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L’entremêlement du contrôle de l’organisation du travail

dans les missions de contrôle des représentants élus du personnel

A. L’entremêlement du contrôle de l’organisation du travail

et de l’organisation de l’entreprise avant la loi Auroux du 23 décembre 1982

138. L’architecture des instances représentatives du personnel dans l’entreprise avant la loi Auroux du 23 décembre 1982 dévoile une prise en compte relative de l’organisation du travail. Elle apparaît en filigrane des attributions du comité d’entreprise avant cette loi. Cependant, sous couvert de la compétence générale de l’instance en matière d’amélioration des conditions de travail, l’organisation du travail peine à s’émanciper du contrôle d’ordre économique de l’organisation de l’entreprise et de sa marche générale.

Dans l’ordonnance du 22 février 1945, la fusion est quasi parfaite (1.). La loi du 23 décembre 1973, en rapprochant les compétences de la commission d’amélioration des conditions de travail (CACT) et du comité d’hygiène et de sécurité (CHS), amène une timide émancipation du contrôle des représentants élus dans l’ordre économique et de leur contrôle de l’organisation du travail (2.).

1. La fusion de l’organisation du travail et de l’organisation de l’entreprise dans l’ordonnance du 22 février 1945

139. L’ordonnance du 22 février 1945 qui institue les comités d’entreprise leur confère une mission générale d’« amélioration des conditions de travail et de vie du personnel » par la coopé-ration avec la direction 432. L’exposé des motifs, attaché à convaincre de l’autorité intacte du chef d’entreprise, n’en espère par moins que la coopération entre ce dernier et le comité d’entreprise pourra se forger au fil des réunions mensuelles « au cours desquelles seront discutés des problèmes concrets d’organisation du travail, et qui seront dominés par le souci de l’œuvre commune » 433. 140. L’intégration de la compétence en matière d’organisation du travail à la compétence d’ordre économique du comité d’entreprise. Aux fins d’assurer au comité d’entreprise sa mission générale d’amélioration des conditions de travail, sont regroupées d’une part ses compétences dans l’ordre économique, incluant notamment l’information sur « les questions intéressant l’organisation,

432. Art. 2, ordonnance no45-280 du 22 février 1945 instituant les comités d’entreprise ; JORF, 23 février 1945, p. 954. La loi no62-427 du 18 juin 1966 portant réforme du comité d’entreprise y adjoint deux volets, celui des conditions d’emploi et celui des conditions de vie, mais conserve la structure générale de l’article. Art. L. 432-1 c. trav. Anc. L’article L. 432-4, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 1966 précisait que le comité d’entreprise devait être informé et consulté « sur les questions intéressant […] la durée du travail ou les conditions d’emploi et de travail du personnel ». La notion de conditions de travail emportant la compétence du comité d’entreprise doit être entendue largement. Précisée par une circulaire ministérielle de 1967, elle inclut notamment « l’organisation d’un système de travail en équipes successives », et plus généralement « toute mesure modifiant sensiblement l’environnement et le contenu du travail ». Circ Min. TE, 67-35 du 1er septembre 1967, § II B ; Droit Ouvrier, 1967, p. 417

la gestion et la marche générale de l’entreprise », et d’autre part, les compétences en matière sociale et culturelle. L’organisation du travail, presque absente dans l’ordonnance du 22 février 1945, est confondue avec la compétence du comité d’entreprise dans l’ordre économique.

L’orientation de l’ordonnance de 1945 éclaire les intentions des rédacteurs de l’alinéa 8 du Préambule à la Constitution de 1946 quant au principe de participation des travailleurs « à la déter-mination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». La conjonction « ainsi » peut signifier une alternative ou une addition. À la lecture de l’ordonnance de 1945, il semble que ce soit bien la seconde option qui s’impose. La détermination des conditions de travail et la gestion de l’entreprise doivent être saisies ensemble. L’une ne manifeste pas de spécificité par rapport à l’autre.

