• Aucun résultat trouvé

4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

5.2 Que retenir des rencontres formelles et informelles 179

D’après ce qui précède, on se rend compte que si les biomédecins résistants échangent informellement avec les guérisseurs, c’est parce que la dispute sur la définition de la qualité de soins focalise leur attention non pas sur tel ou tel système médical, mais plutôt sur la qualité de soins manifestée et traduite par les réussites thérapeutiques. Ces dernières fondent, en effet, la motricité et le véhicule des rencontres informelles, car elles poussent certains biomédecins à recourir aux services des guérisseurs dont les prestations de soins permettent de rapporter la victoire sur la maladie. Pour les biomédecins résistants, peu importe d’où vient une telle victoire : ce peut être d’un autre biomédecin, dans ce cas, il lui enverrait les patients ; ce peut être un prêtre exorciste, il n’hésiterait pas à recourir à ses services et prières charismatiques. Inversement, les insuccès, ou l’incapacité de produire la guérison attendue, ne sont pas de nature à encourager aussi les échanges, et donc les rencontres, entre ce type de biomédecins et d’autres biomédecins, comme l’illustrent bien leurs réticences vis-à-vis de certains de leurs confrères dont les prestations suscitent quelques doutes :

Biomed#1 : Il y a certains médecins à qui je n’aimerais pas référer une mère d’enfants, si je n’ai pas confiance en lui (rire aux éclats), mais oui. Ah oui, ça c’est clair. Quand on dit confiance, c’est une grande maison qui a beaucoup de chambres. Je peux ne pas avoir confiance en lui parce que je le juge pas très compétent ou capable, ou pas suffisamment compétent pour ce dont j’ai besoin ; ça peut être parce que c’est un monsieur qui n’est pas disponible, il est même compétent mais il n’est pas disponible ; ça peut être parce qu’il a des pratiques que je n’apprécie pas. Si j’ai un enfant qui a l’appendicite, il y a plein de chirurgiens là à côté à l’hôpital central ; il y en a plein là au CHU, à l’hôpital général ; il y en a à l’hôpital gynéco-obstétrique et l’hôpital de la caisse. Mais j’ai quelques trois à qui je m’adresse préférentiellement,

c'est-à-dire je vais commencer par tel : plan A. C’est quand ce tel là n’est pas disponible que je vais au 2ème

plan B ? Si B n’est pas disponible, plan C [Médecin, 10 années d’expérience professionnelle].

Dans cet extrait, apparaissent les concepts de capacité et de compétences, deux concepts fondamentaux au cœur de la sociologie des épreuves d’inspiration pragmatique et de l’anthropologie capacitaire. C’est que la capacité est une action tendue vers le lien. C’est pour cela qu’elle est à l’origine des rencontres informelles. Fonder la qualité de soins sur les capacités et compétences des soignants permet d’envisager une hétérogénéité de formes de rencontres, ce qui permet aussi de dépasser les empêchements normatifs qui entravent la mise en pratique d’une réelle politique de pluralisation thérapeutique. Une telle situation crée une discordance, mais qui peut se révéler créatrice, en ceci qu’elle peut rendre possible les rencontres entre soignants ne partageant pas les mêmes significations dans un contexte de soins donné. Or la divergence des interprétations, dans un tel contexte, ouvre inéluctablement, en chaque soignant et en lui-même, la confrontation des expériences des pratiques de soins sur les manières plurielles de penser les soins, la maladie et les thérapies. Ainsi, pourrait-on parler d’un retour autoréflexif (Clot, 2005, p. 50) qui plonge le soignant qui s’y adonne dans une sorte d’auto-observation, dont la conséquence peur se remarquer à deux niveaux. Soit il se ferme, comme l’a remarqué Danou (1994, p. 9) à toute réflexion par protection, «et reste alors le médecin technicien pur ; soit il se met directement en cause comme sujet». Les quatre biomédecins résistants qui facilitent et favorisent les rencontres informelles avec les guérisseurs s’inscrivent dans la seconde hypothèse ; celle-ci les a sortis de la posture du soignant prisonnier de la technologie biomédicale. Dans la mesure où la maladie de l’autre décrit aussi en quelque sorte la sienne déjà présente ou à venir : il devient alors de par une telle posture le médecin-sujet, en ceci qu’il considère la souffrance de «l’autre au miroir de la sienne» (Danou, 1994, p. 10). C’est ainsi que de nouveaux actes thérapeutiques insoupçonnés peuvent être imaginés dans et grâce à la dispute. Mais l’important est que la dispute fonctionne ici comme le furet dialogique, dont la fonction est de tourner le contenu des significations des actes thérapeutiques de l’autre soignant vers les siennes et contre les siennes. Un tel détour ouvre une zone propice au développement des pratiques de soins, tant dans les médecines africaines que dans la biomédecine, un aspect en faveur de l’inventivité des pratiques. En effet, les mères, guérisseurs et biomédecins font naître à travers les contacts qu’ils initient ou subissent, différentes manières de penser, de concevoir et de se représenter la rencontre. Chacun

positions de pouvoirs dans la hiérarchie sociale et des itinéraires de soins tantôt imposés et tantôt délibérément consentis, avec ou sans l’aide d’un tiers. La rencontre émerge et se révèle à travers des rapprochements tantôt conflictuels et tantôt affinitaires, où prennent généralement place des formes de solidarités apaisées ou conflictuelles. Elle s’exprime à travers une diversité d’événements, de phénomènes et de situations qui conduisent à des formes de rencontres diversifiées dont les configurations sont toujours susceptibles de changement. Nous avons présenté ici les différentes manières par lesquelles les rencontres informelles se construisent dans le long cours des interactions et des interrelations engendrées par les diverses sollicitations thérapeutiques.

Les rencontres sont structurées à travers deux types d’actions sous-tendues elles-mêmes par deux types de régulation. Les premières, les actions formelles, sont produites par des régulations de contrôle et s’observent aussi bien chez les guérisseurs que chez les biomédecins ; elles donnent lieu à des formes de rencontres normatives et prescrites. Elles peuvent déboucher sur des situations de «contacts directs», selon un vocabulaire de Laugrand (2002, p. 16). Ces contacts ont généralement lieu lorsque le soignant accompagne lui-même le malade à la rencontre d’un autre soignant. Les rencontres qui se réalisent dans les zones de contacts directs sont courantes et émergent des formes de sociabilités professionnelles, où les relations thérapeutiques mettent en lien les soignants d’un même secteur de soins : guérisseurs-guérisseurs et biomédecins- biomédecins. Les secondes, les actions individuelles et autonomes, sont moins récurrentes et ont lieu dans les zones de «contacts indirects» (Laugrand, 2002, p. 16). Elles résultent des régulations autonomes et se présentent sous trois formes. D’un côté, elles sont l’œuvre des soignants en quête de la reconnaissance : les guérisseurs. C’est le cas des rencontres qui impliquent les guérisseurs et biomédecins. D’un autre, elles sont l’œuvre des patients en quête de soins : le cas des mères dont les enfants sont porteurs d’une maladie grave et/ou chronique. Elles produisent, par le biais des recours au soin alternés et successifs, des formes de rencontres informelles entre guérisseurs-biomédecins. Enfin, les actions autonomes de certains biomédecins – non conformistes – qui, par le biais des orientations thérapeutiques, créent des formes de relations professionnelles entre eux et les guérisseurs. Il est à noter aussi que les rencontres (in)formelles se réalisent dans des espaces de rencontres qui feront l’objet d’analyse dans les lignes suivantes.

Documents relatifs