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L’entreprise, lieu d’intrication des vies professionnelle et personnelle

CONCLUSION DE SECTION

B. L’entreprise, lieu d’intrication des vies professionnelle et personnelle

83. Le droit de la santé au travail s’est construit historiquement sur une distinction entre les risques professionnels qui affectent les travailleurs du fait de l’exercice d’une activité de travail subor-donnée et les risques liés à leurs conditions de vie hors de cette activité. La vie professionnelle est

246. Cass. Soc., 6 octobre 2010, no 09-65.103, Société l’Abbaye de St-Ermire ; Bull. civ., V, no215 ; RJS, 2010, 12, p. 842 ; JCP S, 2011, 1043, note Pierre-Yves Verkindt ; RDT, 2011, p. 322, obs. Marc Véricel ; Cah. Soc., 2010, 225, p. 375, note Sabrina Kemel ; JSL, 18 novembre 2010, 287, note Jean-Emmanuel Tourreil.

247. En ce sens déjà : A. Bugada, Note sous Cass. Soc., 29 juin 2005, no 03-44.412, Société ACME Protection, préc. L’auteur se fait l’écho des revendications d’associations de non-fumeurs pour un milieu de travail sain.

ainsi distinguée de la vie personnelle en dehors. Préférée à l’expression vie privée, la vie personnelle renvoie à la sphère d’autonomie et de liberté, voire de « tranquillité » que le salarié a, évidemment en dehors du travail, et qu’il conserve également pendant le temps de travail, malgré l’état de subor-dination dans lequel il se trouve 248. Si la distinction entre vie professionnelle et vie personnelle, construite par la chambre sociale de la Cour de cassation, borne le pouvoir de l’employeur sur l’organisation du travail et elle trace également les frontières de la santé et de la sécurité au travail.

Or, cette distinction entre conditions de vie au travail et de conditions de vie personnelle affectant la santé des travailleurs, paraît désormais doublement remise en question. La difficulté à cerner la distinction entre facteurs professionnels et facteurs personnels de santé à l’égard de certains risques, comme les risques psychosociaux, tend à remettre en cause sa pertinence. Sous l’effet de la promotion du bien-être et de la qualité de vie au travail, la vie personnelle semble intégrer la santé au travail.

1. La difficile distinction des facteurs personnels et professionnels de santé des travailleurs, l’exemple des risques psychosociaux

84. Le terme de risques psychosociaux, interface entre le social et l’individuel, désigne d’abord une réalité de la souffrance au travail, sous ses formes les plus variées : stress, harcèlement, troubles musculosquelettiques, violence, dépression, suicide 249.

85. Malgré l’apparition récente de la notion de risques psychosociaux, force est de constater, d’une part que la réalité désignée n’est pas neuve, et d’autre part, qu’elle trouvait déjà un certain intérêt dans les études et enquêtes publiées dès le xixe siècle 250. R. Villermé, dans son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers paru en 1840, met déjà en lumière la misère et l’épuisement des sujets qu’il observe. À l’usure physique s’ajoute un état de délabrement moral. Les conditions d’em-ploi ainsi que l’hygiène de vie et les mœurs des ouvriers sont mises en cause, avant même l’activité de travail 251. Si certaines études ultérieures sur la fatigue et le surmenage incriminent l’organisation du travail 252 davantage que les capacités propres des travailleurs, reste que la conception des risques psychosociaux demeure fortement marquée par la distinction entre causes professionnelles de l’usure et de l’épuisement, et facteurs individuels, liés autant au mode de vie qu’aux caractéristiques psychologiques 253.

248. Laurence Pécaut-Rivolier, Yves Struillou et Philippe Waquet, Pouvoirs du chef d’entreprise et libertés du salarié. Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, éd. Liaisons, coll. « Droit vivant », Rueil-Malmaison, 2014 , p. 173 et s. 249. Patrice Adam, « La prise en compte des risques psychosociaux par le droit du travail français », Droit ouvrier, 2008, p. 313 ; Loïc Lerouge, « Les « risques psychosociaux » en droit : retour sur un terme controversé », Droit social, 2014, p. 152.

250. En la matière, l’article d’A. Cottereau fait date : A. Cottereau, préc.

251. Nicolas Hatzfeld, « Les risques psychosociaux : quelles correspondances anciennes aux débats récents ? », Travail et emploi, no 129, 2012, p. 11.

