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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.4 Les recours aux soignants professionnels : expression de choix thérapeutiques 137

4.4.2 Choix thérapeutiques, connaissances et perceptions de la maladie et du soignant 146

Le choix d’un système de soin semble reposer prioritairement sur les connaissances qu’ont les membres de la famille sur la maladie et les perceptions associées au soignant. Ainsi, une mauvaise connaissance de la nature de la maladie et de ses causes pourrait exposer les parents aux hésitations de qui, du biomédecin ou du guérisseur, consulter en premier lieu, comme l’illustrent les propos suivants : […] Because one: before I consulted a traditional healer I did not know what was wrong with my child; two: and when the time […], I knew what was wrong with my

child, I did not just have much to do with the traditional practitioner. So and I equally realized that it did not have any relationship with the illness[Mère-Fondation#2]. En effet, l’absence de maîtrise des causes de la maladie justifierait le recours simultané et successif aux médecines africaines et à la biomédecine, en ceci que l’échec du premier choix oblige à opérer un second. Dans cette perspective, on pourrait s’attendre à ce qu’une bonne connaissance des causes de la maladie permette aux usagers de soins de s’adresser directement à un type de médecine qui, à leurs yeux et selon l’expérience qu’ils en ont, est capable de répondre à leurs attentes. Si tel est le cas, on ne comprend pas pourquoi la famille défavorisée, bien qu’ayant une connaissance précise des causes de la maladie de l’enfant, ait sollicité simultanément les services de la Fondation et ceux des Maisons. C’est dire que la multiplication des recours au soins n’est pas forcément, comme l’a remarqué Tsala Tsala (1989, p. 110), la conséquence des hésitations et/ou de la mauvaise connaissance de la maladie.

C’est qu’en réalité, l’identification d’un système médical parmi les différents systèmes disponibles ne suffit pas : c’est une étape préliminaire qui inaugure le processus de choix thérapeutique. Si la mère a identifié le système biomédical comme lieu de consultation, encore faudrait-il qu’elle repère, à l’intérieur de ce vaste système constitué des agents de services de la santé publics [hôpitaux pédiatriques publics], privés a but lucratif [cliniques privées] et confessionnels [hôpitaux missionnaires chrétien, adventistes, protestants, etc.], celui auquel elle va s’adresser. Et ce n’est pas tout. Après l’opération d’identification, il va falloir que la mère camerounaise sache qui consulter à l’intérieur dudit système : deuxième étape. On aurait pensé que cette identification la préserverait des hésitations en ceci que les biomédecins étant formés dans le même moule, elle n’aurait plus qu’à s’abandonner à l’un ou à l’autre. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Dans la mesure où après avoir identifié le système de soins, commence alors une opération de tri, d’évaluation et de discrimination, et ce, indépendamment des aspects socioculturels associés à la maladie. Si la mère procède au tri, c’est justement parce que même si elle a choisi par exemple la Fondation, comme lieu de consultation, elle n’aimerait pas pour autant y rencontrer n’importe quel biomédecin-pédiatre, car tous ne sont pas agréables ; et leurs capacités et compétences thérapeutiques sont perçues différemment :

Nous: I will like to know again what do you not appreciate here in Chantal Biya foundation; is there any

worry?

feeling is not wrong. The women who are nurses, they don’t have a good way of receiving people. Yes, the women are like […], they are not welcoming to that extend. You see! You know when already you are patient, you are like frustrated,

Nous: Yes

Mère-Fondation#3: You see now! You are already coming from the house with a heavy heart, and the way

you come again they don’t welcome, they don’t give you that warm welcome; is like you […], if you don’t have heart they will start weeping. They don’t support […], you say something to a mother, a mother can start crying, because of the situation she is facing, you see now, so they should have the […], to me they are not really [….]. You see now, whereas in normal circumstances I wouldn’t have tolerated it, I would have retorted, but I had to just say well, let me not say anything, let me just do what I’m here and go my way,

Nous: Ok.

Mère-Tradi#3: Then going to Centre Pasteur, the women there they can mislead you; the way they talk to

people is not usually good; but the first incidence I had when I went to pay at the cash, I had a small problem there, but the next time that I was coming I was praying that I should not to that counter, I was praying that my number should not fall there, because the woman did not receive me well. But unfortunately for me my number fell there. And then when I went in I told her that madam I want to do a vaccine for my children. The first thing she started was that […], she started shouting: «aller dehors; aller dehors. Laisse moi respirer un peu. Ne faites pas du bruit ici]. She said what kind of vaccine did you want to do. From what I saw is good I should show you […], [elle nous présente le carnet pour que nous voyions ce qui y est incrit], show you so that you too can understand what I am saying. Okay, for example this is tiphim something, what is written there is «timphim VI» to us that VI is like 6, like in roman characters. So when I came to the woman, I told her that madam I want to do «tiphim 6». She just told me that we don’t have tiphim 6 vaccine here. I say, is it that is finished or […]? She say you want to do «tiphyim 6»? I say yes. She said I told you that there is no «tiphim 6». So I had to open the book and say may be […], because when, before I came I have written it on paper.

