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Nous avons mené une recherche dans un contexte où les «cadres d’expériences» sont, d’un côté, illégitimes ou faiblement légitimés : les Maisons de soins et les guérisseurs ; et de l’autre, fortement reconnus : l’hôpital pédiatrique, à savoir le Centre Mère et Enfant et les biomédecins. Dans les deux cas, l’entrée dans le terrain de recherche n’a pas été facile, alors que nous pensions qu’il se poserait plus de problèmes à pénétrer les milieux de soins moins légitimés que les milieux fortement reconnus. Les difficultés ont été les mêmes dans les deux milieux de soins. Pour entrer à la Fondation, nous avons été introduit par un proche, pédiatre ; et en Maisons, par un guérisseur qui a déjà collaboré par le passé à une précédente recherche que nous avons menée à Yaoundé (Rothenbühler, Leanza, Wamba, Layat, & Changkakoti, 2008; Wamba, 2005b).

Avec le pédiatre, nous avons pu rencontrer le directeur de la Fondation, afin qu’il nous délivre l’autorisation [cf. annexe#2] de mener la recherche dans son institution hospitalière. Cette autorisation permettait en même temps d’obtenir un autre document sans lequel il n’est pas possible de mener une étude en milieu hospitalier au Cameroun : la Clairance Éthique [cf. annexe #3], un document délivré par le Comité National d’Éthique16. Quant aux Maisons de soins, nous

n’avons pas eu besoin de recourir à une telle procédure administrative. L’appui du guérisseur qui a servi de porte d’entrée a consisté à nous aiguiller vers les guérisseurs qui ne sont pas membres d’une association de guérisseurs, conformément aux raisons et critères que nous avons évoqués plus haut. Ces moments administratifs et de ciblage des individus participants se sont étendus sur une durée d’un mois. L’avantage d’être introduit dans les deux milieux de soins par des personnes de l’intérieur est le niveau élevé d’engagement des enquêtés, une expérience que Roulleau-Berger (2004, 267) décrit comme extrêmement importante pour la qualité des données de terrain.

                                                                                                               

Pour recueillir les données, nous avons commencé par les observations. À la Fondation, nous nous installions dans le box d’un pédiatre pour le moment d’une ou de deux consultation(s), et nous regagnions un autre box. Avant chaque consultation, le pédiatre nous présentait à la mère comme étudiant-chercheur et lui demandait son accord par rapport à notre présence. Ensuite, nous lui demandions encore son accord à participer à un entretien individuel après les observations, à une date et heure à sa convenance. Nous profitions de ce moment aussi pour nous présenter et exposer les objectifs de l’étude aux mères, et les inviter à signer le formulaire de consentement éclairé au cas où elles donneraient un avis favorable de participation à l’étude. En ce qui concerne notre présentation, nous avons utilisé deux formules : l’une pour les soignants et l’autre pour les mères. Dans le cas de notre présentation aux soignants biomédicaux, la formule suivante était employée : je17 suis étudiant au doctorat au département d’anthropologie à

l’Université de Montréal au Québec (Canada) et, m’intéresse à la santé de la mère et de l’enfant. Pour cette recherche, la direction de l’hôpital est bien informée de ma présence à la Fondation : elle a délivré une autorisation de recherche pour observer les consultations et mener les entretiens individuels avec les médecins et les mères consultantes. Aussi, j’ai obtenu l’aval du Comité National d’Éthique qui m’a délivré la Clairance Éthique. Pour appuyer nos propos, les deux autorisations – de la Fondation et du Comité d’Éthique – étaient présentées au pédiatre. Étant rassuré, ce dernier nous a invité à nous asseoir près de lui [de son bureau], et nous a intimé le port de la blouse blanche, car, souligne-t-il, en étant en blouse blanche, les mères ne se poseront pas trop de questions sur votre présence dans le box. Elles vont vous assimiler au personnel médical. Pour nous présenter aux guérisseurs, nous employions la même formule utilisée pour nous introduire auprès des médecins. À la différence que chez les premiers, nous n’avions pas besoin d’une autorisation de recherche. Mais certains nous posaient la question de savoir si les autorités sanitaires étaient au courant de notre étude. Nous répondions par l’affirmative, en présentant le document du Comité d’Éthique. En posant la question, les guérisseurs voulaient se rassurer que nous sommes bien chercheur, car comme le souligne l’un d’entre eux : par le passé, nous avons connu des gens qui se passaient pour des chercheurs, alors qu’ils sont des faux guérisseurs qui                                                                                                                

