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3.5 Analyse des données : varier les échelles d’analyse

3.5.3 Méthode du choix des corpus à analyser

3.5.3.1 Méthodes d’analyse des données

Nous avons utilisé trois méthodes d’analyse des données : l’auto-confrontation, l’analyse de contenu et l’analyse comparative. La méthode d’analyse en auto-confrontation est celle à laquelle

nous avons fait recours pour le choix des corpus à analyser. Elle a l’avantage de permettre, lors de la réception des corpus choisis par les enquêtés, la création d’un cadre de justification des segments de texte proposés par ces derniers. C’est un moment propice à la relation configurationnelle (Jullien, 2009), à savoir celui à partir duquel l’enquêté et l’enquêteur rendent, selon Raymond (2010, p. 235), «intelligible l’objet d’enquête lui-même ; cet objet est en effet celui qui in fine se précise dans la durée de cette relation, bien loin des présupposés normatifs- scientistes, des prêts-à-penser et surtout des points aveugles initiaux». C’est le moment où l’enquête devient, comme l’ont souligné Damamme et Paperman (2010, p.211), «un travail d’élaboration conjointe de ce que savent» les enquêtés. Précisément, c’est le moment d’accès au sens qu’associent les usagers de soins aux choix thérapeutiques ; et les soignants aux orientations thérapeutiques. C’est le moment qui rend possible la confrontation entre les corpus choisis par les enquêtés et ceux de l’enquêteur ; qui permet de faire participer, indirectement, les premiers pleinement à la définition, par exemple, de la rencontre et de la reconnaissance à partir de leur point de vue. Bref, il permet au chercheur de construire les réalités de terrain à partir de différents points de vue des acteurs considérés. L’option pour cette approche d’analyse se justifie par le fait que la faible portée du discours de l’enquêté est quelquefois définie par la difficulté et l’incapacité à s'inscrire, selon Zoïa (2010, p. 128), dans la production d’une interprétation et de l'autonomie. En ce qui concerne la méthode d’analyse comparative au plus proche, elle a permis de suivre, selon Valensi (2002, p. 30), les variations aux frontières des processus, par exemple au niveau du passage de l’affaiblissement au renforcement des acteurs ; de comparer les stratégies et tactiques en lien avec ces processus. Cette approche est qualifiée par les approches de la décolonisation méthodologique de «working hyphen» (Fine, 1994). Vaughan (2008, p. 215) l’a utilisé pour marquer l’importance du travail aux frontières identitaires chez les jeunes chercheurs en situation de transition professionnelle.

Quant à l’analyse de contenu, elle a consisté, comme l’enseigne Mucchielli (1979, p. 10), à relever le sens des «données produites par les enquêtés». Les données analysées proviennent des observations et des entretiens individuels. Elles ont été classifiées et codifiées en catégories et unités d’analyse identifiées à partir des corpus proposés par les enquêtés et nous-mêmes. Elles ont été regroupées en centres d’intérêts, suivant la conjonction des analyses des enquêtés et des nôtres. Un premier centre d’intérêt est le couple «choix et orientation thérapeutiques» qui conduit à

