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L’achèvement de la distinction : la subordination juridique

Conclusion de paragraphe

B. L’achèvement de la distinction : la subordination juridique

contre la protection des travailleurs dans l’entreprise

59. Jusque dans les années 1880, le tissu économique est composé d’un secteur artisanal dyna-mique et d’un secteur industriel concentré sur les mines, les chemins de fer, et la métallurgie. À une population de travailleurs encore majoritairement rurale et artisanale où s’entremêlent temps de vie, de travail et temps sociaux, la grande industrie, appuyée sur le droit, impose progressivement son modèle productif 175. L’usine, la fabrique puis l’entreprise s’imposent comme des espaces clos, privés et régis par leurs propres règles. En leur sein, les risques industriels pesant sur les travailleurs font l’objet d’un traitement juridique particulier.

Trois mouvements consacrent la naissance d’une branche du droit réglementant les rela-tions entre employeurs et travailleurs et le risque qui pèse sur ces derniers du fait de leur travail. Les premières lois sociales relatives à la protection des travailleurs et des établissements dangereux ouvrent d’abord la voie à une réglementation des nuisances industrielles à l’intérieur de l’entreprise. L’émergence d’une réglementation relative aux seuls travailleurs contribue à renouveler l’analyse de la relation contractuelle qui les lie à l’employeur. La subordination juridique, critère caractéristique du contrat de travail, offre alors un fondement nouveau à la protection contre les risques causés par le travail aux travailleurs. La loi de 8 avril 1898 relative aux accidents du travail, enfin, consacre la prise en charge du risque professionnel qui parachève la distinction de la régulation juridique des risques industriels entre travailleurs et voisins.

60. Les premières lois sociales relatives à la protection des travailleurs de l’industrie. Dans la seconde moitié du xixe siècle, fortement influencées par l’hygiénisme industriel, plusieurs lois sont adoptées afin de protéger les travailleurs de l’industrie des dangers causés par leur travail.

La loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers 176 pose les bases d’une réglementation propre aux travailleurs. Elle est suivie par la loi du

relatifs à la « liberté de fabrication, sous réserve du droit des voisins » (P. Pic, Traité élémentaire de législation indus-trielle, op. cit., p. 156 et s.). L’ouvrage de H. Capitant et P. Cuche de la même année ne fait aucune mention de la police des établissements insalubres, incommodes ou dangereux, de même que G. Scelle : Henri Capitant et Paul Cuche, Précis de législation industrielle, Dalloz, 2e éd., Paris, 1930 ; Georges Scelle, Précis élémentaire de législation industrielle, Recueil Sirey, Paris, 1927.

174. D. Jans, préc.

175. Des historiens forment l’hypothèse que la généralisation de la fabrique et son modèle social répond moins à un besoin d’efficacité économique qu’à une stratégie d’efficacité sociale et politique de contrôle de l’organisation de la production. V. Viet, op. cit., p. 25. Voir également : Philippe Lefebvre, L’invention de la grande entreprise, PUF, coll. « Sociologies », Paris, 2003 ; P. Lefebvre, préc. Sur l’hypothèse d’une coproduction du travail subordonné par le droit et la gestion à la fin du xixe siècle : Cyril Wolmark, « L’émergence de la subordination », SSL, 2013, 1576.

176. Loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers. Yannick Guin, « Au coeur du libéralisme : la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les amnufactures, usines ou ateliers » in Jean-Pierre Le Crom (dir.), Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, coll. « Points d’appui », Ed. de l’Atelier, Paris, 1998, p. 29-43 ; H. Defalvard, op. cit.

19 mai 1874 relative au travail des enfants et des filles mineures employées dans l’industrie 177, et la loi du 2 novembre 1892 y ajoute les femmes 178. Ces lois ne consacrent pas seulement l’existence d’une réglementation propre à certaines catégories particulières de travailleurs 179, elles ouvrent la voie à la généralisation de ces prescriptions à l’ensemble des travailleurs de l’industrie, puis progres-sivement, aux établissements commerciaux 180.

