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Les incertitudes sur le contrôle de l’organisation du travail

dans les missions de contrôle des représentants élus du personnel

C. Les incertitudes sur le contrôle de l’organisation du travail

depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017

160. La coexistence d’un double canal de représentation des travailleurs – élu et désigné – et la pluralité d’instances élues est l’objet de réflexions et de critiques de longue date, particulière-ment des organisations patronales 484. Parmi les propositions en faveur d’une rationalisation de la représentation du personnel dans l’entreprise, celle de la fusion des instances est assurément la plus profonde, si ce n’est la plus extrême 485. Elle a désormais la faveur du législateur. L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans

482. Art. L. 2323-1 c. trav. anc.

483. Sur le contrôle des décisions de l’employeur et sur cette double exigence de démonstration et de justification : Emmanuelle Lafuma, Des procédures internes : contribution à l’étude de la décision de l’employeur en droit du travail, op. cit., no 133 et s., p. 87 et s. et no 200 et s., p. 129 et s.

484. Jean-Pierre Le Crom, « Regard historique sur la fusion des institutions représentatives du personnel », Droit social, 2018, p. 82.

485. Sur les différentes propositions : Georges Borenfreund, « La fusion des institutions représentatives du person-nel », RDT, 2013, p. 608 ; Françoise Favennec-Héry, « Une question qui fâche : le millefeuille des IRP », Droit social, 2013, p. 250.

l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, crée une instance unique de présentation du personnel : le comité social et économique 486.

Le CSE opère une véritable fusion des instances 487 et entraîne de ce fait une recomposition de l’articulation des missions et des compétences des représentants du personnel, jusque-là distin-guées. La question est particulièrement sensible en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail qui formaient jusqu’ici la compétence exclusive du CHSCT. À travers l’architecture du nouveau CSE et ses compétences en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, les possibilités de contrôle de l’organisation du travail semblent réduites.

161. La limitation des prérogatives du CSE en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail. Sous le seuil de cinquante salariés, la délégation du personnel au CSE exerce les attri-butions des anciens délégués du personnel 488. Le droit d’alerte des délégués du personnel en cas d’atteinte à la santé ou aux libertés individuelles, supprimé par l’ordonnance du 22 septembre 2017, n’a été rétabli que par la loi de ratification du 29 mars 2018 489. Au-dessus du seuil de cinquante salariés, le comité social et économique conserve la majeure partie des attributions et prérogatives du CHSCT disparu 490. Le code du travail identifie plus particulièrement un « champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail » où le CSE procède notamment à l’analyse des risques professionnels 491.

162. De prime abord, l’essentiel des attributions du CHSCT semble conservé par le CSE 492. Toutefois, elles connaissent certaines limites. Peu importante, mais toutefois significative, la première limite est relative aux attributions du CSE qui ne font désormais plus référence à la mission d’ana-lyse des conditions de travail, autrefois présente à l’article L. 4612-2 du code du travail relatif au CHSCT 493. D’autres limites sont plus inquiétantes : si la nouvelle instance peut certes toujours

486. Ordonnance no 2017-1386, 22 septembre 2017, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ; JORF 23 septembre.

487. Selon les effectifs de l’entreprise, le CSE hérite des attributions des seuls délégués du personnel ou bien des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT. En cela, le CSE réalise bien plus que le regroupement des mandats possibles par la mise en place d’une délégation unique du personnel, déjà étendue ainsi qu’ élargie et approfondie par la loi Rebsamen du 17 août 2015. Franck Petit, « Une représentation du personnel à la carte », Droit social, 2016, p. 544 ; Isabelle Desbarats, « Représentation du personnel dans l’entreprise : avancées, reculs ou « statut quo » ? Regards sur la loi Rebsamen du 17 août 2015 », Droit social, 2015, p. 853 ; Isabelle Desbarats, « CHSCT : encore des marges de progrès », SSL, 2017, 1765.

488. Art. L 2312-5 c. trav.

489. Art. L. 2312-5 dans sa rédaction issue de la Loi no 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi no 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ; JORF no 0076 du 31 mars 2018.

