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5.2. Formation Brute de Capital Fixe (FBCF) – (investissement)

5.2.1. Les déterminants de l’investissement

Les principaux déterminants de l’investissement traditionnellement mis en avant sont : la demande anticipée par les entreprises ; le coût des facteurs de production ; la profitabilité des projets d’investissement; et les contraintes de financement. Jusqu’à récemment, leur justification reposait encore essentiellement sur l’examen théorique au niveau microéconomique du comportement d’investissement d’une entreprise222.

• La demande anticipée (intérieure et étrangère) est en général considérée comme étant le déterminant principal et le plus robuste des dépenses d’investissement. Cette robustesse tient d’ailleurs au fait que la relation traduit davantage une contrainte technique (pour produire, il faut du capital), qu’un comportement économique (Epaulard, 2001, p. 2). Une augmentation de celle-ci constitue de nouvelles opportunités de profit qui incitent les entreprises à investir pour accroitre leurs capacités de production, tandis qu’une stagnation ou une diminution de la demande les incite à adopter des comportements prudents et à limiter leurs investissements. Il y a ici l’idée d’un ajustement des capacités de production à la demande qui a donné lieu au modèle d’ « accélérateur » : si l'on suppose que le capital physique nécessaire à la production est proportionnel au niveau de la production à réaliser, et que les entreprises ajustent rapidement leur niveau de capital, une faible variation de la demande en situation saturation des capacités de production suscitera une forte variation de l’investissement, tandis qu’un simple ralentissement peut induire une baisse significative des investissements, compte tenu de la survie du stock de capital constitué. Dans le cas théorique extrême d’un ajustement instantané du niveau de capital223, l’investissement, qui correspond à la

variation du stock de capital (modulo le déclassement), est proportionnel à la variation de la demande, et la variation de l’investissement est proportionnelle à la variation de la variation de la demande, c’est-à-dire à sa dérivée seconde : d’où le nom d’accélérateur. Ce phénomène d’accélération explique notamment le caractère fortement pro-cyclique des dépenses d’investissement. Il est en principe d’autant plus accentué que la production en question est intensive en capital. Enfin, comme le souligne Kergueris (2002, p. 33) : « [l]’effet d'accélération s'inscrit dans la vision keynésienne d'un

équilibre économique contraint par les débouchés». Cette situation de contrainte par les débouchés,

qui concerne de nombreuses entreprises, témoigne d’un certain renversement de la problématique initiale de la discipline économique ; renversement dont Godbout (2008, p. 56) pointe le caractère

221 Les dépenses d’investissement se caractérisent par un dynamisme pro-cyclique marqué : elles sur-réagissent aux variations d’activité. Aussi, si elles ne représentent qu’une part assez modeste du PIB (entre 10 et 12% entre 1990 et 2003), la FBCF des entreprises non financière avait par exemple contribué pour 32% aux variations du PIB en glissement annuel, sur la période 1980-2003 (Ferrari, 2005, p. 3).

222 Toutefois, des données de terrain, telles que l’enquête trimestrielle sur les investissements dans l’industrie menée par l’Insee auprès des entrepreneurs, qui comprend par exemple une question relative aux facteurs influençant l’investissement, participent à l’amélioration de la compréhension des comportements (INSEE, 2015a) et viennent dans une certaine mesure supporter la théorie. Une grande partie des progrès réalisés récemment dans ce domaine provient également de l’utilisation de données individuelles d’entreprises. Entre la compréhension à l’échelle microéconomique et l’explication de l’investissement au niveau agrégé, pourraient cependant entrer en jeu d’éventuels comportements stratégiques ou des externalités qui restent à étudier (Epaulard, 2001).

223 En ce qui concerne la dynamique d’ajustement du niveau de capital, des études empiriques ont montré que les entreprises ne s’ajustaient pas graduellement à un stock de capital désiré, mais procédaient plutôt par à-coups (Epaulard, 2001). Ce qui souligne l’importance d’autres facteurs dans la dynamique d’investissement de court terme d’une entreprise. Par ailleurs, pour les « gros investissements » (bâtiments, ouvrages, etc.) il peut y avoir un certain délai entre la décision d’investissement et l’investissement lui-même, dû aux procédures juridiques, financières, etc.

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5 La Demande finale Totale

145 paradoxal : « Loin de la vision habituelle de l’économie comme forme d’allocation des biens en

situation de rareté, le système économique actuel est aussi face à un problème inhérent et permanent d’écoulement de l’offre, de surplus […] ». Plus que la gestion de la rareté des ressources, c’est la

gestion de la rareté de la demande qui constitue ici l’objet de la discipline économique.