252. Emile Pouget, L’organisation du surmenage : le système Taylor, Ed. Marcel Rivière, Paris, 1914. Mais déjà : Léon Bonneff et Maurice Bonneff, La vie tragique des travailleurs. Enquêtes sur la condition économique et morale des ouvriers et ouvrières d’industrie, J. Rouff, Paris, 1908 ; Fernand Pelloutier et Maurice Pelloutier, La vie ouvrière en France, Schleicher frères, VIII, coll. « Bibliothèque internationale des sciences sociologiques », Paris, 1900. Cités par N. Hatzfeld, préc.

253. Dominique Lhuilier, « Les « risques psychosociaux » : entre rémanence et méconnaissance », Nouvelle revue de psychosociologie, no 10, 2010, p. 11, 2.

Les études sur le stress et désormais sur les risques psychosociaux dans leur ensemble conservent cette tendance à la polarisation du débat : entre accuser l’organisation du travail ou accuser la personne qui la perturbe 254. La notion de risques psychosociaux fait l’objet de critiques dans le champ scientifique pour son caractère flou et difficilement définissable. Certains psychologues 255

ou sociologues 256 critiquent l’emploi même du terme tant il est source de confusions dans les liens à opérer entre le travail et la santé des individus, et ne permet pas de centrer le débat sur l’activité de travail elle-même.

86. L’introduction en droit du terme de risques psychosociaux n’échappe pas à la problématique de la distinction entre facteurs professionnels et personnels des risques psychosociaux. La doctrine s’en fait l’écho 257. Le Rapport sur la détermination la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail de Ph. Nasse et P. Légeron, rendu en 2008, reste prudent sur ce point. Soucieux de l’absence de consensus social et scientifique sur l’approche des risques psychosociaux, et notamment sur le stress, les auteurs préconisent de retenir une approche à la fois environnementale, organisationnelle, et individuelle 258.

Les premiers temps de la reconnaissance du suicide comme accident du travail illustrent cette difficulté dans l’ordre juridique à mettre en lien un acte intime avec l’organisation du travail 259

et les évolutions récentes du management 260. Si le suicide commis au temps et au lieu de travail bénéficie d’une présomption d’imputabilité au travail, il suppose de rapporter la preuve d’un lien de causalité lorsque cette présomption ne peut jouer. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation distinguait le suicide comme acte volontaire, intentionnel 261, et le suicide répondant à

254. N. Hatzfeld, préc., et dans le même sens D. Lhuilier, préc.

255. Yves Clot, Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, 2e éd., coll. « Poche. Essais », Paris, 2015 ; D. Lhuilier, préc.

256. Michel Gollac, « Les risques psychosociaux au travail : d’une « question de société » à des questions scientifiques. Introduction », Travail et emploi, no 129, 2012, p. 5.

257. P. Adam, préc ; L. Lerouge, préc ; Loup Wolff et Yves Clot, « Faut-il encore parler des RPS ? », RDT, 2015, p. 228.

258. Philippe Nasse et Patrick Légeron, Rapport sur la détermination la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail, mars 2008, p. 14. Le rapport commandé ensuite au Collège d’expertise, présidé par M. Gollac et rendu en 2011 est plus porté sur l’étude de l’activité de travail et laisse peu de place aux caractéristiques individuelles : Michel Gollac et Marceline Bodier, Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser, Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, 2011, p. 170-177.

259. Si le suicide est un acte intime, liés aux normes et aux déviances dans l’organisation sociale, particulièrement dans les organisations closes : Emile Durkheim, Le suicide, PUF, rééd., coll. « Quadrige », Paris, 2013. Voir également : David Le Breton, « Suicide, travail et sociologie(s) », Travailler, no 33, 2015, p. 9.