490. Il doit être informé ponctuellement et périodiquement sur les « conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle », « l’introduction de nouvelles technologies, [et] tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » mais encore les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail » : Art. L. 2312-8 c. trav. De plus, il peut proposer toute mesure de nature à améliorer les conditions de travail et d’emploi : art. L. 2312-12 c. trav. À l’instar du CHSCT, le CSE procède à des enquêtes périodiques et ponctuelles en cas d’exercice du droit d’alerte. Art. L. 2312-13 c. trav. et art. L. 2312-60 c. trav. 491. Il veille à l’accès et au maintien dans l’emploi des femmes, femmes enceintes et travailleurs handicapés, et peut proposer des mesures utiles à la prévention du harcèlement moral, sexuel et des agissements sexistes. Art. L. 2312-9 c. trav. 492. Pierre-Yves Verkindt, « Le rôle des instances de représentation du personnel en matière de sécurité », Droit social, 2007, p. 697.

recourir à un expert en cas de risque grave ou projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail 494, l’expertise est désormais cofinancée par l’employeur et le CSE 495.

Nombre de comités, dans les entreprises les moins grandes, ne pourront y recourir faute de ressources financières suffisantes 496. Une telle disposition revient à amputer le CSE d’un moyen essentiel d’investir les décisions patronales en matière d’organisation du travail et de suspendre leur mise en œuvre en raison des risques pesant sur la santé des travailleurs 497. Plus largement, la réduction des moyens attribués à la représentation du personnel – en nombre de mandats et en temps –, autorise à douter de la capacité de l’instance à investir le champ complexe des liens entre la santé et l’organisation du travail 498.

163. Le risque d’une disparition du contrôle de l’organisation du travail. À la limitation d’une prérogative essentielle à l’analyse de l’organisation du travail et de ses effets sur la santé, s’ajoute une incertitude sur le traitement des questions de santé, de sécurité et de conditions de travail au sein du CSE 499.

Pour certains auteurs, les nouvelles dispositions garantissent la juste considération des ques-tions de santé et de condiques-tions de travail 500. Des réunions y sont exclusivement réservées 501, et, dans les entreprises d’une certaine taille, la commission spécialisée assure leur prise en compte 502. Même, les plus fervents défenseurs de l’ordonnance voient dans la fusion du CHSCT et du comité d’entreprise au sein de la nouvelle instance une possibilité de lier les questions de santé aux orienta-tions stratégiques de l’entreprise et d’adopter, enfin, une politique de santé globale 503.

L’option peut étonner. Le choix du législateur français est en effet à rebours de la majorité des législations européennes et des préconisations de la directive-cadre européenne du 12 juin 1989, qui consacrent une représentation du personnel spécialisée en matière de santé et de sécurité 504.

494. Art. L. 2315-96 c. trav.

495. Le financement est à hauteur de 80 % pour l’employeur et 20 % pour le comité social et économique. Art. L. 2315-80 c. trav. L’expertise en matière de risque grave reste, elle, financée exclusivement par l’employeur. Sur l’expertise, cf. infra, n° 450, p. 244 et s.

496. Evelyn Bledniak, « Le conseil social et économique (CSE) : la lettre n’honore pas les promesses », SSL, 2017, 1782. 497. Sur la conquête de la décision d’organisation du travail par le CHCST, cf. supra, n° 153, p. 97 et s.

498. I. Odoul-Asorey, in Hervé Lanouzière, Isabel Odoul-Asorey et François Cochet, « La fusion des institu-tions représentatives du personnel porte-t-elle atteinte à leur capacité d’intervention en matière de santé et de sécurité au travail ? », RDT, 2017, p. 691 ; G. Borenfreund, préc ; Geneviève Pignarre, « Le comité d’hygiène et de sécurité n’est pas soluble dans le comité social et économique », RDT, 2017, p. 647.

499. En ce sens, G. Borenfreund, préc.

500. Bernard Teyssié, « Santé et sécurité dans le droit du comité social et économique », JCP S, 2018, 1001. Et ce d’autant plus que les larges possibilités ouvertes à la négociation laissent aux partenaires sociaux le champ libre pour inventer « l’entreprise de demain » et adapter la représentation du personnel : F. Favennec-Héry, préc.

501. Art. L. 2315-27 c. trav.

502. Egalement : lorsque l’établissement est classé Seveso ou que l’inspecteur du travail en fait la demande. Art. 2315-36 c. trav.

