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La prise en compte des risques environnementaux et sanitaires

CONCLUSION DE SECTION

B. La prise en compte des risques environnementaux et sanitaires

dans la prévention des risques professionnels

105. Le droit du travail et le droit de l’environnement se sont construits historiquement comme deux branches visant à la réglementation des risques industriels respectivement dans l’entreprise et hors de l’entreprise 332. Une partie de réglementation est commune ou connexe 333. Le droit du travail et le droit de l’environnement, en effet, ont une « zone d’action commune » relative à la santé des personnes 334. Si les points de contact sont anciens, ils sont en développement.

Plus qu’une convergence des modalités de prévention 335, s’observe en droit du travail une prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux. À la prévention des risques professionnels dans l’entreprise, semble désormais devoir s’ajouter une forme minimale de prévention des risques sanitaires et environnementaux qu’est susceptible de créer l’activité productive.

106. La réglementation des installations classées Seveso. Historiquement, le point de contact entre les législations du travail et de l’environnement se noue autour de la police des établissements dangereux, insalubres et incommodes, désormais nommées « installations classées » 336. La loi du 19 juillet 1976 337, qui avait abouti à une prise en compte renforcée de l’environnement dans le contrôle de l’installation des établissements industriels dangereux, n’avait pas eu d’effets substantiels en droit du travail. Si les directives communautaires dites Seveso avaient déjà produit quelques effets en droit du travail 338, il faut attendre la catastrophe de l’usine AZF en 2001 pour que le législateur prenne en compte les aspects sociaux des risques environnementaux 339. En effet, plus de la moitié des victimes de l’explosion de l’usine toulousaine sont des travailleurs, et notamment des sous-traitants. L’absence de formation et de coordination a causé l’accident, révélant le risque environnemental lié à la sous-traitance. La loi dite Bachelot du 30 octobre 2003 relative à la prévention des risques technologiques majeurs renforce ainsi les obligations de prévention dans l’entreprise. Le classement

332. Cf. supra, n° 55, p. 44 et s.

333. Alexis Bugada, « L’influence du droit de l’environnement sur le droit du travail », SSL, 2005, 1232. 334. M. Prieur et al., op. cit. no 1080 et s., p. 870 et s.

335. Véronique Sanseverino-Godfrin et Pascale Steichen, Convergences et divergences du traitement juridiquedes risques professionnels et des risques industriels, Le risque industriel : Une question de sciences humaines et sociales, Lyon, mars 2010. Certains principes de prévention sont communs : normalisation, substitution des substances dangereuses, compensation de l’exposition au risque, cf. infra, Deuxième partie, n° 562, p. 303 et s. La participation des intéressés est également un trait commun : Ylias Ferkane, L’accord collectif de travail. Etude sur la diffusion d’un modèle, Dalloz, 166, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », Paris, 2017, no 462 et s., p. 357 et s. Voir également : Josépha Dirringer, « Les voies vers une démocratie sociale et environnementale ou l’illusion procédurale ? », Droit social, 2015, p. 326. 336. Cf. supra, n° 56, p. 44 et s. L’étude de cette réglementation a depuis longtemps disparu des manuels de droit du travail, mais elle conserve une place de choix dans les manuels de droit de l’environnement, en lien avec le droit du travail : M. Prieur et al., op. cit., no 1080, p. 870 et s.

337. Loi no7 6-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ; JORF du 20 juillet 1976, p. 4320.

338. Directive 82/501/CEE dite directive Seveso 1, du 24 juin 1982 ; directive 96/82/CE dite Seveso 2 du 9 décembre 1996 ; remplacée par la directive 2012/18/UE du 4 juillet 2012. La première prévoyait ainsi que les fabricants de ces installations devaient fournir aux autorités un « plan d’urgence y compris l’équipement de sécurité, les moyens d’alerte et d’intervention prévus à l’intérieur de l’établissement en cas d’accidents majeurs » (art. 5, c)). La seconde ajoute que ces plans d’urgence internes doivent être « élaborés en consultation avec le personnel travaillant dans l’établissement, y compris le personnel sous-traitant concerné travaillant sur le site à long terme » (art. 11, c), 3.).

339. Loi no 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques majeurs ; JORF du 31 juillet 2003, p. 13021. Alexis Bugada, « La loi Bachelot du 30 juillet 2003 et la protection du personnel dans les entreprises à risque », JCP E, 2005, 30.

