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L’employeur, relais ponctuel des politiques de santé publique

CONCLUSION DE SECTION

A. L’employeur, relais ponctuel des politiques de santé publique

sur le lieu de travail : l’exemple de l’alcool et du tabac

73. L’entreprise, où les travailleurs passent un temps conséquent, a pu être considérée histori-quement comme un lieu privilégié de mise en œuvre des politiques sanitaires liées aux conditions de vie plutôt qu’aux conditions de travail. Cette perspective trouve aujourd’hui un fort écho dans certains discours réformateurs qui voudraient faire de la santé au travail une composante à part entière de la santé publique 213.

L’entreprise n’est pas seulement un lieu de dépistage de certaines pathologies 214. Elle est également le lieu où les prescriptions générales édictées en matière de prévention des risques sanitaires peuvent s’appliquer. L’autorité de l’État trouve alors dans l’employeur un relais des politiques de santé publique 215. Cette intégration ponctuelle des risques sanitaires au droit de la santé au travail

213. Ellen Imbernon, « Quelle place pour les risques professionnels dans la santé publique ? », Santé Publique, no 20, 2008, p. 9, hs. CA Colmar, 8 septembre 2011 no 10/03735 ; Plan santé au travail 2005-2009, 1, Ministère du Travail ; Plan santé au travail 2010-2014, 2, Ministère du Travail ; Plan santé au travail 2016-2020, 3, Ministère du Travail. Charlotte Lecocq, Bruno Dupuis et Henri Forest, Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée, Rapport fait à la demande du Premier Ministre, août 2018, p. 76-77. Pour un rapprochement de la santé au travail et de la santé publique en matière de risques psychosociaux : Nina Tarhouny, Les risques psychosociaux. Droit et prévention d’une problématique de santé publique, Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité, 2018, p. 381 et s., n° 681 et s. L’auteur promeut le renforcement de la « sociovigilance » sur les risques psychosociaux ou socio-organisationnels. 214. La loi no 46-2195 du 11 octobre 1946 relative aux services médicaux du travail (JORF du 12 octobre 1946, p. 8638) leur donnait pour rôle notamment d’éviter « les risques de contagion » (art. 1).

215. André ROUAST et Paul DURAND, Précis de législation industrielle, Dalloz, 4e éd., Paris, 1953, p. 166. «L’entreprise fournit enfin le cadre dans lequel l’État s’efforce d’améliorer les conditions de vie des salariés […] elle est, à l’échelon local, le meilleur relais de l’autorité publique ». Voir également Paul Durand, « Les fonctions publiques de l’entreprise

n’est pas sans effet sur leur nature. De risques sanitaires à l’origine indépendants de l’activité de travail subordonné, ils tendent à devenir d’authentiques risques professionnels liés aux conditions de travail.

Les évolutions de la lutte contre la consommation d’alcool, qui prend corps au début du xxe

siècle (1), et la lutte contre le tabagisme, qui naît dans les années 1990 (2), offrent deux exemples permettant l’analyse de ce mouvement.

1. La prévention de la consommation d’alcool sur le lieu de travail

74. Les hygiénistes, occupés autant à décrire les conditions de travail que les conditions de vie des ouvriers, voyaient dans l’alcoolisme une « maladie », cause de la limitation de la capacité de travail 216. Le « fléau social » de l’alcoolisme qu’ils ont abondamment décrit 217, abreuve le xxe

siècle naissant en controverses juridiques entre les partisans d’un strict encadrement légal et fiscal 218, voire de la prohibition, et les industriels et agriculteurs dont les intérêts sont en cause 219. Aussi, quelques années après un encadrement de la production d’alcool, c’est sa consommation sur les lieux de travail qui se voit réglementée. Depuis une loi du 8 mars 1917, aucune boisson alcoolisée autre que « le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail ».

