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I – La Préhistoire face à la nature

1.5. La culture ethnologique dans l'archéologie

De fait, dans l'archéologie du Paléolithique, les approches ciblées sur une culture, en un lieu et un moment donné, sont particulièrement infuencées par les apports de l'ethnologie. Un « comparatisme ethnographique » a souvent été utilisé par l'archéologie pour essayer de mieux saisir les pratiques et représentations des populations du Paléolithique supérieur. Dès les débuts de l'étude de la Préhistoire, c'est dans l'ethnographie que vont être piochées diverses illustrations (au sens propre comme fguré) ayant pour but de donner à voir l'homme paléolithique. Une grande hétérogénéité de critères de comparaisons vont alors être sollicités par les chercheurs. Le comparatisme trouve ainsi sa source dans le degré d'évolution, la raciologie (notamment via la craniologie), le lien historique présumé entre les civilisations (le difusionnisme), l'organisation socio-économique équivalente, les conditions environnementales comparables, des analogies directes entre des types d'objets, etc.

Le comparatisme ethnographique du début du 20ème siècle sera employé dans une perspective illustrative et sans réelles ambitions théoriques pendant quelques décennies, jusqu'aux années 1950 (Monney 2015, p.360-361). Dès les années 1960 cependant, Leroi-Gourhan notamment, va critiquer de manière virulente la pratique abusive de simples analogies hors de contexte10.

Ce sont essentiellement des archéologues ayant une formation d'ethnologue comme Leroi-Gourhan ou Laming-Emperaire qui critiquent l'emploi d'un comparatisme ethnographique en Préhistoire. Il faut ainsi un peu paradoxalement considérer que c'est un rapprochement avec l'ethnologie et ses méthodes qui s'opère en France dans cette critique du comparatisme ethnographique, avec ce que cela suppose en terme de défnition de ce qu'est la culture. En efet, si ces auteurs prônent l’établissement de modèles interprétatifs à partir de l’examen des seuls faits paléolithiques, sans recours à la comparaison de contextes distanciés dans le temps comme dans l’espace, c'est au nom de l'établissement d'une « ethnologie préhistorique » à caractère scientifque.

En ce qui concerne plus particulièrement l'art pariétal, les considérations de ces archéologues-ethnologues devaient fnalement conclure à l'impossibilité de retrouver la signifcation exacte des motifs

10 « Prendre chaque fois un cas tiré de la préhistoire pour rechercher le cas correspondant parmi tous les peuples vivants connus n’éclaire pas le comportement de l’homme préhistorique » (Leroi-Gourhan 1965, p.30).

« Averti par presque 30 ans de métier d’ethnologue, j’ai renoncé à la confrontation ethnologique, refusant ce que je sais des Australiens ou des Esquimaux pour ne pas faire de nos Magdaléniens le produit clandestin du croisement des derniers primitifs du monde contemporain » (Leroi-Gourhan 1965, p.79).

en l’absence d’informateurs présents lors de la production de cette expression graphique, et mène à un rapprochement avec le structuralisme (de Lévi-Strauss, notamment) employé dans l'ethnologie contemporaine.

L'étude des aspects matériels de la vie quotidienne profte également du dynamisme de cette école infuencée par l'ethnologie. De nouvelles méthodes de fouille vont apparaître qui prennent en compte les informations accessibles pour « un lieu et un moment donné », et pas uniquement dans une perspective historique. L'analyse planigraphique s'allie alors à l'approche stratigraphique classique de l'archéologie. Les fouilles horizontales permettent une approche ethnographique des sols d’habitat, une attribution de coordonnées spatiales aux vestiges, une recherche sur les aires d’activité, une valorisation de l'analyse des déchets, etc. Cette nouvelle « palethnographie » promue par Leroi-Gourhan amène dans son sillage une revalorisation progressive des ossements animaux, désormais considérés au même titre que les autres vestiges. Les restes fauniques renseignent non seulement sur l'évolution paléontologique et le paléoenvironnement, mais également sur l'économie des collectivités étudiées.

« Il est clair que l’étude des débris faunistiques dépasse très largement le pittoresque qu’il y a à constater la coexistence de l’homme et du vautour fauve à l’Aurignacien. Elle dépasse aussi les indications précieuses que l’animal peut fournir sur le climat qui régnait à une époque déterminée ; très directement, elle assure une prise irremplaçable sur la vie économique et technique. »

(Leroi-Gourhan et al. 1966, p.305)

Des discussions autour de l'emploi des données ethnographiques pour comprendre les vestiges archéologiques vont, par ailleurs, voir le jour à partir des années 1950 dans l'archéologie mondiale, notamment sous l'impulsion de la New Archaeology d'Amérique du nord (Clark 1951, 1952 ; Childe 1956 ; Ascher 1961, 1962 ; Binford 1967, 1968 ; Gould 1968 ; Longacre 1970 ; Peterson 1971 ; Orme 1974...). Ce renouveau du comparatisme prendra la forme de l'ethnoarchéologie (ethnoarchaeology), une démarche revendiquant une scientifcité, et visant à utiliser les résultats d'une enquête ethnographique, donc auprès d'une population vivante, pour interpréter les résultats d'une enquête archéologique menée par la fouille. Dans cette optique, les traces matérielles retrouvées en fouille sont interprétées grâce aux éléments matériels observés lors du travail ethnographique de terrain.

