• Aucun résultat trouvé

sur les symptômes de risques professionnels

341. La classification des risques professionnels est loin d’être une œuvre purement scientifique et le décalque parfait des nosographies médicales. La classification est également le fruit d’arbitrage et de compromis autour de la reconnaissance des risques professionnels. Dans cette articulation, les interlocuteurs sociaux jouent un rôle essentiel (A). Dans la continuité du rôle qui leur a été confié par le législateur dans d’autres classifications, la négociation collective d’entreprise paraît élaborer les traits d’une nouvelle classification fondée sur les symptômes de risques psychosociaux (B).

A. Le rôle des interlocuteurs sociaux dans l’élaboration

des classifications de risques professionnels

342. La participation des interlocuteurs sociaux dans l’élaboration des tableaux de maladies professionnelles (1.) ou, plus visible, en matière de pénibilité (2.) permet de déceler le double rôle qui leur est confié par le législateur.

Ils se voient en effet conférer d’une part, une forme de légitimité sociale de trancher les difficultés liées à la reconnaissance des risques là où les données scientifiques sont plus incertaines, et d’autre part, une forme de légitimité technique attachée à leur connaissance empirique des conditions de travail.

1. L’élaboration discrète des tableaux de maladies professionnelles par les interlocuteurs sociaux

343. Depuis la loi du 25 octobre 1919 relative à l’extension de la loi du 9 avril 1898 aux maladies professionnelle, les interlocuteurs sociaux occupent une place, certes discrète 1010, mais importante dans l’élaboration des tableaux de maladies professionnelles. Au sein d’une commission consultative, organisations patronales et organisations syndicales représentatives sont chargées avec des experts de proposer de nouveaux tableaux ou des modifications de tableaux existants 1011. L’actuel article L. 461-2 du code de la sécurité sociale dispose que les tableaux peuvent être révisés ou complétés par décret du ministre du travail, après consultation du COCT 1012, composé de représentants de l’État, de représentants du corps médical et de représentants des organisations syndicales et patro-nales représentatives 1013.

344. La composition de la commission spécialisée du COCT, entre médecins et représentants des organisations syndicales et patronales, prête ses traits aux types d’argumentations et de justifi-cations qui y sont développées. L’utilisation d’un type de discours médico-technique au soutien de l’élaboration des tableaux de maladies professionnelles n’exclut pas toute forme de négociations et d’affrontements 1014. L’élaboration des tableaux de maladies professionnelles induisent en effet des enjeux socio-économiques importants. D’un côté, ils peuvent permettre une meilleure reconnais-sance et donc une meilleure prise en charge de certaines pathologies pour les victimes ; de l’autre, la meilleure reconnaissance entraine une augmentation des cotisations pour les employeurs qui financent seuls cette branche de la Sécurité sociale 1015. Aux questions scientifiques d’étiologie des maladies professionnelles se mêlent ainsi des considérations liées aux intérêts représentés respecti-vement par les organisations syndicales et patronales, c’est-à-dire en somme, à des considérations d’ordre socio-économique 1016. La commission spécialisée du COCT a ainsi pu être présentée comme un « espace de négociation discret » 1017 entre organisations syndicales et patronales autours de l’extension et de la modification des tableaux de maladies professionnelles.

345. Le rôle confié aux interlocuteurs sociaux à côté des experts médicaux et des représentants de l’État pourrait sembler limité à la nécessité d’assurer une certaine légitimité sociale aux classifications

1010. E. Henry, Ignorance scientifique & inaction publique. Les politiques de santé au travail, op. cit., p. 29 et s.

1011. Bien que l’avis rendu par cette instance ne lie pas le ministre du Travail quant au contenu des décrets de révisions de tableaux promulgués, c’est bien en son sein que s’élaborent les tableaux de sécurité sociale. Le ministre du Travail ne fait le plus souvent qu’entériner l’avis du Conseil d’orientation des conditions de travail. M.-O. Déplaude, préc. 1012. Ce Conseil a été créé par un décret du 25 novembre 2008 afin de remplacer l’ancien Conseil supérieur de prévention des risques professionnels (CSPRP), qui se limitait lui-même déjà à regrouper et réorganiser divers comités consultatifs existants, pour certains, depuis le début du xxe siècle.

1013. Art. R. 4641-3 c. trav.

1014. E. Henry, Ignorance scientifique & inaction publique. Les politiques de santé au travail, op. cit.

1015. Joseph-Antoine Morin, Le régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles et la responsabilité civile. Etude d’un régime de responsabilité au cœur de la Sécurité sociale, Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2016, p. no 112 et s. p. 108-109 et no 275 et s. p. 278 et s.