75. Ces dispositions historiques continuent d’occuper la partie réglementaire du travail 220. À cette limitation de la consommation d’alcools’associe également une interdiction de laisser entrer ou séjourner des personnes ivres dans l’entreprise 221. L’employeur qui ne respecterait pas ces dispositions engage sa responsabilité pénale 222. Il est ainsi susceptible d’exercer son « pouvoir normateur » 223 et d’interdire ou de limiter la consommation d’alcool dans le règlement intérieur de l’entreprise 224. Afin de faire respecter ces dispositions, l’employeur a un pouvoir de contrôle, il

privée », Droit social, 1945, p. 246. À travers d’édiction du règlement intérieur, il est « investi par l’État d’une parcelle de pouvoir réglementaire » Alain Supiot, « La réglementation patronale de l’entreprise », Droit social, 1992, p. 215. 216. Conférence interministérielle de la main-d’œuvre, Rapport sur la question de l’alcoolisme, 1917, p. 11 ; E. Aubert et Jean Letort, L’alcoolisation de la France. Pour que la France vive, Ed. Bossard, Paris, 1920.

217. Bertrand Dargelos, « Une spécialisation impossible. L’émergence et les limites de la médicalisation de la lutte antialcoolique en France (1850 – 1940) », Actes de la recherche en sciences sociales, no 156-157, 2005, p. 52, 1. Article synthétisant une thèse de doctorat : Bertrand Dargelos, La lutte antialcoolique en France depuis le xixe siècle, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 11, Paris, 2008. Sur l’hygiénisme industriel, cf. supra, n° 48, p. 40 et s. 218. P. Griveau, L’alcoolisme, fléau social. Mœurs, législation, droit comparé, éd. Marchal et Billard, Paris, 1906. 219. En 1917, les « pomologues », s’occupant de la fabrication du cidre et du poiré, avaient déjà vu leur organe de presse disparaître, mais autour des années 1905-1906 ils avaient été actifs à dénoncer premières réglementations portées par les associations anti-alcooliques (notamment sur l’encadrement des bouilleurs de cru), en dénonçant les dangers d’une « socialisation » et d’une « collectivisation » de l’État derrière lesquels ils croyaient voir la figure de Marx. J. De Pontaumont, « Causerie politique », Le cidre & le poiré, 1906, p. 13.

220. Art. R. 4228-20 c. trav. La mention de « l’hydromel non additionné d’alcool », désormais désuète, a été aban-donnée à l’issue de la recodification du code du travail de 2008, qui modifie également la nature de la norme, désormais réglementaire et non plus légale : Cf. art. L 232-1 anc. c. trav., abrogé par l’ordonnance no2007-329 du 12 mars 2007. 221. Art. R. 4228-21 c. trav.

222. Cass. crim., 30 novembre 1993, no 92-82.090 ; inédit. L’employeur peut voir reconnue également sa faute inexcu-sable en cas d’accident du travail causée par l’ivresse du salarié : Cass. civ. 2e, 17 février 2011, no 09-70.802 ; inédit. Cité par Joël Colonna et Virginie Renaux-Personnic, « Conduites addictives en entreprise », Les Cahiers du DRH, no 232, 1er juin 2016..

223. Sur le pouvoir normateur : Elsa Peskine et Cyril Wolmark, Droit du travail, Dalloz, 13e éd., coll. « Hypercours », Paris, 2019, no 258, p. 191.

peut faire pratiquer des éthylotests ou des fouilles de sacs et de casiers, y compris par le personnel d’encadrement 225. Il a récemment été jugé par le Conseil d’État que les supérieurs hiérarchiques eux-mêmes pouvaient pratiquer les tests salivaires. Au pouvoir de contrôle, s’ajoute un pouvoir de sanction. Le salarié ivre ou sous l’emprise de stupéfiants sur son lieu de travail peut se voir exposé à des sanctions disciplinaires, allant jusqu’au licenciement pour faute grave 226. La lutte contre la consommation d’alcool sur le lieu de travail est ainsi partie intégrante du pouvoir de l’employeur. 76. Si à l’origine, la lutte contre l’alcoolisme est essentiellement un problème de santé publique qui trouve un relais dans l’entreprise, désormais, elle s’intègre davantage dans la prévention des risques professionnels à double titre.