503. H. Lanouzière in H. Lanouzière, I. Odoul-Asorey et F. Cochet, préc.

504. Barbara Palli, « La refonte des IRP au prisme du droit comparé », Droit social, 2018, p. 77. Sur la politique de prévention, cf. infra, n° 643, p. 341 et s. et,n° 767, p. 404 et s.

164. La crainte que les questions de santé, de sécurité et les conditions de travail soient oubliées et se dissolvent dans les considérations économiques sur l’organisation de l’entreprise n’est pas négligeable 505. Le double contrôle de l’organisation de l’entreprise et de l’organisation du travail, jusqu’ici garanti par la pluralité d’instances, semble remis en cause. C’est au cœur du CSE que devra désormais s’arbitrer le double regard sur les décisions patronales. Et il y a fort à craindre que les considérations sur l’emploi prennent le pas sur celles relatives à la santé et aux conditions de travail 506.

Cette inquiétude est loin d’être uniquement liée à l’état des relations sociales dans l’entre-prise. Il semble qu’au travers du CSE le législateur réaménage subtilement les anciennes attributions du CHCST autour de la santé et la sécurité stricto sensu, au détriment de la prise en compte de l’amélioration des conditions de travail par le contrôle des décisions de l’employeur en matière d’organisation du travail. La réforme, en ce sens, est à rebours de la lente maturation des missions des représentants du personnel dans l’entreprise en la matière.

505. H. Lanouzière, I. Odoul-Asorey et F. Cochet, préc ; G. Pignarre, préc ; B. Teyssié, préc ; Pierre-Yves Verkindt, « Les conditions de travail et la santé au travail dans les ordonnances du 22 septembre 2017 : faut-il mouiller son mouchoir ? », Droit social, 2018, p. 41.

506. G. Borenfreund, préc. Le Conseil constitutionnel a cependant décidé que l’absence d’instance spécialisée n’était pas contraire au droit constitutionnel à la protection de la santé : Cons. constit., 21 mars 2018, no 2018-761, Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi no 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social Cons. 44 ; Pierre-Yves Verkindt, « «… À celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré ». La disparition du CHSCT et la santé au travail dans la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 », 2018, p. 708.

CONCLUSION DE SECTION

165. Les évolutions du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ont contribué à étendre considérablement le champ de ce concept. Des conditions matérielles d’exécution du travail ou des facteurs ambiants, elles incluent désormais les modalités d’organisation du temps de travail, la rémunération et même l’état des relations sociales dans l’entreprise 507. L’apport des négociations collectives des années 1970, l’apparition du droit d’expression directe et collective ou la montée en puissance du CHSCT ne se réduit cependant pas à l’extension du concept de conditions de travail. Ces évolutions soulignent en effet que l’amélioration des conditions de travail et ses effets sur la santé sont intrinsèquement liés à l’enca-drement et au contrôle de ce qui les détermine, c’est-à-dire à l’organisation du travail. Le pouvoir de direction de l’employeur, quels qu’en soient les objets, est ainsi saisi et contrôlé pour ses effets sur l’organisation du travail.

L’organisation du travail mise en cause par les travailleurs et leurs représentants se révèle dotée d’un riche contenu manifestant dans l’ordre juridique les évolutions ayant affecté le travail et la production depuis les années 1970. À la critique des conditions matérielles de travail ou de son exécution dans la grande entreprise industrielle tayloriste, s’ajoute désormais le contrôle des décisions patronales liés à la rémunération, aux classifications professionnelles, aux restructurations, à l’utilisation des outils informatiques ou aux nouveaux modes de management. Par ces différents aspects, le concept d’organisation du travail rend visible dans l’ordre juridique la multitude des activités de production de biens ou de services, la variété des technologies employées ou la diversité des modes de management des travailleurs.

La mise en lumière des différentes composantes de l’organisation du travail sous le prisme des conditions de travail est partie liée avec la montée en force des impératifs de protection de la santé et de la sécurité au travail sur le devant de la scène juridique. L’organisation du travail, déterminant les conditions de travail, s’impose ainsi progressivement comme la source des risques professionnels.

SECTION 2 : L’ORGANISATION DU TRAVAIL

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