1016. Sur les débats au sein de cette commission : M.-O. Déplaude, préc ; N. Hatzfeld, « Affections périarticulaires ... », préc ; N. Hatzfeld, « Les malades du travail face au déni administratif ... », préc ; E. Henry, Ignorance scientifique & inaction publique. Les politiques de santé au travail, op. cit. Pour un exemple des débats autour de la codification d’un de ces tableaux, cf. supra, n° 272, p. 160 et s.

juridiques des maladies professionnelles. Un tel rôle est confirmé par l’élaboration de la définition des facteurs de pénibilité. Mais dans ces négociations, les interlocuteurs sociaux apparaissent également doués d’une légitimité technique par leur connaissance supposée des risques du travail.

2. Les négociations sur la pénibilité

346. Depuis la loi du 21 août 2003, les interlocuteurs sociaux jouent un rôle de poids dans la définition des facteurs de pénibilité et la mise en œuvre du dispositif. La négociation légiférante sur la définition de la pénibilité (a.) et les négociations de branches et d’entreprise en matière de prévention (b.) dévoilent le rôle que sont appelés à jouer les interlocuteurs sociaux à raison de leur connaissance « de terrain » des risques professionnels.

a. La négociation légiférante sur la définition de la pénibilité

347. La réforme du 21 août 2003 1018, si elle marque l’apparition de la notion de pénibilité sur la scène juridique reste muette sur sa définition. Elle prend acte de la place nécessaire à accorder aux interlocuteurs sociaux dans « la définition et la mise en place du dispositif » 1019. Le législateur, prudent, prévoit un recours à la négociation collective au niveau national interprofessionnel et dans les branches 1020.

348. Le renvoi presque intégral à la négociation collective par le législateur ne se fait pas sans critiques sur sa pertinence et sur la volonté réelle du Gouvernement d’assurer une prise en compte juridique de la pénibilité 1021. La loi du 21 août 2003 est déférée au Conseil constitutionnel par soixante sénateurs et députés. Ceux-ci arguaient du chef d’incompétence négative du législateur ; « il aurait dû, dans les autres dispositions de la loi, prendre en compte la pénibilité des tâches assurées par les travailleurs, sans renvoyer cette question à la négociation collective ». Le Conseil constitutionnel, se fondant sur « l’économie générale » de la loi, considère que le législateur exerce pleinement sa compétence fixée à l’article 34 de la Constitution 1022. Sur le fondement de l’article 11 du Préambule à la Constitution de 1946, il est en effet loisible au législateur de renvoyer à la négociation collective le soin de mettre en œuvre les principes fondamentaux de droit du travail 1023. La motivation lapidaire du Conseil constitutionnel peut étonner, car il n’est dans la loi du 21 août

1018. Loi no2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites ; JORF no193 du 22 août 2003, p. 14310. 1019. Rapport Struillou, op. cit., p. 37. Dans son rapport, Y. Struillou envisageait plusieurs scenarii pour la mise en place d’un dispositif de prise en charge de la pénibilité dans le cadre du régime de retraites. Il évoquait ainsi un cadre de mise en place « exclusivement conventionnel », « essentiellement réglementaire » et enfin « un cadre mixte articulant la négociation et l’intervention des pouvoirs publics ».

1020. À l’article 12, il invite les interlocuteurs sociaux « à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité » dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. À cela s’ajoute l’obligation de « négocier sur les conditions de travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences des salariés âgés et sur la prise en compte de la pénibilité du travail » dans les branches professionnelles ou dans l’entreprise, au moins une fois tous les trois ans à compter de la fin de la négociation interprofessionnelle précédemment visée. 1021. M. Poussou-Plesse et D. Duplan, préc.

1022. Cons. no 8 et no 9, Cons. constit, Décision no 2003-483 DC du 14 août 2003, loi portant réforme des retraites. 1023. Voir auparavant, C. Constit., Décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989, loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion. Isabel Odoul-Asorey, Négociation collective et droit constitutionnel. Contribution à l’étude de la constitutionnalisation des branches du droit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit social », Paris, 2013, p. 176 et s ; Marie-Laure Morin, « La loi et la négociation collective : concurrence ou complémentarité », Droit social, 1998, p. 419.

2003 aucun principe général relatif à la définition ou aux voies de prises en compte de la pénibilité. Il faut sans doute trouver dans la position du Conseil constitutionnel une marque discrète du soutien aux pratiques de loi négociée 1024.