Seveso d’une entreprise emporte, pour l’essentiel, un renforcement des obligations de l’employeur et, notamment de coordination avec les sous-traitants 340, et des prérogatives du comité économique et social 341. La loi Bachelot vise également à renforcer la coopération entre l’inspection du travail et l’inspection des installations classées 342, et donc la prévention des risques professionnels dans l’entreprise, mais aussi à éviter les accidents industriels et technologiques majeurs qui peuvent affecter autant les travailleurs que les personnes et la nature environnante.

Le rapprochement du droit du travail et du droit de l’environnement en matière d’ins-tallations classées est indéniable. Reste que, limité aux seules insd’ins-tallations classées Seveso « seuil haut », le point de contact est réduit 343. Il apparaît comme l’exception dans la genèse historique d’une séparation de la police interne et de la police externe des nuisances industrielles 344. Une telle exception apparaît fondée sur la nature particulière des travaux exécutés dans ces installations classées. Devant leur dangerosité, le droit du travail encadre l’organisation du travail au sein de ces établissements afin d’assurer autant la protection de la santé des travailleurs que celle des tiers. 107. L’alerte sanitaire et environnementale dans l’entreprise. L’intégration des préoccupa-tions sanitaires et environnementales en droit du travail n’est pas limitée aux seules installapréoccupa-tions classées. Elle s’observe également dans les récentes missions conférées au médecin du travail. La loi dite Travail du 8 août 2016 345 ajoute en effet un thème aux missions préventives des services de santé au travail. L’article L. 4622-3 du code du travail précise que le rôle du médecin du travail est de contribuer « à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail », mais également à éviter « tout risque manifeste d’atteinte à la sécurité des tiers évoluant dans l’environ-nement immédiat de travail ».

108. L’intégration des préoccupations sanitaires et environnementales s’observe particulière-ment à l’égard des attributions des représentants du personnel et de l’exercice de leur droit d’alerte. L’« implication » 346 environnementale des salariés et de leurs représentants n’est pas une question neuve 347. Les droits à l’information et à l’alerte en matière environnementale ou sanitaire étaient pour l’essentiel pensés comme une composante de leurs compétences générales, étendues à des

340. Art. L. 4522-1 et s. c. trav.

341. Art. L. 4523-1 et s. c. trav. C. Vanuls, op. cit. no 470 et s., p. 391 et s. ; Franck Héas, « La protection de l’environ-nement en droit du travail », RDT, 2009, p. 565. Selon l’auteur, le classement Seveso de l’entreprise Snecma n’est pas indifférent à la solution de la Cour de cassation sur l’interdiction de la réorganisation en raison des risques pesant sur la santé des salariés, qui pourraient à terme faire courir un risque environnemental. Voir également Cass. Soc., 15 janvier 2013, no 11-27.679 ; Bull. civ., V, no 10 ; RJS, 2013, 3, p. 182 ; Droit social, 2013, p. 284, obs. Daniel Boulmier ; Procédures, 2013, 6, p. 23, note Alexis Bugada ; JSL, 2013, 1599, note Jean-Baptiste Cottin ; JCP S, 2013, 1103, note Lydie Dauxerre. Le CHSCT invoquait, pour justifier le recours à l’expertise, le classement Seveso II et le recours à la sous-traitance. La Cour de cassation considère que cela n’est pas en soi suffisant à caractériser le risque grave.

342. Loi no2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques majeurs, préc. A. Bugada, « La loi Bachelot… », préc.

343. Ibid.

344. D. Jans, préc. Cf. supra, n° 55, p. 44 et s.

345. La loi no 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ; JORF no 0184 du 9 août 2016.

346. Isabelle Vacarie, « L’implication écologique du salarié » in, Droit du travail et droit de l’environnement, coll. « Droit et économie de l’environnement », Litec, Paris, 1994, p. 111-126.

aspects environnementaux 348. Le législateur a consacré un droit d’alerte spécial en matière de santé publique et d’environnement par une loi du 16 avril 2013 349.

Ce droit d’alerte peut être exercé par le travailleur individuellement, lorsqu’il « estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement » 350. Le représentant du personnel au comité social et économique qui constate un tel risque dispose également d’un droit d’alerte 351.

