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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.6 Recours non professionnel, choix et orientation thérapeutiques : quelles articulations ? 160

5.1.1 Différence de perception de la qualité de soins : source de rencontres (in)formelles 168

Les données que nous présentons ici portent sur la qualité de soins et son impact sur les rencontres. Elles visent deux objectifs. Le premier consiste à amener les usagers de soins et les soignants à produire une vision sur la qualité de soins, c’est-à-dire ce qu’ils en entendent par ; de savoir comment ils la définissent et la perçoivent. Pour ce faire, les avis des uns et des autres ont été recueillis à partir de la question de savoir : comment appréciez-vous les soins prodigués par les soignants ? C’est à dessein que nous n’avons pas précisé le type de soignant, car nous voulons laisser les interlocuteurs aller dans la direction qui les permettrait de mieux s’exprimer, surtout en commençant par l’aspect de la qualité de soins qui leur semble le plus approprié. Le second objectif était de voir quels aspects sont alors mis en avant par les usagers de soins et les soignants pour exprimer la qualité de soins, et par delà, mesurer, au travers les deux objectifs réunis, espérions-nous, la manière dont les différentes perceptions et définitions de la qualité de soins organisent/structurent les différentes formes de rencontres. Pour répondre à la question posée ci-dessus, les points de vue des usagers de soins sont présentés d’abord, suivis de ceux des soignants. Enfin, nous avons procédé à l’analyse de leurs implications dans la construction des rencontres (in)formelles. Comme nous le verrons dans les extraits ci-dessous, les usagers définissent et perçoivent la qualité de soins à travers les résultats, succès et guérison opérés par le soignant :

Mère-Fondation#5 : Ce que j’apprécie chez le soignant, c’est les résultats de son travail. Après cela nous

avons également rencontré les prêtres exorcistes, et même les pasteurs. Bref, tous ces hommes d’église qui apportent du soutien moral aux parents qui sont en détresse lorsqu’ils cherchent à tout prix une solution pour l’enfant qui est malade. Vous savez, quand l’enfant est malade, on a un seul but : le voir guéri. Peu importe, en ce qui me concerne en particulier, par qui vient la guérison ; la nature du soignant. C’est où l’enfant trouve la guérison qui est pour moi le bon hôpital. Quand je dis hôpital, ça peut être aussi chez le guérisseur. C’est celui qui apporte la guérison qui est pour moi le véritable soignant ; celui qui est capable et compétent. Tu vois ! Ce qui est important, je peux vous l’avouer, c’est la guérison. Et elle peut venir de n’importe qui et de n’importe où. Est-ce que je dois aller rester chez le guérisseur parce qu’on dit qu’il est bon, alors que je ne vois pas que la situation de l’enfant avance positivement ? Non. C’est la même chose chez le médecin. Vous savez, à l’hôpital, il y a médecin et médecin. Certains sont vraiment médiocres, pire que les charlatans ; il touche un enfant, et la guérison n’est pas là. Certains sont bien. Vraiment je dis bien. Quand il met la main sur l’enfant, la maladie disparaît. Je prends le cas du Dr. T. C’est tous les malades qui parlent de lui ; de sa manière de traiter les parents et les enfants. Tu vois, il est à l’hôpital, mais il n’est pas comme les autres. Il a sa façon d’être, de voir les choses. Il parle avec les malades, et est toujours prêt à donner des conseils, même si c’est pour faire venir un guérisseur ou un prêtre, il est prêt, je ne sais pas s’il l’a déjà fait, mais il n’est pas contre. Pour lui, il veut la guérison et c’est cela qui est important pour lui. Il fait tout pour que l’enfant se sente bien. [Mère d’un enfant drépanocytaire, 41 ans, enseignante au collège privé]

Quant aux biomédecins, ils ne sont pas unanimes sur la définition de la qualité de soins. La majorité [N=6/10] la renvoie à la maîtrise d’un ensemble de techniques et connaissances médicales appropriées qu’utilise le soignant pour intervenir sur de maladie. Selon le Biomed#9 :