260. La question du suicide avait déjà pu être soulevée par des spécialistes de droit de la sécurité sociale : Yves Saint-Jours, La faute dans le droit général de la sécurité sociale, LDGJ, 16, coll. « Bibliothèque d’ouvrages de droit social », Paris, 1972, p. 91 et s ; Yves Saint-Jours, « Le suicide dans le droit de la sécurité sociale », D. chron., 1970, p. 93. Les suicides dans certaines catégories socio-professionnelles comme les agriculteurs, étaient des phénomènes connus antérieurement. Il était cependant considéré comme un phénomène plutôt isolé, lié à l’entremêlement des vies profes-sionnelles et personnelles et aux conditions de vie, notamment d’isolement, parfois très dures. Ils apparaissent toutefois en augmentation. Christophe Dejours et Florence Bègue, « Introduction » in Christophe Dejours et Florence Bègue (dir.), Suicide et travail : que faire ?, coll. « Souffrance et théorie », PUF, Paris, 2009, p. 7. Voir également, pour un aperçu de l’état de la recherche en sciences sociales sur ce thème : Les différentes contributions de Christophe Dejours, Jean-Pierre Neveu et Sylvie Célérier, « Chapitre 4 : suicide et travail » in Loïc Lerouge (dir.), Approche interdisciplinaire des risques psychosociaux au travail, coll. « Le travail en débats », Octarès édition, Toulouse, 2014, p. 255 et s. Voir également « Suicide et travail (2) », Travailler, no 33, 2015, 1.

261. Cass. Civ. 2e, 18 octobre 2005, no 04-30.205 ; inédit ; JCP S, 2006, 1012, note Dominique Asquinazi-Bailleux. Le suicide volontaire, conscient ou intentionnel constitue une faute intentionnelle de la victime, il est donc exclusif de

une impulsion brutale 262. Cette distinction, centrée sur la conscience et la volonté, au-delà d’un certain contresens scientifique 263, pouvait être de nature à masquer les liens entre l’acte suicidaire et l’organisation du travail. La Cour de cassation semble cependant désormais retenir une approche soucieuse de se concentrer sur les raisons et les causes de l’acte et à rechercher les liens avec l’orga-nisation du travail 264.

87. La difficulté à établir les liens entre les risques psychosociaux et l’organisation du travail ou l’accent parfois mis sur les facteurs personnels de santé, à conduit une promotion de la prise en compte des « conditions de vie dans l’entreprise » 265. Si le lien entre ces risques et l’organisation du travail ne disparaît pas, il pourrait être dilué dans la prise en compte croissante de la vie personnelle.

2. La qualité de vie au travail, vecteur d’intégration de la vie personnelle à la santé au travail

88. L’approche « globale » 266 de la vie des travailleurs dans l’entreprise, plus positive que les seuls risques psychosociaux 267, a ouvert la voie à la promotion de la qualité de vie au travail, suppo-sée améliorer autant les conditions de travail que le bien-être des travailleurs 268. La notion et sa réception dans l’ordre juridique entraînent une extension du champ de la santé au travail à la vie personnelle des travailleurs. Le bien-être des travailleurs est historiquement conçu comme relatif aux seules activités extra-professionnelles (a.). Sous l’effet de la promotion de la qualité de vie au

toute prise en charge en vertu de l’article L.453-1 du code de la sécurité sociale.

262. Le suicide qui résulte d’un moment d’aberration, d’une impulsion brutale, privant la victime de tout libre-arbitre et de toute conscience de la portée de son acte, peut être qualifié d’accident du travail. Frédéric Guiomard et Anne-Sophie Ginon, « Le suicide peut-il constituer un risque professionnel ? », Droit ouvrier, 2008, p. 367 ; Anne-Sophie Joly, « L’appréciation de l’intention dans le geste suicidaire lié au travail », RDSS, 2017, p. 356.

263. La sociologie, la psychologie et la psychiatrie retiennent des distinctions variables autour du caractère conscient et du caractère intentionnel du suicide. Certains font précisément de l’intention un élément constitutif du suicide. Reste que semble devoir jouer une distinction entre la conscience qui implique une pleine possession des facultés de jugement, et l’intention, puisque l’acte suicidaire reste toujours l’acte volontaire de s’infliger des blessures ou la mort. Le droit gagnerait en précision à distinguer également. Sur ce point : S. Joly, préc. spé. p. 275 ; A. Ionita et Philippe Courtet, « Peut-on définir les conduites suicidaires ? » in Philippe Courtet (dir.), Suicides et tentatives de suicides, coll. « Psychatrie », Médecine-Sciences Flammarion, 2010, p. 22-24 ; Ana Ribeiro Costa, « Les préjudices résultant du harcèlement moral, le suicide et les contingences professionnelles. État des lieux sur le cadre juridique et la jurispru-dence au Portugal » in Loïc Lerouge (dir.), Risques psychosociaux en droit social. Approche juridique comparée : France, Europe, Canada, Japon Dalloz, Paris, 2014, p. 266.