[Mère de 3 enfants drépanocytaire, 39 ans, enseignante au Lycée]

Par ailleurs, si les mères évaluent, c’est parce qu’elles estiment que si tous les médecins ont les mêmes savoir-faire, les compétences relationnelles, qui relèvent du savoir-être et du savoir- pouvoir, manquent cependant à certains dans les soins. Autrement dit, tous les médecins sont identiques sur le plan du savoir et des connaissances biotechniques, mais ne se valent pas sur le plan de la relation thérapeutique, celle-ci étant de l’ordre d’un savoir être avec le malade. Distinguant les savoirs techniques relevant de la science et l’expérience relationnelle, Benoist (2004, p. 282) écrit :

«L’acte thérapeutique en temps réel n’est pas technique : il est un événement pour le malade et pour son entourage, un événement qui, pour être compris doit être pour eux lisible. Cette lisibilité exige des relais entre ce que fait le soignant et ce qu’entend celui qui le consulte. Les plaintes des malades, leurs appels vers le divin, vers le miracle, vers les connaissances secrètes et les pouvoirs issus du surnaturel montrent combien il manque à la médecine une part essentielle de la capacité de répondre aux attentes de ceux qui souffrent»

Si les mères discriminent, c’est parce qu’elles veulent se donner les chances de pouvoir tomber sur le médecin qui réunit et les compétences du savoir-faire thérapeutique et les compétences relationnelles, comme l’atteste cette mère rencontrée à la Fondation appréciant les qualités relationnelles et professionnelles du Dr. H, comparé à celles de ses confrères Drs. A. et P.,

Mère-Fondation#5 : C’est la 2ème fois que je viens ici à la Fondation, et tu sais, c’est ma 1ère fois que je

consulte le docteur A. Peut-être je ne l’ai pas encore bien connu, ce Dr. A. Le cahier de consultation en témoigne. Mais le Dr. H il est bien. Il est différent des autres. Il est toujours disponible : «he is caring». Il y a souvent on l’appelle même aux heures auxquelles on ne doit même pas appeler. Quand j’arrive à l’hôpital, j’achète seulement mon billet de cession. Et je fais tout ce qui est nécessaire pour l’administration. Puis je l’appelle et il demande de l’attendre dans la salle d’attente. J’évite de voir quelqu’un d’autre, même si on lit même le nom de mon enfant, je ne réponds pas. Je vais attendre jusqu’à me rassurer que je vais le voir dans le petit bureau de consultation. S’il y a les tests à faire, il va me conseiller d’aller le faire rapidement, et ensuite, il me prend en causerie. Je vais lui dire des choses sur la maladie et il va me dire la conduite à tenir. Mais je ne sais pas si les autres font comme lui ; et je vois que ce n’est pas seulement avec moi qu’il se comporte ainsi ; il en fait de même avec d’autres parents d’enfants drépanocytaires ; et ce n’est pas que je lui donne quelque chose de particulier. Non. Je l’aime parce que c’est un bon docteur ; je l’aime parce que c’est un docteur qui a de la patience pour ses patients. Mais le paradoxe, c’est qu’il est jeune. Je m’attendais à voir ce comportement plutôt chez des docteurs qui sont anciens que lui dans le métier. Mais comparativement à Dr. P. et aussi, peut-être à Dr. A. qui ont une grosse expérience, je ne pense pas qu’il a leur expérience. Mais je ne comprends pas pourquoi, si jeune, il [le Dr. H.] prend sur lui les problèmes des parents. Et c’est cela qui m’intéresse. C’est un excellent doctor. His is caring ; his is a soft […], he’s soft spoken doctor. He knows. Il console les parents. He knows that […]. Pourtant, il y a certains médecins qui ne consolent pas les parents : soit parce qu’ils ne peuvent pas ; soit parce qu’ils ne savent pas. Dieu seul sait, car je ne peux le savoir. Mais quel que soit le cas, il y a une différence entre celui qui sait consoler les parents, et celui qui ne sait pas le faire. Les parents préfèreront se rendre chez celui qui sait consoler ; qui fait preuve d’écouter des parents. Mais il y a certains qui ne consolent pas, et si tu pleures près d’eux, ils semblent ne pas être sensibles. [Mère d’un enfant drépanocytaire, 38 ans, enseignante collège privée].