L'ethnoarchéologie, telle qu'elle s'est structurée à partir des années 1960 au sein de la New

Archaeology ne consiste toutefois pas à comparer, terme à terme, un fait archéologique dont on cherche

la clé, avec un fait ethnographique choisi au hasard. Ainsi, Binford s'attache plus particulièrement aux causes qui sont à l'origine des phénomènes culturels. S'il ne s'empêche pas d'user d'analogies directes, c'est cependant en les intégrant à un système théorique plus général (Binford 1967). Les hypothèses avancées doivent prendre en compte la valeur adaptative du comportement et leur articulation au sein

de modèles de comportements des chasseurs-cueilleurs. La middle-range theory de Binford (1977) permettant de relier des processus ethnographiquement observables à des formes archéologiques oriente largement les pratiques ethnoarchéologiques anglo-saxonnes depuis la fn des années 1970 (Porr 2001).

Dans cette optique, les aspects matériels du « comportement » sont particulièrement mis en avant, et cette démarche ethnoarchéologique prend le risque de résumer des sociétés actuelles comme anciennes à leur seul « mode de subsistance » . La logique qui prévaut dans la New Archaeology est efectivement celle d'une connaissance possible des comportements des populations préhistoriques à travers l'étude de chasseurs-cueilleurs vivant dans les mêmes conditions environnementales.

« It seems self-evident and widely accepted nowadays that useful estimates of the population size, population distribution, settlement pattern, and general way of life of prehistoric populations of hunters can be made through […] general theorical assumptions based on analogy from directly observed populations of both hunters and relevant prey forms 11. »

(Burch 1972, p.339)

Binford choisi par exemple les Nunamiut pour comprendre les chasseurs du Paléolithique supérieur car ce sont des chasseur-cueilleurs vivant dans des conditions climatiques froides et qui se nourrissent principalement aux dépens du renne.

« Tese people are hunters (Nunamiut Eskimo), reported to be over 80% dependent for their subsistence on a single species, Rangifer tarandus or caribou. If there was any place in the world where I could learn about the problems presented by a strong dependence on hunted food, how these problems are solved, and how such solutions are manifest archaeologically in faunal remains it would be with the Nunamiut »12

(Binford 1978, p.12-13)

Quoi qu'il en soit, dans cette perspective, c'est encore une fois la culture dans un sens plus anthropologique (bien que conçu comme un épiphénomène des conditions matérielles) qui est sollicitée, et ce sont des approches ciblées sur une culture, en un lieu et un moment donné qui sont réalisées.

Il est à noter qu'une ethnoarchéologie est également développée en France, après un sensible décalage temporel et un positionnement bien plus dégagé des bases théoriques de l'écologie culturelle

11 Traduction : « Il semble évident et largement accepté de nos jours, que d’utiles estimations de la taille de la population, de la répartition de la population, des modes de campement, et du mode de vie général des populations préhistoriques de chasseurs peuvent être faites au travers d’hypothèses théoriques basées sur l’analogie et une observation directe de populations de chasseurs dépendants des mêmes proies ».

12 Traduction : « Ces peuples sont des chasseurs, connus pour être dépendant à plus de 80% d’une seule proie, le renne. S’il existe un endroit dans le monde où je pourrais apprendre des choses sur les problèmes liés à la dépendance forte à la nourriture chassée, la manière dont ces problèmes sont résolus, et comment ces solutions se manifestent archéologiquement dans des vestiges de faune, c’est bien avec les Nunamiut. »

(Audouze et Perlès 1980 ; Gallay, 1980, 1986 ; Pétrequin et Pétrequin 1984 ; Gallay et al. 1992). Cette approche est moins marquée par le matérialisme et l'économisme dans la mesure où elle est bien davantage familière avec les concepts d'une école française de l'anthropologie sociale.

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L'étude la Préhistoire, comme l'anthropologie sociale, est le fruit de constructions naturalistes, prenant la notion de nature comme concept vis-à-vis duquel il est nécessaire de se positionner. L'opposition de la notion de culture à celle de nature n'est toutefois pas présente à toutes les périodes et à tous les niveaux de la Préhistoire. L'idée de « culturelle matérielle » introduit notamment une porosité entre les deux concepts, en relativisant la superposition entre la notion de culture et l'humanité, puisqu'une culture matérielle est attribuable à des formes humaines anciennes, et éventuellement à des formes animales.

En revanche, la dichotomie entre nature et culture, et l'opposition entre un positionnement moniste ou dualiste, est particulièrement saillante dans les études portant sur une culture dans un lieu et un moment défni. Or, notre problématique concernant l'étude de la relation entre les humains et les animaux dans le contexte précis du Magdalénien moyen, sur la base des fgurations des animaux et des éléments squelettiques animaux, montre tous les éléments d'une confrontation directe entre les notions de nature et de culture.

Ainsi, pour pouvoir discerner plus concrètement les formes de cette opposition dans notre problématique, nous prendrons deux repères diamétralement opposés et issus de l'anthropologie sociale, qui ont largement infuencés la recherche en Préhistoire, et plus particulièrement l'étude des images et des ossements animaux : l'Optimal Foraging Teory et le structuralisme de Lévi-Strauss.