À la réglementation de l’accès à l’emploi, des travaux ou du temps de travail s’ajoutent les premières lois relatives à l’organisation matérielle des établissements industriels. La loi du 12 juin 1893 concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels 181 et son décret d’application du 10 mars 1894 182 prescrivent la disposition des lieux de travail ou la forme des équipements de travail 183.

Ces lois ont vocation à réguler les risques industriels. À la différence du décret du 15 octobre 1810 sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, cette législation réglemente directement l’organisation interne des usines, ateliers et manufactures, et non leur installation dans un environnement plus vaste. Ces lois visent à protéger les personnes touchées par les risques industriels : les travailleurs. Elles contribuent en cela à façonner une branche du droit, le droit du travail, en réglementant certains aspects de l’organisation du travail 184.

61. La naissance du contrat de travail et de la subordination juridique. À la faveur des évolutions économiques de l’émergence de la grande industrie dans les années 1880 185, l’adoption de ces premières lois favorise, dans le dernier quart du xixe siècle, le renouvellement de l’analyse juridique de la relation contractuelle liant le travailleur à son patron.

Sous l’empire du Code civil de 1804, la relation de travail peut prendre deux formes, celle du louage d’ouvrage et celle du louage de service. La première, proche de notre actuel contrat d’en-treprise, implique la promesse par l’ouvrier des résultats de son œuvre, et le paiement du travail à

177. Loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie ; Bulletin de l’Assemblée nationale, XII, B. CCIV, no 3094. Michèle Bordeaux, « Nouvelle et périmée : la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie » in Jean-Pierre Le Crom (dir.), Deux siècle de droit du travail. L’histoire par les lois, Ed. de l’Atelier, Paris, 1998, p. 45-59.

178. Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles et de femmes dans les établissements industriels. Anne-Marie L. Mallet, « 2 novembre 1892 - 30 mars 1900 : genèse de la loi Millerand » in Jean Luciani (dir.), Histoire de l’Office du travail, Syros, Paris, 1992, p. 259-285 ; Michelle Zancarini-Fournel, « Archéologie de la loi de 1892 en France » in Leora Auslander et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Différence des sexes et protection sociale (xixe

– xxe siècles), coll. « Culture et Société », Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 1995, p. 75-92 ; Vincent Viet, « Entre protection légale et droit collectif : la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels » in Jean-Pierre Le Crom (dir.), Deux siècles de droit du travail. l’histoire par les lois, coll. « Points d’appui », Ed. de l’Atelier, Paris, 1998, p. 73-87.

179. Sur le maintien de catégories différenciées de travailleurs, cf. infra, n° 837, p. 443 e s.

180. Par exemple, loi du 13 juillet 1906 établissant le repos hebdomadaire en faveur des employés et ouvriers ou la loi du 23 avril 1919 relative à la journée de huit heures. Sur le rôle de ces lois dans la formation du droit du travail : Yann Delbrel, « La loi du 23 avril 1919 sur la journée de huit heures : de la législation industrielle au droit du travail », Droit social, 2019, p. 334.

181. Loi du 12 juin 1893 concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels ; JORF du 13 juin 1893, p. 2910

182. Décret du 10 mai 1894 concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, portant règlement d’administration publique pour la loi du 12 juin 1893 ; JORF du 11 mars 1894, p. 1139.

183. Sur cette loi et le rôle des prescriptions techniques, cf. infra, n° 577, p. 310. 184. P. Pic, op. cit., p. 248 et s.

la pièce. La seconde n’implique que la promesse d’une activité, les services. Bien que la question soit peu soulevée par les juristes, la relation entre ouvriers et patrons est pour l’essentiel qualifiée de contrat de louage d’ouvrage 186. Le contrat de louage de service est réservé aux domestiques, ou aux journaliers sans profession 187. En d’autres termes, durant les trois quarts du xixe siècle, sous l’égide du contrat de louage d’ouvrage, l’ouvrier est juridiquement indépendant et propriétaire des résultats de son travail, qu’il promet à son patron.