Signalons tout d’abord que le Dr. H. fait partie des nouveaux modernes que nous avons rangés dans la catégorie de néo-biomédecins, de médecins résistants ou non conformistes aux normes biomédicales. Par ailleurs, l’observation des attitudes et comportements des mères en salle d’attente à la Fondation nous a conduit à la remarque selon laquelle certaines mères esquivent ou évitent, au moyen des mécanismes dont elles seules maîtrisent les rouages, de rencontrer tel ou tel autre pédiatre :

Comme les carnets de santé sont empilés les uns sur les autres, l’accès au pédiatre est supposé suivre l’ordre d’empilement, en commençant par le carnet de dessus. Il arrive alors que certaines mères renoncent à leur priorité d’accès au médecin, soit en faisant la sourde oreille : elles prétendent n’avoir pas été attentives à l’appel qui les invitait à entrer dans le box qu’occupe le médecin ; soit elles laissent passer une autre mère tout simplement pour éviter d’être reçues par le biomédecin qui ne leur inspire pas confiance ; ou encore elles changent leur ticket de cession contre celui d’une autre mère. Parfois, certaines vont jusqu’à imaginer quitter la salle d’attente, afin de se donner les chances la prochaine fois de rencontrer le médecin qui constitue à leurs yeux celui qui inspire confiance et pourrait répondre, sans les frustrer, à leur problème de santé [Observation en salle d’attente à la fondation relative aux comportements d’éviction d’un

pédiatre].

Il se dégage un aspect important de l’extrait des propos de la Mère-Fondation#5 et de l’observation ci-dessus cités. On y perçoit clairement que les choix thérapeutiques sont, pour reprendre un concept de Worms (2010, p. 11), «un moment de soin» délicat dans le cheminement ou le processus qui va de la demande à l’offre thérapeutique. Délicat, parce que la demande comporte un désir non formulé explicitement par la mère. Ce désir est sous-tendu par les

représentations que la mère associe à la maladie : la sienne ou celle de son enfant. Et ce, dans la mesure où, comme le relevait Morel (1977, p. 97), «un malade n’est malade qu’en fonction d’une certaine idée de la santé». Mais ce désir est aussi associé à la manière dont la mère se représente les compétences du soignant. Ce double désir constitue un socle de manières d’être et d’habitudes acquises à partir des expériences antérieures qui, d’une part, sont mobilisées à chaque situation similaire ; et d’autre part, forment et fondent «l’habitus» (Bourdieu, 1994) de demande de soins de l’usager, ou encore sa philosophie de soins (Benaroyo, Mino, Lefève, & Worms, 2010). D’ailleurs, certaines études en anthropologie de la santé et en philosophie de soins estiment que «le soin se déploie dans les relations mais qu’il se définit comme relation» (Benaroyo et al., 2010, p. 11), or la relation de soins appelle dans ce contexte, en premier lieu, la compétence relationnelle et la compétence thérapeutique. Autrement dit, le soin en soi, «n’est pas d’abord ici une nécessité physiologique ou organique au sens strict, mais une nécessité relationnelle» (Worms, 2006, p. 146).

Nous avons observé que presque toutes les mères préfèrent consulter prioritairement les soignants qui combinent à la fois l’approche biomédicale et l’approche des médecines africaines. L’articulation des deux niveaux de langage médical de soin est appréciée par 24/30 mères, dont 9/10 consultantes des Maisons de Soins ; 8/10 du Quartier ; et 7/10 consultantes de la Fondatiion:

Mère-Quartier#10 : Je connais un guérisseur qui fait aussi comme à l’hôpital. Il demande des examens à

faire au labo, mais il te traite avec les plantes et les herbes. Je trouve que c’est très bien comme ça. Ça évite d’aller passer toute la journée à l’hôpital, et pour ne pas être reçu parfois [mère de 4 enfants, 33 ans,

cultivatrice].

Mère-Fondation#7 : Si je vais à l’hôpital maintenant, c’est pour prendre l’ordonnance et peut-être faire des

examens que demande le médecin ; mais les produits, c’est le guérisseur qui les donne [Mère d’un garçon

malade de typhoïde, 32 ans, cultivatrice].

Mère-Maisons#10 : Si je viens chez le père ci [allusion au guérisseur], c’est parce qu’il comprend tout. Il a

les carnets chez lui comme à l’hôpital. Et surtout, il n’est pas différent du médecin : nous on l’appelle docta.

