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4. ETHNOGRAPHIE DES RECOURS AUX SOINS EN MAISONS DE SOINS ET AU CENTRE MERE ET ENFANT 116

4.3 Les stratégies de résolution des problèmes santé 131

4.3.1.2 Prêtres/pasteurs et prophètes : des professionnels ? 135

Les prêtres/pasteurs exorcistes et prophètes guérisseurs sont deux types de personnages qui interviennent dans le champ de la santé. L’ethnographie des recours aux soins montre qu’ils sont constamment évoqués dans le discours des informateurs qui ont participé à notre étude. En ce qui concerne les prêtres/pasteurs exorcistes, ils sont nés au sein des églises chrétiennes – catholique et protestante ; et ont fait de la recherche de la guérison un aspect important de l’évangélisation qui donne lieu parfois à la prescription de multiples rituels de guérison inspirés du christianisme. Il en existe quantité de personnages de ce type dans les grandes villes camerounaises. L’une des figures emblématiques serait le Père Hebga, un prêtre Jésuite qui a présenté, d’un côté, dans Sorcellerie et prière de délivrance, une réflexion sur sa propre expérience d’exorciste (Hebga, 1982), et de l’autre, dans Croyance et guérison, le rôle des prêtres exorcistes dans le processus thérapeutique au Cameroun (Hebga, 1973). Quant aux prophètes guérisseurs, ils sont nés de la symbiose qui s’est opérée entre l’église catholique de laquelle ils se sont séparés et des religions ancestrales africaines desquelles ils dérivent. Leur activité est confinée à la frontière du rôle du devin, personnage central des religions africaines et celui du prêtre ou pasteur. C’est pourquoi certains anthropologues de la religion ont tenté de les ranger entre les deux types de religion que nous venons d’évoquer : les religions chrétiennes et les religions coutumières ancestrales africaines (Middleton & Turner, 1965). Ils sont des leaders des églises prophétiques et traitent des infortunes et malheurs de tout genre. Il en existe un peu partout en Afrique, si on se réfère à la littérature anthropologique disponible sur le sujet. En Côte d’Ivoire, les travaux de Bureau (1976) ont porté sur le prophète Harriste ; ceux de Tonda (2001b) sur le messianisme prophétique au Congo. Au Cameroun, de Rosny (1992, pp.177-186) a décrit précisément leur profil dans L’Afrique des guérisons. Il en existe dans ce pays trois : