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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.1 Accueil en Maisons et à la Fondation 117

4.1.1 Mode de fonctionnement en Maisons et Fondation 120

Du point de vue du fonctionnement, les Maisons diffèrent de la Fondation. Nous avons observé que :

Le guérisseur se déplace de la chambre de consultation à l’espace d’accueil pour chercher la mère qui y attend. Il y passera quelques minutes debout avec la mère pour prendre des nouvelles de la famille, sans jamais faire allusion à ce pourquoi la mère est venue le voir. De retour dans l’aire de consultation, une conversation sera engagée, sous l’initiative du guérisseur, sur certains aspects de la vie sociale de la mère. Ses relations sociales seront inventoriées. Parfois, un verre d’eau est proposé et même quelque chose à manger. Par exemple, dira-t-il : tu es sortie de chez toi de bonne heure, il me semble. Je vois que tu n’as même pas pris le café. Il y a quelques bananes douces là. Sers-toi. [Observation chez le Tradi#2]

Il convient de noter que tout ceci participe de la consultation. L’auscultation des relations sociales permet au guérisseur de déceler les éventuels foyers de tensions relationnelles pouvant exister entre la mère et le reste de sa famille, dont figurent ici à la première loge les parents et grand- parents maternels et paternels de la mère et du père de l’enfant. Ensuite, et c’est le plus important, l’enjeu de la conversation vise à identifier à quel type de malade il a affaire : un chrétien catholique, protestant ; un malade lettré ou analphabète. Chaque information recueillie à travers la conversation précédant le moment de la consultation proprement dit – une conversation qui peut paraître inutile pour quelqu’un de non averti – vise à identifier et à situer les attentes et préférences du malade, et par conséquent, à ajuster le discours et les pratiques de soins qui vont suivre.

Par contre, à la Fondation, le pédiatre est assis dans un box ou dans un local. Une infirmière se charge de faire entrer les mères, suivant l’ordre d’empilement des carnets de celles-ci. Lorsque la mère entend le nom de son enfant, elle est invitée à rejoindre le médecin dans le box. Sauf qu’ici, il y a parfois dans un même box deux médecins, ce qui peut être un frein au principe de dévoilement de la plainte de la souffrance qui est portée au médecin au moyen du langage. La présence d’une autre mère peut empêcher à s’ouvrir entièrement au médecin, soit par honte ou pudeur. En effet, contrairement au guérisseur qui est assis parfois par terre ou sur une chaise de fortune semblable à celle qu’utilise la mère chez elle à la cuisine, le biomédecin est assis derrière une table. Un seul bonjour suffit et la consultation démarre. Le médecin pose des questions au malade, le but étant de savoir de quoi souffre ce dernier et aussi de reconstituer l’histoire de la maladie : une sorte d’anamnèse. Soucieux de recevoir chaque mère et de respecter le temps institutionnel imparti à chaque consultation, on a parfois l’impression, à l’observation et en parlant avec les mères que si celle-ci est finie pour le médecin, ce n’est pas le cas pour les mères qui, à peine elles ont commencé à se dévoiler, se voient interrompre par le soignant : ce qui laisse un goût d’inachevé selon cette mère :

Mère-Quartier#9:Quand le malade arrive, il a beaucoup d’espoir en le médecin de l’hôpital. Il est d’abord abattu moralement ; il attend du médecin un bon accueil. Mais le médecin est assis derrière son bureau et il traite le malade comme une mauviette, comme si le malade n’a pas de sensibilité ; n’a pas de pudeur. Il est pressé, regarde sa montre. Alors que le malade a parfois envie de lui dire beaucoup plus que sa maladie. Mais le médecin l’interrompt et lui dit : oui ça va, j’ai compris votre problème. Qu’est-ce qu’il a compris au juste ? Ce qu’il sait de la science ou ce que j’ai comme expérience de ma maladie ? C’est décevant. Non ? Ce que je viens de vous dire, c’est ce que j’ai vécu ; moi je suis tombée sur des médecins qui me font le diagnostic, qui font une prescription à laquelle je n’ai pas confiance ; à laquelle je ne crois pas ; et je ne peux pas lui dire. Je pars, et je n’achète pas le médicament ; je vais ailleurs. Je vois un autre, dans une autre structure [Mère d’un garçon malade paludisme ; 36 ans, comptable].

