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« Flippy n'avait rien d'un poisson ; et quand, à moins d'un mètre, il fxait sur vous son regard pétillant, comment ne pas se demander si c'était vraiment un animal ? Si imprévue, si étrange, si complètement merveilleuse était cette créature, qu'on était tenté de voir en elle un être ensorcelé. Hélas, le cerveau du zoologiste ne pouvait la dissocier de la certitude glacée, presque douloureuse en cette circonstance, qu'en termes scientifques, il n'y avait rien là que, Tursiops truncatus... ».

H. Hediger, Studies of the psychology and behaviour of captive animals in

Dans la représentation moderne et occidentale du monde, la notion de nature paraît occuper une place particulière. C'est un élément central des systèmes de la pensée occidentale, un concept qui fonctionne comme point de pivot à des couples oppositifs : naturel/artifciel, sauvage/domestique, nature/culture, nature/société, objet/sujet, nature/surnature, etc.

« A ce titre, « nature » a certainement excédé son statut de simple concept parmi d'autres, pour devenir un opérateur stratégique dans la logique d'ensemble du régime conceptuel en vigueur : au-delà des signifcations diverses que ce terme est susceptible de revêtir, l'essentiel est de voir que, d'une manière ou d'une autre, la pensée moderne doit se situer par rapport à lui. »

(Charbonnier 2015, p.21)

Ainsi, il nous semble qu'une tentative de compréhension des relations homme-animal en un lieu et un moment précis ne peut pas faire l'économie d'une réfexion sur cette notion plus générale de nature, avant de pouvoir mettre en place une méthode d'investigation.

Mais bien que l'idée de nature soit omniprésente dans les représentations modernes, cerner sa signifcation précise est d'une grande complexité en raison de son épaisseur historique et de l'évolution de son sens dans l'histoire de la pensée occidentale (Lenoble 1969 ; Larrère et Larrère 1997 ; Dagognet 2000 ; Descola 2005 ; Charbonnier 2015, etc.).

Les défnitions successives, apportées notamment par la Grèce antique, le christianisme, et l'époque moderne, se combinent ou s'annulent en partie, donnant naissance à un objet complexe. Pour Aristote, la nature fait référence aux régularités des processus du monde. L'homme est donc compris dans la

nature qui est l'essence des choses et la règle de leur déploiement. Avec le christianisme, la conception d'une dimension humaine supérieure et extérieure à la nature voie le jour : la mission de l'Homme (créé à l'image de Dieu) est désormais de profter de la nature passive qui est une création de Dieu. L'époque moderne apporte ensuite l'idée d' un Dieu « moteur », qui demeure à l'origine de la création de la nature mais autorise son déchifrement par les Hommes. Linné conçoit, par exemple, la nature en tant qu'« intentionnalité divine » (Blanckaert 1998). Alors que le surnaturel est le domaine divin, le naturel peut-être étudié et expliqué par les hommes.

L'histoire des sciences modernes pointe un nécessaire positionnement face à la notion de nature. L'anthropologie sociale se serait ainsi constituée sur la base d'une opposition à cette notion de nature au tournant du 20ème siècle (Ducros et al. 1998 ; Larrère et Larrère 1998 ; Descola 2005, 2011 ; Charbonnier 2015, etc.).

A partir de la seconde moitié du 19ème siècle, alors que le matérialisme scientifque gagne du terrain (Blanckaert 1998), notamment après l'acceptation en 1859 de « l'origine des espèces » de Darwin, la notion de « surnature » va peu à peu laisser sa place aux notions de « société » et de « culture » dans l'opposition à la nature. L'importance du mot « culture » apparaît avec l'ouvrage célèbre « Primitive culture » de Tylor (1871), et devient l'antonyme évident de nature (Blanckaert 1998). Ainsi naîtra une séparation entre un champ des sciences naturelles et un champ des sciences sociales.

Dans la défnition « humaniste » de la culture selon Tylor (1871), il s'agit d'accepter une culture à toute l'humanité. Le principe d'universalité de la culture se substitue donc, dans la sociologie et l'ethnologie, au principe d'uniformité de la nature des naturalistes. L'anthropologie sociale se défnit alors comme « l'antidiscipline » de l'histoire naturelle de l'homme. L'opposition nature/culture garantit les frontières d'un territoire pour une anthropologie « culturelle ». Pour Durkheim (1983), les faits sociaux ne peuvent être expliqués que par des faits sociaux. Désormais, pour les sociologues, le propre de l'homme est précisément d'être « dénaturé » (Mucchielli 1998). Cette posture signe donc une conception dualiste, qui reconnaît l'existence d'un domaine de la nature, mais y oppose le domaine indépendant de la culture. Cette idée de culture humaine permettant une mise à distance de la nature est partagée par les anthropologues, jusqu'à Lévi-Strauss qui voit dans la culture l'attribut distinctif de la condition humaine (Lévi-Strauss 1991).

Pour autant, dès le début du 20ème siècle, une orientation culturaliste conçoit l'existence de diverses cultures. Ainsi, la culture est partagée par tous les hommes en même temps que des cultures diverses partagent les hommes. Pour Descola (2005), c'est précisément cette unité de la culture (délimitée par

l'opposition à la nature), combinée au relativisme des cultures qui constitue le champ de l'anthropologie sociale9.

La notion de nature dans notre société semble conserver deux sens principaux. D'une part, l'idée d'une nature comme essence des choses et comme ensemble des processus du monde. Et d'autre part, une nature comme ensemble des réalités non produites par l'homme et qui se tiennent au dehors de lui (Charbonnier 2015). En défnitive, la défnition actuelle la plus consensuelle de la nature nous semble être celle qui est formalisée simplement par John Stuart Mill lorsqu'il écrit qu'elle est « soit tout ce qui existe, soit tout ce qui est extérieur à l'homme ou indépendant de celui-ci » (Mill 2003).

9 Il est toutefois à noter que la notion de culture, comme celle de nature, montre une grande complexité en fonction de ses usages, Krocher et Kluckhohn (1952) recensent par exemple 164 défnitions diférentes de ce concept.