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2.2 APPROCHES THEORIQUES DE LA RENCONTRE ET DE LA RECONNAISSANCE 51

2.2.1 Quelles théories de la reconnaissance pour quels types de revendications 51

2.2.1.4 La reconnaissance normative 57

Les débats sur la reconnaissance normative posent le problème de ce qu’est une véritable reconnaissance. L’implicite de ce problème est que la reconnaissance normative est évaluée en fonction des attentes sociopolitiques des instances qui les décernent. Or la satisfaction de ces attentes constitue, selon Renault (2004), le point qui divise les théoriciens de la reconnaissance, en particulier dans le débat qui a opposé Honneth à Fraser (2003). Est questionné dans ce débat le lieu d’ancrage des normes de l’action et de l’agir qui régissent les interactions interindividuelles. Il s’agit de savoir, comme se demande Fraser, si la théorie de la reconnaissance de Honneth part des normes de l’action et de l’interaction sur le terrain des pratiques ou des normes institutionnelles. Autrement dit, «les normes qui permettent d’adopter un point de vue critique sur les institutions sont-elles celles que les institutions produisent ou celles à partir desquelles les individus les abordent?» (Renault, 2004, p. 181). Par cette interrogation, Renault attire l’attention sur un aspect capital que la théorie de la reconnaissance normative de Honneth prend difficilement en compte : les formes d’injustice qui la traversent. Les principes normatifs qui la sous-tendent produisent des formes de contraintes institutionnelles relevant de la simple application d’une règle selon un usage déterminé, là où, parfois, c’est la négociation ou le tâtonnement qui prévalent. En ce qui concerne notre étude, nous nous situons dans l’axe des normes des interactions régulant l’agir autant chez les acteurs affaiblis institutionnellement [les guérisseurs] que chez les acteurs fortement reconnus et légitimés [les biomédecins]. Dans la mesure où le renforcement de la légitimité des acteurs faibles peut aussi entrainer le renforcement de celle des acteurs forts. Ce double ancrage du renforcement inscrit notre approche théorique de la reconnaissance dans une double perspective de «re-capacitation». C’est d’ailleurs ce qu’exprime le concept de «deux conceptions de l’empowerment» développé, ailleurs, par Cantelli (2013, p. 13). En effet, cette approche invalide la théorie normative qui s’apparente à une sorte de régime de délibération démocratique par rapport à un régime de discussion, celle-ci étant ce dont ont besoin les acteurs affaiblis pour s’auto-représenter dans l’espace public des points de vue. Nous préférons le régime de discussions à celui de la délibération, car le premier ne s’affranchit pas radicalement de la lutte

pour le pouvoir (Payet & Battegay, 2008b, p. 26), et de la logique d’imposition d’un point de vue. Il y a une proximité étrange entre la théorie normative et le régime de délibération, ce qui la rapproche des régimes féodaux qui se caractérisent par une hiérarchie attribuant aux individus de l’estime sociale différente en fonction de leur naissance, alors même que les acteurs la récusent. Cela étant, la théorie de Honneth génère un type de domination que Martucelli appelle «la domination par inculcation (2004, p. 469). La reconnaissance qui en découle correspond, selon Payet et Battegay (2008b), à la reconnaissance assignée ou à la reconnaissance conditionnée avec cadrage identitaire. De telles reconnaissances aboutissent, dans la majorité de cas, au figeage des groupes et des personnes [minoritaires] dans des sortes de carcan identitaire. Dans cette perspective, on assiste à une reconnaissance dépréciative et imparfaite (Giuliani, Jolivet, & Laforgue, 2008, p. 121), ou encore à une méconnaissance et au mépris. Dans la mesure où ce type de reconnaissance place au centre non pas le point de vue des individus et des groupes demandeurs de la reconnaissance, mais les normes des institutions et les intérêts de celles-ci. Il a comme conséquences, entre autres, le fait que les acteurs du groupe minoraitaire ne bénéficient de la reconnaissance que s’ils se soumettent aux normes institutionnelles du groupe majoritaire, ce qui revient à dire que les premiers reconnaissent eux-mêmes la validité des catégories qui leur sont appliquées. C’est le caractère normatif de la reconnaissance institutionnelle qui s’affirme et non les désirs et les volontés des demandeurs. C’est pour cela qu’on assiste très souvent au refus de la reconnaissance institutionnelle par certains groupes minoritaires. Mais il est important de noter que par ce refus, ces derniers tentent, même désespérément, de modifier les rapports de pouvoirs inhérents à la logique normative de la reconnaissance. Dans la mesure où les règles de l’interaction entre les groupes minoritaires et les groupes majoritaires sont insérées dans des rapports de pouvoir ; et rendent propice, d’un côté, l’instrumentalisation et la manipulation de la reconnaissance ; et de l’autre, engendrent des formes de justice sociale prêt-à-reconnaître, où les revendications sont pré-formatées en dehors des attentes des acteurs sociaux minoritaires. Par ailleurs, les modèles institutionnalisés de reconnaissance travaillent en faveur des groupes majoritaires, car ce sont ces derniers qui définissent, généralement, les repères normatifs de ce qui doit être reconnu et méconnu : l’exemple de la méconnaissance des rituels thérapeutiques en est une parfaite illustration des empêchements normatifs que subissent les groupes minoritaires.

Autrement dit, les majoritaires imposent aux minoritaires leur modèle de vérité en dehors de toute confrontation avec les Raisons [des] pratiques (Bourdieu, 1994). Les modalités de la reconnaissance sont déterminées à partir d’un ordre social préétabli, ce qui met les groupes minoritaires dans une situation de visibilité négative. Or, une fois institutionnalisés, les modèles de valeurs culturels majoritaires transforment certains acteurs en êtres inférieurs ; en exclus ; ou les rendent simplement invisibles ou les retirent leur statut de partenaires à part entière de l’interaction sociale. Fraser (2005, p. 79) désigne cela «de déni de reconnaissance ou subordination statutaire», ce qui représente la manifestation la plus élaborée d’une forme d’injustice sociale, car certains acteurs, les minoritaires, sont considérés, d’emblée, comme capables et d’autres, les majoritaires, comme incapables. Dans ce contexte, l’expression de points de vue des groupes incapables a une portée limitée, car la reconnaissance accordée ne se fait pas à partir des normes de l’action dans la relation sociale. Pourtant, c’est à partir de ces normes que sont :

«Soulignées les qualités, compétences, capacités, requises de la part de ces agents pour produire de la reconnaissance : qualités d’écoute et de compréhension, compétences pour catégoriser les individus usagers comme personnes, quitte à se décentrer des cadres routiniers du jugement et à aménager ponctuellement la règle, à transformer le bruit des plaintes des faibles en parole, à traduire en prenant la parole» (Payet & Battegay, 2008b, p. 33).

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