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Une diversité des types de relations envisageables dans la relation globale entre humains et animauxdans la relation globale entre humains et animaux

IV – Un naturalisme encombrant

4.2. Une diversité des types de relations envisageables dans la relation globale entre humains et animauxdans la relation globale entre humains et animaux

De la même manière que l'introduction des catégories spécifques a pour première conséquence d'enrichir l'étude de la relation entre humains et animaux, la prise en compte d'une diversité des relations envisageables constitue une précision supplémentaire dans la façon de poser le problème. Ainsi, l'ambition de reconstituer des « chaînes opératoires d’exploitation globale de l’animal » (Castel

et al. 1998 ; Fontana et al. 2009 ; Leduc 2010 ; Soulier 2013 ; Costamagno et al. sous presse) nous

semble souhaitable pour tenter d'appréhender la complexité des relations unissant humains et animaux. Dans cette perspective, l'archéozoologie se trouve intégrée à un mouvement plus large qui s'intéresse à l'exploitation générale des ressources animales (os, peau, viande, tendons, dent...) quelle que soit la fnalité de cette exploitation. Cette démarche pluridisciplinaire pointe donc les liens qui existent entre divers domaines touchant à l'utilisation de l'animal (la boucherie, l'industrie, la parure), et conduit ainsi à relativiser la fracture supposée entre un domaine exclusif qui se rapporterait au symbolique, et un autre à l'économique36.

Au-delà de l'intérêt de considérer une relation à l'animal qui n'est plus exclusivement économico-nutritive dans l'idée de « chaîne opératoire d’exploitation globale de l’animal », la mise en pratique d'un

36 Cette approche considérant une diversité des relations établies avec les animaux, et favorisant les approches croisées, prend très généralement l'espèce animale comme base pour se déployer. Dans le cadre de travaux collectifs, on a ainsi pu choisir comme thème « le renne », qu’on cherche à envisager à la fois comme source de produits alimentaires, source de matières premières pour l’équipement, support de représentations graphiques et symboliques, etc. A l'échelle d'un site ou d'une région, ce sont les diverses utilisations faites des diférentes espèces qui sont discutées.

tel programme nous paraît imposer la conception d'une « exploitation de l'animal par l'homme ». Or, concevoir une relation qui serait à concevoir exclusivement de l'homme vers l'animal, de manière unidirectionnelle, soulève un certain nombre de problèmes. En efet, l'étude de la relation entre humains et animaux ne peut pas se borner à la seule étude de l'utilité des animaux pour les humains. Une telle posture serait une manière de confrmer la posture naturaliste qui assimile les animaux à des objets, et qui ne les considère qu'en tant que ressources exploitables par l'humanité. Dans cette perspective, l'interaction des animaux avec l'humanité serait de fait très limitée. Une telle logique est cependant fréquente dans l'étude des comportements de subsistance, puisque l'animal est souvent assimilé à un simple moyen de survie pour les humains. Cette logique connaît des développements parallèles dans les études structuralistes des expressions graphiques qui voient dans l'animal un moyen de symboliser. En efet, si l'on considère que l'animal est avant tout un outil conceptuel, une ressource qui répond au besoin humain de symboliser, on reste dans une même logique qui s'intéresse aux animaux en tant que simples ressources utiles à l'humanité (Overton et Hamilakis 2013, p.114). Ainsi, ce type étude des relations entre humains et animaux se limite à concevoir les espèces animales comme « bonnes à quelque chose » pour l'être humain (fgure 4).

Figure 4 – L'exploitation des animaux par l'humain. Des relations unidirectionnelles.

Cette manière d'aborder la question, en présentant l'humain comme un être qui profte des ressources naturelles et domine les animaux, véhicule un utilitarisme et un anthropocentrisme qui sont

très ancrés dans l'Occident. Ces caractéristiques sont incontournables dans les religions monothéistes qui font de l'homme le refet d'un Dieu dominant37, et sont également présentes dans le dualisme naturaliste de l'époque moderne qui conçoit à sa manière le rôle singulier de l'humain. Celui-ci est toujours à l'extérieur de la nature et en position dominante, mais c'est grâce à sa raison qu'il se distingue des animaux.

