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227. Le concept juridique d’organisation du travail apparaît central dans le droit de la santé et de la sécurité au travail. Dans l’ombre de la catégorie juridique de risque professionnel, il constitue l’un des traits constitutifs et structurants de la prévention. Les évolutions tendant à accentuer le caractère global des risques ou leur nouveauté, soulignent son caractère essentiel. La montée en force des impératifs de protection de la santé et de la sécurité ou la mise en cause des conditions de travail, révèlent les différentes composantes du concept. Celles-ci permettent de désigner les caractéristiques du travail et du pouvoir dans une entreprise même lorsqu’elles s’éloignent du modèle originel de la grande entreprise industrielle et de l’organisation fordo-tayloriste du travail.

La mise en rapport de la catégorie de risque professionnel et du concept d’organisation du travail révèle en effet la double dimension technique et sociale de cette dernière 672. Ces deux dimensions permettent d’ordonner les différentes composantes de la coordination par l’employeur des travailleurs et des choses 673 qui se dégagent des évolutions du droit positif.

228. La dimension technique de l’organisation du travail. La technique peut être entendue comme l’activité efficace, c’est-à-dire conforme à un but 674. Elle peut s’entendre dans un sens restreint comme les objets matériels nécessaires à une action 675. Y sont incluses les choses du travail 676

– machines, équipements 677, installations et lieux 678, agents radiologiques 679, chimiques 680,

672. La sociologie du travail distingue deux aspects de la division du travail : la division technique et la division sociale. Pierre Naville, « Division du travail et répartition des tâches » in Geroges Friedmann et Pierre Naville (dir.), Traité de sociologie du travail, vol. 1, 3e éd., Armand Colin, Paris, 1970, p. 371-386 ; Alain Touraine, « L’organisation professionnelle de l’entreprise » in Geroges Friedmann et Pierre Naville (dir.), Traité de sociologie du travail, vol. 1, 3e

éd., Armand Colin, Paris, 1970, p. 387-427. Philippe Riutort, « Le travail » in, Précis de sociologie, PUF, Paris, 2014, p. 379-416. Dans une perspective économique : Thomas Coutrot, « La division du travail » in, Critique de l’organi-sation du travail, La Découverte, Paris, 2002, p. 20-40. Et en psychodynamique : Christophe Dejours, « Organil’organi-sation du travail – Clivage – Aliénation », Travailler, no 28, 2012, p. 149. D’autres types de division du travail sont cependant envisagées : Michel De Coster, « Les divisions sociales du travail » in Michel De Coster et François Pichault (dir.), Traité de sociologie du travail, De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, 1998, p. 221-245.

673. Sur cette définition de l’organisation du travail, cf. supra, n° 16, p. 23.

674. En ce sens : Robert Cresswell, « Technologie culturelle », in Encyclopaedia universalis. Voir également : Yves Schwartz, « Technique » in Denis Kambouchner (dir.), Notions de philosophie, Tome II, coll. « Folio. Essais », Gallimard, Paris, 1995, p. 223-283 ; Christophe Dejours, Le facteur humain, PUF, coll. « Que sais je ? », Paris, 2018. 675. « Technique », TLFI, 2e sens. Voir sur ce point : C. Dejours, Le facteur humain, op. cit., p. 16 ; Y. Schwartz, op. cit. spé. p. 224-227 ; J. Porta in Jérôme Porta et Alexandra Bidet, « Le travail à l’épreuve du numérique. Regards disciplinaires croisés, droit/sociologie », Droit social, 2016, p. 328.

676. Jean-Pierre Laborde, « Le droit du travail et les choses » in, Les orientations sociales du droit contemporain. Ecrits en l’honneur de Jean Savatier, PUF, Paris, 1992, p. 267-282.