Cette procédure d’alerte en matière sanitaire et environnementale est calquée sur la procé-dure d’alerte lorsqu’un risque grave et imminent pèse sur la santé et la sécurité des travailleurs 352. Le travailleur ou le représentant du personnel alerte l’employeur et la situation est examinée conjointement avec ce dernier 353. En cas de divergence d’analyse, le Préfet du département peut être saisi 354. Cette procédure d’alerte se distingue nettement de la protection des lanceurs d’alerte instituée par la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016 355, qui elle, peut aboutir à une information du public. La procédure d’alerte sanitaire et environnementale reste une « procédure d’urgence » interne à l’entreprise 356. Elle vise exclusivement à informer l’employeur en vue de le faire réagir à des risques sanitaires et environnementaux 357.

348. Ibid. ; Marie-Pierre Blin-Franchomme et Isabelle Desbarats, « L’implication écologique des salariés : une nouvelle donne pour la responsabilité environnementale » in Chantal Cans (dir.), La responsabilité environnementale. Prévention, imputation réparation, coll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, Paris, 2009, p. 335-364 ; Isabelle Desbarats, « La compétence environnementale du CHSCT : réalité ou utopie ? », SSL, 2008, 1292.

349. Loi no 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ; JORF du 17 avril 2013, p. 6465. Marc Véricel, « Institution d’un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement », RDT, 2013, p. 415. Cette loi prévoyait également un mécanisme de protection du lanceur d’alerte, supprimé par la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016, au profit d’une définition du lanceur d’alerte à vocation unitaire (Samuel Dyens, « Le lanceur d’alerte dans la loi « Sapin 2 » : un renforcement en trompe-l’œil », AJ Collectivités territoriales, 2017, p. 127 ; Emmanuel Daoud et Solène Sfoggia, « Lanceurs d’alerte et entreprises : les enjeux de la loi « Sapin II », AJ Pénal, 2017, p. 71.)

350. Art. L. 4133-1 c. trav. Sur l’alerte individuelle : Julien Icard, « L’alerte individuelle en droit du travail », Droit social, 2017, p. 545. Ce mécanisme d’alerte est à distinguer de la protection des lanceurs d’alerte instituée par la loi Sapin II du 9 décembre 2016.

351. Art. L. 4133-2 c. trav.

352. Art. L. 4131-1 c. trav. Sur l’alerte du CSE, cf. infra, n° 523, p. 280 et s. Sur l’alerte du travailleur, cf. infra,n° 503, p. 271 et s.

353. Art. L. 4133-2 c. trav.

354. Art. L. 4133-3 c. trav. Caroline Vanuls, « Les conflits collectifs du travail à dimension environnementale », Énergie – Environnement – Infrastructures, no étude no 14, juillet 2015.

355. Loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la moderni-sation de la vie économique ; JORF no0287 du 10 décembre 2016. Le mécanisme de protection du travailleur en cas d’alerte sanitaire et environnementale prévue par la loi du 16 avril 2013 a été supprimé par la loi Sapin II. Partant, le salarié qui met en œuvre cette alerte professionnelle sanitaire et environnementale, ne peut guère s’appuyer sur une quelconque protection. Pour être protégé par l’article L. 1132-3-3 c. trav., il faudrait que « les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement » qui font peser un « risque grave sur la santé publique ou l’environnement », au sens de l’article L 4311-1 c. travail, constitue également « une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général » au sens l’article 6 de la loi Sapin II. Les insuffisances de la protection du salarié qui alerte sur les risques sanitaires et environnementaux réduit grandement la portée du dispositif. Sur les problèmes d’articulation entre les différents fondements de la protection des lanceurs d’alerte : Chantal Mathieu et Fabienne Terryn, « Le statut du lanceur d’alerte en quête de cohérence », RDT, 2016, p. 159. Voir également : Samuel Dyens, « Le lanceur d’alerte dans la loi « Sapin 2 » : un renforcement en trompe-l’œil », AJ Collectivités territoriales, 2017, p. 127 ; Emmanuel Daoud et Solène Sfoggia, « Lanceurs d’alerte et entreprises : les enjeux de la loi « Sapin II », AJ Pénal, 2017, p. 71 356. François-Guy Trébulle, « Alertes et expertise en matière de santé et d’environnement, les enjeux de la loi du 16 avril 2013 », Environnement, no étude no 21, août 2013. Sur les procédures d’urgence : Manuella Grévy, « Les procédures d’urgence », 2011, p. 764.

