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II – L'anthropologie de la nature de Philippe Descola

2.2. Les quatre combinaisons de l'identifcation

Philippe Descola prend ensuite le risque d'une ambition généralisatrice en proposant un modèle d'objectivation de ces schèmes.

L'identifcation consiste en l'attribution de continuités et discontinuités. Elle se situe sur deux plans, celui de l' « intériorité » (les caractéristiques internes) et celui de la « physicalité » (la forme extérieure).

« Les ressemblances et les diférences entre l’homme et l’animal [...] se ramènent à une combinatoire fondée sur les deux grandes catégories de l’expérience que nous pouvons avoir de nous mêmes: nous sommes des êtres corporels dotés d’une conscience et d’une intentionnalité – dans le langage de Descola, d’une physicalité et d’une intériorité. » (Albert 2009, p.86)

L'identifcation est donc la capacité à répartir certaines continuités dans les notions d'intériorité et de physicalité par l'observation et la pratique de notre environnement, cette opposition entre intériorité et physicalité étant postulée comme universellement objectivée, et donc plus opératoire pour l'anthropologie qu'une dichotomie entre nature et culture (Descola 2005, p.168).

L'intériorité correspond à la croyance universelle qu'il existe des caractéristiques internes à l'être ou prenant en lui sa source (esprit, âme, conscience, intentionnalité, subjectivité, afects, aptitude à rêver, soufe, énergie vitale, même origine, etc.).

La physicalité est l'ensemble des expressions visibles et tangibles que prennent les dispositions propres à une entité quelconque lorsque celles-ci sont réputées résulter des caractéristiques morphologiques intrinsèques à cette entité (forme extérieure, substance, processus physiologique, humeurs corporelles -et tempéraments liés, régimes alimentaires, mode de reproduction, etc.).

Les notions de physicalité et intériorité possèdent donc un sens bien plus étendu que « corps » (organique ou abiotique) et « esprit ».

Les combinaisons de continuités et discontinuités dans l'intériorité et la physicalité permettent de distinguer quatre fgures possibles : quatre « modes d'identifcation ». Ces quatre modes d'identifcation sont les inférences basiques concernant les types d'existants dont le monde est constitué et ce que cela implique pour les humains en termes d'interactions. Ils sont les matériaux bruts à partir desquels sont construites des ontologies, en tant que « systèmes de propriétés des existants » (Descola 2005, p.176).

Les diférentes « ontologies » recensées dans « Par-delà nature et culture », ne sont donc « pas des « visions du monde », mais, proprement, des styles de mondiation. Parler d’ontologie, c’est désigner un niveau analytique pour étudier la mondiation qui est plus élémentaire que celui ordinairement adopté par l’anthropologie » (Descola 2014b).

Les diverses ontologies empiriquement constatées dans le monde découlent donc des quatre modes d'identifcation logiquement possibles en combinant une discontinuité et une continuité des domaines de la physicalité et de l'intériorité47. Ces modes d'identifcation ne sont pas intrinsèques à un mode de vie, une langue, etc. Ils sont positionnels et leur défnition est tributaire d’une démarche comparative.

Les quatre modes d'identifcation repérés sont désignées par des termes pour la plupart déjà employés en anthropologie mais dont le sens est remobilisé ou précisé : naturalisme, totémisme,

animisme et analogisme (fgure 5).

Animisme

- Ressemblance des intériorités - Diférence des physicalités

Totémisme

- Ressemblance des intériorités - Ressemblance des physicalités

Naturalisme

- Diférence des intériorités - Ressemblance des physicalités

Analogisme

- Diférence des intériorités - Diférence des physicalités

Figure 5 – Les caractéristiques principales des quatre modes d'identifcation du modèle de Descola (d'après Descola 2005).