la rencontre. Il s’est agi de découvrir les conditions de la rencontre et, le sens que chaque enquêté lui donne. Ainsi, le choix d’un soignant, du côté des usagers de soins comme le recours à un autre soignant par un autre [soignant], du côté des soignants, a été codifié comme un indicateur de reconnaissance de compétences du thérapeute choisi. Par contre, résister à rencontrer un soignant a été codé comme un indicateur de mise en doute des compétences du soignant, et donc comme un déni de reconnaissance. Mais la résistance à recourir à un soignant peut être justifiée aussi par autre chose, comme la distance, le manque de moyen ; les attentes et préférences aussi bien des usagers que des soignants à l’égard d’un soignant quelconque. Aussi, pensons-nous que chaque acte d’orientation d’un patient par un soignant vers un autre, quel qu’il soit, exprime non seulement des relations professionnelles entre les deux. Mais aussi cela pourrait traduire une forme concrète de considération, que cette dernière s’opère au niveau du discours ou des pratiques, ou encore par un médiateur quelconque : le carnet d’hôpital ou la mère. Un autre aspect est le savoir mobilisé. La relation de soins est le lieu privilégié où soignants, mais aussi soignés, apprennent à apprendre : d’abord, le soignant du soigné de certains aspects de la maladie qui ne rentrent pas dans ses catégories d’analyse habituelles ; et, ensuite, le soigné du soignant de certaines pratiques de soins différentes de ce qu’il a connu jusque-là au cours de la trajectoire de soins. Mais il semble aussi que les soignants en particulier apprennent à connaître et à reconnaître certaines pratiques de leurs homologues par l’intermédiaire des patients, dont ils ont en commun la charge de guérir, mais séparément. À cet effet, on s’est demandé si apprenant à apprendre l’un de l’autre, à connaître ce que l’un et l’autre font et avec quels moyens, n’apprennent-ils pas en même temps à identifier les schèmes et facteurs relationnels et non relationnels qui pourraient les réunir, les séparer ou encore les amener à se reconnaître mutuellement dans et par le respect des ordres de (re)connaissances et de justification des uns et des autres ?

Nous avons focalisé l’attention sur le passage de la disqualification à la requalification professionnelle, en privilégiant les processus que les guérisseurs développent. Ces processus sont analysés à travers le complexe affaiblissement et renforcement de la légitimité et de la reconnaissance. Mais ce qui nous intéresse, c’est le processus de passage de la faiblesse au renforcement. Par exemple, avons-nous mis en évidence les ruses du faible (de Certeau, 1980), une tactique qui leur permet de séduire les acteurs forts, et de contourner leur résistance. Cela a été mesuré à travers le concept d’«adaptation secondaire» (Goffman, 1968). Aussi, la notion de résistance est évaluée à partir de plusieurs perspectives. Il s’agissait de faire ressortir les raisons

de la résistance de la part des usagers de soins : attentes non satisfaites par exemple ; de la part des guérisseurs : résistances politiques, par exemple. Une autre chose à laquelle nous nous sommes intéressé dans l’analyse est la posture des biomédecins résistants. On s’est demandé à quoi renvoie la résistance lorsqu’elle vient des biomédecins, surtout lorsque ces derniers se positionnent en complices des guérisseurs dans un contexte où l’asymétrie de position de pouvoirs est en leur faveur ? Nous avons codé leur positionnement comme un appui institutionnel aux guérisseurs, dont les pratiques s’inscrivent dans l’axe de la compétence thérapeutique.

Par ailleurs, analyser le processus de passage de l’affaiblissement au renforcement, tout comme découvrir les logiques derrière les rationalités qui conduisent à offrir un soutien aux guérisseurs affaiblis, suppose de recourir à une approche analytique permettant de lire les actions en termes de pouvoir. Ainsi, avons-nous fait recours à l’analyse critique du discours, une méthode d’analyse de données textuelles et orales développée par Fairclouth (1997). Elle vise à analyser les discours dans le but de comprendre et d'expliquer comment les relations de pouvoir naissent, se reproduisent et se perpétuent dans certains contextes sociopolitiques, économiques, historiques et spécifiques. C’est une approche méthodologique qui se distingue par son attachement à une forte tradition du constructivisme social, et dans la manière dont elle entend explorer les relations entre les discours et les différents contextes sociaux dans lesquels ils sont produits (Phillips & Hardy, 2002). Elle nous intéresse, en ceci qu’elle permet d’étudier les processus sociaux de construction des rapports d’affaiblissement-renforcement et les effets qu’engendrent ceux-ci sur les relations thérapeutiques et professionnelles, la configuration de l’espace de soins, et le profil du thérapeute.

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