La qualité de soins, ça peut s’apprécier à différents niveaux. Mais le plus important réside sur le plan médical, et c’est cela qui fait du soignant un bon soignant. Donc, un bon soignant c’est celui qui essaye au maximum de résoudre avec les moyens dont-il dispose les problèmes médicaux de ses patients, en sachant qu’on n’a pas toujours une obligation de résultat, mais surtout une obligation de moyen. [Médecin, 3 années

d’expérience professionnelle]

Par contre pour une minorité [N=4/10], à savoir les biomédecins non conformistes ou résistants, la qualité de soins ne se définit pas exclusivement par les moyens techniques, car les problèmes de santé que posent les mères ne s’y réduisent pas. D’autres requièrent une démarche non médicale qui doit inspirer confiance, celle-ci inscrivant le soignant et le malade dans une démarche résolument relationnelle de soins, à en croire la Biomed#3 du service d’hémato-oncologie :

Pour dire vrai, un soin de qualité s’apprécie par le fait que le soignant met tout en œuvre pour essayer de résoudre les problèmes médicaux et non médicaux de ses patients. Voilà à quoi peut se résumer, en partie, un soin de qualité. Maintenant, comme les problèmes de santé des patients ne sont pas seulement d’ordre médical, celui qui se limite aux problèmes biomédicalement explicables aura fait certainement le travail, mais on dirait, pour moi que c’est un travail à moitié accompli. Il lui manque la composante relationnelle dans son approche. Celui qui accompagne bien ses malades, c’est le soignant qui prend en compte cette composante relation, parce qu’il y a beaucoup […] ; Je connais beaucoup de soignants qui traitent bien, mais les enfants […]. Mais le jour où tu ne viens pas au travail, les enfants ne s’en soucient pas vraiment, c'est-à-dire qu’ils n’ont pas une certaine relation de, on va dire de confiance ou de […], c’est-à-dire, ils ne sont pas vraiment liés à leur traitant. Ils savent qu’il y a un docteur tel, il n’est pas venu. Je pense qu’un bon soignant c’est celui qui arrive à avoir une certaine relation de confiance avec ses patients. [Médecin, 3 années d’expérience

professionnelle]

Quant aux guérisseurs, ils affirment :

Tradit#2 : Les malades viennent chez moi parce qu’ils savent qu’ils vont retrouver leur guérison. Le malade

pour moi est quelqu’un qui a besoin d’aide. Et je suis là pour lui apporter cette aide là. Parfois, un malade à juste besoin que tu parles des choses. Mais je sais aussi qu’il y a des choses que je ne peux pas faire, comme par exemple, le test de la maladie là qui est là dehors maintenant partout. On ne parle plus que de ça [allusion au vih/sida]. C’est l’hôpital qui doit détecter, et nous, on peut apporter des remèdes pour calmer le palu, et autres problèmes liés à cette maladie là. [Guérisseur et formation en biomédecine, Bac+4 en

biologie, 22 années d’expérience professionnelle]

En observant les séances de consultations et en parlant avec les mères d’enfants, les guérisseurs et les biomédecins, nous relevons que diverses significations sont attribuées à la qualité de soins. En effet, les réponses à la question de son appréciation, bien que plurielles, s’inscrivent dans deux axes différents pouvant donner lieu, comme nous le verrons plus tard, à une double perspective.

