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Réception de l’autoconfrontation : technologie de l’implication des enquêtés à la production du

3.6 Retour sur la méthodologie : difficultés et faiblesses

3.6.2 Réception de l’autoconfrontation : technologie de l’implication des enquêtés à la production du

Rappelons que l’autoconfrontation, en tant que dispositif d’auto-analyse, ne visait pas à obtenir les réponses à nos questions de recherche, mais plutôt d’amener les enquêtés à s’auto-approprier leur propre discours, afin de pouvoir proposer les segments de celui-ci qui leur semblent représentatifs des revendications qu’ils aimeraient porter à l’espace public des points de vue. Il s’est agi d’un moment essentiel de la relation d’enquête dont l’importance a été mesurée par les réactions des enquêtés au dispositif d’auto-analyse. Les différentes manières dont ce dispositif, l’autoconfrontation, a été reçu, voire apprécié par les enquêtés en rendent compte. En effet, la réception ne s’est pas faite de manière identique chez tous les enquêtés. Certains enquêtés, en l'occurrence les biomédecins habitués aux situations d'enquête de terrain, nous ont fait part

explicitement du fait qu'il est inhabituel qu'on leur implique au choix des segments de données à analyser. D'autres, notamment les guérisseurs, déplorent le fait que rarement les chercheurs leur accordent autant d'intérêts et expliquent qu'ils ont découvert qu'avec ce procédé, il leur est possible de faire entendre au public la cause qu'ils défendent et revendiquent. L’appréciation du dispositif par les enquêtés rend compte également des gains – subjectifs – tirés de la relation d'enquête.

Un des moments forts de la réception de l’autoconfrontation a été l’émergence chez les enquêtés d’un sentiment d’(auto)-contrôle de l’information et de la relation d’enquête. Dans l’ensemble, les enquêtés voyaient en l’autoconfrontation un moyen de revendication de ce que Goffman (1974, p. 94) a appelé «un moi acceptable», ce qui correspond chez Fabian (2006) et chez de Martino (1999) à la reconnaissance subjective. Ils voyaient aussi dans le fait de pouvoir choisir eux-mêmes les données à analyser un moyen de sortir «grandis» de la situation d’enquête. Chacun se comportait comme s’il était «l’interprète d’une cause, la sienne propre ou celle de son groupe d’appartenance» (Mauger, 1991, p.135). Le dispositif a été plutôt bien accepté et apprécié par les enquêtés, en particulier les guérisseurs, dans la mesure où il cherchait à ce que chaque participant à l’étude puisse y trouver une place honorable, quel que soit son bagage intellectuel et son statut. Le dispositif a permis aussi aux enquêtés une auto-appropriation directe des résultats de la recherche ; et à l’enquêteur d’opérer un double décentrement : d’abord par rapport à sa position et à sa propre subjectivité ; et ensuite, par rapport à la manière dont il envisageait interpréter les données.

La réception positive de l'autoconfrontation par les enquêtés a permis de réinterroger les méthodes d'analyse majoritaires appliquées par les chercheurs pour comprendre les rapports entre l'enquêteur et son objet de recherche, son champ d'observation, ainsi que le monde de la vie quotidienne des enquêtés qui se trouve être aussi celui de l'enquêteur. Cela est d’autant vrai que ce dernier est lui aussi un acteur social, et ne vit pas en dehors de la société dans laquelle il mène l’étude avec et auprès des enquêtés. Si tel est le cas, la frontière qui sépare le registre de sa vie quotidienne au sein des siens dans la société et le registre de sa vie professionnelle dans l’institution universitaire ou académique - guidé par les théoriques anthropologiques - est très mince et perméable. Ces deux registres de la vie de l’enquêteur sont indissociables. D’ailleurs, les

enquêtés ne cessaient de nous les renvoyer en nous attribuant tantôt une identité d’universitaire et tantôt une identité de fils de terroir [citoyen camerounais]. Il s'en suit que l'enquêteur est écartelé entre deux identités: l'une institutionnelle incarnée par l'université ou l'académie; et l'autre, non institutionnelle, qui taraude les plis et les replis de la première. On pourrait parler d’une identité «liquide».

Comparativement au registre institutionnel, nous avons eu le sentiment que le registre du quotidien, qui appelle à la subjectivité ou à l’imagination de l’enquêteur, ne constitue pas un obstacle à son travail. Il en est, au contraire, un atout considérable. Comme le remarque Christias (2002, p. 80) : «loin donc de considérer l'imagination comme un obstacle à la connaissance et à l'édification du monde social, Simmel lui donne une primauté à la fois ontologique et méthodologique». En effet, la prise de conscience de notre propre subjectivité nous a permis de découvrir la pluralité des modes d’être et d’existence de l’enquêteur sur le terrain ; et d’opérer des va-et-vient entre le monde institutionnel de la recherche et le champ des observations en contexte de la relation d’enquête. C’est ainsi que nous avons pu établir le pont entre les méthodes d’analyse relevant des méthdologies totalisantes et celles qui relèvent du bricolage méthodologique, afin de minimiser les biais méthodologiques relatifs à ces deux modes d’analyse ; de nous décentrer ; et d’observer une certaine neutralité. Notre position d’enquêteur et de citoyen camerounais nous a permis plutôt de générer des profits de connaissance – gains subjectifs, à partir du moment où les effets d’une telle position étaient contrôlés. À cet effet, le dispositif de l’autoconfrontation se comprend alors comme une technologie d’implication des enquêtés dans la relation d’enquête, en ce sens qu’il favorise l’inclusion des enquêtés dans le processus d’analyse de l’objet de la recherche tout en faisant d’eux des partenaires à part entière de la relation d’enquête. La participation à l’analyse est, dans cette perspective, le signe de la prise de pouvoir de chacun enquêté sur sa propre pratique pour l’auto-contrôler, l’auto-organiser et l’autoreprésenter. Dans la mesure où l’on ne s’implique efficacement, écrit Bernard (1990, 66), que dans ce qu’on l’a contribué à créer». Plutôt que d'imaginer les attentes des enquêtés à partir des postulats théoriques que nous avons posés au départ de la recherche, l’option pour l’autoconfrontation a permis d’ouvrir en contexte moins légitimé des perspectives pour penser différemment la relation d’enquête, et articuler, avec nuances, les résultats d'analyse des enquêtés et ceux de l’enquêteur.

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