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dans l'archéologie du Paléolithique supérieur : archéozoologie et art pariétal

3.2. L'analyse des images de l'animal : l'art pariétal

3.2.2. L'art explicable par la nature ?

3.2.2.2. L'art utilitaire

Antérieurement au structuralisme, et postérieurement à l'idée de l'« art pour l'art », on trouve dans l'archéologie du Paléolithique en France le déploiement d'une conception plutôt utilitariste de l'art pariétal. En efet, puisqu'une forte intentionnalité sous-tend la fréquentation du milieu souterrain par des artistes, et que cette donnée s'accorde mal avec la théorie « de l'art pour l'art », une motivation va être cherchée qui puisse expliquer un tel comportement.

De nouvelles interprétations évoquent alors les « envoûtements », la « magie de la chasse » et la « magie de la procréation ». L’art s’adresserait ainsi à l’animal, de manière directe ou en passant par l’intermédiaire des « esprits animaux ». L’animal représenté serait la « cible » permettant d’atteindre un individu existant (ou potentiellement existant). Ainsi, les préhistoriens pensent que l'animal a été représenté dans les grottes car on voulait capturer son âme pour pouvoir le chasser, qu'on a représenté des femelles gravides pour le faire multiplier, qu'on le fgurait avec des blessures pour l’afaiblir.

Ces nouvelles interprétations refètent clairement l’acceptation d’une religiosité de l’homme préhistorique, et son inclination au surnaturel. L’ethnographie des peuples lointains et contemporains est en plein développement au début du 20ème siècle et la pensée du paléolithique devient homologue à celle des derniers chasseurs-cueilleurs par une translation spatio-temporelle, se trouvant afublée de la même « mentalité primitive » universelle (Lévy-Bruhl 1960), et d'un degré balbutiant de la religiosité qui consiste à attribuer une âme à divers agents naturels (Tylor 1871). Ainsi, c’est en prenant l’exemple des Aruntas d’Australie que Salomon Reinach va d'abord faire accepter sa théorie de « la magie de la chasse ».

« La représentation d’animaux comestibles au fond de nos grottes […] s’expliquerait fort bien si l’état religieux des troglodytes avait été semblable à celui des Aruntas étudiés par MM. Spencer et Gillen. Il s’agissait d’assurer, par des pratiques magiques, la multiplication du gibier dont dépendait l’existence du clan ou de la tribu. »

(Reinach 1903, p.263)

L'animal fguré est dans cette perspective assimilé à un moyen d'obtenir un bénéfce matériel. Et bien que ce moyen soit présenté comme une croyance erronée en une surnature illusoire, le moteur est bien celui de l'utilitarisme et du matérialisme du primitif. Il s'agit ainsi d'une magie ayant un but pratique lié à des « comportements de subsistance ».

C'est notamment cette idée très matérialiste de la conception de l'art (ainsi que la mobilisation anarchique des références ethnographiques par les tenants de cette théorie) qui sera remise en cause par Leroi-Gourhan à partir des années 1950. Cette opposition de l'auteur est illustrée par cette formule célèbre afrmant que « les grottes sont des bestiaires et non des garde-manger magiques ! » (Leroi-Gourhan 1982, p.202)

L'idée toutefois que l'art fonctionne avant tout comme un épiphénomène des stratégies de survie connaît un certain succès jusqu'à aujourd'hui, notamment dans des cercles proches de l'écologie culturelle anglo-saxonne. Dans cette perspective, l'art pariétal du Paléolithique pourrait être expliqué par l'intention de maîtriser la nature au moyen d'un « surnaturel pratique ». Ainsi, Gordon (1988), propose que la pratique de l'art puisse être une aide pour la chasse ou un rituel d'exorcisation du danger. L'idée de l'art comme moyen d'échange d'informations pratiques à propos des meilleures stratégies de survie est également proposée dans ce cadre interprétatif (Jochim 1983 ; Mithen 1991). Comme le fait toutefois remarquer Porr (2015, p.57), si dans les interprétations de l'écologie du comportement l'art est conçu comme un médium permettant l'échange d'informations en termes de stratégies de survie, il est étonnant que, dans ce cas, l'adaptation n'ait apparemment pas favorisée un moyen de transmission des stratégies qui soit plus efcace...

Dans les visions utilitaristes de l'art que nous venons d'évoquer, l'animal fguré n'est pas la directe transposition de l'animal naturel. L'interprétation des productions graphiques pariétales restent néanmoins de l'ordre d'un monisme matérialiste, directement rapportable à l'idée de stratégie de subsistance. L'art est y est perçu comme un épiphénomène des besoins naturels, et il est explicable par ceux-ci.

Il existe donc des tentatives d'expliquer l'art pariétal par les sciences de la nature, que ce soit en considérant que la fguration des animaux est une transposition neutre de l'environnement, ou en considérant que cette fguration s'explique par un besoin naturel des hommes.

Nous avons vu que dans une certaine forme d'archéozoologie qui puise dans l'écologie culturelle (et qui pourrait constituer la tendance dominante actuelle de l'archéozoologie), il s'agit de comprendre « les comportements de subsistance » des hommes au moyen des animaux; et, dans le cadre des études structuralistes de l'art (qui domine actuellement le paysage de l'étude de l'art pariétal), c'est le système symbolique au moyen des animaux qui est l'objet des recherches.

Ces deux spécialités, puisent préférentiellement dans des polarités anthropologiques opposées. Les références issues d'un monisme naturaliste, ou à l'inverse d'un culturalisme radical, aboutissent à des positions contradictoires au moment d'aborder le rôle attribué à la nature, et notamment aux espèces animales. Dans les discussions internes de l'archéologie du Paléolithique, des entités animales formées de substance calorique s'opposent ainsi régulièrement à des abstractions mentales au moyen de silhouettes animales. D'un côté, certains archéozoologues plus particulièrement infuencés par le monisme naturaliste verront les animaux et les humains dans un rapport économico-nutritif, et de l'autre côté, les spécialistes des productions graphiques infuencés par le structuralisme vont concevoir un rapport purement mental entre les humains et les animaux, ces derniers étant de simples supports choisis pour symboliser.

Pour autant, comme nous l'avons également évoqué, ces deux disciplines ne sont pas par essence attachées à l'une ou l'autre des polarités observées dans le rapport à la nature. Ainsi, il existe une archéozoologie sociale, et même structuraliste. Et l'on peut également trouver des approches des expressions graphiques du Paléolithique supérieur qui se réfèrent à des explications du phénomène par les sciences naturelles.

Ainsi, dans tous les cas de fgure, il nous semble que la question de la relation entre humains et animaux dans l'archéologie préhistorique prend la forme d'un positionnement face au concept de nature : le rapport aux animaux est d'abord culturel et échappe à la nature, ou il est d'abord naturel puisque tout est naturel. Dans cette perspective, qui semble mettre en œuvre un système de permutation des facteurs déterminants plutôt qu'une combinaison de ceux-ci, il est difcile de concevoir ce que pourrait être une position intermédiaire entre ces deux polarités.