Tout d’abord, la consommation d’alcool sur le lieu de travail est considérée comme une cause d’accident du travail. Il serait, avec les substances psychotropes, impliqué dans 15 % des accidents du travail 227. En cela, la consommation d’alcool serait un facteur de risque professionnel. Ensuite, la consommation d’alcool tend à être conçue comme l’effet de certaines conditions de travail. Des études étiologiques sur les pratiques d’alcoolisation, y compris dans le milieu de travail, montrent la corrélation entre conditions de travail pénibles, surcharge de travail et consommation de substances psychoactives 228. Elles révèlent plus profondément les risques nés de l’activité de travail et de son organisation. Le milieu de travail n’apparaît plus seulement comme l’occasion d’une pratique de consommation d’alcool, mais comme une cause de celle-ci.

Cette tendance croissante à inscrire la consommation d’alcool sur le lieu de travail parmi les risques professionnels, qu’elle en soit la cause ou l’effet, a entraîné une évolution substantielle du contrôle de légalité des dispositions du règlement intérieur y ayant trait. Interdiction et limitationde la consommation d’alcool doivent être justifiées par la prévention de la santé et de la sécurité au travail.

Le recours aux éthylotests ou aux fouilles des sacs et casiers par l’employeur est limité de longue date aux seuls salariés affectés à des fonctions de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger 229. Les dispositions du règlement intérieur interdisant ou limitant la consommation

225. CE (4e et 5e ch. réu), 5 décembre 2016, no 394178 ; LSQ, 9 décembre 2016, 17218, Un test salivaire de dépistage de drogues peut être pratiqué par le supérieur hiérarchique ; JCP S, 2016, no49, act. 455 ; SSL, 2016, 1750, obs. Françoise

Champeaux ; JCP E, 2017, no3, 1046, note François Duquesne ; Danielle Corrignan-Carsin, « Tests salivaires :

conditions de dépistage de produits illicites en milieu de travail », no no6, 148, 2017 ; JCP S, 2017, no3, 1022, note Thomas Noël ; Gaz. Pal., 2017, no10, p. 52, note Joël Colonna et Virgine Renaux-Personnic ; Droit social, 2017, p. 244, note Jean Mouly ; Gaz. Pal., 2017, no6, p. 17, note Stéphane Prieur.

226. Cass. Soc., 27 mars 2012, no 10-19.915 Air Tahiti Nui ; Bull. civ. V, n o 106 ; Droit social, 2012, p. 525, obs. Jean Mouly ; D., 2012, p. 1065 ; SSL, 2012, no1535, note Agathe Marcon ; LPA, 2012, no181, p. 12, note Laurence Bineau ;

LPA, 2012, no145, p. 15, note Carlos Michel Dos Santos Oliveira ; JCP S, 2012, no23, p. 1245, note Philippe

Rozec et Benjamin Dezandre ; Rev. Lamy Dr. Aff., 2012, no72, obs. Florence Canut ; RJS, 2012/6, p. 454 ; Cah.

Soc., 2012, no241, p. 165, obs. Alain Belot ; JCP G, 2012, 492. Plus spécialement sur la lutte contre la consomation de drogues : Philippe Auvergnon, « Drogues illicites et travail salarié : agir, sans surréagir », Droit social, 2015, p. 449. 227. http ://www. anpaa. asso. fr/sinformer/addictions-lessentiel-sur/alcool. L’alcool peut être la cause même du décès, survenu au cours d’une mission et dès lors reconnu comme accident du travail : CA Nancy, 13 février 2001 ; D., 2002, p. 1515, note Harold Kobina Gaba.