• Le rôle du coût des facteurs de production est quant à lui plus controversé. Suivant le cadre théorique d’analyse microéconomique néoclassique, les entreprises sont supposées avoir le choix entre plusieurs combinaisons productives possibles des facteurs de production (capital, travail, etc.), et choisir celle qui minimise les coûts et maximise leurs profits. A court terme, lorsque le niveau de production est supposé contraint par les débouchés, l’arbitrage se ferait sur la base du coût relatif des facteurs de production. « Ainsi, si le coût du capital s'élève par rapport aux charges salariales, l'entreprise a intérêt

à limiter les dépenses d'investissement, en substituant une plus grande quantité de travail au capital. »

(Kergueris, 2002, pp. 33–34). A plus long terme, lorsque la production est supposée ne pas être contrainte par les débouchés, c’est le coût « réel » de chaque facteur qui influencerait la décision d’investissement. Toutefois, pendant longtemps les études empiriques ont échoué à mettre en évidence cette relation théorique entre investissement et coût des facteurs de production224. Plus récemment cependant, Crépon et Gianella (2001), par exemple, ont pu observer l’influence du « coût d’usage du capital » à partir de données individuelles d’entreprises. Mais la solidité de cette relation à l’échelle agrégée à laquelle nous nous plaçons reste à démontrer – sans compter que l’usage d’indicateurs agrégés pour l’estimation du « coût d’usage du capital » se révèle généralement trop approximatif, ce qui rend une telle relation difficilement transposable dans un modèle macroéconomique.

• La profitabilité d’un investissement renvoie à la différence entre le taux de rendement anticipé du capital investi (c’est-à-dire le rapport entre la rémunération du capital et le stock de capital), et un rendement financier (par exemple : taux d’intérêt ou valorisation boursière des actifs). Il s’agit en quelque sorte d’une question de « coût d’opportunité » qui peut s’illustrer de la manière suivante (toujours selon l’hypothèse de comportement de maximisation des profits): « Lorsqu'une

entreprise dispose d'une capacité de financement, ses dirigeants ont le choix entre utiliser leur capital pour financer des investissements physiques, ou le placer sur les marchés financiers. Si la rentabilité attendue de l'investissement est inférieure à la rentabilité d'un placement financier sans risque, l'investissement n'aura pas lieu. Lorsqu'une entreprise veut financer un projet par l'emprunt, ses dirigeants doivent s'assurer que le rendement attendu de l'investissement est supérieur au coût du capital, sans quoi, il n'est pas rentable d'investir» (Kergueris, 2002, p. 36). Autrement dit, une

profitabilité négative, qui peut résulter par exemple de taux d’intérêt élevés, n’incite pas à investir, mais plutôt à placer l’épargne disponible sur les marchés financiers (phénomène d’éviction de l’investissement par les placements financiers), ou à se désendetter. Au contraire, si la profitabilité d’un investissement est positive et suffisamment importante pour couvrir la « prime de risque », l’entreprise sera incitée à investir.Si cette logique qui semble empiriquement fondée225 peut paraître simple, sa traduction concrète dans la réalité est un peu plus compliquée. Tout d’abord, l’existence possible de coûts fixes liés à l’installation du capital physique peut se traduire par des effets de seuils de profitabilité en dessous desquels la décision d’investir peut ne pas être jugée suffisamment intéressante, et reportée en attendant de meilleures occasions de profit (Abel and Eberly, 1994). De plus, un investissement peut impliquer des coûts d’ajustement (e.g. d’organisation, de formation du

224 A ce sujet, Blanchard (1986, cité par Epaulard, 2001, p. 11) avait eu ce commentaire : « … tout le monde sait bien que pour que le coût d’usage du capital apparaisse dans l’équation d’investissement, il faut déployer bien plus d’ingéniosité économétrique que d’habitude, ce qui revient la plupart du temps à choisir une spécification qui contraigne l’effet voulu à apparaître,… »

225 D’après l’enquête de l’Insee sur les investissements dans l’industrie, en moyenne sur la période 1991-2014, 83% des chefs d’entreprise considéraient que les perspectives de profit stimulent l’investissement (INSEE, 2015a).

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personnel, etc.), qu’il convient de prendre en compte (Abel, 1979; Hayashi, 1982), mais qui peuvent être difficiles à prévoir. De manière générale, le caractère incertain des multiples facteurs dont dépend la profitabilité d’un investissement (taux d’intérêt réels qui dépendent des taux nominaux et de l’inflation, demande anticipée, évolution de la productivité du capital et de son rendement, évolution des salaires, de la fiscalité des investissements et du capital, etc.), ainsi que la forme d’irréversibilité qui découle de l’impossibilité d’ajuster instantanément les capacités de production en fonction de la conjoncture (le coût du désinvestissement peut parfois être prohibitif), confèrent à la décision d’investissement « les caractéristiques d'une décision à risque » (Kergueris, 2002, p. 37). Par conséquent, celle-ci dépendra également de l’aversion au risque des investisseurs, qui varie suivant leurs situations... On perçoit dès lors la complexité du concept de profitabilité tel qu’il se décline dans les faits, et la difficulté que peut représenter son implémentation dans un modèle macroéconomique de long terme.