Le choix de méthode opéré par Descola est celui d'une « priorité à une analyse combinatoire des modes de relation entre les existants » (Descola 2005, p.13) au détriment de l’étude de leur évolution. En cela, il est fdèle au structuralisme de Claude Lévi-Strauss, et propose des jeux de contrastes binaires

47 Une ontologie est le résultat institué d'un mode d'identifcation. C'est « la forme particulière, repérable dans des discours et des images, que prend à telle ou telle époque et dans telle ou telle région du monde l'un des quatre régimes de continuité et discontinuité » (Descola 2014a, p.237).

sensés recouvrir l'ensemble des possibilités ofertes à l'humanité, plutôt qu'une vision historique ou évolutionniste mettant en scène l'apparition chronologique des diférents modes d'identifcation. Descola défnit en efet son projet comme un « universalisme relatif » (Descola 2011b), et explique :

«[...] on discernera sans peine dans ce projet un héritage de l'analyse structurale qui veut qu'un élément du monde ne devienne signifant que par contraste avec d'autres éléments, mais un projet dépuré de la classe méthodologique d'avoir à répartir ces éléments et leurs relations dans les boîtes noires de la culture et de la nature. »

(Descola 2005, p.419)

Enfn, l'un des modes d'identifcation est toujours dominant dans une situation historique donné, et il est mobilisé de façon prioritaire dans l'activité pratique et les jugements classifcatoires. En revanche, il demeure toujours possible que les trois autres modes d'identifcation puissent s'infltrer de manière mineure et occasionnelle dans les actions et les représentations.

« Rappelons aussi que les modes d'identifcation sont des façons de schématiser l'expérience qui prévalent dans certaines situations historiques, non des synthèses empiriques d'institutions et de croyances. Chacune de ces matrices génératives structurant la pratique et la perception du monde prédomine certes en un temps et en un lieu, mais sans exclusive ; l'animisme, le totémisme, l'analogisme ou le naturalisme peut en efet s'accommoder de la présence discrète des autres modes à l'état d'ébauche puisque chacun d'entre eux est la réalisation possible d'une combinaison élémentaire dont les éléments sont universellement présents. Chacun est donc en mesure d'apporter des nuances et des modifcations à l'expression du schème localement dominant, engendrant ainsi nombre de ces variations idiosyncrasiques que l'on a coutume d'appeler les diférences culturelles. »

(Descola 2005, p.234).

2.2.1. L'animisme

L’animisme, en tant que mode d'identifcation défni par Descola est un régime courant dans l’Amérique indienne du sud et du nord et dans de nombreuses régions d’Asie. Il est notamment présent aujourd'hui dans les basses terres amazoniennes, les cultures circumpolaires et en Asie du sud-est (voir Descola 2005, p.47).

L’animisme se défnit par la généralisation aux non-humains d’une intériorité de type humain combinée à la discontinuité des physicalités corporelles (Descola 2005). Il s'agit donc de l'imputation par les humains à des non-humains d'une intériorité identique à la leur. Certaines plantes, animaux ou objets sont ainsi conçus comme étant des personnes, des personnes revêtues d'un corps animal ou végétal dont elles se dépouillent à l'occasion.

De manière récurrente, les mythes amérindiens animistes relatent une époque ou humains et non humains n'étaient pas diférenciés. Chaque mythe relate les circonstances qui ont abouti à un changement de forme, à l'actualisation dans un corps non humain (Descola 2005, p.186). L'homme n'est donc pas issu de l'animal, comme dans le naturalisme, mais certains existants – les animaux plus généralement, mais aussi les plantes, les météores et certains objets, notamment des artefacts – étaient humains avant de se diférencier.

Les êtres d'une intériorité humaine identique, et intégrés dans un état de « culture », peuvent parvenir à communiquer à travers des corps diférents. Ainsi, la métamorphose notamment, est un trait classique des ontologies animistes. Dans l'aire circumpolaire, animaux et humains forment des communautés, et les membres de chaque communauté peuvent se visiter comme des tribus. Chaque espèce à un corps de base, qui est aussi un corps social. Les visites entre collectifs se font par des métamorphoses temporaires. Lorsqu'ils sont présents dans un collectif animiste, ce sont généralement les chamans qui sont chargés d'exécuter des visites des humains aux animaux48.

Le chaman va pouvoir changer de corps tout en conservant la même intériorité. Dans l'animisme amérindien, le chamanisme est plus particulièrement chargé de la « diplomatie » entre les espèces. Le chaman peut changer de point de vue, en changeant d'enveloppe extérieure, pour apaiser les tensions entre les diférentes communautés d’existants. Les visites des animaux aux hommes, quant à elles, sont plus généralement réalisées par l'intermédiaire des rêves.