À partir des années 1870, la nature de la relation contractuelle est débattue devant la Cour de cassation 188, et surtout par certains auteurs. En 1886, E. Glasson, propose le terme de contrat de travail pour qualifier cette relation contractuelle entre ouvrier et patron. Par une relecture erronée de près d’un siècle de jurisprudence, il assimile l’ensemble des relations de travail au contrat de louage de service. Cette requalification du contrat de louage d’ouvrage entraîne avec lui deux consé-quences majeures. D’une part, le louage de services n’implique aucune propriété sur les fruits du travail réalisé, contrairement au louage d’ouvrage 189. D’autre part, le contrat de louage de service, apanage de la domesticité, fonde la soumission aux ordres patronaux.

La qualification de contrat de louage de service, qui doit désormais accueillir les relations de travail, est précisément caractérisée par la soumission de l’ouvrier aux ordres du patron. La notion de contrat de travail développée et reprise par M. Sauzet sert à accueillir les fondements juridiques de l’autorité du patron 190. Le principe est clair, il n’en reste pas moins que la notion de contrat de travail met près d’une trentaine d’années à se fixer autour de la notion de subordination juridique 191.

Le « coup de force dogmatique » 192 d’E. Glasson, en permettant la caractérisation de la rela-tion contractuelle qui lie employeur et travailleur, le contrat de travail, par la subordinarela-tion permet, à l’entreprise de s’imposer comme un espace disciplinaire, clôt et doté de son propre rythme 193. Le

186. Alain Cottereau, « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, xixe siècle) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 6, 2002, p. 1521 ; P. Lefebvre, préc.

187. Cyril Wolmark, « Quelle place pour le travail dans le droit du travail ? », Droit social, 2016, p. 439.

188. Essentiellement, la querelle nait des évolutions jurisprudentielles appliquée à la grande industrie, les chemins de fer, et étendue à l’ensemble des secteurs. Les cheminots, organisés pour revendiquer sur de meilleures conditions de travail et de santé des voyageurs, s’étaient vus révoqués et confisquer les cotisations salariales des caisses de retraite. La Cour de cassation affirme une possibilité de libre révocation (ou licenciement) par le patron s’accompagnant de la confiscation des cotisations salariales aux caisses de retraites. L’enjeu est double : il s’agit de consacrer autant l’arbitraire de la rupture du contrat que la confiscation des produits de l’épargne salariale. A. Cottereau, préc.

189. La question des résultats du travail reste peu étudiée des juristes, qui lui préfèrent l’analyse du travail comme activité et particulièrement de la subordination. C. Wolmark, préc. Toutefois, sur cette question : Thierry Revet, La force de travail. Etude juridique, Litec, coll. « Bibliothèque de droit de l’entreprise », vol. 28, Paris, 1992. Delphine Gardes, Essai et enjeux d’une définition juridique du travail LGDJ-Lextenso et Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, coll. « Collection des thèses de l’IFR », Paris, 2013. Comme le notait G. Lyon-Caen, « il a fallu cet événement histo-rique, la dissociation du travail humain de la propriété des instruments de travail, pour que naisse le moderne Droit du travail » : Gérard Lyon-Caen, « Fondements historiques et rationnels du droit du travail », Droit ouvrier, 2004, p. 53. Sur le résultat de la production, cf. supra, n° 19, p. 24.

190. A. Cottereau, préc ; P. Lefebvre, préc.

191. Cass., 6 juillet 1931, Bardou. La Cour de cassation exclu définitivement la notion de dépendance économique pour qualifier le contrat de travail.

192. A. Cottereau, préc.

193. Les règlements d’ateliers ont un rôle hautement symbolique dans la clôture de l’usine : Jacques Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail : des années 1830 à nos jours, Presses universitaires de Rennes, nouv. éd., coll. « L’univers des normes », Rennes, 2004, p. 29. Dans le même sens : V. Viet, op. cit., p. 25.. Toutefois, l’historiographie récente montre que de tels règlements d’atelier étaient loin d’être aussi nombreux qu’auraient pu laisser penser dans un premier temps les analyses de M. Foucault sur la discipline : Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, coll.

contrat de travail est ainsi l’image juridique d’une main-d’œuvre soumise à la discipline d’atelier 194

telle qu’elle s’impose dans l’organisation productive à partir de 1880. La subordination juridique qui s’invente à la fin du xixe siècle ne se présente ainsi pas uniquement comme l’image juridique de la dépossession des résultats du travail 195, mais également comme la soumission au pouvoir de l’employeur sur l’organisation du travail. La subordination juridique marque la reconnaissance d’une fonction de coordination du travail de l’employeur qui aboutit à la naissance de l’entreprise moderne et de la hiérarchie 196.

