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dans l'archéologie du Paléolithique supérieur : archéozoologie et art pariétal

3.1. L'analyse des restes osseux des animaux : l'archéozoologie

3.1.4. Une archéozoologie culturaliste ?

Des développements récents tentent, y compris dans le monde anglo-saxon, d'inféchir la tendance à la naturalisation de l'archéozoologie. Certains chercheurs soulignent l'importance de l'animal au-delà de l'économie, et donc l'importance de l'analyse de l'os animal au-delà de l' « économisme ».

« As Ingold (1989) and others (e.g. Holt 1996) have argued, animals are an essential part of the cognitive mindscape of a human population, not merely some useful resource to be exploited on an objective, rational basis, and bones are often encountered in settings which indicate a non-rational or 'ritual' signifcance (Suilleabhain 1945; Miiller 1984; Armitage 1989; Bond 1996). An interpretation of the bones from an archaeological site of any period in any part of the world cannot ignore this point. Te decisions which have been made with respect to the hunting, husbandry or trading of the animals represented by the bones will not have been made solely with regard to economic criteria »25

(O'Connor 1996, p.12)

Dans cette perspective, l'os ne peut pas se rapporter à la seule viande :

« Zooarchaeologists must adapt by seeking to address a broader range of research questions, the answers to which will not always be predicated on the assumption that « bones means meat », and by training a new generation with a greater understanding of theoretical issues, including those of other disciplines […]26 »

(Tomas 1996, p.1-2)

Il nous semble que l'on pourrait objecter à la conception de l'os animal comme écofact permettant l'apport d'énergie à l'humain, que l'os strié est un déchet de fabrication lié à un artefact qui serait le plat cuisiné, la cuisine étant un phénomène d'ordre culturel (Lévi-Strauss 1964 ; Fischler 1990). En efet, l'étude des schémas de boucherie comme d'éventuels marqueurs culturels relatifs fait de l'archéozoologie une discipline qui s'émancipe clairement de l'écofact pour aller vers l'artefact et la culture (voir les travaux de Abe 2005 ; Costamagno et David 2009 ; Castel 2010 ; Soulier 2013 ; Kuntz et al. 2016, etc.). Dans cette optique, les modalités de la boucherie ne constituent pas un

25 Traduction : « Comme le soutiennent Ingold (1989) et d'autres (e.g. Holt 1996), les animaux sont une partie essentielle du paysage mental et cognitif d'une population humaine, et pas seulement une ressource destinée à être exploitée de manière objective et rationnelle, on trouve souvent des os dans des lieux qui suggèrent une signifcation non rationnelle ou "rituelle" (Suilleabhain 1945; Miiller 1984; Armitage 1989; Bond 1996). On doit avoir cette idée à l'esprit lorsque l'on interprète les ossements d'un site archéologique, pour toute période temporelle ou localisation géographique. Ce n'est pas uniquement sur des critères économiques que des décisions ont été prises en ce qui concerne la chasse, l'élevage ou le commerce des animaux dont proviennent les ossements».

26 Traduction : « Les archéozoologues doivent s'adapter en élargissant le champ de leurs questions de recherche, dont les réponses ne devront pas toujours découler de la supposition que « les os se rapportent uniquement à la viande », et en formant une nouvelle génération à une meilleure compréhension des questions théoriques, y compris celles des autres disciplines […]. »

épiphénomène de l'adaptation à l'environnement, mais un trait positionnel culturellement déterminé et propre à un groupe.

Il en est de même, pour les autres gestes techniques perçus par l'archéozoologie, et qui se rapportent à l'idée d' « exploitation globale de l'animal », le prélèvement des peaux et des tendons pour le vêtement, l'utilisation de l'os comme combustible, etc. Malgré l'impossibilité d'accéder aux objets situés en bout de chaîne pour des raisons de non conservation, nous pouvons les concevoir comme des déchets de fabrications d'artefacts (le costume, l'organisation sociale du foyer, les rites, etc.) autant que comme des écofacts directement connectés à des « comportements de subsistance ».

3.1.4.1. Une archéozoologie sociale

Une archéozoologie « sociale » existe donc qui opère un retournement de la hiérarchie entre facteurs naturels et culturels dans l'explication des vestiges archéologiques. Nerissa Russel, par exemple, dans son ouvrage Social Zooarchaeology (2011), propose une impressionnante compilation de cas archéozoologiques dans lesquels l'aspect social semble systématiquement primer sur une interprétation par des facteurs naturels. L'auteur afrme ainsi que :

« […] the social and symbolic functions of animals and meat may often be of equal or

even greater importance than their dietary role 27»

(Russel 2011, p.7)

Il s'agit d'un catalogue factuel d'exemples contredisant l'inclination naturaliste de l'archéozoologie classique anglo-saxonne. Cet ouvrage montre donc clairement que la tendance peut se renverser, et se positionne comme « manifeste »28. Pour Nerissa Russel, tout autant qu'il doit parvenir à déterminer le poids des facteurs taphonomiques, l'archéozoologue doit évaluer le fltre culturel qui recouvre les vestiges osseux.