677. Art. R 4311-1 et s. c. trav. Cf. infra, n° 570, p. 307 et s. 678. Art. R. 4211-1 et s. c. trav. Cf. infra, n° 570, p. 307 et s. 679. Cf. infra, chap. 6, p. 000.

physiques 681, biologiques 682 –, utilisés dans la production et faisant l’objet de dispositions légales et réglementaires évoluant au « rythme des développements technologiques » 683. Ces choses 684

ne restent pas inertes. Elles sont maniées et utilisées par les travailleurs. La dimension technique de l’organisation du travail comprend également le savoir-faire dans le maniement des instruments et des outils, et vise essentiellement « les usages du corps dans le travail » 685, c’est-à-dire les gestes, les procédés ou les opérations 686. Source de risques professionnels, comme les affections périarti-culaires ou les facteurs de pénibilité 687, gestes et procédés sont aussi gage de l’absence de danger de l’utilisation des choses du travail 688.

Dans sa dimension technique orientée vers l’efficacité, l’organisation du travail vise à obtenir le meilleur rendement 689. La rationalisation de l’usage du temps de travail, à la racine du taylorisme 690, n’a pas disparu. Le temps y est alors entendu davantage comme un rythme 691 que comme une durée 692. Ces rythmes sont appréhendés autant comme modalités de répartition et d’aménagement du temps de travail sur la journée, la semaine ou l’année, que comme les cycles opératoires, les cadences ou les normes de productivité 693 qui pèsent sur les gestes et les opérations techniques elles-mêmes 694. L’encadrement du temps et des rythmes de travail impose une discipline collective aux travailleurs 695. La coordination qui en résulte suppose une répartition des tâches et des fonctions dans le collectif de travail qui, en retour, détermine le contenu du travail de chaque travailleur 696. L’affectation d’un travailleur à certaines tâches, à un poste de travail, à une fonction, ou à un emploi y est déterminante. Source de stress et d’anxiété lorsqu’elle entraîne une augmentation

681. Art. R. 4431-1 (bruit) ; art. R. 4441-1 (vibrations mécaniques) c. trav. Cf. infra, n° 693, p. 369 et s. 682. Art. R. 4421-1 et s. c. trav. Cf. infra, n° 693, p. 369 et s.

683. Pierre-Yves Verkindt, « L’irrésistible ascension du droit de la santé au travail », JCP S, 2015, 1243. 684. Sur les choses du travail, comme image juridique des moyens de production, cf. supra, n° 19, p. 24.

685. C. Dejours, Le facteur humain, op. cit., p. 17. Voir également : Alain Supiot, « Travail, droit et technique », Droit social, 2002, p. 13 ; J. Porta et A. Bidet, préc.

686. R. Cresswell, op. cit. 687. Cf. infra, n° 266, p. 158 et s. 688. Cf. infra, n° 614, p. 326 et s.

689. P. Naville, op. cit. Pierre Naville, Le nouveau Léviathan. De l’aliénation à la jouissance, Anthropos, Tome I, coll. « Sociologie et travail », Paris, 1970. L’auteur tend à assimiler l’usage moderne du terme « organisation du travail » à un « système de mesures appliquées à l’effort, au temps, à l’opération, au produit ». Ibid., p. 368.

690. Elle s’étend même à des secteurs qui n’en relevaient pas : Daniele Linhart, « Des changements moins audacieux » in, La modernisation des entreprises, La Découverte, Paris, 2010, p. 45-61. spé. p. 55-57

691. P. Naville, Le nouveau Léviathan. De l’aliénation à la jouissance, op. cit. Voir également : Jérôme Pélisse, « Temps », in Antoine Bevort, Annette Jobert, Michel Lallement et Arnaud Mias, Dictionnaire du travail, PUF, 2012, Paris, p. 786-792.

692. Jérôme Pélisse, « À la recherche du temps gagné. Les 35 heures entre perceptions, régulations et intégrations professionnelles », Travail et emploi, no 90, 2002, p. 7.

693. Valérie Pontif, « Les rythmes de travail », 2012, p. 208.

694. L’article L. 4121-2, 4°, vise la limitation du « travail monotone » et du « travail cadencé ». L’article L. 4161-1 c. trav. inclut parmi les facteurs de pénibilité relatif à « certains rythmes de travail », le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, ainsi que le travail répétitif.

695. Alain Supiot, « Temps de travail : pour une concordance des temps », Droit social, 1995, p. 947.

696. P. Naville, « Division du travail et répartition des tâches », op. cit. C. Dejours, « Organisation du travail – Clivage – Aliénation », préc.

de la charge de travail, la répartition des tâches décidée par l’employeur n’est pas seulement géné-ratrice de risques, son encadrement sert aussi la protection de la santé des travailleurs 697.