La première, revendiquée par la majorité des biomédecins [n=6/10], voit la qualité de soins en termes de techniques et de moyens d’approches de la maladie. Pour la seconde, la guérison apparaît comme une fin en soi. La question reste posée de savoir laquelle des deux perspectives rejoint les attentes et préférences des mères d’enfants ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes appuyé sur une démarche qui privilégie plutôt ce que le malade demande au soignant lorsqu’il entre en relation thérapeutique avec lui. Cette démarche nous est offerte par Canguilhem qui, dans Une pédagogie de la guérison est-elle possible ?, semble s’insurger contre une thérapeutique qui repose exclusivement sur les moyens biotechnologiques. Selon l’auteur, bien que la guérison soit considérée «comme un élément de la relation entre le malade et le médecin», elle «est à première vue, ce que le malade attend du médecin, mais non ce qu’il en obtient toujours […]. Alors que pour la plupart des médecins, encore aujourd’hui, c’est le traitement le mieux étudié, expérimenté et essayé à ce jour que la médecine doit au malade» (1978, pp. 13– 14). La conception de la qualité de soins en termes de moyens biotechnologiques est pratiquement en décalage avec les attentes des malades pour qui, la guérison est ce que lui doit la médecine. Pourtant, c’est dans ces attentes que s’inscrit le second axe de la définition de la qualité que revendiquent tous les guérisseurs, ainsi qu’une minorité de biomédecins [N=4] s’insurgeant contre une biomédecine qui assimile la qualité de soins à la seule maîtrise des moyens biotechnologiques efficaces et sûrs. Pour ces derniers qui s’inscrivent dans la seconde perspective, la qualité de soins se confond alors avec les réussites des actes thérapeutiques ; l’obligation de résultats ou les exploits réalisés ; les succès des guérisons opérées. Ici, le triomphe de la rationalité des moyens biotechniques n’en constitue, selon eux, qu’un aspect de la thérapeutique.

En d’autres termes, les réussites des guérisons opérées deviennent la seule mesure fiable de la qualité de soins, et elles fondent aussi la différence fondamentale entre les guérisseurs et les biomédecins. Au sujet des deux types de soignants, Canguilhem opère la distinction suivante :

«Un médecin qui ne guérirait personne ne cesserait pas en droit d’être un médecin, habilité qu’il serait, par un diplôme sanctionnant un savoir conventionnellement reconnu, à traiter des malades dont les maladies sont exposées, dans les Traités, quant à la symptomatologie, à l’étiologie, à la pathogénie, à la thérapeutique. Un guérisseur ne peut l’être qu’en fait, car il n’est pas jugé sur ses connaissances mais sur ses réussites. Le médecin est habilité publiquement à prétendre guérir, alors que la guérison, éprouvée et avouée par le malade, même quand elle est clandestine, qui atteste le don de guérisseur dans un homme à qui, bien souvent, son pouvoir infus a été révélé par l’expérience des autres (Canguilhem, 1978, p. 14).

Cette remarque de Canguilhem rejoint ce qu’avait souligné Molière (1732, p. 96) au 18ème siècle au

sujet des biomédecins dans Le médecin Malgré lui:

«Je trouve que c’est le métier le meilleur de tous; car, soit qu’on fasse bien, soit qu’on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. […] La méchante besogne ne tombe jamais sur notre dos, et nous taillons, comme il nous plaît, sur l’étoffe où nous travaillons. Les bévues ne sont points pour nous ; et c’est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin, le bon de cette profession, c’est qu’il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; jamais on n’en voit se plaindre du Médecin».

Au regard de cette différence fondamentale de perception de la qualité de soins, Canguilhem conclut : «pour le médecin et pour le guérisseur le rapport à la guérison est inverse».On retrouve d’ailleurs ce même rapport d’inversion dans l’écart entre, d’un côté, les définitions de la qualité de soin, dans la perspective des usagers de soins et celle des biomédecins ; et de l’autre côté, dans la perspective de ces derniers et celle des guérisseurs. Dans tous les cas, la guérison apparaît comme ce que demande justement la mère lorsqu’elle entre en relation de soins avec le soignant, quel qu’il soit. Mais le fait que l’usager de soins considère sa guérison comme une fin en soi (Rosny, 1992) vient introduire une discordance entre leurs attentes et l’offre biomédicale de la majorité des biomédecins. Cette discordance tient du fait que celui qui consulte est à la fois «patient» et «malade». La distinction entre malade et patient pourrait être aussi à l’origine de la différenciation thérapeutique à laquelle s’adonne une minorité de soignants biomédicaux. Alors que la technique et les connaissances médicales sont appliquées au patient, le malade se situe dans une temporalité durable qui va bien au delà même de la fin de la maladie, vécue sur le plan physiologique, car la maladie ne se réduit pas seulement au bruissement des organes affectés, pour utiliser de manière inversée la formule de Leriche (1936) reprise par Canguilhem (1966, p. 52), selon laquelle la santé est le silence des organes. «C’est que la guérison, qui est une valeur biologique pour le médecin, surgit toujours comme une valeur existentielle pour le malade» (Le Blanc, 2006, p. 113). Les motifs de recours ou de non recours aux services de guérisseurs, tant par certains biomédecins que les mères d’enfants, logent dans l’écart entre ordre biologique et ordre psychique de la guérison, car comme l’avait déjà révélé Le Blanc (2006, p.113), un malade «peut s’estimer ne jamais être totalement guéri alors même que l’instance biomédicale a déclaré la guérison».