Le perspectivisme (voir partie 2 , 1.4. « Perspectivisme et multinaturalisme ») pourrait être une manière particulière d'exploiter ces diférences entre physicalités caractéristiques de l'animisme, une « clause supplémentaire de l'animisme » (Descola 2005). Dans l'animisme en général, les animaux se voient comme des humains, et voient les humains comme des humains. Dans le perspectivisme (notamment amérindien), le jeu des symétries est poussé plus loin, car les humains sont vus comme des non-humains. Ainsi, l'homme qui chasse est perçu comme un jaguar par le tapir poursuivi.

« Ainsi que Viveiros de Castro le dit lui-même (1996, p.122), le perspectivisme est un « corollaire ethno-épistémologique de l'animisme ». En postulant la symétrie inverse des points de vue, le perspectivisme exploite en efet de façon ingénieuse la possibilité ouverte par la diférence des physicalités sur laquelle l'animisme se fonde. »

(Descola 2005, p.253).

Ce perspectivisme est toutefois reconnu comme un phénomène qui pourrait être observable bien au-delà de l'animisme dans les écrits plus récents de l'auteur (Descola 2014b, p.297).

L'animisme est défni comme un « anthropogénisme », mais il ne constitue pas pour autant un anthropocentrisme (Descola 2005). Dans le régime ontologique animiste, l’intériorité attribuée aux non-humains est en efet pensée sur le modèle de l’intériorité humaine. L'humanité est l'origine des existants, elle demeure l'intériorité commune des existants, mais les humains n'occupent néanmoins pas une place centrale dans le monde. Plus précisément, « le fonds commun de l'intériorité prend sa source dans le répertoire des dispositions observables chez les humains, tandis que la discontinuité des physicalités prend pour modèle l'étonnante diversité des corps animaux» (Descola 2005, p.193).

Les relations entre humains et non-humains sont pensées sur le modèle des relations entre communautés humaines. En conséquence, les espèces animales sont assimilées à des peuples, à des « espèces sociales » (Descola 2005, p.342). Ainsi, chaque « tribu-espèce » constitue un « point de vue » sur le monde, et il s'agit d'un « multinaturalisme » plutôt que d'un multiculturalisme anthropocentré (voir partie 2 , 1.4. « Perspectivisme et multinaturalisme »).

L'homme n'est pas conçu dans l'animisme comme une espèce homogène qui s'oppose à une animalité homogène. Ainsi, la « forme-homme » n'est pas forcément l'apparence anatomique humaine dans sa simple nudité (par exemple dans certaines régions de Nouvelle Guinée ou des Amériques). Parfois, c'est plutôt le corps décoré, enrichi et surdéterminé par des ornements (généralement empruntés au monde animal) qui fait ofce de distinction entre « espèce-tribus » au sein d'une même humanité. Les ornements n'ont alors pas pour but de se démarquer de l'animal (puisque ce sont précisément des « grefes » animales qui sont employées), mais ils permettent de diférencier diverses « espèces humaines » trop semblables par leur physicalité originelle, par les mêmes caractéristiques qui diférencient entre elles les personnes non humaines. Ainsi, « la physicalité, base de la discontinuité des espèces, est plus que l'anatomie nue ; elle spécife celle-ci par les multiples manières de faire usage des corps, de les donner à voir et d'en prolonger les fonctions, tous éléments qui ajoutent une certaine forme d'agir dans le monde à la forme reçue en y arrivant » (Descola 2005, p.202).

Dans l'animisme, les animaux se distinguent des humains et se distinguent entre eux par les habitudes comportementales déterminées par les attributs biologiques propres à chaque espèce. La discontinuité des formes corporelles entraine une discontinuité des façons de vivre, des modes d'existence etc., et « la forme des corps est donc plus que la simple conformation physique, c'est l'ensemble de l'outillage biologique qui permet à une espèce d'occuper un certain habitat et d'y développer le mode d'existence distinctif par quoi on l'identife au premier chef » (Descola 2005, p.190).