viennent se renseigner pour connaître les plantes médicinales que nous utilisons pour traiter telle maladie, ou telle autre. Une fois qu’ils récoltent l’information, précise-t-il, ils vont s’installer en bordure de la route et prétendent savoir traiter les maladies pour lesquelles vous lui avez donné le nom des remèdes et le mode d’emploi. Voilà pourquoi je pose la question. C’est pour me rassuer. En ce qui concerne la présentation auprès des mères, nous nous introduisions en dévoilant, d’abord, comme dans le cas des guérisseurs et des biomédecins, notre identité et l’institution universitaire à laquelle nous sommes affilié. Ensuite, nous ajoutions la chose suivante : Je m’intéresse à la santé de la mère et de l’enfant et, j’aimerais, dans la mesure du possible, que vous m’accordiez à la fin de la consultation un moment pour vous présenter amplement les objectifs de la recheche, et si cela vous intéresse, de prendre un rendez-vous pour un entretien qui se déroulera à un endroit que vous choisirez vous-mêmes. À la fin de la consultation, nous sortions ensemble du box avec la mère consultante, et lui présentions les objectifs de l’étude, comme suit : La recherche que je mènerais avec vous porte sur la santé de la mère et de l’enfant. Elle consiste à mieux comprendre les expériences d’utilisation des ressources thérapeutiques disponibles par les mères, lorsque pour un problème de santé touchant leur enfant ou elles-mêmes, elles décident de rentrer en relation thérapeutique avec un soignant, quel qu’il soit. Nous cherchons donc, à travers vos expériences des milieux de soins, à avoir une idée de ce que vous pensez des pratiques du guérisseur et du biomédecin, et de savoir à quoi renvoie, pour vous, le fait de vous adresser à un soignant, ou de refuser de vous adressez à un autre. Aux soignants, nous exposions les objectifs de la recherche de la manière suivante : le travail que je mènerais avec vous consiste à mieux comprendre les expériences que vous avez en matière d’orientation thérapeutique des patients. J’aimerais avoir une idée de ce que vous faites lorsqu’un problème de santé de la mère ou de l’enfant dépasse le cadre habituel de votre analyse [le plateau technique].

Par ailleurs, à la fin de la présentation des objectifs de la recherche, nous abordions les aspects relatifs aux modalités de participation à l’étude et à la confidentialité. Dans le cas de la participation, le langage ci-après était tenu aux usagers de soins : Votre participation est entièrement volontaire et n’affectera en rien vos soins médicaux actuels ou futurs ou vos relations professionnelles au travail avec vos employeurs. Aux soignants, nous les rassurions que leur participation n’affectera pas leurs rapports avec la hiérarchie de leur instition. Aussi, nous

rappelions à tous les enquêtes que : si vous décidez de participer à l’étude, je vous demanderais de signer le formulaire18 [de consentement éclairé], dont une copie vous sera remise. Vous êtes

libre de vous retirer en tout temps par avis verbal, sans préjudice et sans devoir justifier votre décision. Si vous décidez de vous retirer de la recherche, vous pouvez communiquer avec moi, au numéro de téléphone indiqué à la dernière page du formulaire de consentement. Si vous vous retirez de la recherche, les renseignements qui auront été recueillis au moment de votre retrait seront détruits.

Quant à la confidentialité, tous les enquêtés étaient rassurés du fait que les informations obtenues seront maintenues confidentielles et aucune information permettant de les identifier d’une manière ou d’une autre ne sera publiée. Pour finir, nous tenions à rappeler aux enquêtés qu’en participant à cette recherche, ils pourraient contribuer à l’avancement des connaissances sur les raisons et motivations réelles qui poussent un individu à rencontrer en cas de maladie un soignant précis. De telles connaissances pouvant permettre à baliser les ressources thérapeutiques disponibles pour une meilleure circulation des usagers de soins, d’une ressource à une autre ; et pour un usage optimum de celles-ci par les soignants. Nous rappelions également que l’étude pourra donner l’occasion de mieux apprécier la place qu’ils accordent à chaque médecine et les perceptions qu’ils ont de la maladie et des soignants ; et qu’il n’y a pas d’inconvénient à participer à la recherche. Les lieux de rendez-vous pour les entretiens étaient généralement dans la maison de résidence des mères. Les entretiens avec toutes les mères se sont déroulés dans leur domicile respectif. Nous avons observé 30 consultations, et 20 ont été retenues. 6 mères dont 3 des Maisons et 2 de la Fondation n’ont pas été disponibles pour les entretiens, parce qu’elles résidaient hors de Yaoundé, ce qui constituait un critère d’exclusion ; 4 ont tout simplement refusé : la raison du refus était la gravité de la maladie de leur enfant. Quant aux mères du quartier, nous avons pris contact avec 15, et avons effectué les entretiens avec 10. Les 5 autres se sont déplacées entre-temps.

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