27 Traduction : « Les fonctions sociales et symboliques des animaux et de la viande peuvent souvent être d'égale ou de plus grande importance que leur rôle diététique ».

28 Cet ouvrage ne se situe cependant pas dans la même ambiance conceptuelle que l'article d'Overton et Hamilakis, « A manifesto for a social zooarchaeology» (2013) que nous aurons l'occasion de commenter plus loin (Partie 3, 1.3. « La prise en compte d'une diversité d'ontologies »).

3.1.4.2. Un structuralisme osseux

La trajectoire scientifque de François Poplin nous invite à concevoir la possibilité d'une archéozoologie proche du structuralisme. Ses premiers textes (Poplin 1976 ; 1983c ; 1983d) portent plus particulièrement sur les méthodes archéozoologiques et sont à compter parmi les textes fondateurs de cette spécialité (Julien 2007). François Poplin défend néanmoins l'idée qu'il est problématique de résumer les animaux à des ossements, et encore davantage lorsqu'on ne les traite qu'en termes de déchets de cuisine (Poplin 1983a, p.8). Pour lui, une perspective d'ouverture dans la relation entre les humains et les animaux est souhaitable, et une approche « anthropozoologique », nourrie d'une proximité avec l'ethnologie sera mise en avant. Au cours de sa carrière, François Poplin s'éloigne progressivement de la nécessité d'étudier les ossements comme seule base de réfexion dans le rapport entre humains et animaux (Julien 2007), considérant les vestiges osseux comme une « voie d'accès » parmi d'autres (Poplin 1988, p.170). Il cherche à « appréhender la constitution de l'image mentale des animaux au-delà des animaux eux-mêmes » (2003b, p.9), et se situe donc dans un cadre conceptuel très proche du structuralisme. Il fait des structures mentales humaines la principale voie pour appréhender la relation entre humains et animaux. L'homme, bien que proche par nature des animaux, reste donc en partie coupé de l'environnement et des relations pratiques avec les animaux, car son interface avec eux est d'abord et principalement mentale. L'anatomie des animaux elle-même est considérée comme étant proche du fonctionnement d'un langage.

« La reconnaissance d'éléments communs à la linguistique et à l'anatomie comparée culmine dans l'énoncé, fondamental, du principe des corrélations par Cuvier (« Tout être organisé forme un ensemble, un système unique et clos, dont les parties se correspondent mutuellement, et concourent à la même action défnitive par une réaction réciproque. Aucune de ces parties ne peut changer sans que les autres ne changent aussi ») et sa réplication par Meillet (dans une langue, tous les éléments sont liés au point qu'on ne peut en changer un sans changer les autres).

Que ses principes soient communs à la fois à la linguistique et à l'anatomie comparée doit alerter sur la capacité des animaux d'avoir une fonction signifante, d'accrocher et d'articuler du sens, et demande de penser que cela se fait entre la linguistique et l'anatomie comparée non pas au sens de quelque part entre elles deux et hors de chacune d'elle, mais au sens de leur compénétration. Il s'agit d'une sémiologie animalière conjoignant, reliant la linguistique et l'anatomie comparée ; ce qui a du être bien formateur de l'humanité »

(Poplin 2002, p.497-498)

Pour François Poplin, il semble ainsi que certaines caractéristiques animales puissent avoir un sens identique pour tous les hommes, et que certaines analogies construites au moyen des animaux soient universelles. Selon lui, « l'esprit se repère dans l'animal sur des traits qui sont de portée universelle (aussi loin qu'il y a des lièvres, on parle de bec-de-lièvre pour la malformation), et celui-ci entre de

plein-pied dans la logique des choses, qui est celle des images mentales, alors qu'à côté de cela le langage est terriblement versatile, essentiellement conventionnel » (Poplin 2002, p.500). En cela, sa pensée s'éloigne alors de la notion « d'arbitraire du signe » qui traverse la « Pensée sauvage » de Claude Lévi-Strauss (1962b), et se rapproche davantage du « déchifrement » identique de l'environnement par tous les hommes en raison d'une structure classifcatoire partagée, comme le propose plutôt Brent Berlin (Berlin 1992).