228. Renaud Crespin, Dominique Lhuilier et Gladys Lutz, « Les fonctions ambivalentes de l’alcool en milieu de travail : bon objet et mauvais objet », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, no 107, 2015, p. 375, 3. Renaud Crespin, Dominique Lhuilier, Gladys Lutz et (dir.), Se doper pour travailler, Erès édition, coll. « Clinique du travail », Toulouse, 2017.

229. Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878 ; Bull. civ. V, no176 ; JCP G, II, 2002, 10132, obs. Danielle Corrignan-Carsin ; Droit social, 2002, p. 781, comm. François Dusquesne ; JSL, 2002, no104, p. 9, obs. Marie Hautefort ; JCP

d’alcool sont soumises à la même exigence. Dans un arrêt Caterpillar du 12 novembre 2012 230, le Conseil d’État a considéré que l’employeur peut prendre des mesures d’interdiction des boissons alcoolisées dans le règlement intérieur, mais celles-ci doivent rester proportionnées au but recherché, et ce, alors même qu’il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé des salariés. Le juge ajoute qu’en l’espèce les sujétions générales et absolues n’étaient pas fondées sur une situation de danger ou de risque particulier. Cet arrêt a justifié une modification de l’article R. 4228-20 du code du travail, lequel ajoute que lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur peut limiter ou interdire la consommation, de façon proportionnée au but recherché de protection de la santé et de la sécurité et de prévention de tout risque d’accident 231.

Désormais la question se centre sur les motifs pouvant justifier une interdiction et leur proportionnalité au but de sécurité recherché. Le Conseil d’État exige la caractérisation d’une situation particulière de danger ou de risque, c’est-à-dire en fonction du poste et des missions exercées par certains salariés ou même par le service. La nouvelle rédaction de l’article R. 4228-20 semble pouvoir accueillir un motif plus général, tiré de l’activité de l’ensemble de l’établissement ou de l’entreprise. C’est en ce sens qu’ont tranché certaines juridictions du fond, admettant une interdiction générale de la consommation d’alcool en raison du seuil haut de classement SEVESO du site 232, d’un risque particulier d’explosion 233, ou même en se référant à une vague « norme de sécurité particulièrement stricte » 234.

77. La lutte contre la consommation excessive d’alcool, née au début du xxe siècle, manifeste le recours ponctuel à l’autorité de l’employeur pour la mise en œuvre sur le lieu de travail des politiques de santé publique. L’intégration de ce risque sanitaire au droit de la santé au travail n’est pas sans effet sur sa nature. D’une pratique étrangère à l’activité productive de l’entreprise, la consommation d’alcool devient l’une des composantes de la vie personnelle sur le lieu de travail, et même une condition de sécurité au travail. La consommation d’alcool tend progressivement à devenir un facteur de risque professionnel, à la fois cause d’accident, et même, effet des conditions de travail pénible. La consommation d’alcool peut être considérée comme la manifestation d’une organisation du travail générant des risques professionnels. Mais elle demeure pour une large part conçue comme une activité personnelle exécutée sur le lieu de travail. La lutte contre l’alcoolisme au travail présente ainsi un caractère équivoque dans son rapport à l’organisation du travail et pourrait

E, 2002, 1062 ; RJS, 2002, no11, p. 1233 ; Cah. prud., 2003, no6, p. 1, chron. ; Cass. soc., 31 mars 2015, no 13-25.436 ; Bull. civ. V, no69 ; Droit social, 2015, p. 469, obs. Jean Mouly ; Cah. Soc., 2015, no275, p. 322, obs. Julien Icard ; RJS, 2015, no6, p. 373 ; Carole Lefranc-Hamoniaux, « Contrôle de l’alcoolémie d’un salarié : la disposition spéciale du règlement intérieur s’applique », JCP G, no no16, 473, 2015.

