement de la comptabilité privée (van Griethuysen et al., 2003, p. 11). Il met en avant l’importance des effets indésirables (« social costs ») de l’activité économique qui en résulte, dont notamment : le gaspillage et l’épuisement des ressources non-renouvelables ; la surexploitation des ressources renouvelables par laquelle l’humain limite ses propres possibilités de croissance future ; la

Chapitre 1 – De la controverse historique autour de la croissance à l’émergence de la Décroissance

1 L’imaginaire du développement et de la croissance

29 pollution de l’air, de l’eau et leurs effets sur la santé humaine ; les phénomènes de congestion dans les agglomérations ; ainsi que diverses conséquences socio-économiques, comme le chômage, les conditions de travail insalubres et les accidents du travail, l’instabilité économique, l’obsolescence des connaissances et des compétences causée par le changement technologique, l’obsolescence programmée des biens de consommations et les gaspillages liés à la multiplication des marques et à l’absence de standards, la pression psychoculturelle exercée sur le public pour l’encourager à acheter de nouveaux produits, etc. Il s’agit là de la première discussion aussi approfondie des effets du système productif industriel sur l’environnement dans la littérature économique (Hueting, 1980, p. 89). Pour Kapp, la nature hétérogène de ces effets et la complexité des interactions entre système économique et milieu éco-social rend impossible ou inacceptable leur réduction à la dimension monétaire (et donc leur « internalisation »). Par ailleurs, il souligne que les dépenses nécessaires pour limiter les impacts négatifs des activités économiques sont comptabilisées dans les indicateurs économiques traditionnels (comme le produit national brut), au même titre que des coûts de production normaux ou des investissements, quand bien même ils ne correspondent à aucune création de richesse nouvelle à proprement parler. Kapp met par ailleurs en évidence le caractère circulaire et cumulatif de ces effets, les inégalités étant sources de coûts environnementaux et sociaux, qui affectent davantage les pauvres que les riches, ce qui renforce en retour les inégalités. Son analyse posait déjà les bases des réflexions qui allaient plus tard se déployer dans le courant de l’économie écologique.

1.3.2.2. J. K. Galbraith et la critique de la « société d’opulence »

A la fin des années 1950 émerge également une critique de la société de consommation, développée par exemple sous l’angle socio-économique par John Kenneth Galbraith à travers son essai « The affluent society » (Galbraith, 1998(1958)). Dans celui-ci, l’auteur analyse les mécanismes de la société de consommation, par lesquels les entreprises créent les désirs et la demande, alors que l’utilité marginale de l’accroissement de production diminue. Il déplore la dévalorisation du secteur public par rapport au secteur privé, et surtout, pointe du doigt l’incapacité de la croissance économique à résoudre divers problèmes de société, au premier rang desquels, la pauvreté. Sa critique porte également sur l’utilisation du Produit National Brut (PNB) comme indicateur de progrès, celui-ci ne rendant pas compte de la nature de la production et de son utilité, ni de critères de qualité de vie, comme le fonctionnement de services collectifs, du système éducatif ou la qualité de l’air, etc.

1.3.2.3. E. J. Mishan et les coûts de la croissance économique

La question des coûts de la croissance soulevée par Kapp sera reprise, plusieurs années après, par d’autres économistes, et notamment par E. J. Mishan28, qui publiera en 1967 son livre The cost of economic growth (Mishan, 1993(1967)), lequel connaîtra un certain succès, y compris en dehors de la sphère des économistes. Dans cet ouvrage, l’économiste britannique y condamne notamment la poursuite de la croissance de la production dans les sociétés industrialisées par la création de nouveaux désirs de consommation et l’encouragement à ne pas se satisfaire des produits existants, rejoignant ainsi la critique de la société de consommation. Outre les dégradations environnementales liées à la croissance de la production et aux changements technologiques, il critique également leurs impacts psychologiques, sociaux, esthétiques ou culturels: stress, dépendance à la technologie, congestion du trafic et accroissement des distances avec le développement de l’automobile et de l’avion, fragmentation du tissu social, omniprésence du bruit, etc., dont personne ne prend la responsabilité. Autant de « couts sociaux » qui, selon lui, s’ils ne sont pas quantifiables, remettent en question les bénéfices de la croissance économique. Le développement de la problématique des «externalités » de la croissance donnera par la suite lieu à la recherche autour de nouveaux indicateurs comptables visant à les « internaliser ».

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