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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.5 Orientations thérapeutiques 152

On parle d’orientations thérapeutiques lorsqu’un soignant envoie, réfère ou recommande un usager de soins à un autre. Il s’agit d’un recours à un soignant par un autre, le premier étant celui

à qui s’est adressée en premier lieu la mère. Au cœur des pratiques d’orientations thérapeutiques se trouvent des échanges de patients entre deux ou plusieurs soignants appartenant ou non à un même système médical. Ces échanges peuvent être à sens unique – ou unilatéral, c’est-à-dire lorsqu’un soignant réfère le patient à un autre et n’en reçoit pas de celui-ci ; ils peuvent être mutuels, et s’inscrivent dans des relations d’échanges réciproques. Les échanges unilatéraux et/ou mutuels peuvent s’effectuer à l’intérieur d’un même système de soins, c’est-à-dire entre les soignants relevant dudit système : l’exemple des échanges entre les biomédecins ; ou entre les guérisseurs. Elles peuvent aussi avoir lieu entre deux systèmes de soins différents : l’exemple des échanges entre médecines africaines et biomédecine. Mais dans les deux cas, ce qui est intéressant de souligner ici, c’est moins les échanges en eux-mêmes que les déterminants ou motifs – sociaux, professionnels – qui poussent tel soignant à échanger réciproquement ou unilatéralement les patients avec un autre, qu’il s’agisse du guérisseur, biomédecin ou tout autre. Les données ethnographiques montrent qu’il existe des échanges réciproques entre les soignants appartenant à un même système de soins. Ce type d’échanges est courant à l’intérieur de chaque système de soins. En d’autres termes, la circulation des patients et même des informations médicales est plus facile par exemple entre deux biomédecins, parce que cela relève de l’ordre des échanges formels et prescrits par le code de la déontologie biomédicale :

Biomed#6 : Personnellement c’est assez rare de voir qu’un médecin collabore avec un guérisseur pour le

suivi du patient, pour la simple raison que le cadre institutionnel n’a pas accepté que la communauté médicale puisse le faire. [Médecin, 4 années d’expérience professionnelle]

Biomed#8 : J’envoie toujours les patients chez des soignants qui sont des collègues médecins. Bon les non

médecins à qui je peux avoir référé une mère d’enfant c’est des psychologues. Je pense qu’en dehors du corps biomédical, les seuls gens à qui je crois avoir référé les patients c’est les kiné. Sinon, je ne réfère que à des médecins. Cela peut vous surprendre. Moi je suis cardio-pédiatre, si j’ai un cas d’épilepsie chez l’enfant, je ne peux pas m’en occuper, je peux cependant lever l’urgence et le référer à un collègue neuro-

pédiatre. Si je suspecte une appendicite, je ne suis pas chirurgien, je vais le référer à un chirurgien.

[Médecin, 1 année d’expérience professionnelle]

Si les orientations thérapeutiques sont courantes à l’intérieur d’un même système médical, c’est parce qu’elles donnent lieu à des rencontres thérapeutiques formelles/normatives, c’est-à-dire institutionnellement prescrites. Ces formes de rencontres sont généralement le fait des actions formelles et des régulations normatives, selon une formule empruntée à Reynaud (1988). Mais elles manifestent aussi une forme de reconnaissance institutionnelle des uns envers les autres.

Par contre, les échanges sont rares entre les agents des médecines africaines et ceux de la biomédecine. 6/10 biomédecins affirment n’avoir jamais référé une mère d’enfant à un guérisseur. Deux extraits illustrent bien leur point de vue. Le premier est celui du Biomed#9 :

Vous savez, je suis un africain convaincu, hein ! Mais ce n’est pas une raison suffisante pour recourir aux guérisseurs. Je sais que la médecine traditionnelle existe ; elle a des effets thérapeutiques ; mais le problème c’est que beaucoup de gens se disent tradipraticiens, mais en fait sont des charlatans. Je ne prendrais pas un tel risque. Vous voyez la différence entre tradipraticiens et charlatans. Celui-là qui soigne mille maladies, vraiment je ne sais pas si je peux lui faire confiance et comme c’est un domaine que je ne maitrise pas très bien, je m’en méfie un peu entre guillemets ; puisque c’est difficile de savoir si ça c’est vraiment un tradi[praticien] ou alors est-ce que c’est un charlatan ? Franchement je ne vais pas envoyer un malade quelque part dans un monde inconnu. Je préfère l’envoyer là ou je connais. [Médecin, 3 années

d’expérience professionnelle]