141. La spécificité de l’hygiène et de la sécurité et la création du comité d’hygiène et de sécurité (CHS). Le seul champ qui fait montre d’une certaine spécificité dans l’architecture des instances représentatives du personnel de l’après-guerre est celui de l’hygiène et de la sécurité. Le décret du 1er août 1947 crée un comité d’hygiène et de sécurité 434 en démocratisant les conseils de sécurité créés sous Vichy 435. Le CHS a une vocation essentiellement technique 436. Il doit procéder à des enquêtes en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle grave, procéder à des inspections de l’établissement en vue d’assurer le respect des dispositions législatives et régle-mentaires, ainsi qu’assurer la formation des équipes chargées du sauvetage et de la lutte contre les incendies 437. Quoique rattaché au comité d’entreprise, le CHS garde dans son fonctionnement une grande part de son autonomie 438.

142. Il ressort d’une telle architecture des instances représentatives du personnel que l’organisation de l’entreprise et l’organisation du travail se distinguent peu. L’hygiène et la sécurité en revanche forment un thème distinct dans une instance à vocation consultative et essentiellement technique, sans grand pouvoir de contrôle sur les décisions de l’employeur qui en affectent la teneur. Ainsi, si le comité d’entreprise s’impose comme une instance de contrôle des décisions de l’employeur, c’est, pour l’essentiel, en matière économique. Le contrôle des décisions de l’employeur au regard de leurs effets sur les conditions de travail, de santé et de sécurité n’est que peu visible dans cette architecture. La loi du 27 décembre 1973 amorce, sur ce point, une légère inflexion.

434. Décret no47-1430 du 1er août 1947, portant règlement d’administration publique en ce qui concerne l’institution de comité d’hygiène et de sécurité dans les établissements soumis aux dispositions du chapitre 1er du titre II du livre II du code du travail, JORF, 2 août 1947, p. 7554. Le décret reprend dans l’ensemble le décret du 4 août 1941 créant le Comité de sécurité. Nicolas Alvarez, « Les Comités d’hygiène et de sécurité », Droit ouvrier, 1979, p. 195 ; Hubert Seillan, « Le fonctionnement du comité d’hygiène et de sécurité », Droit social, 1981, p. 164.

435. Michel Cointepas, « Les origines du CHSCT (1926-1947) », Cahiers du Chatefp, no 5, 2001, p. 3.

436. Décret du 1er août 1947, préc., exposé des motifs : « Ces comités sont essentiellement des organismes techniques qui associent les travailleurs à la tâche de protection contre les risques professionnels ». Bernard Petitguyot, « Les pouvoirs du comité d’entreprise en matière de conditions de travail », Droit social, 1976, p. 247. Ce caractère technique s’explique sans doute par une certaine indifférence de la part des directions comme des syndicats qui investissent peu cette commission : Michel Cointepas, « Les CHS des années 50 et 60 vus par les inspecteurs du travail », Cahiers du Chatefp, no 5, 2001, p. 13.

437. De façon un peu floue, l’article 5 du décret du 1er août 1947 dans son alinéa 4 prévoyait également que les comités d’hygiène et de sécurité étaient chargés « de développer par tous moyens le sens du risque professionnel ».

438. Patrick Barrau, « Du CHS au CHSCT de 1947 à 1997, origine, évolution et limites d’une institution », Cahiers de l’IRT, no spécial « Actes du Colloque, Aubagne, 15 décembre 1997 », 1999, p. 19.

2. L’émancipation timide de l’organisation du travail et son rapprochement avec l’hygiène et la sécurité dans la loi du 27 décembre 1973

