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Le structuralisme et l'art pariétal : les espèces comme symboles

dans l'archéologie du Paléolithique supérieur : archéozoologie et art pariétal

3.2. L'analyse des images de l'animal : l'art pariétal

3.2.1. Le structuralisme et l'art pariétal : les espèces comme symboles

Dès 1935, une approche nouvelle de l'art pariétal voit le jour avec les travaux de Max Raphaël. Dans ces travaux (Raphaël 1945, 1986), l'art ne se résume pas à une imitation de la nature. En efet, les fgures de l'art pariétal y sont prétendues posséder des signifcations symboliques attribuées par les artistes. Par ailleurs, on suppose que ces signifcations peuvent être analysées par l'étude des compositions et les répartitions spatiales des fgures.

Prenant appui sur les considérations innovantes de Raphaël, un structuralisme va véritablement s'imposer dans les études de l'art pariétal du Paléolithique à partir des années 1960 à travers notamment les apports d’Annette Laming-Emperaire (1962) et d’André Leroi-Gourhan (1964a, 1965). Pour les tenants du structuralisme appliqué à l'art pariétal, la disposition des fgures dans les grottes est porteuse de sens, et le choix des motifs n'est pas aléatoire et doit être considéré comme un signe. L'art paléolithique est conçu comme un « système conventionnel » (Sauvet et Wlodarczyk 1995, p.194) dont les conventions sont à découvrir. Ce nouveau paradigme apporte un grand bouleversement à la discipline, et demeure très présent et probablement dominant jusqu'à aujourd'hui dans le paysage

de la recherche française (Monney 2015). Ce structuralisme essaime également très largement en Europe et dans le monde.

Les œuvres sont alors envisagées comme des textes dont la syntaxe serait à portée de main. L'art pariétal paléolithique est postulé fonctionner comme un texte qu'il faudrait parvenir à déchifrer par l'entremise d'une analyse interne, et il faudrait alors considérer les productions graphiques « comme un langage visuel, fait de signifants graphiques et de règles d'assemblage » (Sauvet et Wlodarczyk 1995, p.194). Il s'agit donc de mettre en évidence des régularités structurales dans l'agencement des fgurations : étudier les combinaisons, les associations, les fréquences, les absences, les répartitions spatiales, etc.

« Le problème posé, il reste à découvrir la méthode de déchifrement qui s'adapterait le mieux à des « textes » constitués par quelques dizaines de cavernes aux formes capricieuses, peuplées de fgures disposées sans ordre apparent. On peut dire « texte » car en défnitive le procédé adopté s'apparente de près à ceux qui ont été adoptés pour réduire les écritures inconnues : chaque fgure est considérée comme une particule signifante disposée dans un ordre fourni par la confguration même de la caverne. »

(Leroi-Gourhan 1983, p.353-354)

La mise en œuvre de cette méthode pose en efet la question des unités sémiques qui ont été mobilisées lors de la production de cette expression graphique. Pour déchifrer le texte, ou plus humblement étudier sa syntaxe, il faut d'abord pouvoir distinguer les phrases et les mots qui le composent. Dans les travaux d'André Leroi-Gourhan, comme dans la très grande majorité des approches structuralistes et sémiotiques de l'art pariétal (Raphaël 1945, 1986 ; Laming-Emperaire 1962 ; Sauvet et Wlodarczyk 1995 ; etc.) c'est l'espèce animale qui occupe la place de « particule signifante », en tant que motif élémentaire.

Ensuite, le « panneau » est « analogue à ce qu'est la phrase pour un énoncé linguistique » (Sauvet et Wlodarczyk 1995), et fnalement le texte correspondrait au dispositif pariétal d'une grotte.

Ainsi, le sens n'est pas seulement attaché à une forme, mais à la relation que cette forme entretient avec toutes les autres (Sauvet et Wlodarczyk 1995, p.194). Pour François Poplin, la notion de mythogramme forgée par André Leroi-Gourhan est à rapprocher de celle d'organigramme.

« La disposition des fgures n'est pas en ligne comme au fl de l'expression, mais plutôt pluridimensionnelle comme dans le monde des associations d'idées évoqué plus haut, et celui des rêves et de la poésie, comme chez Chagall. »

(Poplin 2006, p.10)

En se rapprochant de la linguistique et de la sémiotique, l'objectif d'André Leroi-Gourhan est aussi celui d'ofrir une méthode plus « scientifque » à l'archéologie pour aborder les productions graphiques

des grottes. Ainsi, de manière assez analogue avec ce qui s'observe dans les innovations méthodologiques apportées au protocole des fouilles archéologiques, l'analyse de l'art pariétal va se doter d'un appareil méthodologique impliquant des quantifcations et des analyses statistiques permettant une plus grande objectivité et un mode opératoire plus proche de celui des sciences de la nature. En cela, l'approche d'André Leroi-Gourhan est probablement plus proche du projet sémiotique plus général de l'époque dans les sciences sociales d'analyser les phénomènes à partir du signe, plutôt que d'une directe adaptation des méthodes structurales en ethnologie mises au point par Claude Lévi-Strauss.