264. Cass. civ. 2e, 22 février 2007, no 05-13.771 ; Bull. civ., II, no 54 ; D., 2007, p. 1767 ; SSL, 2007, no1298 ; JCP E, 2007, 2092, note Joël Colonna ; JCP S, 2007, 1429, note Dominique Asquinazi-Bailleux ; LPA, 2007, p. 184, note Yves Saint-Jours ; Gaz. Pal., 2007, 181, p. 20, obs. Luc Bachelot ; D., 2007, p. 1767, obs. Harold Kobina Gaba ; RDT, 2007, note Bernadette Lardy-Pélissier ; LPA, 2007, no70, p. 16, note Loïc Lerouge ; JSL, 2007, no208, note Jean-Philippe Lhernould ; D., 2007, p. 791, obs. Alexandre Fabre ; Droit social, 2007, p. 836, note Laurent Milet ; JCP E, 2008, note Gérard Vachet ; Chloé Sablayrolles, « Au-delà de la réparation, la prévention des suicides causés par le travail » in Loïc Lerouge (dir.), Les risques psychosociaux en droit social. Approche juridique comparée France, Europe, Canada, Japon, Dalloz, 2014, p. 312.

265. Jean-Emmanuel Ray, « Des conditions de travail aux conditions de vie dans l’entreprise », Droit social, 2015, p. 100. 266. Art.1, Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail : « Elle peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ».

267. Patrice Adam, « Qualité de vie au travail : la part des juristes », RDT, 2017, p. 476. Pascale Lagesse et Bruno Lefebvre, « Des risques psycho sociaux à la qualité de vie au travail », Les Cahiers Lamy du CE, 2013, 125 ; Sophier Garnier, Droit du travail et prévention, Univ. de Nantes, 2017, p. 201 et s.

268. Art. 1, ANI du 19 juin 2013, préc. Voir également : Hervé Lanouzière, « Un coup pour rien ou un virage décisif ? L’accord du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail », SSL, 2013, 1597.

travail, la conciliation des vies personnelle et professionnelle est l’un des facteurs essentiel du bien-être des travailleurs (b.). La qualité de vie au travail ou le bien-bien-être des travailleurs semblent alors moins liés aux modalités d’organisation du travail et à la coordination des travailleurs et choses décidée par l’employeur 269.

a. La conception historique du bien-être relatif aux activités para-professionnelles

89. À l’origine, le terme de bien-être apparaît dans le code du travail comme objet des actions sociales et culturelles du comité d’entreprise 270. Dans le même sens, le bien-être des gens de mer, concerne à l’origine essentiellement les conditions de l’accueil portuaire des marins 271. Le bien-être n’a rien à voir avec la contrepartie d’un travail fourni et l’exécution du contrat de travail. Il s’attache au contraire aux temps extra-professionnels 272.

Ainsi, bien-être et qualité de vie des travailleurs relèvent moins de l’action patronale en leur faveur que d’une forme d’abstention de celle-ci. Pour P. Durand, le fonctionnement des œuvres sociales créées avant la Seconde Guerre mondiale était « souvent vicié par des tendances paterna-listes » et il a été obtenu que la gestion en incombe au personnel 273. La question du bien-être des travailleurs, contrairement, sans doute, à la représentation actuelle dominante, a été avant tout un objet de luttes entre ingérence paternaliste et volonté d’autonomie de gestion du mouvement ouvrier. 90. Dans ce premier temps, la référence au bien-être dans le code du travail n’a encore que peu de liens avec la santé des travailleurs. Progressivement pourtant, le bien-être va investir la définition de la santé au travail 274, contribuant à brouiller la distinction entre vie personnelle et vie profes-sionnelle, et à diluer le lien entre les risques professionnels et l’organisation du travail.

b. Une conception renouvelée de la qualité de vie au travail, englobant la vie personnelle au travail

91. Si le bien-être des travailleurs vise à l’origine plutôt la vie extra-professionnelle, sous l’effet de la promotion de la qualité de vie au travail, il tend désormais à devenir l’une des finalités de la prévention dans l’entreprise 275. L’apparition de ces notions en droit de la santé au travail entraîne une extension de son champ. Des conditions de travail et de la qualité du travail, aux conditions de vie dans l’entreprise et à la qualité de vie au travail, le droit de la santé au travail semble intégrer davantage la vie personnelle des travailleurs.