143. La loi du 27 décembre 1973, née du mouvement pour l’amélioration des conditions de travail 439, apporte deux évolutions à l’architecture des instances représentatives du personnel. La création de la commission d’amélioration des conditions de travail (CACT) et l’élargissement des missions du CHS. À travers ces évolutions, la notion d’organisation du travail tend à se détacher de l’organisation économique de l’entreprise pour se rapprocher des questions d’hygiène et de sécurité, . 144. La CACT et l’ébauche de la distinction entre organisation du travail et organisation de l’entreprise La nouvelle CACT est l’une des commissions spécialisées du comité d’entreprise. Obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés, elle a pour mission « la recherche de solutions aux problèmes concernant la durée et les horaires de travail, notamment le travail de nuit, l’organi-sation matérielle, l’ambiance et les facteurs physiques du travail ». À cet effet, le deuxième alinéa de l’article crée une consultation obligatoire du comité d’entreprise « avant l’introduction de nouvelles méthodes d’organisation du travail, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage ou de l’organisation du travail, avant les modifications des cadences et des normes de productivité, liées ou non à la rémunération du travail, ainsi qu’avant la réalisation de tout aménagement important intéressant l’ambiance et la sécurité du travail » 440.

Les nouvelles compétences du comité d’entreprise et de cette commission spécialisée s’imposent « sans préjudice de l’application des règles figurants à l’article L. 432-4 du code du travail », autrement dit, des attributions du comité d’entreprise dans l’ordre économique. Objet d’une commission dédiée, conditions et organisation du travail sont érigées au sein d’un article du code du travail comme champ de compétence spécifique du comité d’entreprise. Partant, elles se distinguent des questions relatives à « l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entre-prise ». En insistant sur le contenu, les rythmes et l’intensité du travail, le législateur dote la notion d’organisation du travail d’un contenu différent des questions économiques. La loi du 27 décembre 1973 suggère que la notion d’organisation du travail ne peut se fondre dans celle d’organisation de l’entreprise, et ce faisant, elle ouvre la voie à son autonomisation.

145. L’organisation du travail, quoique relevant toujours de la compétence du comité d’entreprise, commence à s’émanciper de l’organisation économique de l’entreprise. En effet, elle tend se doter d’un contenu distinct et d’une instance dédiée.

146. Les missions de la CACT et du CHS, vers un timide rapprochement de l’organisation du travail et de l’hygiène et la sécurité. À côté du comité d’entreprise et de la CACT, le CHS voit son rôle maintenu et même élargi. Un décret du 1er avril 1974 précise les contours des missions du CHS 441. Dans la continuité du mouvement pour l’amélioration des conditions de travail, il ajoute une attribution importante aux comités qui se voient dotés de la faculté de susciter « toutes initiatives portant notamment sur les méthodes et procédés de travail les plus sûrs, le choix et l’adaptation

439. Cf. supra, n° 127, p. 87.

440. Art.1, loi du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail, préc. 441. Décret no74-274 du 1er avril 1974, relatif aux comités d’hygiène et de sécurité.

du matériel, de l’appareillage et de l’outillage nécessaires aux travaux exécutés, l’aménagement des postes de travail » 442. La formule n’est pas sans rappeler les propres missions de la CACT.

Il s’ensuit une forme de rapprochement, non abouti encore, entre les questions d’organi-sation du travail et d’hygiène et de sécurité. La répartition des rôles entre les CHS et les CACT est confuse et source de difficultés 443. Selon certains auteurs le CHS serait une instance essentiel-lement technique là où la CACT et le comité auraient un rôle plus prospectif de « mise en œuvre d’une politique d’amélioration des conditions de travail » 444. Pourtant, l’une comme l’autre de ces commissions peuvent émettre des propositions relatives à l’amélioration des conditions de travail. Un décret du 20 mars 1979 laisse d’ailleurs la possibilité de tenir des réunions communes au CHS et à la CACT en vue d’examiner conjointement le programme annuel d’amélioration des conditions de travail et celui de prévention des risques professionnels 445.

147. Malgré la fidélité au modèle de représentation du personnel issu de l’ordonnance du 22 septembre 1945, en dédiant une commission du comité d’entreprise à l’amélioration des condi-tions de travail, la loi du 27 décembre 1973 amorce un véritable réaménagement de l’articulation des questions relatives à l’organisation économique de l’entreprise d’une part, et l’organisation du travail et ses effets sur les conditions de travail, de santé et de sécurité d’autre part.

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