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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.3 Les stratégies de résolution des problèmes santé 131

4.3.1.1 Les stratégies familiales : recours aux traitants non professionnels 131

Les stratégies familiales correspondent à des démarches de soins auprès des membres de la famille qui possèdent des ressources, connaissances et savoirs médicinaux non professionnels. La quasi totalité des mères semblent s’accorder à dire que : lorsqu’un problème de santé survient, on cherche d’abord les solutions autour de soi, dans l’environnement familial proche [Mère- Maisons#2]. Il s’agit en réalité de faire appel aux personnes ayant des connaissances non

professionnelles, même si dans la même situation, les mères peuvent aussi solliciter les soignants professionnels. Le discours s’organise autour des stratégies familiales qui forment le système de riposte familial à la maladie. Toutes les mères avouent avoir eu recours au moins une fois au traitement proposé par un voisin ou une personne de la famille pour soulager leur propre problème de santé ou celui de leur l’enfant. Ce sont des traitants non professionnels qui fournissent des services de soins aux populations, comme en témoignent les propos de cette mère :

Mère-Quartier#8 : Quand la maladie attrape quelqu’un, un mal de tête par exemple ou encore un

déboitement au pied, on essaie de regarder autour de nous pour voir si une personne connaît ce qu’il faut faire pour que le mal de tête parte [arrêter le mal de tête]. Très souvent, on trouve le remède auprès d’une personne qui connaît l’herbe qui guérit le mal de tête. [Mère d’un enfant tuberculeux, 35 ans, cultivatrice].

Les données ethnographiques indiquent que les mères commencent d’abord par recourir aux savoirs familiaux sur la maladie de l’enfant : elles sollicitent très souvent la belle mère qui possède des recettes familiales en matière de la maladie déclarée. L’exemple de cette mère dont l’enfant est drépanocytaire est patent. Dans la mesure où il met en évidence les recettes médicinales dont dispose la famille pour répondre à un problème de santé concernant l’enfant. Ici, il est question de fabriquer des remèdes visant, selon la mère, à augmenter le sang chez l’enfant atteint d’anémie :

L’enfant devenait pâle, selon mon constat. Cette pâleur indiquait, selon notre connaissance, que c’est un manque de sang dans son corps. Dans la famille, nous connaissons des recettes qui permettent d’augmenter le sang de l’enfant. Comme le jaune d’œuf mélangé au lait, le tonic et le yaourt. On lui a servi ce breuvage le weekend. En tout cas, c’est la mère de son père [ma belle mère] qui a composé ce breuvage. C’est une connaissance qu’elle possède depuis longtemps ; elle aide aussi les voisins avec ça. Elle l’a hérité

aussi de ses parents [Mère-Fondationl#2. Mère enfant drépanocytaire, 28 ans, laborantine].

Cette illustration fait écho au discours du Biomed#4 [médecin et pasteur, 4 années d’expérience professionnelle] pour qui : Il m’arrive aussi parfois d’indiquer, après une consultation, à

une mère d’enfant des herbes qui aident parfois à soulager un mal de tête ; ou qui font finir un palu. Dans ce

cas, c’est elle-même qui va la cueillir. C’est aussi dans un esprit similaire que peut se

comprendre le discours du guérisseur suivant : Tradi#1 : Il existe tellement de remèdes dans la nature qu’il est parfois ridicule d’aller en pharmacie pour chercher les remèdes pour un mal de tête qui peut se traiter facilement à la maison. Les mères, les papas et même certains enfants connaissent des recettes

de ce genre. Il ne faut pas être guérisseur pour connaître cela [Guérisseur, Bac+1, 15 d’expérience

professionnelle].

En effet, il existe des personnes dont les connaissances et les savoirs en pharmacopée se limitent à un usage familial ou de voisinage pour soulager les maux des enfants, des adultes, «des maladies de femmes», comme la grossesse par exemple. Les mères que nous avons consultées ne confondent pas ces personnes avec les guérisseurs qui connaissent, maîtrisent et manipulent le secret de la composition des remèdes23, dont les effets bénéfiques ont été remarqués sur la

santé des enfants. Une étude de Monteillet (1999) menée au Cameroun concernant les habitudes de recours aux médecines africaines et biomédicales, ainsi qu’aux personnes possédant un simple savoir de la pharmacopée montre que près de 90% d’une population de 488 personnes ont bénéficié des traitements des personnes qui ne sont ni guérisseurs, ni agents biomédicaux. Mais de simples personnes qui connaissent les propriétés pharmacologiques de certaines plantes.                                                                                                                

23 Au sujet des guérisseurs, de Rosny (1981, p. 309) écrit : «Je n’ai pas du mal à fonder d’abord l’efficacité de la médecine traditionnelle sur le pouvoir curatif des herbes et des écorces. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, des pharmaciens français de Douala, privés de médicaments fabriqués en Europe, ont employé avec succès une série de décoctions, de jus et de poudres dont les secrets de la composition et de la fabrication avaient été communiqués par les nganga».

Aussi, dans une autre étude réalisée chez lez Bobo Dioulasso en Côte d’Ivoire, Desclaux (1996, p. 256) remarque qu’ :

«Un épisode pathologique est d’abord traité, dès sa reconnaissance, dans la famille. Les grands-mères jouent un rôle de premier plan dans la transmission des modèles explicatifs et des traitements préparés essentiellement à partir d’écorces et de feuilles qu’elles se procurent au marché, ou en brousse dans les alentours immédiats de la ville. Ces tisanes sont aussi utilisées à titre préventif, principalement pour les enfants».

