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Quels critères d’évaluation pour des scenarios de « type » Décroissance ?

elle apporter au débat autour de la Décroissance ?

2.2. Modélisation et Décroissance : par où commencer ?

2.2.2. Quels critères d’évaluation pour des scenarios de « type » Décroissance ?

Un second point qu’il convient d’aborder est celui du choix des critères « appropriés » pour l’évaluation des scénarios de Décroissance qui seront modélisés. Le travail considérable entrepris depuis le début des années 1990 autour de la conception d’indicateurs pour le développement durable, notamment en réponse à l’appel de la CNUCED de Rio de Janeiro en 1992 (UNCED, 1992, chapter 40), peut offrir ici un point de départ intéressant.

La volonté de disposer d’observations plus détaillées et plus précises sur le système social et son environnement biophysique ─ que des indicateurs uniques agrégés (tels que le PIB) ou synthétiques (comme l’Indice de Développement Humain (IDH)) ne peuvent fournir ─ a conduit à l’élaboration et au développement de vastes jeux d’indicateurs spécialisés, généralement organisés par thèmes. A titre d’exemple, la Commission Européenne dispose désormais de plus de 130 indicateurs, regroupés en 10 thèmes, et organisés en 4 niveaux (avec 34 sous-thèmes), publiés sur EUROSTAT124.

Cependant, comme O’Neill (2012a) le souligne, de tels cadres d’analyse agencés par thèmes « sont utiles pour suivre la réalisation de certains objectifs politiques spécifiques, mais ils ne fournissent aucune information quant aux liens qui existent entre les indicateurs, et ne disent rien de leur importance respective »125. Le recours à un grand nombre d’indicateurs ne facilite par ailleurs pas leur interprétation, et risque ainsi de ne pas offrir de représentation globale accessible et appropriable (European Commission, 2003, p. 7). De plus, la pertinence de ces jeux d’indicateurs est questionnable au regard de notre objectif, à savoir : l’évaluation de scénarios de Décroissance en termes de soutenabilité biophysique (forte) et de soutenabilité sociale. Dans cette optique, par exemple, l’absence d’indicateurs essentiels, notamment d’indicateurs de stocks pour la plupart des ressources fossiles ou minérales, et d’indicateurs d’échelle, mettant les flux de ressources en regard des stocks disponibles, apparait particulièrement problématique ; tandis que, symétriquement, on pourra s’interroger sur l’utilité ou l’à-propos d’indicateurs tels que le « PIB par personne », ou les « compétences de la population en informatique » (Eurostat, 2011))…

Dans l’idée d’élaborer un système d’information dédié à l’évaluation de l’avancée des sociétés dans une transition de Décroissance vers une économie stable stationnaire (steady state economy), O’Neill (2012a) propose un cadre conceptuel spécifique basé sur le « continuum finalités-moyens » (Ends-Means Continuum) développé par Herman Daly (Daly, 1977), et repris par Meadows (1998). A partir de ce cadre conceptuel, en s’appuyant respectivement sur la définition donnée par Daly d’une économie stationnaire, et sur les objectifs annoncés des mouvements de la Décroissance, O’Neill propose un jeu d’indicateurs biophysiques et sociaux « idéalisés » (c’est-à-dire que l’on souhaiterait pouvoir mesurer dans l’absolu), et suggère, pour chacun de ces indicateurs idéalisés, un exemple d’indicateur mesurable existant, potentiellement utilisable comme proxy (Figure 3). Le choix des critères d’évaluation pourrait ainsi utilement s’inspirer de ce cadre de travail.

Evidemment, certains indicateurs proposés par O’Neill (2012a) sortent du périmètre d’application « raisonnable » de la modélisation numérique. C’est par exemple le cas d’indicateurs non-économiques, politiques, ou « organiques », comme « l’espérance de vie » ou encore les indicateurs relatifs à la « démocratie participative » qui, du fait de leur nature qualitative, de la complexité et de la connaissance souvent limitée des mécanismes dont ils dépendent, ne sauraient être transcrits de manière réaliste et opérationnelle en variables de sortie d’un modèle numérique. Il en va évidemment de même pour les indicateurs « subjectifs » (« bien-être subjectif », « satisfaction de vie », etc.).