Le second est celui du Biomed#7. Il argumente les raisons de sa réticence à échanger avec les guérisseurs :

Biomed#

Biomed#7: Voilà. Ce n'est pas un problème d'efficacité. Parce que je ne peux pas juger de leur efficacité.

Je ne peux vraiment pas. Parce que je ne connais pas combien de patients ils reçoivent, je ne connais pas les affections dont ils s'occupent de manière spécifique. Mais je n'adresse pas mes patients à eux (aux guérisseurs) parce qu’il n’y a pas entre eux et moi, un rapport de [...], j'appellerai ça, […] le culte auquel s'associent leurs pratiques. Maintenant nous entrons dans les aspects cultuels.

Nous : Les aspects? [

Biomed#7: Les aspects cultuels. Pas culturels, même si ceux-ci en font aussi partie intégrante. Mais je parle

des aspects cultuels, c'est-à-dire le culte auquel ils [guérisseurs] adhèrent, et mêmes certains patients.

Nous : Et vous pensez à quoi?

Biomed#7: Je pense aux dieux qu'ils louent, à savoir les ancêtres. Ah, voilà, je ne partage pas ce culte.

C'est donc là la base. C'est parce que je ne partage pas leur culte. Je préfère celui qui n'intègre pas dans sa pratique le culte. Bon maintenant [...]. S'ils ne prescrivaient que des herbes, je ne m'en priverai pas. Si j'étais certain qu'ils donneraient l'écorce seulement, je ne m'en priverais pas. Mais comme je sais qu'ils y associent un culte, le culte des ancêtres. [Médecin, 6 ans d’expérience professionnelle]

Par ailleurs, certains biomédecins [N=8/10] acceptent avoir échangé les patients avec les soignants non biomédicaux, en l’occurrence les prêtres ou pasteurs. Avec ces derniers, il ne se pose aucun problème, dans la mesure où dans certains hôpitaux on trouve des églises où vont prier les patients :

Biomed#3 : Oui la prière est un élément de base de la foi. Donc celui qui prie développe sa foi, c'est-à-dire

la croyance en quelques choses ; la croyance que spirituellement il va recevoir la force pour retrouver la guérison à travers une prise en charge. Donc moi je pense que la prière vient renforcer ce que je venais de dire, l’élément que j’ai souligné tout à l’heure, à savoir l’espoir». Oui l’espoir a une influence très forte dans la prise en charge parce que l’espoir insuffle aux patients la force d’adhérer à la prise en charge qu’on lui présente parce que si le patient n’a pas espoir ; s’il est désespéré il ne va pas adhérer ; il ne va pas adhérer à la prise en charge et l’observance du traitement est un élément fondamental pour sa réussite. Donc l’espoir est un élément fondamental. Prière et espoir vont de pair. [Médecin, 8 années d’expérience

[Biomed#2]. La notion de médecine religieuse est une notion qui pour moi rentre dans l’expression de