269. Sur cette définition, cf. supra, n° 19, p. 24. 270. Art. R. 2323-20 c. trav.

271. Alexandre Charbonneau, « La référence au bien-être des gens de mer : entre institutionnalisation d’un service social et approche qualitative des conditions de vie et de travail à bord des navires » in Agnès Florin et Marie Préau (dir.), Le bien-être, coll. « Logiques sociales », L’Harmattan, Paris, 2013, p. 117.

272. Franck Héas, « Le bien-être au travail », JCP S, 2010, 1284.

273. Paul Durand et André Vitu, Traité de droit du travail, Dalloz, T. I, Paris, 1947, p. 495. Sur la question du pater-nalisme et des œuvres sociales, en particulier les cantines : Stéphane Gacon, « Cantines et alimentation au travail : une approche comparée, du milieu du xixe siècle à nos jours », Le Mouvement Social, no 247, 2014, p. 3, 2.

274. Définition de l’OMS, adoptée dès la charte constitutive signée à San Francisco le 22 juillet 1946. La santé est qualifiée comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ».

92. Le renouvellement de la notion de bien-être dans les années 1970 est d’abord le fait d’études anglo-saxonnes en économie, sociologie, psychologie et science de gestion 276. À la même époque, le terme de « qualité de vie au travail » est forgé dans les théories de l’organisation 277. La qualité de vie au travail se présente comme une voie pour allier « performance » économique de l’entreprise et bien-être des travailleurs 278. Le développement des théories managériales relatives à la qualité de vie au travail s’articule avec des tentatives de modification des organisations productives davantage tournées vers le bien-être des travailleurs 279. La qualité de vie au travail serait ainsi une voie pour répondre aux mutations profondes des organisations du travail dans les années 1970 280.

93. La réception juridique de ces évolutions est plus tardive. Si le bien-être était déjà évoqué dans des textes internationaux 281, et notamment ceux de l’OIT 282, la référence à la « qualité de la vie » fait son apparition à la fin des années 1980 dans l’avenant du 20 octobre 1989 à l’accord-cadre interprofessionnel sur l’amélioration des conditions de travail du 17 mars 1975 283. Avant cette modification, l’accord-cadre de 1975 était centré sur l’organisation du travail et les conditions de travail. S’il évoquait les « besoins intellectuels et psychologiques » des travailleurs, c’était unique-ment dans le cadre de « l’accomplisseunique-ment de leur travail » 284. L’avenant du 20 octobre 1989, en

276. Rémy Pawin, « Le bien-être dans les sciences sociales : naissance et développement d’un champ de recherches », L’Année sociologique, no 64, 2014, p. 273, 2. Les recherches sur le bien-être se divisent schématiquement en deux catégo-ries : d’une part, les happiness economics à la recherche des critères objectifs de bien-être et de bonheur ; d’autre part les partisans d’une recherche plus sociologique, prenant en compte des éléments liés à la subjectivité notamment par le biais d’entretiens avec les ouvriers. Manifestation de l’institutionnalisation d’un champ de recherche : Christian Baudelot et Michel Gollac (dir.), Travailler pour être heureux ? : le bonheur et le travail en France, Paris, Fayard, 2002.

277. Sophie Fantoni et Pierre-Yves Verkindt, « Charge de travail et qualité de vie au travail », Droit social, 2015, p. 106 ; Pierre-Yves Verkindt, « Qualité de vie au travail et égalité professionnelle », Les Cahiers du DRH, 2014, 211. L’expression de « qualtiy of working life » aurait été forgée à la fin des années 1960 par Irving Bluestone pour caractériser les mesures et l’évaluation de la satisfaction des employés : Gilles Dupuis, Jean-Pierre Martel, Christian Gérard Voirol, Lisa Bibeau et Noémie Hébert-Bonneville, La qualité de vie au travail. Bilan de connaissances. L’Inventaire systémique de qualité de vie au travail Centre de liaison sur l’intervention et la prévention psychosociales (CLIPP), 2009, p. 19 et s.

278. Certaines théories managériales du début du xxe siècle manifestaient déjà cette tendance à allier productivisme et satisfaction des travailleurs. S. Fantoni et P.-Y. Verkindt, préc.

279. Louis E. Davis et Albert Cherns, « Assessment of the state of the art » in Louis E. Davis et Albert Cherns (dir.), The quality of working life : Problems, prospects, and the state of the art, vol. 1, Free Press, New-York, 1975, p. 12-54.

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