230. CE, 12 novembre 2012, no 349365, CE Caterpillar ; Recueil Lebon ; RJS, 2013, no2, p. 109 ; AJDA, 2013, p. 385 ; JCP S, 2013, no9, 1099, obs. Philippe Rozec et Vincent Manigot ; Gaz. Pal., 2013, no11-12, p. 22, obs. Pierre Le

Cohu ; JCP E, 2013, no2, p. 1026, obs. Vincent Caron et Anne-Laure Dodet. Dans son règlement intérieur,

l’em-ployeur avait interdit de façon générale toute consommation d’alcool sur le lieu de travail, y compris aux heures de repas et autres événements festifs, prenant argument notamment de son obligation générale de sécurité.

231. Modifié par le décret no 2014-754 du 1er juillet 2014.

232. CA Amiens, 18 juin 2014, no 13/03486. Cité par J. Colonna et V. Renaux-Personnic, préc.

233. CA Rouen, 2 février 2016, no 14/04853. J. Colonna et V. Renaux-Personnic, préc.

contribuer à invisibiliser ses liens avec les risques professionnels. La lutte contre le tabagisme et ses dérivés procède à un mouvement similaire.

2. La lutte contre le tabagisme et ses dérivés

78. Les lois Veil du 9 juillet 1976 235 et Evin du 10 janvier 1991 236 ont forgé l’essentiel du dispo-sitif de lutte contre le tabagisme. L’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif en est le pivot 237. Cette disposition générale s’applique également sur les lieux de travail. Elle a été depuis l’ordonnance du 19 mai 2016 renforcée par l’interdiction de vapoter dans les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif 238. Ces dispositions légales et leurs décrets d’application, y compris ceux concernant les lieux de travail, se trouvent dans le code de la santé publique. Cette architecture de la législation manifeste le caractère de politique de santé publique de la lutte contre le tabagisme, y compris au travail.

Pareille intégration de dispositions relatives à la santé publique n’est pas sans poser une difficulté à l’exercice des pouvoirs normateurs, de contrôle et de sanctions de l’employeur.

79. Lutte contre le tabagisme et règlement intérieur : le sort des mesures d’hygiène dépas-sant le cadre de l’entreprise. L’articulation de la dépas-santé au travail et des aspects de la dépas-santé publique qui dépassent le cadre de l’entreprise trouve un écho dans un contentieux lié à l’édiction dans le règlement intérieur. À travers les mesures pouvant ou non être inscrites dans le règlement intérieur s’opère une distinction entre mesures relatives aux risques professionnels et mesures relatives aux risques sanitaires.

En matière d’hygiène, l’employeur a obligation de prévoir les mesures d’application de la réglementation de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement. La réglementation visée implique-t-elle la seule santé au travail ou inclut-elle les mesures de santé qui dépassent ce cadre ? Une circulaire DRT de 1992 239 visant à assurer la mise en œuvre des dispositions du code de la santé publique pour la lutte contre tabagisme opérait une distinction entre les mesures générales d’hygiène professionnelle devant figurer au règlement intérieur et les mesures de santé publique qui ne pouvaient y être intégrées. Ces dernières, selon ce texte, ne devaient donc pas relever du régime du règlement intérieur ni du contrôle des inspecteurs du travail, à l’exception de l’aménagement des espaces fumeurs dans l’entreprise 240. La circulaire rappelait en outre que l’interdiction de fumer édictée par l’employeur pouvait être prise à raison de l’augmentation des risques professionnels (incendies et explosion, risques chimiques, nucléaires …).

235. Loi no 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, dite loi Veil ; JORF du 10 juillet 1976, p. 4148. 236. Loi no 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Evin ; JORF no10 du 12 janvier 1991, p. 615.

237. Art. L. 3512-8 c. s. publ.

238. Art. L. 3513-6 c. s. publ. Par exception à l’interdiction d’exercice de la médecine de soin, les médecins du travail peuvent prescrire aux travailleurs des substitus nicotiniques (art. L. 3511-3 c. santé publique).

