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L’organisation du travail en marge de la réception législative

le mouvement pour l’amélioration des conditions de travail

B. L’organisation du travail en marge de la réception législative

du mouvement pour l’amélioration des conditions de travail

126. Trois lois jalonnent la négociation de l’accord-cadre sur l’amélioration des conditions de travail du 17 mars 1975. Indépendamment les unes des autres, elles s’avèrent en deçà des enjeux soulevés par cet accord. Malgré l’intérêt pour l’amélioration des conditions de travail, l’organisation du travail n’est pas pleinement intégrée à ce mouvement législatif.

127. La loi du 27 décembre 1973 et la création d’instances dédiées aux conditions de travail. Alors que les discussions sur l’amélioration des conditions de travail étaient ouvertes depuis quelques mois entre les interlocuteurs sociaux, le législateur a adopté une loi portant ce titre, le 27 décembre 1973 408. Cette loi apporte quelques évolutions importantes, particulièrement par la création d’instances. La première instance, interne à l’entreprise, est une commission du comité d’entreprise dédiée aux conditions de travail et à leur amélioration. La seconde instance est créée, hors de l’entreprise, par l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT). Enfin, si la loi du 27 décembre 1973 aborde le thème de l’aménagement du temps de travail, central dans la négociation sur l’amélioration des conditions de travail, c’est uniquement sous l’angle des horaires individualisés et du travail à temps partiel. Elle n’y aborde pas la question, essentielle dans l’accord-cadre du 17 mars 1975, de la réduction du travail posté.

La loi du 27 décembre 1973 s’inscrit dans la traduction juridique du mouvement social pour l’amélioration des conditions de travail de façon limitée. Cependant, les deux instances créées par cette loi, au cours de leur évolution, contribuent à mettre en lumière l’organisation du travail. Bien que n’ayant pas vécu longtemps, la CACT est, avec le comité d’hygiène et de sécurité (CHS), l’ancêtre du CHSCT qui a contribué de façon déterminante à la consécration de la notion d’organisation du travail en matière de santé 409. L’ANACT, quoique de façon moins visible, est

407. Pour certains auteurs, le choix de la forme de l’accord- cadre et celui de négocier au niveau national interpro-fessionnel ont eu pour effet, plus ou moins volontaire, de neutraliser le niveau de l’entreprise : T. Rochefort, préc. Toutefois, dans certaines entreprises, l’accord– cadre du 17 mars 1975 et plus largement le mouvement social qui le porte, ont pu servir d’inspiration à des expériences de réaménagement des postes de travail pour lutter contre la parcellisation des tâches : F. Piotet, préc ; D. Linhart, R. Linhart et A. Malan, préc ; N. Hatzfeld, Les gens d’usine… op. cit. 408. Loi no 73-1195, du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail, JORF 30 décembre 1973, p. 14146.

également amenée à jouer un rôle important dans la dynamique d’institutionnalisation de la notion d’organisation du travail. À l’origine, sa mission est essentiellement celle de synthèse, de coordi-nation et de transmission des connaissances scientifiques sur les conditions de travail et de santé. Progressivement, l’ANACT va animer la négociation collective particulièrement sur des thèmes sensibles aux approches organisationnelles du travail tels que les troubles musculosquelettiques et les risques psychosociaux 410.

128. La loi du 30 décembre 1975 et la retraite anticipée des travailleurs manuels. Quelques mois après la conclusion de l’accord-cadre du 17 mars 1975, la loi du 30 décembre 1975 prévoit des possibilités de départ à la retraite anticipée pour certains travailleurs manuels 411. Y sont visés les travailleurs ayant exercé « un travail en continu, en semi-continu, à la chaîne, un travail au four, ou exposé aux intempéries sur les chantiers » 412, c’est-à-dire en somme, les travailleurs soumis aux modes d’organisation du travail les plus pénibles 413.

Cette loi constitue l’une des seules prises en compte dans le droit étatique, des conclusions de l’accord-cadre du 17 mars 1975 relatif à certains modes d’organisation du travail. Cependant, elle ne concerne pas la réduction ou la limitation de ceux-ci, mais leur seule compensation par un dispositif de retraite anticipée.

129. La loi du 6 décembre 1976, la prévention sans l’organisation du travail. Un an après la conclusion de l’accord-cadre, une nouvelle loi est promulguée le 6 décembre 1976, relative au développement de la prévention des accidents du travail 414. Elle confirme la sécurité l’intégration de la sécurité dès la conception des produits 415, et entérine certaines des avancées de l’accord-cadre, en particulier celles relatives à la formation à la sécurité des travailleurs 416, au rôle du médecin du travail 417 et au rôle de l’inspecteur du travail 418. Pourtant, l’organisation du travail y est absente : la limitation du travail posté, l’attention à la charge de travail, aux normes de production ou au rôle de l’encadrement ne sont pas évoqués dans cette loi.

130. La transposition dans le code du travail des dispositions de l’accord-cadre du 17 mars 1975 reste finalement limitée et décevante. La question centrale de l’organisation du travail, soulevée par les négociations interprofessionnelles, reste relativement invisible dans les dispositions légales et réglementaires. Ce mouvement législatif, cependant, n’est pas dénué d’effets à une plus large

410. Anne-Sophie Bruno, Sylvie Célérier et Nicolas Hatzfeld, Une fabrique française de transformation des conditions de travail Document de travail, CEE, ANACT, novembre 2014.

411. Loi no 75-1279 du 30 décembre 1975 relative aux conditions d’accès à la retraite de certains travailleurs manuels ; JORF du 31 décembre 1975, p. 13606.