Pourtant, à l’exception des travaux de quelques anthropologues médicaux (Bibeau, 1984 ; Rossi, 2002), l’usage des services des traitants non professionnels n’est pas envisagé dans la littérature anthropologique comme un recours thérapeutique. Quand cette littérature en fait référence, c’est très souvent, comme l’a souligné Pordié (2005a, p. 7), de manière indicative et allusive, sans y porter une attention particulière au même titre que les recours aux soins prodigués par les soignants professionnels. Pourtant, il n’y a pas de famille, quelle qu’elle soit, qui n’en fait pas usage constamment, comme le souligne Omaswa (2006, p. 83) : «Home-based care of patients is increasing in importance in many societies, […] particularly where patients are returned to their homes to be cared for or to await death. Care is mostly provided by closely members who have no formal training in health care». En effet, chaque famille garde, écrit de Rosny (1981, p. 52), une recette transmise en héritage qui soulage, par exemple, les maux tête ou favorise la fécondité.

Au sujet de la fécondité par exemple, Delude (1969, p. 64) a montré que pour l’obtenir, certaines femmes non professionnelles de la grossesse et de la naissance conseillent à celles qui ont des difficultés de tomber enceinte «de porter des coquillages, dont on sait la parenté symbolique avec la puissance génésique. Pour le temps de la gestation, les futures mères s’entourent le ventre d’une corde pour garder l’enfant». Aux Camerounais, il suffit pour les convaincre, écrit de Rosny (1981, p. 309), de leur rappeler les recettes médicinales familiales de leur grand-mère, recettes qui relèvent des savoirs et connaissances médicinaux différents de ceux des guérisseurs, par exemple. Les recours aux traitants non professionnels s’inscrivent dans une approche de quête de soins qui consiste à épuiser les ressources thérapeutiques dont disposent les parents de l’enfant, via un réseau de voisinage. Ils ne sont pas à confondre avec de l’automédication qui est un phénomène largement répandu dans les villes et villages camerounais, comme l’a relevé Monteillet (1999) dans une étude sur la consommation des médecines à Mbandjock. Il s’agit des personnes

qui possèdent un savoir médicinal, dont le but n’est pas d’en faire une profession, mais plutôt d’aider les proches, les enfants, des voisins et des amis qui souffrent de certaines maladies. En effet, ce sont en principe des recettes médicinales qui, d’après les expériences antérieures, ont été utilisées pour guérir une maladie similaire que connaît l’enfant par des hommes et femmes qui ne se considèrent pas comme des professionnels. Desclaux (1996) assimile ces derniers «au secteur populaire». D’ailleurs, on sait aussi qu’ils possèdent le secret d’une herbe pour guérir un mal particulier, comme par exemple la rougeur qui apparaît au niveau des fesses de l’enfant autour du 3ème et 6ème mois [Mère-Quartier#7]; la maladie de la fontanelle qui apparaît au milieu du crâne

de l’enfant et présente une sorte d’affaissement [bombement]. Cette maladie, dès qu’elle attrape l’enfant, dit la Mère-Fondation#7, on sait qu’on doit aller voir les femmes douala qui connaissent et savent la traiter rapidement plus que l’hôpital. Il existe d’autres personnes qui ne sont pas des soignants, mais qui possèdent des savoirs pour soulager les mères qui ont la difficulté de tomber enceinte ou éprouvent, lorsqu’elles sont à terme, des difficultés d’accouchement, comme le souligne le Biomed#5 qui se réfère ici aux compétences gynéco-obstétricales de sa grand-mère:

Je sais que les familles disposent des connaissances médicales qui ont fait la preuve de leur efficacité, même si je n’ai pas actuellement assez d’éléments pour le prouver [...]. J'avoue que je ne peux pas dire qu’elles ne sont pas importantes, ces connaissances-là. D’autant plus que ma grand-mère maternelle, par exemple, s'occupait bien de certaines situations comme celles des femmes qui ont des accouchements que nous appelons en médecine «difficiles». C'est-à-dire qu'elles ont fait un premier accouchement, c'était délicat, traumatique ; elles en ont fait un deuxième et puis bon, à chaque fois c’était toujours une césarienne [...]. Une autre fois, elles décident de s’adresser à ma grand-mère qui fait quelques herbes, et les mélange avec des écorces [...], et elle leur donne ça lorsque la femme est à terme ; et elle accouche par voie basse. Elle a d’ailleurs évité pas mal de césarienne à plusieurs femmes du quartier et même du village. Elle traitait aussi des cas d’infertilité par les mêmes écorces et herbes. Ça je sais que ça existe» [Médecin, 10 années

d’expérience professionnelle].

Ces illustrations nous renseignent directement sur la place marginale qu’occupent les connaissances ordinaires à côté des connaissances dites scientifiques. Mais un seul aspect retient cependant notre attention : ces savoirs non professionnels auxquels recourent les populations ne semblent pas intéresser l’anthropologie, car ils ont été jusqu’alors insuffisamment abordés. C’est aussi ce que déplorait Pordié en Inde au sujet du savoir médical familial visant à guérir la morsure du serpent, un savoir qui échappe paradoxalement aux pratiques de l’anthropologie de développement. Il s’agit, dit l’auteur, «de la dimension sociale du mal, qui transparait à la fois dans le type de recours et dans les modalités d’accès aux soins, de l’invisibilité ou de la transformation

à côté des traitants familiaux anonymes, se trouvent des prêtres exorcistes et prophètes guérisseurs, très prolifiques désormais en Afrique, dont une partie de la littérature anthropologique les assimile très souvent à tort à des professionnels religieux de la santé (Tonda, 2001b, 2001c). Qui sont-ils ? Et quel est leur statut dans l’espace de soins? Dans quel type de soignants faut-il les classer ?

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