124 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/sdi/context

125 “[theme-based frameworks] are useful for monitoring performance on specific policy goals, but they provide no information on the relationship between indicators, or their relative importance” (O’Neill 2012a)

Chapitre 2 – Modélisation prospective et Décroissance - Réflexions méthodologiques

2 La modélisation numérique, un outil pour la prospective

77 Figure 3 – Un exemple de jeu d’indicateurs potentiellement utilisables pour mesurer l’avancée dans une transition de Décroissance vers une économie stationnaire (O’Neill, 2012a)

En revanche, il n’est pas rare que les exercices de modélisation numérique intègrent des indicateurs socio- économiques “standards”, comme le taux de chômage, le ratio entre les revenus des X% les plus riches et les plus pauvres, le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté126, ou le temps de travail. Il semble pertinent, dans notre cas, d’en proposer une représentation explicite127. Il en va de même pour les indicateurs biophysiques tels que les usages énergétiques (si possible par type d’énergie), et les flux de matériaux et de déchets (entre autres, les émissions de gaz à effet de serre). Si en pratique ces indicateurs sont encore le plus souvent associés à des périmètres géographiques, il conviendrait plutôt ici de décliner une approche empreinte visant à refléter les impacts globaux associés à des modes de vie. Ceci implique par exemple que soient comptabilisés les impacts « incorporés » (énergie grise, contenu matériaux, contenu CO2, ...) dans les biens et services importés et exportés, afin de rendre compte de la globalité des flux transfrontaliers de ressources et de polluants, et par-là, de prendre en considération ce que l’on nomme pudiquement « externalités spatiales », dont l’importance ne saurait être négligée pour les économies globalisées (Chancel and Pourouchottamin, 2013)128. Un tel jeu d’indicateurs socio-économiques et biophysiques, organisé selon le cadre conceptuel proposé par O’Neill, et implémentable dans un modèle numérique, pourrait ainsi constituer une première base de critères intéressante pour l’évaluation de scénarios de Décroissance.

126 Bien que la notion de “pauvreté” comporte de multiples autres dimensions (Rahnema, 2003), dans les sociétés industrialisées actuelles, cet indicateur peut, en toute première approximation et de manière simpliste, être défini relativement à un seuil de revenu. Une telle définition nécessiterait toutefois d’être révisée selon les évolutions sociales et institutionnelles envisagées, et en particulier dans le cas de la mise en place d’une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, afin de prendre en compte d’éventuels éléments non-monétaires, par exemple l’accès ‘gratuit’ à certains services, etc. 127 Il pourra aussi être nécessaire de reconsidérer la pertinence du concept de chômage, les scénarios de Décroissance pouvant impliquer le transfert de certaines activités de la sphère professionnelle vers la sphère informelle (ou « amateur economy »)(Norgard, 2013). Les enjeux liés à l’emploi impliquent par ailleurs de nombreuses dimensions qu’il serait souhaitable de prendre en considération (ex. : types d’emploi, précarité, etc.), et qu’un simple « taux de chômage » ne saurait refléter. D’autres indicateurs seraient ainsi nécessaires.

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De manière plus générale – cela n’est pas spécifique aux scénarios de Décroissance – le choix d’un jeu d’indicateurs « appropriés » demeure inévitablement subjectif et chargé de valeurs. Par conséquent, en l’absence d’un consensus clair – qui peut ne jamais exister –, on privilégiera, dans les limites de ce que la disponibilité des données permet en pratique, l’incorporation d’un spectre suffisamment large d’indicateurs de différentes natures, de manière à pouvoir rendre compte d’éventuelles situations d’arbitrage (trade-offs), et à répondre à une exigence de pluralisme élémentaire : permettre des évaluations basés sur différents systèmes de valeurs.

Enfin, rappelons avec Meadows (1998) et O’Neill (2012a) que l’évaluation de la soutenabilité biophysique et sociale des scénarios nécessite de définir des objectifs ou des limites pour les indicateurs. Selon O’Neill (2012a), le choix des objectifs biophysiques devrait « se fonder sur les meilleurs éléments scientifiques disponibles, en appliquant le principe de précaution en situation d’incertitude, et en reconnaissant qu’aucun choix d’objectif n’est exempt de jugement de valeur »129 ; et les objectifs sociaux devraient « probablement être basés sur un

processus démocratique et participatif ». En effet, l’absence d’objectifs clairement définis ne permettrait qu’une évaluation relativiste des scénarios ─ par comparaison des scénarios entre eux ─ et nous laisserait encore plus indécis dans les situations d’arbitrage entre des indicateurs de différente nature.

2.2.3. Les approches de modélisation ordinaires se prêtent-elles à l’étude de la

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