L’autorité de l’employeur sur les travailleurs à l’intérieur de l’entreprise fonde une prise en charge spécifique de la réparation des dommages qui leur sont causés du fait de leur activité professionnelle.

62. La loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail et le risque professionnel. Parallèlement à l’émergence de la notion de contrat de travail, la question de la réparation des atteintes de l’in-dustrie sur les corps des ouvriers devient une question cruciale. En 1880, M. Nadaud 197 propose une loi sur la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail qui sera adoptée dix-huit ans plus tard : la loi du 8 avril 1898 sur la réparation des accidents du travail 198, étendue en 1919 aux maladies professionnelles 199.

63. Les longs débats à l’Assemblée nationale ont alors constitué essentiellement en une recherche des fondements juridiques d’une réparation des accidents nés du travail, et en une quête de la problématisation des accidents du travail 200.

La réparation des accidents, fondée sur la responsabilité civile de l’employeur, apparaissait doublement inadéquate. La jurisprudence considérait que le fondement de la réparation était délic-tuel et non contracdélic-tuel, et qu’il était à rechercher, en vertu de l’article 1382 du Code civil, dans la faute de l’employeur 201. L’ouvrier qui intentait un procès devait prouver la faute de l’employeur et

« Tel », Paris, 1993, p. 205 et s ; P. Lefebvre, préc.

194. François Ewald, L’État-Providence, B. Grasset, Paris, 1986, p. 111 et s.

195. Antoine Jeammaud, « Les fonctions du droit du travail » in, Le droit capitaliste du travail, coll. « Critique du droit », PUG, Grenoble, 1980, p. 149-254, spé. 188-190.

196. P. Lefebvre, op. cit ; P. Lefebvre, préc ; Eric Godelier, « Le changement de l’entreprise vu par les sciences de gestion ou l’introuvable conciliation de la science et de la pratique », Entreprises et histoire, no 35, 2004, p. 31. Sur l’or-ganisation du travail comme coordination des travailleurs et des choses décidée par l’employeur, cf. supra, n° 19, p. 24. 197. Francis Hordern, « Le droit des accidents du travail au xixe siècle », Cahiers du CHATEFP, no 4, 2000, p. 93. 198. Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail ; JORF du 10 avril 1898, p. 2209.

199. Loi du 25 octobre 1919 étendant aux maladies d’origine professionnelle la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, JORF, 27 octobre 1919, p. 11973. Sur cette loi, cf. infra, n° 240, p. 147 et s.

200. F. Ewald, op. cit., p. 229 et s.

201. Dans le cadre des articles 1382 et 1383 du Code civil, certains tribunaux donnaient une interprétative extensive de la faute du patron, qui doit prendre des mesures de précautions nécessaires. Ainsi, a pu être considéré comme de sa responsabilité pour fait personnel, les défauts d’outillage. Paul Pic, Traité élémentaire de législation industrielle Arthur Rousseau éd., 3e éd., Paris, 1909. no 1035 et s., p. 806 et s. Cette analyse, ne se déduit guère de la lecture des articles 1382 et 1383 mais repose plus sur une analyse de l’organisation naissante de l’usine où la volonté patronale domine. Jean-Philippe Hesse, « Le nouveau tarif des corps laborieux : la loi du 8 avril 1898 concernant les responsabilités des accidents » in Jean-Pierre Le Crom (dir.), Deux siècles de Droit du Travail. L’histoire par les lois, coll. « Points d’appui », Ed. de l’Atelier, Paris, 1998, p. 89-103. Reste que malgré cette interprétation de la faute patronale nombre d’accidents échappaient à sa responsabilité dont les ouvriers sont victimes dans leur travail (les accidents résultant de la faute de l’ouvrier, d’un danger inhérent au travail ou ayant une cause inconnue). F. Ewald, op. cit., p. 236 et s.