l’église. Maintenant l’église prise comme groupe social, a chacune ses pratiques. Il y en a qui utilise du matériel, comme le crucifix ; il y en a qui utilise simplement le verbe. Mais chacune a ses dérives. J’ai, parce que je connais mieux, je dis, ou alors parce que je crois que c’est mieux codifié or alors le sujet est plus proche de ce thérapeute. Je lui dis, tu peux le consulter et là j’ai déjà adressé, dit à certains patients, ce serait bien dans ce cadre si, si tu consultes tel prêtre. Je prends un exemple. J’avais une jeune dame qui avait été violée par son fiancé. Elle se sentait mal. Après l’avoir sortie de son mutisme, je lui ai proposé de rencontrer son prêtre pour se confesser. Elle est catholique moi je suis un baptiste, je n’entre pas dans la logique d’usage de pratique pour aider cette dame, parce que je ne veux pas la traumatiser. Je l’adresse à son prêtre. Ah, quand j’ai revu cette dame, ce que j’appelle le lever du soleil c'est-à-dire l’amélioration des expressions de la face, elle était tellement améliorée que je ne l’ai pas reconnue. La tristesse, la douleur, la souffrance ne s’exprimaient plus sur son visage et puis elle était rayonnante de beauté, parce qu’elle a vu son prêtre, parce que je lui ai proposé. J’ai écrit une lettre, ca fait l’objet d’une lettre d’évacuation, d’adressage à qui de droit pour des besoins thérapeutiques bien précis. Donc ça a fait l’objet d’une collaboration entre deux praticiens, même si le prêtre n’en est pas un vrai, au sens fort du terme. Ça je le fais. « Je crois que dans la gestion du mal en ce qui me concerne, il y a le Christ ; le Christ qui aide ceux qui ont foi. Je conseillerai aux patients de voir un serviteur qui aspire à la stature parfaite du Christ.» Mais il m’est arrivé de référer des maladies dont le traitement nécessitait, à mon avis, une participation culturelle […], dans ce vocable j’inclus l’aspect religieux, tradition […]. Bon il m’est aussi arrivé d’intégrer un groupe familial [guérisseur] que j’appelle groupe soignant pour le patient. Je me rappelle il y a une fille qui faisait une névrose hystérique, hystéro-dépressive. Pour provoquer le déclic thérapeutique, j’ai été obligé d’interpeller un prêtre ; et sa famille, à travers les rites du guérisseur [Médecin et pasteur, 30 années d’expérience

professionnelle].

Cependant, 4/10 biomédecins disent avoir échangé avec les guérisseurs ou encore sont prêts à faire recours à eux, si cela peut constituer un levier thérapeutique pour la maladie de l’enfant :

Biomed# 1: Je sais que j’utilise aussi des herbes et des plantes médicinales dont je connais les vertus. Le

tradipraticien classique, c’est quelqu’un qui soigne normalement à partir des choses puisées dans la nature et très souvent c’est des plantes. Et très souvent les tradipraticiens sont assez spécialisés, c'est-à-dire qu’ils se concentrent dans un domaine et ne s’occupent que vraiment de cela. Vous allez voir quelqu’un qui sait soigner les plaies à partir des plantes ; qui sait soigner ceci, peut être telle irruption cutanée à partir des plantes ; il fait ca, il ne fait que ça et il le fait bien. Et j’ai déjà envoyé une mère auprès des guérisseurs, même s’il est vrai que je n’ai pas encore […], je n’ai pas un guérisseur avec qui je travaille particulièrement. Dans la mesure où le guérisseur entre dans la logique du suivi, pourquoi n’enverrais-je pas les patients les rencontrer ? Je suis entrain de m’organiser pour le faire de manière systématique éventuellement selon le choix du patient. [Médecin, 10 ans d’expérience professionnelle]

Biomed#10

Biomed#10: «Voyez-vous, […] Je ne peux pas non plus rejeter en bloc ce que disent ces traditipraticiens,

puisqu'ils ont..., certains ont fait leur preuve et [...], puisque certains tiennent déjà aussi un registre de soins auquel on peut se référer.» [Médecin, 3 années d’expérience professionnelle]

Relevons que les échanges entre biomédecine et médecines africaines en faveur des guérisseurs sont généralement informels, comme l’illustrent les propos des biomédecins qui s’y adonnent :

Nous

Nous :: Donc il y a quand même certains tradipraticiens qui vous confient certains cas ? » Biomed#3

Biomed#3 : : Oui. Nous:

Nous: En retour vous les renvoyez aussi vers eux ? Vous le faites ? Biomed#4:

Biomed#4: [[…] Mais on ne pouvait les référer de manière officielle. C’est que on venait, on se posait des

questions, on dit bon voilà on va faire ceci, on va faire cela, est-ce que vous ne pouvez pas voir par exemple ailleurs,… mais de manière officielle, non. C’est pas officiel mais déjà dans notre façon de parler aux patients

on disait déjà que bon on a essayé... Essayez de voir de l’autre côté, oui il y a des patients qui ont guéri. Dans la façon de dire, on appelle un membre de la famille qui est lucide, on lui dit que voilà, voilà, voilà. Essayez de voir de quel coté tu peux aller voir ; et habituellement les patients prenaient ça bien.» [Médecin,