André Leroi-Gourhan propose fnalement un système interne des ensembles ornés approchés grâce à l’utilisation des statistiques, mettant en avant l’existence d’une corrélation entre le nombre et la répartition des fgures animales à l’intérieur des cavités. Il propose alors une typologie des signes qui respecte un partage entre symboles sexuels féminins et masculins, ce dualisme étant sensible au niveau des fgures animales qui s’organisent autour du couple central cheval/boviné, le cheval étant un symbole masculin et le boviné un symbole féminin (Leroi-Gourhan 1964a, 1965).

L'idée que l'espèce animale est l'outil privilégié pour découper le réel est néanmoins un positionnement qui s'accorde parfaitement avec les idées structuralistes de Claude Lévi-Strauss 29.

Ainsi, le choix des espèces animales comme particule signifante de l'art pariétal paléolithique trouve une justifcation dans la présomption de l'universalité, ou au moins de la grande fréquence, des systèmes symboliques construits au moyen des espèces animales. En faisant de l'espèce animale un signe, les préhistoriens pratiquant une approche structuraliste de l'art pariétal se placent dans la perspective de Claude Lévi-Strauss (Lévi-Strauss 1962a, 1962b) de faire apparaître des correspondances entre un système érigé sur la base d'une série d'espèces animales et un système de symboles humains. Ainsi, chez André Leroi-Gourhan, comme chez les autres préhistoriens se réclamant du structuralisme, la méthode prend appui sur une dichotomie postulée entre nature et culture, puisque c'est au moyen de l'hétérogénéité des espèces naturelles que se pensent les discontinuités dans le système symbolique conçu par les humains.

Dans cette perspective, l'animal représenté devient un symbole avant tout. Et, pour André Leroi-Gourhan, « les animaux ou les hommes apparaissent moins comme des individus que comme des symboles» (Leroi-Gourhan 1965, p.74). Comme chez Claude Lévi-Strauss, l'animal est appréhendé

29 « […] la diversité des espèces fournit à l'homme l'image la plus intuitive dont il dispose, et elle constitue la manifestation la plus directe qu'il sache percevoir de la discontinuité ultime du réel : elle est l'expression sensible d'un codage objectif » (Lévi-Strauss 1990, p.166).

comme un « outil conceptuel » (Lévi-Strauss 1990, p.179). L'animal est une image qui fonctionne en tant que signe.

« Qu'elle soit d'aspect fguratif ou non fguratif, l'image ne renvoie pas à elle-même, mais à toute une série de concepts associés. »

(Sauvet et Wlodarczyk 1995, p.194)

En prônant à la fois une analyse interne de l'art pariétal paléolithique (qui souhaite s'émanciper de toutes références extérieures) et en considérant l'animal comme un symbole avant tout (et donc indépendant du domaine économique), l'étude structurale des productions pariétales se concentre sur ses propres problématiques et s'oriente vers une voie de recherche en partie coupée des autres spécialités de l'archéologie préhistorique.

Les représentants actuels de la démarche structuraliste dans l'art pariétal nous semblent plus proches de Claude Lévi-Strauss que ne l'était André Leroi-Gourhan, dans la mesure où ils mettent en avant la dimension mythique de l'art sur les bases d'une défnition plus clairement Lévi-straussienne des mythes.

Ainsi, Jean Airvaux (2001, p.212) cite par exemple Lévi-Strauss (1962b) pour remettre en cause les ethnologues de l'école naturaliste qui font l'erreur de « croire que les phénomènes naturels sont ce que les mythes cherchent à expliquer ; alors qu'ils sont plutôt ce au moyen de quoi les mythes cherchent à expliquer des réalités qui ne sont pas elles-mêmes d'ordre naturel, mais logique. » C'est donc d'une manière ici tout à fait assumée que le préhistorien se positionne du côté d'un culturalisme qui considère les espèces animales issues de la nature comme une potentialité pour l'humain d'efectuer des combinaisons symboliques, hors de la nature. Dans cette perspective, les mythes s'émancipent totalement de l'environnement pour reféter la seule activité des structures mentales humaines.