109. L’évolution des missions du médecin du travail et l’alerte environnementale et sani-taire des travailleurs et de leurs représentants manifestent une forme d’extension du champ de la santé au travail au-delà des risques professionnels. Toutefois, cette alerte reste distincte des alertes professionnelles relatives aux atteintes, aux dangers et aux risques affectant la santé des travailleurs. Le traitement des risques sanitaires et des risques environnements demeurent ainsi largement distincts. Cette distinction laisse planer un doute sur la finalité de l’alerte sanitaire ou environnementale. Décorrélée des risques professionnels, cette alerte pourrait ne pas permettre d’interroger pleinement les effets de l’organisation du travail dans l’entreprise sur les risques sanitaires et environnementaux.

110. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Pour certains auteurs, une telle distinction serait un frein à une politique de prévention efficace des risques industriels et technologiques, ou même à leur juste réparation 358. Elle favoriserait l’expression d’intérêts divergents entre travailleurs, consommateurs, voisins des entreprises ou association de défense de l’environnement 359. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) permet selon nombre d’auteurs de briser cette distinction jugée artificielle entre risque professionnel et risque environnemental, et de renouer ensemble la communauté des intérêts productifs, des intérêts des travailleurs, de la population et de l’environnement 360. La RSE cherche à allier performances économiques et « performances sociales et environnementales » 361. La gestion des risques mixtes appellerait ainsi « un droit intégré de l’entreprise » 362.

Une telle perspective, associant une reconnaissance de la RSE et un « droit de l’entreprise » embryonnaire, connaît une forme de consécration avec la modification de l’article 1833 du Code civil relatif à l’intérêt social de la société par la loi PACTE du 22 mai 2019 363. L’article 1833 alinéa

qui fait la marque des lanceurs d’alerte : Danièle Lochak, « Les lanceurs d’alerte et les droits de l’Homme : réflexions conclusives », La Revue des droits de l’homme, 10, 2016, [en ligne] mis en ligne le 30 juin 2016, http ://journals. opene-dition. org/revdh/2362, consulté le 6 juin 2017.

358. Rémi Pellet, « L’entreprise et la fin du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles », Droit social, 2006, p. 402.

359. A. Bugada, « L’influence du droit de l’environnement sur le droit du travail », préc ; Antoine Mazeaud, « Environnement et travail » in, Pour un droit commun de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, Paris, 2007, p. 297-307 ; Michel Despax, « Rapport introductif » in SFDE (dir.), Droit du travail et droit de l’environnement, coll. « Droit et économie de l’environnement », Litec, Paris, 1994, p. 9-19.

360. C. Vanuls, op. cit.n° 144 et s., p. 133 et s ; Marie-Pierre Blin-Franchomme, Isabelle Desbarats, Gérard Jazottes et Virgine Vidalens, Entreprise et développement durable. Approche juridique pour l’acteur économique du XXIe siècle, Lamy, coll. « Axe Droit », Paris, 2011, p. 189 et s.

361. Michel Capron, « La responsabilité sociale d’entreprise », Encyclopédie du développement durable, 2009, [en ligne] mis en ligne le 28 juillet 2009, http://encyclopedie-dd.org/IMG/pdf_N_99_Capron.pdf, consulté le 13 mars 2016. 362. D. Jans, préc. On se souviendra des analyses pénétrantes de MM. Lyon-Caen sur la doctrine de l’entreprise : Gérard Lyon-Caen et Antoine Lyon-Caen, « La doctrine de l’entreprise » in, Dix ans de droit de l’entreprise, coll. « Bibliothèque de droit de l’entreprise », Litec, Paris, 1978, p. 599-621 ; Antoine Lyon-Caen, « Le droit sans l’en-treprise », RDT, 2013, p. 748.

363. Loi no 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ; JORF no 0119 du 23 mai 2019. Voir sur ce point : Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Rapport aux Ministre de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Economie et des finances, du Travail, mars 2018. spé. p. 40. Sur cette évolution : Stéphane Vernac, « Du bon gouvernement de l’entreprise en société », RDT, 2018, p. 261 ; Gérard Mardine et Pascal Pavageau, « Que peut-on attendre en droit du travail d’une modification de « l’objet social de l’entreprise » ? », RDT, 2018, p. 101 ; Joëlle Simon, Jean-Pierre Azais, Sébastien Darrigrand et Bastien Resse, « Que peut-on attendre en droit du travail d’une modification de « l’objet social de l’entreprise » ? (la fin) », RDT, 2018, p. 255 ; Marylise Léon et Fabrice Angei, « Que peut-on attendre en droit du travail d’une modification

2 du Code civil dispose désormais que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Si la portée de la modifica-tion est limitée 364, elle traduit néanmoins une tentative de régulation et de gouvernance conjointe des impacts sociaux et environnementaux de l’activité productive de l’entreprise.