• L’investissement, enfin, peut être contraint par les conditions de financement, qui vont dépendre de caractéristiques propres à la situation financière de chaque entreprise. Pour financer un investissement, les entreprises peuvent faire appel à leurs ressources propres si celles-ci sont suffisantes, sinon recourir à l’emprunt, ou encore lever des capitaux propres si leur taille le leur permet. Le recours à l’emprunt peut par ailleurs constituer une solution privilégiée : car si la profitabilité d’un investissement est positive et jugée suffisante, les agents économiques sont incités non seulement à investir, mais aussi à financer l’investissement par l’emprunt et l’endettement, ce qui leur permet d’augmenter la rentabilité des fonds propres en bénéficiant d’un effet de levier (les profits attendus étant estimés supérieurs au coût de l’endettement). Toutefois, il y a également des limites à l’endettement, qui accroit le risque de défaillance, ce qui pose la question de l’accès au financement. La solvabilité, c’est-à-dire la capacité estimée d’une entreprise à rembourser ses emprunts et ses frais financiers sur la base des profits qu’elle dégage, peut ici constituer une contrainte à l’investissement. Les profits jouent donc un rôle multiple : non seulement ils motivent les investissements (profits futurs espérés), mais ils conditionnent également ses modalités de financement, en accroissant les capacités d’autofinancement des entreprises (profits passés et présents), ou leur solvabilité et donc leur accès à l’emprunt. Le taux de profit, et dans une moindre mesure, semble-t-il en pratique (Norotte et al., 1987), le taux d’endettement et les taux d’intérêt, influent donc sur la capacité d’une entreprise à financer ses investissements. Par ailleurs, les variables financières ont un rôle d’autant plus fort que les entreprises sont petites : les conditions de financement que rencontrent les petites entreprises, lesquelles se financent presque exclusivement par le crédit bancaire, sont plus difficiles du fait du niveau de garanties plus faible qu’elles peuvent offrir aux banques. Ainsi, la diversité des caractéristiques des entreprises et des situations financières propres à chacune conduisent à des conditions de financement différentes, qui expliquent en grande partie l’hétérogénéité des comportements d’investissement – hétérogénéité qui est peut-être, en fin de compte, leur caractéristique la plus marquante.

Pour résumer : le rôle du coût des facteurs de production est difficile à observer, et encore plus à transcrire dans un modèle sur la base d’indicateurs macroéconomiques agrégés; en revanche, la demande anticipée constitue un facteur structurel essentiel, à travers l’effet d’accélération qu’elle engendre. Ce déterminant seul s’est néanmoins révélé insuffisant pour expliquer l’évolution de l’investissement au cours des années 1980- 1990 en France. Il faudrait donc également considérer le facteur profitabilité (qui n’est pas indépendant de la demande), dont l’importance semble s’être accrue au cours des années 1990 (Kergueris, 2002, pp. 6-9). Toutefois, le critère de profitabilité dépend en pratique d’un grand nombre d’éléments incertains, et serait ainsi à relier à une notion de risque dont il est difficile de rendre compte dans un modèle macro. Enfin, Le taux de profit et le niveau d’endettement des entreprises, qui conditionnent les contraintes de financement, sont

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147 secondaires mais exercent une influence significative, et probablement renforcée depuis le milieu des années 1990226 (Kergueris, 2002, pp. 29-31). Les contraintes de financement différant sensiblement d’une entreprise à

l’autre en fonction de leurs caractéristiques, il faudrait, pour bien faire, prendre en compte leur disparités, et notamment la distribution de la taille des entreprises, que les propositions de la Décroissance sont susceptibles de faire évoluer (par exemple à travers des scénarios de relocalisation).

Enfin, au-delà de ces déterminants, il faut également mentionner une tendance de fond au surinvestissement, imputable227 à la logique de compétition pour les parts de marché propre au système capitaliste : chaque

patron cherche à rendre son entreprise plus compétitive que ses concurrentes en accroissant son capital productif, « […] ce qui conduit, au niveau collectif, à une "suraccumulation de capital". Les profits deviennent

insuffisants par rapport à la valeur de la somme des capitaux à rentabiliser » (Bayon et al., 2012, p. 170). La

situation financière des entreprises ayant surinvesti se dégrade alors, au point de compromettre leur survie. L'importance relative de chacun des facteurs mentionnés ci-dessus variant au fil du temps et en fonction du contexte économique global, on conçoit la difficulté de proposer une représentation numérique des comportements d’investissement qui soit robuste sur le long terme.

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