On repère en conséquence dans ce mode d'identifcation un fort investissement sur les traits qui particularisent « physiquement » chaque individu, chaque espèce. Cependant, dans la pensée de Descola, physicalité n'est pas exactement synonyme de matérialité ou de corporalité. Il ne s'agit pas d'une simple diférence entre les corps et leur anatomie, mais c'est un concept qui englobe le régime alimentaire particulier d'un existant, éventuellement ses armes (grifes, dents, bec etc.), ses parures (plumes, couleurs, poils etc.), ses façons de se distinguer par un son ou une odeur, ses particularités anatomiques, etc. On peut, par ailleurs, voir une proximité entre le concept de physicalité tel qu'appliqué à l'animisme, et le concept d'Umwelt, de « monde propre » de Jakob von Uexkül, défnissant un monde vécu et agi caractérisé par ce qu'un animal est susceptible d'y faire à partir des atouts physiques dont il dispose. Dans cette perspective, l'environnement sensoriel est propre à chaque espèce en fonction de ses attributs physiques : une abeille qui partage le même environnement qu'une chauve-souris, ne vivra pour autant pas dans le même monde sensoriel (Von Uexkül 1934).

Le modèle de la chaîne trophique, de la circulation entre les organismes grâce à la consommation alimentaire est assez fréquent au sein des collectifs animistes. La place écologique, et notamment le statut de prédateur ou de proie, sont conçus dans l'animisme comme participant à un mouvement permanent de recyclage des tissus et des fuides. Ce n'est pas la matière des corps, leur substance qui importe réellement, mais c'est plus spécialement « la forme » qui est le critère crucial de diférenciation entre les existants. Ainsi, les tabous alimentaires dans les systèmes animistes ne sont généralement pas liés à la matière mais à la forme anatomique ou au comportement des animaux. Les discontinuités des physicalités concernent plus particulièrement la discontinuité des formes (généralement liée aux modes de vie) qu'une discontinuité dans la substance des corps, et l'idée d'une continuité matérielle unissant tous les organismes semble même fnalement commune à la plupart des ontologies animistes. L'animisme qui conçoit une circulation de substance entre les corps distincts grâce à l'alimentation suggère ainsi plus précisément une continuité substantielle des organismes associée à une discontinuité de leurs formes.

Le maintien de la vie humaine passe par la consommation de personnes non-humaines. Une des questions centrales de la métaphysique animiste est donc de savoir « qui va l'emporter entre la diférence des corps et la ressemblance des âmes » au moment de l'alimentation. D'où la pratique d'une métamorphose répétable, transitoire, réversible (du moins hors des mythes). La forme corporelle constitue dans l'animisme un vêtement dont on peut changer (Descola 2005, p.185-186), un « déguisement » ou une « simple illusion des sens » (Descola 2005, p.34). Chaque espèce à un point de

vue sur soi et sur les autres espèces (le postulat est donc diférent du naturalisme, où une espèce classe les autres), et « l'identité se défnit d'abord au moyen du point de vue sur soi qu'adoptent les membres d'autres collectifs, placés de ce fait dans une position d'observateurs extérieurs – les morts, les Blancs, le gibier, les esprits, l'ethnologue » (Descola 2005, p.352). L'incorporation physique d'un point de vue externe est un des moyens permettant d'accéder à la connaissance, d'où l'importance également du cannibalisme dans ce régime ontologique (voir l'idée du « cogito cannibale » chez Viveiros de Castro, partie 2, 1.4. « multinaturalisme et perspectivisme »).

La « métaphysique des mœurs » animiste suppose fnalement une subjectivité généralisée que les corps particularisent, et une absence de la notion d'objectivité. La notion de nature objective et homogène y est inexistante. L'animisme voit la réalité comme un réseau d'intersubjectivités, de relations interpersonnelles entre existants, un entremêlement de divers centres d'intentionnalité.

2.2.2. Le totémisme

Le totémisme entendu dans le sens ontologique de Descola est caractéristique de l’Australie aborigène. L'Australie montre une grande diversité des formes et une impression néanmoins forte d'unité. Le système cosmologique australien se constitue autour de l'idée de « Dreamtime » (ou Rêve), le temps de la mise en forme du monde, pendant lequel des « êtres du Rêve » sont apparus en des sites précis, en laissant derrière eux une partie des existants. Les êtres du Rêve sont déjà répartis en groupes totémiques au moment de leur venue, ce sont « des hypostases concrètes de propriétés physiques et morales qui peuvent dès lors transmettre ces attributs » (Descola 2005, p.231). Les divers existants, dans le processus originaire de création du monde sont donc « déjà divisé en essences substantives s’actualisant en classes d’entités singulières par l’entremise des êtres du Rêve » (Descola 2005, p.228-229). Des classes totémiques regroupent des humains, animaux, plantes, éléments du paysage, parties du corps humain, choses ou phénomènes « naturels », etc. qui sont réputés partager des propriétés communes, à la fois sur les plans de la physicalité et de l’intériorité. Chaque entité à l'intérieur de ces classes est un représentant légitime du prototype dont elle est issue, un être du Rêve qui est le totem de son groupe.