239. Circ. DRT 92/23 du 9 novembre 1992 relative à la lutte contre le tabagisme sur les lieux de travail.

240. La circulaire rappelait en outre que l’interdiction de fumer édictée par l’employeur pouvait être prise à raison de l’augmentation des risques professionnels qu’elle pouvait occasionner (incendies et explosion, risques chimiques, nucléaires …). Elle concerne alors l’hygiène professionnelle : elle peut être édictée dans le règlement intérieur et son irrespect par le salarié peut être sanctionné disciplinairement.

L’exclusion du champ du règlement intérieur des mesures relatives aux risques sanitaires, et particulièrement à la lutte contre tabagisme, a été critiquée. Le Conseil d’État a été saisi de la validité de la décision d’un inspecteur du travail demandant le retrait des articles du règlement intérieur mettant en œuvre les dispositions du code de la santé publique. Censurant la décision de l’inspecteur du travail et admettant implicitement l’illégalité de la circulaire DRT de 1992, le Conseil d’État a considéré que l’objet du règlement intérieur était la mise en œuvre des mesures d’hygiène, et que peu importe qu’il s’agisse d’un « objectif qui dépasse le cadre de l’entreprise » 241. Autrement dit, l’employeur a la faculté d’intégrer dans le règlement intérieur des mesures relatives à la santé publique, et non simplement aux risques professionnels.

Le fondement du licenciement personnel pour des faits de tabagisme illustre une nouvelle fois la délicate distinction entre mesures de santé au travail et mesures de santé publique trouvant un relais dans l’entreprise. Certaines solutions rendues dans les premiers temps de la loi Evin avaient pu laisser planer une incertitude sur le fondement du licenciement. En effet, il avait été admis par les juges du fond qu’une salariée fumant dans la lingerie d’un hôtel troublait le bon fonctionne-ment de celui-ci, car elle ne pouvait ignorer que l’odeur, dont les clients se plaignaient, imbibait les draps. Cela constitue une insuffisance professionnelle 242. Il semble désormais admis qu’un salarié contrevenant à l’interdiction de fumer sur les lieux de travail édictée dans le règlement intérieur puisse être licencié, et notamment pour faute grave 243.

L’interdiction de fumer, sous l’effet de l’intégration au règlement intérieur, tend à faire du tabagisme non plus seulement un risque sanitaire, mais un risque professionnel.

80. Le tabagisme passif, condition de travail pathogène. La politique de lutte contre le taba-gisme a entraîné un renforcement de la problématique de protection des non-fumeurs, y compris au sein de l’entreprise. La responsabilité de l’employeur dans la mise en œuvre de cette protection a trouvé comme relais son obligation générale de sécurité de résultat fondée sur les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Dans un arrêt du 29 juin 2005, la chambre sociale a décidé que l’insuffisance du « plan d’organisation ou d’aménagement destiné à assurer la protection des non-fumeurs » constituait une violation par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat 244. La solution ne repose pas sur la constatation de la violation de cette interdiction de fumer sur les lieux de travail par les collègues du salarié, ni d’ailleurs sur la réalisation du risque que fait peser le tabagisme passif dont les effets néfastes sont connus 245, mais bien sûr la violation par l’employeur de ses obligations préventives.

241. CE, 18 mars 1998, no 162055, Groupe Credipar ; Recueil Lebon 1999 ; Droit social, 1998, p. 1012, note Patrick Chaumette.

242. CA Aix-en-Provence, 19 décembre 1996. Reproduit sous Alexis Bugada, « Fumer nuit gravement à l’emploi », Droit social, 1996, p. 679.

243. Cass. Soc., 1er juillet 2008, no 06-46.421 ; Bull. civ., V, no145 ; RDT, 2008, p. 750, obs. Marc Véricel.

244. Cass. Soc., 29 juin 2005, no 03-44.412, Société ACME Protection ; Bull. civ., V, no219 ; D., 2005, p. 2565, note

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