La répartition des tâches dans l’entreprise, liée à la recherche d’efficacité technique de la production, est également soumise aux rapports hiérarchiques 698 qui constituent l’essentiel de la dimension sociale de l’organisation du travail.

229. La dimension sociale de l’organisation sociale. La dimension sociale de l’organisation du travail désigne les rapports humains 699 ou les « relations sociales » entre les travailleurs et avec la hiérarchie 700. La hiérarchie est constituée des « degrés gradués de pouvoirs, de situation et de responsabilités » 701 formés de la délégation par l’employeur de pouvoirs ou de fonctions à différents travailleurs 702. La structure ou la ligne hiérarchique 703 laisse entrevoir, au-delà de la distinction entre cadres et non-cadres, une variété d’échelons hiérarchiques intermédiaires 704. Présente dans quelques dispositions du code du travail 705, elle apparaît indispensable dans la prise en compte juridique des risques psychosociaux ou même à l’imputation de la charge des risques professionnels dans les formes complexes d’organisation.

La structure hiérarchique, en effet, sert à l’exercice du pouvoir dans l’entreprise et précisé-ment, au lien entre les décisions de la direction et l’activité technique de travail 706. Si la structure hiérarchique n’a pas disparue avec la transformation des modes de management, les modalités et les méthodes d’encadrement et de contrôle des travailleurs ont évolué 707. La prise en compte juridique de ces pratiques managériales ou modes de management permet d’éclairer une parties des causes de risques pour la santé physique et mentale.

La dimension technique et la dimension sociale de l’organisation du travail permettent de saisir comment l’ordre juridique tisse les liens de causalité avec les risques professionnels.

697. Sur ces notions, cf. infra, n° 884, p. 467 et s.

698. En ce sens : P. Naville, « Division du travail et répartition des tâches », op. cit. 699. Ibid.

700. Le terme est employé à l’article L. 4121-2, 7° du code du travail.

701. « Hiérarchie », TLFI, 2e sens. Philippe Langlois, « La hiérarchie des salariés » in, Tendances du droit du travail français contemporain. Etudes offertes à G. H. Camerlynck, Dalloz, Paris, 1977, p. 185-208 ; Danièle Loschak, « Le pouvoir hiérarchique dans l’entreprise privée et dans l’administration », Droit social, 1982, p. 22. Sur les liens entre l’émergence de la subordination juridique et la gestion hiérarchisée dans les grandes entreprises : Cyril Wolmark, « L’émergence de la subordination », SSL, 2013, 1576.

702. Sur cette appréhension de la délégation de pouvoir ou de fonctions, cf. infra, n° 957, p. 505 et s ; n° 973, p. 513 et s. 703. Le terme de « ligne hiérarchique » est retenu par certaines législations étrangères pour désigner cette structure qui comprend les dirigeants, que ce soit au niveau supérieur ou aux échelons inférieurs, du manager au contremaître. Il s’agit de la Belgique : Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail (M. B. 18.9.1996) ; Arrêté royal du 27 mars 1998 relatif à la politique du bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail (M. B. 31.3.1998).

704. En outre, la structure hiérarchique peut être variable : A. Touraine, op. cit. 705. Art. L. 4121-3 c. trav. et art. L. 2281-3 c. trav.

706. A. Touraine, op. cit., p. 413.

707. Alain Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 2000, p. 131 ; Aurore Chaigneau et Thomas Pasquier, « Capital, travail et entreprise numérique » in, À droit ouvert. Mélanges en l’honneur d’Antoine Lyon-Caen, Dalloz, Paris, 2018, p. 186-204 ; Pascal Lokiec et Judith Rochfeld, « Nouvelle surveillance, nouvelle subordination » in, À droit ouvert. Mélanges en l’honneur d’Antoine Lyon-Caen, Dalloz, Paris, 2018, p. 545-568. Sur l’évaluation : Magali Roussel, L’évaluation professionnelle des salariés, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit socail », Paris, 2019.

Titre 2

L’ÉLABORATION DES CAUSALITÉS

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