Un autre aspect très important des milieux pédiatriques que nous avons visités est la présence de certains éléments de contexte qui, à première vue, ne semblent pas faire partie du fonctionnement de l’espace de soins. Ces éléments peuvent être interprétés comme des marqueurs médico- culturels de l’insertion du guérisseur ou du médecin dans divers milieux d’appartenance sociale. Ces marqueurs permettent au malade de distinguer, par exemple dans le cas du guérisseur, s’il a affaire à un guérisseur conservateur, acquis à la cause de la tradition ; ou à un néo-guérisseur, signifiant de la «biomodernisation» de la tradition, c’est-à-dire jouant sur deux tableaux : comme par exemple, détenir un pouvoir de guérison transmis par ses ancêtres, et être formé à certains aspects de la biomédecine. Tous ces détails se remarquent chez le guérisseur et se repèrent par

différents aspects. Le port de la blouse blanche pendant la consultation et, le dessin du corps humain affiché au mur de la chambre de consultation sont des signifiants biomédicaux qui marquent et/ou indiquent aux malades la maîtrise des signifiants traditionnels et biomédicaux du guérisseur. Aussi, il n’est pas rare de voir une bible posée par terre, et le crucifix accroché au mur en hauteur au dessus de la tête de ce dernier. La bible et le crucifix sont donc deux objets religieux qui indiquent aussi sa relation à la religion. Ici règne un flou, car le guérisseur peut être catholique ou protestant, ou tout autre, s’il en voit la nécessité, et surtout en fonction de ce que présentent les malades. Il épouse l’attitude religieuse de ces derniers et adapte son discours thérapeutique à leurs attentes.

Cependant, la question de savoir s’ils deviennent des exorcistes ou si la présence des objets religieux chez les guérisseurs modifie leurs pratiques demeure entière. Mais nous essayerons de montrer dans les prochains paragraphes dans quel sens se font les modifications. Tous ces objets qu’on retrouve dans les Maisons des guérisseurs sont, de manière générale, des signifiants de la «biomodernité» et «religiomodernité», selon qu’il convient de privilégier le côté biomédical de ses pratiques ou le côté chrétien de celles-ci. Mais dans le même espace, les signifiants de la modernité côtoient ceux de la tradition. Par exemple, une carapace de tortue est l’expression métaphorique de la capacité à protéger et dissimuler le patient de l’attaque en sorcellerie par un sorcier malveillant qui lui voudra peut-être du mal ; un hameçon, traduirait sa capacité d’épingler le sorcier. La présence d’un os de gorille traduirait sa force ou son pouvoir à lui ; celle d’une toile d’araignée ou des cauris étalés par terre, manifeste la capacité à poser un diagnostic divinatoire, etc. De même, le local du médecin où il reçoit les malades en consultation présente aussi un décor qui n’est pas le moins suggestif, soit de son appartenance multiple à d’autres milieux évocateurs de la protection que recherchent les malades qui recourent à lui. Comme dans l’aire de soins du guérisseur, il n’est pas rare ou étonnant aujourd’hui de découvrir sur le bureau de certains biomédecins une bible ; une croix accrochée au mur, visible par le malade : tous ces objets étant les signifiants de son inclinaison religieuse. D’ailleurs, au sein même des hôpitaux, se trouvent parfois des églises catholiques ou protestantes et même des mosquées. Mais sont absents des hôpitaux des lieux, réservés au culte ancestral, où logent les ancêtres, comme il est courant d’identifier dans l’aire de soin du guérisseur une petite maison. Cette dernière étant le symbole de

qu’il faut faire ; et ce pourquoi la mère est venue consulter : la cause de la maladie, car elle n’est pas tenue à dire ce dont souffre l’enfant. Ainsi, à «des Africains», dit de Rosny, «vous ne devez pas poser de question, mais dire ce que vous voyez !» (1992, p. 116). Les questions22, lorsqu’il y

en a, sont suggestives. C’est au guérisseur de dire à la mère venue consulter – pour elle ou pour l’enfant – de quoi il ou elle souffre, et cela demande une compétence qui dépasse les seuls pouvoirs du guérisseur. C’est pour cela qu’il se fait aider par ses ancêtres tutélaires, de qui il doit les connaissances et le savoir des plantes ; la maîtrise et la manipulation de celles-ci.

Par ailleurs, que penser de l’absence des symboles religieux africains en milieu hospitalier, dans un contexte où près de 80% de la population pratiquent le culte des ancêtres ; où cette même proportion recourt aux guérisseurs ? Étant entendu que les hôpitaux couvrent seulement 5% des demandes de soins de la population ; et 15% de cette dernière sont chrétiennes. Pourrait-on dire que la présence des églises chrétiennes et de la mosquée dans l’espace géographique de la biomédecine indiquerait sa proximité avec les religions révélées ; et l’absence des religions africaines, un indice de la discrimination de celles-ci ? Quelles interprétations un regard anthropologique moins partisan de l’idéologie dominante pourrait donner de cette disposition des signifiants religieux dans l’espace biomédical ? Dans tous les cas, il n’est pas exclu que la présence dans cet espace des signifiants de la religion chrétienne et/ou de la religion musulmane peut être interprétée comme une imposition de celles-ci à certains malades. Par conséquent, d’autres malades d’orientaiton religieuse animiste, par exemple, pourraient lire l’absence des signifiants des religions africaines comme un rejet de celles-ci et, par delà aussi, leur propre rejet par l’hôpital.

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