« Le […] pas qu'accomplit la raison, achevant d'élever l'homme au-dessus de la société avec les animaux, résida dans le fait qu'il comprit […] qu'il était au fond la fn de la nature et que rien de ce qui vit sur terre ne pouvait entrer en concurrence avec lui sur ce point. La première fois qu'il dit au mouton : « La peau que tu portes, la nature ne te l'as pas donnée pour toi, mais pour moi », qu'il la lui retira et s'en revêtit, […] il prit conscience d'un privilège qu'il avait, en raison de sa nature, sur tous les animaux, qu'il ne considéra plus désormais comme ses compagnons dans la création, mais comme des moyens et des instruments dont sa volonté peut disposer. »

(Kant 1947, p.159-160)

Pour comprendre la façon dont étaient conçues les relations entre humains et animaux par une collectivité éloignée de la nôtre, et ne pas limiter l'enquête à une perspective naturaliste, un enrichissement paraît nécessaire du champ des relations envisageables. Comme le fait l'écologie, il faut considérer une variété de relations entre des êtres vivants dans un écosystème qui peuvent prendre la forme de relations trophiques, de symbioses, de mutualismes, de commensalismes, de neutralismes, de parasitismes, de compétitions, etc.

L'infuence des animaux sur les modes de vie humains a de longue date été questionnée en ce qui concerne le Paléolithique supérieur, notamment à travers le comportement migrateur des animaux qui pourrait infuencer le nomadisme des humains (Saint-Perier 1920 ; Bouchud et al. 1953 ; Gordon 1988 ; etc.). Cette infuence est toutefois généralement conçue sur le mode du matérialisme strict, le comportement humain étant alors dicté par des besoins naturels. Or, l'étude des relations entre humains et animaux dans un contexte lointain ou éloigné dans le temps ne devrait pas présupposer une séparation entre le matériel et l'idéel qui est propre au naturalisme. Il serait à l'inverse intéressant

37 La mission de l'Homme est efectivement posée en ces termes dans la Genèse.

Genèse 1:26 : « Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ».

Genèse 9:2 : « Vous serez un sujet de crainte et d'efroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains ».

d'intégrer la possibilité de relations conjointement sociales et écologiques, et unidirectionnelles ou réciproques, entre humains et animaux.

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Le naturalisme apparaît comme étant le principal problème pour aborder une étude de la relation entre humains et animaux. Ce régime présuppose une séparation entre l'économico-nutritif et le symbolique, et compromet les tentatives d'hybridation de ces domaines en favorisant toujours l'explication des phénomènes par l'une ou l'autre des propositions incompatibles : l'explication par la nature ou l'explication par la culture.

Certaines voies actuellement explorées par l'archéologie du Paléolithique pourraient permettre de contourner cette opposition entre une « sphère symbolique » et une « sphère économico-nutritive ». Ces pistes paraissent malheureusement être le plus souvent entravées par le surgissement d'un naturalisme envahissant, qui se recompose à divers niveaux. Ainsi, si le découpage en espèces constitue une amorce de solution dans le domaine de la défnition des entités mobilisées, qui est à même de contourner la question de « l'animalité » pour s'intéresser « aux animaux », cela constitue aussi un nouvel objet dans lequel peut se recomposer la même fracture entre nature et culture. D'un autre côté, si l'idée « d'exploitation globale de l'animal » contribue à une défnition plus précise des types de relations envisageables entre humains et animaux, permettant de diversifer les approches pour éviter la seule dichotomie réductrice entre des approches économiques et d'autres symboliques, les termes en sont problématiques dans la mesure où ils présupposent que les animaux sont à concevoir comme des objets inertes exploités par les humains, remettant le naturalisme au premier plan.