L’indivisibilité de l’ordre psychique et de l’ordre biologique a été soulignée par Le Blanc (2006) à travers le concept de «Vie psychique de la maladie». C’est lui qui a introduit et popularisé le concept, à la suite des analyses de Canguilhem (1978). Pour Le Blanc (2006, p. 111), la maladie :

«S’inscrit dans une vie psychique plus large qu’elle modifie et réorganise. Parler d’une vie psychique de la maladie, c’est d’emblée refuser l’autonomie de la représentation mentale par rapport à la maladie pour avancer l’hypothèse selon laquelle la maladie est un fait total, à la fois corporel et psychique, qui interdit de dessiner un schéma dualiste, souvent implicitement convoqué, reposant sur un partage entre un corps abîmé et une pensée intacte».

On retrouve le refus du même dualisme que présente ici Le Blanc dans Les yeux de ma chèvre, une œuvre d’anthropologie issue d’une recherche menée par de Rosny au Cameroun auprès des guérisseurs et des usagers de soins. Il y fait ressortir la conception de l’homme enracinée dans les pratiques des guérisseurs. Pour le guérisseur, «l’homme a un double» (1981, p.98) : «Chez Din et Loe» [deux guérisseurs], écrit l’auteur, «je n’ai jamais vu faire la distinction entre les maladies de l’esprit et celles du corps. Ils sont encouragés», poursuit-il, «par le penchant des malades à accuser physiquement l’anxiété ou le désarroi. Ces réactions somatiques, sans doute, reflètent l’arrière fond philosophique de l’africain. Pour lui, l’homme est un. La distinction dans l’homme ne se fait pas sensiblement entre l’âme et le corps, le physique et le psychique, mais selon sa visibilité et son invisibilité». Il n’est pas morcelable et fragmentable, comme c’est le cas en biomédecine, où en cas de maladie le regard de la biomédecine est porté, pour reprendre un vocabulaire de Lagrée (2002, p. 130), sur l’organe défectueux. Comme si la réparation de cet organe faisait disparaître aussitôt la maladie. Pourtant, le guérisseur se prend autrement en cas de maladie, car lorsque la maladie survient, c’est le corps dans sa totalité qui est affecté. C’est pourquoi, la cure nécessite, outre le traitement par les herbes et les écorces, mais aussi et surtout de restituer le malade à la place qu’il occupait avant la maladie : dans l’ordre cosmique-et-humain (de Rosny, 1992, p.31). Dans la perspective des autorités nationales et des organismes internationaux de la santé, la qualité de soins se définit par la capacité à offrir à la mère et à l’enfant de meilleurs soins efficaces à moindres risques et dispensés avec compétence technique. Étant donné que la qualité de soins est un élément fondamental dans la construction des rencontres formelles et/ou informelles, il n’est pas exclu qu’elle peut alors constituer une grosse barrière à celles-ci. La qualité de soins traverse les discours des interlocuteurs, mais les perceptions qui lui sont associées ne sont pas identiques, même à l’intérieur d’un même secteur médical comme la biomédecine. Elle est tour à tour invoquée et convoquée par les soignants pour justifier les pratiques de recours à d’autres soignants relevant ou non du même secteur de médecine. De cette manière, elle apparaît alors comme un puissant prédicteur des choix et orientations thérapeutiques. Des études en socio-

matière d’utilisation - sous-utilisation ou sur-fréquentation – des ressources thérapeutiques disponibles dans le marché de la santé. À cet effet, et au regard des données présentées ci- dessus, la qualité de soins apparaît comme le moteur des rencontres formelles et informelles.

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