Les êtres du Rêve sont l'expression d'une éternité avérée dans l'espace, et les potentialités qu'ils ont pu laisser s'actualisent sans cesse. Les trajets et les haltes des êtres du Rêve sont encore lisibles aujourd'hui dans des traces laissées dans le paysage. Le processus originaire de création opéré par les êtres du Rêve se maintient dans le présent, et la fxation des essences et des formes de vie se poursuit

constamment. En cela, ils se distinguent des héros mythiques classiques, car ils sont toujours d'actualité.

Et donc, alors que dans les mythes amérindiens animistes l'instauration des discontinuités entre les espèces (dans la forme et le comportement) se fait à partir d'un continuum originaire, dans les mythes australiens totémistes il s'agit d'un processus de parthénogenèse se déroulant à l'intérieur même de classes d'hybrides déjà constituées.

Dans le totémisme ontologique, l'identité d'un humain est immergée dans celle de l'animal ou de la plante dont il est issu. Ces classes concernent toutefois également certains traits de comportement, objets rituels, taxinomies sociologiques et biologiques, sites, récits, trajets... Les classes totémiques sont donc des mélanges de nature et de culture.

Dans l'animisme, il existe des personnes humaines et non-humaines, et la métamorphose, le chamanisme ou les rêves peuvent éventuellement permettre des visites de personnes au sein de communautés de personnes d'une espèce diférente. La personne du sorcier australien, quant à elle, fusionne avec l'espèce animale qu'il prend pour totem. L'essence de l'espèce devient son essence. Il n'existe pas de rapports de personnes à personnes entre des individus, mais plutôt un partage de qualités (matérielles et essentielles). Alors que l'animisme souligne l'importance des liens interpersonnels et interspécifques, le totémisme australien propose un rapport avec l'espèce en général, en tant qu'ensemble indissociable.

Dans le système totémiste qualifé de « cosmogénique » par Descola, chaque humain est un individu, mais les véritables sujets sont les êtres du Rêve (Descola 2005, p.402), infusés dans des entités très diverses. Les animaux et les plantes ne sont pas des personnes, et les humains eux-mêmes « ne sont guère plus que des personnifcations d’une réalité qui les détermine au physique comme au moral » (Descola 2005, p.403).

Les humains d'un totem peuvent s'apparier avec les humains d'un autre totem. En revanche, les espèces sont attitrées à un totem et ne peuvent pas se reproduire avec des espèces diférentes. Les âmes-enfants qui créent les humains sont en efet des entités particulières qui permettent une dialectique subtile entre le niveau de l'individu et celui de l'espèce. Chaque individu, chaque incarnation d'une âme-enfant, correspond à un paysage miniature animé par une péripétie fondatrice, un segment de la geste initiale de son identité collective. L'individu est une portion du trajet d'un être du Rêve (en ce qui concerne la notion de sujet et d'individu dans le totémisme, voir également Partie 4, 3.2.3. « Totémisme et gestion du corps humain mort »).

« Les parents ne sont donc guère plus qu'un père adoptif et une mère porteuse, les instruments consentants de la perpétuation d'une des dimensions d'un totem s'objectivant dans un humain.»

(Descola 2005, p.362)

Animal ou plante totémique ne sont pas traités comme des parents par les humains: il n'est, par exemple, pas interdit de tuer son totem pour le manger. Cet animal qui sera tué et mangé renvoie à « une matrice immuable dont nous somme tous deux l'émanation » (Descola 2005, p.231). En efet, dans le totémisme, humains et non-humains ne sont que des matérialisations singularisées de classes de propriétés qui transcendent leurs existences particulières. En cela, le totémisme de Descola s'éloigne de