le lien de causalité, ce qui était de nature à limiter l’admission de la responsabilité en cas d’accident. Sa participation au dommage était également de nature à limiter la réparation. Insatisfaisant pour le demandeur, ce fondement de la responsabilité l’était également pour les industriels. Selon eux, la responsabilité pour faute impliquait une suspicion de culpabilité inadéquate à un développement économique harmonieux 202. Devant ces difficultés, à partir des années 1880, certains auteurs propose nt un autre fondement de la responsabilité : la responsabilité contractuelle à raison de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur 203. Une telle théorie n’a pas reçu l’heur de la jurisprudence. Si elle permettait de renverser la charge de la preuve, elle n’excluait pas l’examen de la conduite tant de l’ouvrier que du patron 204.

La responsabilité délictuelle comme la responsabilité contractuelle sont apparues limitées devant le développement de l’industrie moderne. Reposant sur une logique similaire relative au pouvoir et à l’autorité du patron 205, elles ont contribué à faire émerger la théorie du risque professionnel.

64. La théorie du risque professionnel qui est proposée au cours des débats vise précisément à éviter ces effets du procès civil. Le patron se voit imputer la charge des accidents survenus par le fait ou à l’occasion du travail, sans qu’il soit besoin d’examiner l’enchaînement des causalités et sa propre conduite ou celle de l’ouvrier. En contrepartie de cette responsabilité objective l’indemni-sation est limitée à une somme forfaitaire. La responsabilité est fondée non plus sur la faute ou sur le manquement contractuel, mais sur l’autorité que détient l’employeur sur le travailleur du fait du contrat de travail 206.

65. Ce qui est connu sous l’appellation de compromis de la législation sur les accidents du travail, qui perdure aujourd’hui aux articles L. 411-1 et suivants du code de la sécurité sociale, implique un échange de plus grande ampleur que la réparation dite automatique des accidents du travail et des maladies professionnelles 207. La consécration d’une réparation en dehors du droit commun achève la définition d’un droit spécifique à la régulation juridique des risques industriels pesant sur les travailleurs. L’invention du risque professionnel est le corollaire du contrat de travail naissant et de la soumission à l’autorité patronale qui le sous-tend 208. La transaction qui s’opère est celle d’une subordination-protection : le patron et bientôt l’employeur, se voient imputer les charges des dommages nés du travail à raison, précisément, de la reconnaissance de son seul pouvoir dans l’organisation et la direction de l’entreprise.

202. F. Ewald, op. cit.

203. Jean-Louis Halpérin, « La naissance de l’obligation de sécurité », Gaz. Pal., 1997, p. 1176. Cf. supra, n° 3, p. 15. 204. F. Ewald, op. cit.

205. Ibid.

206. Morane Keim-Bagot, De l’accident du travail à la maladie : la métamorphose du risque professionnel, Dalloz, 148, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », Paris, 2015, no 11 et s., p. 17 et s

207. Décision no 2010-8 QPC du 18 juin 2010, cons. no 16 : « ces dispositions garantissent l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ».

Conclusion de paragraphe

66. L’invention du risque professionnel marque l’achèvement, dans l’ordre juridique, d’une double distinction dans la réglementation des effets de l’industrie sur la santé. Se distinguent d’une part, la réglementation des risques industriels hors de l’établissement visant à protéger le droit de propriété des voisins et, d’autre part, la réglementation visant à préserver et réparer les travailleurs subordonnés des risques professionnels.

La reconnaissance juridique de la catégorie juridique de risque professionnel peut s’ana-lyser comme un accompagnement de la naissance des organisations industrielles modernes et particulièrement de la grande industrie hiérarchisée à un double titre. D’une part, la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs a pour fondement l’absence de maîtrise sur les conditions de l’exécution de leur travail et le pouvoir de l’employeur sur l’organisation, et d’autre part, cette protection passe par un encadrement juridique de ce pouvoir.

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