4 ans d’expérience professionnelle] Biomed#3:

Biomed#3: « Oui informellement. Attend ce qu’on fait là, c’est […], on suggère. C’est une suggestion

implicite. Oui on est là, on parle, mais on ne dira jamais de manière claire voilà. On suggère comme ça. »

[Médecin, 3 années d’expérience professionnelle]

Ces échanges s’inscrivent dans le cadre des rencontres informelles, car, ils relèvent de régulation autonome et des actions d’individuelles des personnages isolés qui décident de briser certaines normes institutionnelles qui fonctionnent dans certains cas comme des barrières à l’observance thérapeutique. Le bris de ces normes est dans le but de renforcer la compliance thérapeutique, et par conséquent, d’augmenter la qualité de l’offre de soins aux patients. Chez les guérisseurs, on remarque que tous échangent les patients avec les biomédecins. Certains disent même qu’ils sont en relation professionnelle avec certains prêtres et prophètes :

Tradi#1

Tradi#1: Si j'étais un médecin, je donnerai la liberté à une famille de pouvoir sauver son malade de la

manière qu'elle peut. Bon, les biomédecins ne veulent pas souvent prendre le risque que ce soit eux qui ont conseillé, et je pense qu'il a intérêt à faire sa part et laisser la tradition faire la sienne. […] Il [le guérisseur] fait sa part et il demande qu'on l'amène à l'hôpital. [Guérisseur, Bac+1, 15 années d’expérience

professionnelle] Tradi#2:

Tradi#2: Quand un cas me dépasse, je recours à d’autres praticiens, en particulier ceux de l’hôpital. Je

prends par exemple le cas du sida. D’abord il faut qu’il fasse les examens biologiques ; ensuite, prendre des ARV avant d’engager maintenant la désintoxication au niveau du foie, c’est-à-dire rendre le corps pur, une tâche qui revient à nous. [Guérisseur, Bac+4 en biologie, 22 années d’expérience professionnelle]

Tradi#8 : J’envoie les malades tous les jours chez prêtres. Il y a les malades que je demande d’aller au

camp de Père Sofo. Ce prophète qui fait des miracles au quartier Carrière vers Bankolo là-bas. Si ça peut aider, pourquoi ne pas lui donner cette autre chance de trouver guérison [Guérisseur, 35 années

d’expérience professionnelle].

Les données ethnographiques que nous venons de présenter répondent à la question de savoir : avec quel type de soignant tel ou tel autre type de soignant fait-il équipe, réfère ou oriente, dans certains cas, les patients ? Les réponses à cette question ont mis en évidence deux aspects fondamentaux caractéristiques des rapports professionnels guérisseurs-biomédecins. D’abord, les biomédecins présentent une grosse réticence quant aux échanges des patients avec les guérisseurs. Une telle réticence relève plus de la déontologie biomédicale que du constat de l’inefficacité des médecines africaines, en ceci que les biomédecins reconnaissent que les médecines africaines sont efficaces. Pourtant, les guérisseurs font recours constamment aux biomédecins et échangent avec eux. Si bien qu’il convient de dire qu’il s’agit d’une communication d’un type qui défit les règles classiques des échanges (Watzlawick, Beavin, & Jackson, 1972).