Comme en dénote la saisine du Conseil constitutionnel, une partie des débats parlemen-taires autour de l’adoption de la loi du 21 août 2003 et du renvoi à la négociation collective pour la définition et la mise en œuvre d’un dispositif de prise en compte de la pénibilité se focalisent en partie, non pas sur la définition de la pénibilité elle-même, mais sur les acteurs habilités et légitimes à le faire 1025.

Selon le rapport Struillou, deux considérations justifient la place accordée à la négociation collective. La première est d’ordre politique et trouve « en elle-même sa justification » 1026. La seconde justification est d’ordre technique : les interlocuteurs sociaux au niveau de la branche et de l’entreprise seraient les mieux placés pour apprécier la réalité de la pénibilité des postes de travail. Le rapport Lasfargues également, arguant de l’impossibilité scientifique de fixer de façon indiscutable des niveaux ou des durées d’exposition, suggérait de renvoyer la fixation des seuils à la « négociation sociale » 1027.

349. Cette conception du rôle de la négociation collective dans la définition et la mise en œuvre de la pénibilité dès le rapport Struillou, et en filigrane dans la loi du 21 août 2003, marquent dura-blement le dispositif, et ce, malgré l’échec relatif de la négociation nationale interprofessionnelle 1028. En effet, les projets qui ont émergés de ces négociations ont permis de déterminer certains facteurs de pénibilité et les grandes lignes d’une définition, reprise par le législateur dans la loi du 9 novembre 2010 1029. La prime accordée aux référentiels de branche pour la détermination des postes, des métiers ou des emplois exposant à des facteurs de pénibilité manifeste également le choix du législateur de confier aux interlocuteurs sociaux le soin de la mise en œuvre du dispositif 1030.

350. Ce renvoi massif à la négociation collective pour définir les facteurs de pénibilité, dévoile en creux le double rôle qu’occupent les interlocuteurs sociaux. Le premier, à l’instar de la discrète élaboration des tableaux de maladies professionnelles, est de conférer une légitimité sociale aux clas-sifications élaborées. Le second, est presque un rôle d’experts des situations concrètes de pénibilité

1024. I. Odoul-Asorey, op. cit., p. 189 et s. ; Michel Despax, « De l’accord à la loi », Droit social, 1987, p. 184 ; Georges Borenfreund et Marie-Armelle Souriac, « Les rapports de la loi et de la convention collective : une mise en perspective », Droit social, 2003, p. 72 ; Alain Supiot, « Un faux dilemme : la loi ou le contrat ? », Droit social, 2003, p. 59. 1025. Yves Struillou, « Pénibilité et réforme des retraites : en attendant Godot », RDSS, 2004, p. 548 ; M. Poussou-Plesse et D. Duplan, préc.

1026. Y. Struillou, Pénibilité et retraites, préc. 1027. Ibid.

1028. La négociation nationale interprofessionnelle prévue par la loi du 21 août 2003, s’ouvre en 2005. Une première phase de réunions tourne court en mai 2006. Les échanges reprennent après plus d’un an d’interruption entre juin 2007 et juillet 2008 sans que les interlocuteurs sociaux ne parviennent davantage à conclure un accord. Les interlocuteurs sociaux achoppent sur le principe de retraite anticipée pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité – tardivement accepté par la partie patronales – et surtout, le financement de ces mesures. Si la négociation nationale interprofessionnelle n’a jamais abouti, plusieurs accords collectifs au niveau des branches professionnelles et des entreprises ont été conclus. F. Héas, « Les négociations interprofessionnelles relatives à la pénibilité au travail », préc.

1029. A. Jolivet et V. Pueyo, préc. 1030. Cf. supra, n° 305, p. 176 et s.

du travail, tiré de leur expérience 1031. Apparaît ainsi une certaine porosité entre l’expertise technique des risques professionnels et la négociation collective, confirmée par les négociations en faveur de la prévention de la pénibilité.

b. L’obligation de négocier dans l’entreprise sur l’analyse et les indicateurs de la pénibilité

351. Si le législateur prend la main sur la définition de la pénibilité, la négociation collective garde une place de choix quant aux aspects relatifs à la prévention 1032. Dans l’entreprise, les interlocuteurs sociaux ne sont pas seulement chargés de négocier les mesures préventives mais également sur l’analyse de l’exposition aux facteurs de pénibilité.