La RSE pourrait traduire la régulation transversale des risques professionnels, sanitaires et environnementaux. Si niche toutefois un paradoxe. La prévention des risques liés à l’entreprise qui rejaillissent au-delà, dépend largement de la qualité du travail en son sein, et donc de son organisa-tion. Le caractère volontaire des engagements de RSE 365 tranche avec le nécessaire encadrement du pouvoir patronal sur l’organisation du travail afin de prévenir ces risques. On peut douter en effet, qu’un employeur restreigne volontairement son pouvoir et se refuse à mettre en œuvre certaines modalités d’organisation du travail lorsqu’elles ne sont pas légalement imposées. À travers le déve-loppement de la RSE et la recherche des performances économiques, sociales et environnementales de l’entreprise, le pouvoir de l’employeur sur l’organisation du travail paraît peu pris en compte et pourrait être invisibilisé. Pourtant, la santé sanitaire ou environnementale dépend largement des choix productifs opérés à l’intérieur de l’entreprise 366.

Conclusion de paragraphe

111. Le droit de la santé au travail, à certains égards, ne s’attache plus seulement à préserver la santé des seuls travailleurs dans l’entreprise. Il saisit de nouvelles personnes et de nouveaux objets. La santé de la population, et particulièrement des consommateurs, et la protection de l’environ-nement, sont désormais partiellement intégrées à la régulation des risques dans l’entreprise, au risque d’une invisibilisation de l’organisation du travail. Ce mouvement d’extension du droit de la santé au travail, à l’instar de l’extension à la santé des travailleurs au-delà du risque profession-nel, reste toutefois encore limité. Il ne vise que certains risques, comme le risque chimique, ou les installations classées, ou encore certaines modalités particulières de prévention telle que l’alerte des travailleurs et de leurs représentants. La RSE, si elle connaît un embryon de traduction dans les normes légales, demeure pour l’essentiel un courant doctrinal. Même si le droit de la santé au

de « l’objet social de l’entreprise » ? (la suite) », RDT, 2018, p. 171 ; Isabelle Desbarats, « De l’entrée de la RSE dans le code civil », Droit social, 2019, p. 47 ; « Dossier spécial. La réécriture des articles 1833 et 1835 du code civil : révolution ou constat ? », Revue des sociétés, 2018, p. 623.

364. Dominique Schmidt, « La loi Pacte et l’intérêt social », D., 2019, p. 633 ; Antoine Tadros, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D., 2018, p. 1765.

365. Le caractère volontaire des engagements en la matière accentue l’importance de la régulation par des normes propres à l’entreprise : Pierre Berlioz, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », Revue des sociétés, 2018, p. 644. Plus largement, sur le caractère volontaire de la RSE : C. Vanuls, op. cit. no 176, p. 156 et s. Franck Héas, « Normes de convenance », JCP S, 2007, 1563. Isabelle Desbarats, « Vers un droit français de la responsabilité sociétale des entreprises ? », SSl, 2009, 1391. Isabelle Desbarats, « Alertes, codes et chartes éthiques à l’épreuve du droit français », D., 2010, p. 548. Le rapport Notat et Sénard note que l’introduction de la RSE à l’objet social de l’entreprise « serait naturelle au regard des évolutions récentes du droit du travail qui ont renforcé la place l’accord d’entreprise ». N. Notat et J.-D. Sénard, préc. Sur l’importance des normes privées et volontaires en matière de sécurité au travail, cf. infra, n° 562, p. 303 et s.

366. Annie Thébaud-Mony, « Les travailleurs sont-ils les « invisibles » de la santé environnementale ou … les « damnés de la terre » ? », Ecologie & politique, no 58, 2019, p. 69.

travail en intègre certaines composantes, il n’est pas devenu un droit de la régulation de l’ensemble des risques industriels et technologiques générés par l’activité de l’entreprise. En son cœur demeure les risques professionnels et leurs rapports à l’organisation du travail.

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