En effet, le guérisseur s’adresse toujours à un interlocuteur qui n’est pas une personne ou un destinataire physique, mais une institution : la biomédecine. Il noue le dialogue avec cette dernière de différentes manières. Il y a certainement un dialogue, mais un dialogue avec le champ biomédical. Les symboles biomédicaux tels que les dessins du corps humain qu’on rencontre chez les guérisseurs en sont une parfaite illustration. Le dialogue ne s’opère pas par exemple entre le guérisseur et le biomédecin, mais entre le guérisseur et l’institution biomédicale. Or, on sait pourtant que tout dialogue implique toujours un interlocuteur physique direct, ce qui n’est pas encore le cas ici. On ne peut non plus dire qu’il s’agit d’un dialogue à sens unique. D’un côté, on a un interlocuteur désigné : le guérisseur ; et de l’autre, un interlocuteur anonyme : l’institution biomédicale. Et ce n’est pas un monologue. Dans la mesure où, bien qu’il n’y ait pas la présence physique d’un interlocuteur, comme dans le cas d’un dialogue classique, on note cependant qu’il y a toujours un retour qui se traduit, comme nous allons voir dans les prochains paragraphes, par une dynamique d’ajustement des comportements d’offre de soins, tant du côté des guérisseurs que de celui des biomédecins. En effet, même si le destinataire du message est ici une institution, il ne s’agit pas pour autant d’un interlocuteur institutionnel amorphe, car il répond non pas directement au producteur du dialogue réalisé [le guérisseur] par l’orientation thérapeutique, mais à un troisième interlocuteur dans le dialogue qu’on peut qualifier de «sur-destinataire», selon un vocabulaire que nous empruntons à Clot (2005, p. 39). C’est ce sur-destinataire dont l’identité se confond dans notre étude avec la mère (ou encore le malade en général) qui comprend, selon l’auteur, le message, et avec sa «compréhension responsive» y répond aussi bien au producteur qui a noué initialement le dialogue avec le destinataire institutionnel, mais aussi concomitamment à ce dernier, représenté par l’institution biomédicale.

Le second aspect : dans l’espace de sociabilité thérapeutique, les biomédecins sont proches des prêtres et pasteurs, ce qui laisse penser que les relations entre les gens œuvrant dans le champ de la santé sont fonction de la proximité et de l’éloignement des positions de pouvoirs, en regard des religions africaines ancestrales [messianisme et prophétisme] et des religions chrétiennes [protestantisme, islam et christianisme]. De sorte que l’espace de sociabilité pédiatrique peut être comparé à un espace géographique à l’intérieur duquel les agents de soins occupent des régions découpées : d’un côté la biomédecine et les religions révélées; et de l’autre, les médecins africaines et les religions animistes ou messianiques. Les différents personnages qui «s’y trouvent

placés ont», comme l’avait déjà montré Bourdieu dans Espace social et pouvoir symbolique (Bourdieu, 1987b, p. 151), «d’autant plus de propriétés en commun qu’ils sont plus proches dans cet espace ; d’autant moins qu’ils sont plus éloignés». Il s’ensuit, selon l’auteur, que les positions de pouvoirs et de statuts sociaux proches dans la hiérarchie sociale le sont aussi dans les interactions entre les soignants. Cela est vrai en ceci que nous avons remarqué que les prêtres préfèrent référer leur patient aux biomédecins plutôt qu’aux guérisseurs. Mais une telle parcellisation de l’espace thérapeutique n’est pas anodine, en ceci qu’elle est l’expression politique déguisée des régulations de contrôle dont les traces peuvent être historiquement repérées dans les relations entre les pays colonisés et pays colonisateurs. Dans la majorité des pays colonisés la religion et la biomédecine ont partie liée et sont indissociables25. Selon Lowe (1887, p. 148) : «In

India, China, Africa, Madagascar and in almost every heathen land, crude systems of medicine are intimately associated with the religions of the people, and the treatment of disease, such as it is, is monopolized by the priests, or by others under their control.» Prêtres et médecins étaient un26 et, la

médecine a fourni une entrée dans les cœurs et les esprits des populations. D’ailleurs les prêtres : « Ne se sont mêlés de la thérapeutique qu’en utilisant le savoir-faire de la biomédecine, en positionnant l’action des Églises dans le mouvement de la colonisation où la volonté de civiliser signifie aussi bien guérir les corps que sauver les âmes » (Dozon & Sindzingre, 1986, p. 50). Mais à s’en tenir uniquement à de telles relations structurées pour des besoins de domination politique [impérialiste], c’est oublier qu’elles cachent et rendent en même temps possible d’autres formes de relations interprofessionnelles qui s’y réalisent parfois par contrainte ou par simple respect des désirs et souhaits des patients : les rencontres informelles en sont une parfaite

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