352. La loi du 9 novembre 2010 crée une incitation forte à la conclusion d’accords collectifs d’entreprise relatifs à la prévention de la pénibilité 1033. Elle est devenue une véritable obligation de négocier après la loi du 20 janvier 2014 1034. Ainsi, à défaut d’accord collectif ou de plan unilatéral de prévention, les entreprises ou les groupes de cinquante salariés et plus, dans lesquels 50 % de l’effectif est exposé aux facteurs de pénibilité s’exposent à une pénalité 1035. Les entreprises dont l’effectif est de moins de trois cents salariés ne sont pas soumises à cette pénalité lorsqu’elles sont couvertes par un accord collectif de branche étendu 1036.

1031. Sur le rôle d’analyse des représentants du personnel dans l’entreprise, cf. infra, n° 518, p. 278 et s.

1032. F. Héas, « La pénibilité au travail, une problématique multidimensionnelle », préc ; F. Héas, « La pénibilité, un enjeu de santé au croisement du travail et de la retraite », préc ; F. Héas, préc ; F. Petit, préc ; Pierre-Yves Verkindt, « Le rôle des acteurs de l’entreprise dans la prévention de la pénibilité au travail », Retraite et société, no 72, 2015, p. 73. Cf. infra,n° 744, p. 392.

1033. À cela s’ajoute une incitation à négocier dans les branches. La loi crée un dispositif expérimental de compensation et d’allègement de la charge de travail par accord collectif de branche qui préfigure la création du compte personnel de prévention de la pénibilité (cf. infra, n° 935, p. 493 et s). Les incitations à la négociation collective dans la loi du 9 novembre 2010 ne sont guère suivies d’effet. Un premier bilan établi par la Direction générale du travail du 21 novembre 2012 se veut encourageant : DGT, L’obligation de négocier sur la pénibilité dans les entreprises. Premiers éléments de bilan, COR, doc. no6, 21 novembre 2012. Pourtant, au 31 janvier 2014, seulement seize accords de branche ont été conclus sur ce thème : La négociation collective en 2013, Bilan & Rapports, Ministère du Travail, DGT, DARES, 2014, p. 455. Les résultats sont contrastés selon les secteurs, certains accords collectifs de branche sont seulement des accords de méthode : Franck Héas, « La pénibilité par le prisme des dispositifs légaux de prévention » in Marion Del Sol et Franck Héas (dir.), Variations sur et autour de l’inaptitude en santé-travail, coll. « Le travail en débats », Octarès, Toulouse, 2016, p. 196 ; Ludovic Bugand et Geneviève Trouiller, « Quelle prise en compte de la pénibilité par les partenaires sociaux dans le cadre des négociations collectives d’entreprise portant sur la prévention ? », Revue de l’IRES, no 79, 2013, p. 35. 1034. Pour une partie de la doctrine, le législateur a créé dès 2010 une obligation de négocier. L’expression était sans doute un peu abusive. Les anciens articles L. 2242-1 et suivants du code du travail relatifs aux obligations de négocia-tion dans l’entreprise ne faisaient mennégocia-tion d’aucune obliganégocia-tion de négocier sur ce thème, contrairement aux branches professionnelles (art. L. 2241-4 c. trav. anc.). L’article L. 138-29 du code de la sécurité sociale relatif à l’élaboration d’un accord collectif ou d’un plan de prévention des facteurs de pénibilité, quoiqu’ambigu, n’accordait aucune prime à la voie conventionnelle. Mais à l’occasion de l’intégration de ces dispositions dans le code du travail par la loi du 20 janvier 2014, la rédaction a été légèrement modifiée. L’employeur ne peut établir un plan de prévention de la pénibilité qu’en cas d’échec des négociations, « attesté par un procès-verbal de désaccord ». Par là même, l’incitation à négocier se mue en véritable obligation d’ouvrir des négociations autour de la pénibilité. F. Héas, préc ; Sylvain Niel et Clémence Morin, « Comment négocier la pénibilité ? », SSL, 2011, 1487.

1035. Art. L. 138-29, art. D. 138-26 du code de la sécurité sociale, transférés aux articles L. 4162-1 et D. 4162-1 et suivants du code du travail par la loi no 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites ; JORF no0017 du 21 janvier 2014, p. 1050 et par le décret no 2014-1160 du 9 octobre 2014 relatif aux accords en faveur de la prévention de la pénibilité ; JORF no 0235, 10 octobre 2014, p. 16479.

1036. Art. L. 138-31, code de la sécurité sociale, transféré à l’article L. 4162-4 du code du travail par la loi du 20 janvier 2014 précitée.

Outline

Documents relatifs