412. Art. 1, Loi no 75-1279 du 30 décembre 1975, préc.

413. À ce titre la loi du 30 décembre 1975 est une première étape de la prise en compte juridique de la pénibilité, cf. infra, n° 282, p. 166 et s.

414. Loi no 76-1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail, JORF 7 décembre 1976, p. 7028. Voir : « La loi du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail », Droit social, n° spécial, 1977.

415. Cf. infra, n° 596, p. 318 et s.

416. Cf. infra, n° 979, p. 517 et s., spé. n° 1001, p. 529. 417. Cf. infra, n° 412, p. 226 et s.

échelle. La doctrine tend à se montrer plus sensible aux conditions de travail et quelques travaux cherchent à en donner une définition 419.

Conclusion de paragraphe

131. Le mouvement pour l’amélioration des conditions de travail et la négociation nationale interprofessionnelle qui lui fait suite, insistent sur la dimension qualitative du travail et à l’amé-lioration de ses conditions d’exercice. À cette fin, l’organisation du travail est mise au cœur des débats. Ce faisant, la notion se dote d’un contenu substantiel. Contenu des tâches, charge de travail, organisation du temps de travail, salaire et même relations sociales et hiérarchiques sont passés au crible de l’accord-cadre du 17 mars 1975. Le mouvement législatif qui accompagne le mouvement social et la négociation collective reste bien en deçà des attentes qui avaient pu être exprimées. L’une des raisons en est, sans doute, que les dispositions de l’accord-cadre du 17 mars 1975 touchent au cœur du pouvoir de direction de l’employeur dans l’entreprise.

132. Limitée dans le mouvement pour l’amélioration des conditions de travail, l’intégration de la notion d’organisation du travail à l’ordre juridique trouve une autre voie dans l’émergence d’un droit de critique sur l’organisation du travail : le droit d’expression directe et collective.

§ 2.

La consécration inaperçue de l’organisation du travail

dans le droit d’expression directe et collective

133. Le droit d’expression directe et collective sur les conditions et l’organisation du travail trouve son origine dans une revendication de la CFDT portée dans le mouvement pour l’amélioration des conditions de travail 420. La proposition n’a abouti ni dans l’accord-cadre du 17 mars 1975, ni dans les trois lois adoptées à cette période 421. Il faut attendre la loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise pour que soit consacré un tel « droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » 422.

134. Le droit d’expression directe constitue une modalité d’exercice de la liberté d’expression individuelle, mais celle-ci ne saurait s’y réduire 423. Il lui emprunte le trait le plus caractéristique de

419. P. Bance, préc.

420. Jean-Paul Jacquier, « Droit d’expression : si c’était cela aussi la transformation d’une société ? », Droit social, 1983, p. 561. Plus généralement sur les rapports entre le droit d’expression directe et les syndicats : Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, « L’expression des salariés et l’action syndicale », Droit social, 1986, p. 111.

421. Une partie du patronat n’y était pas défavorable si toutefois ce droit d’expression pouvait prendre la forme de « cercles de qualité » permettant d’améliorer la productivité du travail : Michelle Bonnechère, « Expression des travailleurs sur les conditions et l’organisation du travail : un droit à saisir », Droit ouvrier, 1982, p. 461. Sur l’usage ambigu du droit d’expression directe et collective en matière de transformation de l’organisation du travail, cf. infra, n° 1053, p. 558 et s.

422. Art. 461-1 c. trav., désormais art. L. 2281-1 c. trav.

423. Cass. Soc., 14 décembre 1999, no 97-41.995 ; Bull. civ., V, no 488 ; D., 2000, p. 40 ; Droit social, 2000, p. 163, ccl. Jacques Duplat ; RTD civ., 2000, obs. Jean Hauser ; Droit social, 2000, p. 165, note Jean-Emmanuel Ray.

son régime : l’interdiction de prononcer une sanction sur le fondement des avis et critiques émises dans le cadre de ce droit d’expression. À la physionomie curieuse de ce droit individuel d’exercice collectif 424, s’ajoute un domaine particulier.

En effet, l’article L. 2281-1 comporte l’une des rares références explicites à l’organisation du travail dans le code du travail. Toutefois, elle n’est pas définie par cet article. Reste que les dispositions légales relatives à l’exercice de ce droit laissent quelques indices sur ses contours. L’organisation du travail est assimilée à « l’organisation de l’activité » 425. L’attention est portée au contenu du travail et aux conditions de son exécution. Les dispositions relatives au droit d’expression directe et collective font également référence à la hiérarchie professionnelle 426. Les articles L. 2281-1 et suivants du code du travail constituent l’une des rares prises en compte par le législateur du travail comme activité 427, c’est-à-dire un acte technique, inscrit dans un cadre collectif et hiérarchisé.

135. La doctrine est partagée sur la pertinence et l’intérêt de ce nouveau droit d’expression directe. Pour certains auteurs, il s’agit d’un « texte sans importance » 428. Pour d’autres au contraire, ce canal d’expression directe des salariés consacre un véritable droit de critique et de remise en cause de l’or-ganisation du travail 429. En cela, le droit d’expression directe a une forte portée symbolique 430, si ce n’est pratique 431, car il contribue à l’émergence de la notion d’organisation du travail dans l’ordre juridique. La faible mobilisation du droit d’expression directe et collective, et le peu d’attention que lui a porté la doctrine limitent toutefois la pleine intégration de la notion d’organisation du travail à l’ordre juridique.

136. Elle n’entre pleinement dans la lumière que sous l’effet d’une troisième forme de mise en cause du pouvoir de l’employeur : le contrôle des décisions de l’employeur par les représentants élus du personnel.

§ 3.

L’avènement de l’organisation du travail

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