[Mère d’un enfant malnutri, 26 ans, cultivatrice]

Certaines mères précisent même qu’elles font venir parfois le guérisseur à l’hôpital pour donner des remèdes et voir si la maladie n’est pas causée par des méchants. Ce comportement des mères ne s’explique pas seulement par une logique cumulative des avantages des différentes médecines, mais par le fait qu’elles sont plutôt animées par le souci de la qualité de soin. Dans la mesure où elles ont appris à connaître que le système biomédical tout comme les médecines africaines présentent des limites, comme le relevait Tsala Tsala (1989) dans De la demande

thérapeutique au Cameroun. Ces limites ont été mises en évidence par certaines études en socio- anthropologie et psychopathologie anthropologique réalisées au Cameroun au sujet des attentes et préférences des femmes enceintes en matière des soins de santé à l’enfance, à la grossesse et à la naissance. La dimension de la pertinence de la qualité de soin dans la perspective des soignées y est abordée, mais ces études ne font pas le lien avec les attentes des mêmes populations par rapport au profil du soignant qu’elles aimeraient et souhaiteraient consulter. Il semble alors que la mère va chez l’un pour des avantages technologiques qu’elle en tire, et chez l’autre, pour sa capacité à inscrire le thérapeutique dans une relation de soins. J’aime aller voir un soignant qui me comprend, qui ne me jugera pas, affirme Mère-Fondation#4, une mère séropositive ; le guérisseur que j’ai vu pour la maladie de mon enfant m’a dit que je dois aller faire des tests à l’hôpital avant qu’il commence le soin [Mère-Maisons#6]. Ainsi, le choix d’un soignant est très souvent guidé par, comme l’ont souligné plusieurs soignants eux-mêmes, ce qu’on [les usagers de soins] dit des soignants [Biomed#2], c’est-à-dire ce que les usagers savent des expériences de guérison du type de maladie dont l’enfant est porteur ; ce que les autres mères savent de tel ou tel type de soignant, dira le Biomed#1. Ce comportement des mères semble avoir une certaine influence sur les modes d’offres de soins, car certains soignants essaient désormais d’adapter les réponses thérapeutiques aux demandes et exigences des patients. Dans cette perspective, il n’est pas exclu que la demande thérapeutique s’articule aussi avec un certain ethos professionnel (Fusulier, 2011). Pour le Tradi#1, c’est son double ancrage dans l’usage des techniques de soins biomédicales et de celles des médecines africaines qui pousseraient les patients à s’adresser à lui. Ces propos et ceux du Tradi#8 en sont une parfaite illustration :

Tradi#1 : je vois les causes de la maladie traditionnellement et je renforce ma vision de ces causes en

envoyant mes malades faire des tests à l’hôpital. Voilà ce qui fait ma notoriété auprès des mères d’enfants qui viennent me voir. [Guérisseur, Bac+1 en biologie, 15 ans d’expérience professionnelle]

Tradi#10 : «Un autre affirme pour sa part ; j’essaie de penser la maladie comme les mères dont les enfants

souffrent, et de faire justement ce qu’elles attendent de la médecine. [Guérisseur, illettré, 32 ans

d’expérience professionnelle]

Tradit#8 : Quand je réussis à guérir quelqu’un, cela ne s’ignore pas. C’est cela qui fait ma force, sinon

personne ne viendrait plus ici me voir. Je n’ai pas autre chose que le succès de mes guérisons comme de ce que je fais de bien aux malades. Peut-être, faudrait pas oublier ma capacité d’écoute, c’est très important. Vous voyez ? Je crois que j’ai une capacité d’écoute assez exemplaire et je crois que les patients sont satisfaits, la satisfaction de la prise en charge, il y a aussi un fait qui est réel, tu soulage quelqu’un ça ne se cache pas. C’est un peu comme une sorte de trainée de poudre qui se répand dans tout le village, de quartier en quartier. Parfois je reçois des gens qui viennent de très loin parce qu’ils ont entendu parler de moi, dans une conversation au sujet d’un cas de maladie. Mes exploits sont commentés. [Guérisseur,

Par ailleurs, les mères aiment s’adresser aux guérisseurs qui font aussi comme le médecin de l’hôpital, précisera le Biomed#4 ; […] il y a des guérisseurs qui se comportent aussi comme nous les médecins en utilisant les carnets, en faisant faire aux patients des tests dans les laboratoires, fera remarquer le Biomed#1. Ainsi, l’ordre de résolution des problèmes est informé par les différents aspects ci-dessus mentionnés, à savoir la conjugaison des compétences thérapeutiques et les compétences relationnelles ; l’articulation des connaissances biomédicales et les savoirs des médecines africaines. Ces aspects rappellent que le choix thérapeutique repose sur une certaine conception de la maladie et des thérapies qui fondent l’habitus, l’ethos ou la philosophie de soins de la mère dont l’enfant est porteur d’une maladie quelconque. Décider en faveur de tel système médical n’est pas une activité qui relève du hasard. L’étude que nous avons menée auprès des mères consultantes et non consultantes indiquent que les connaissances dont elles disposent de la maladie et des soignants influencent et conditionnent les choix thérapeutiques. Ces

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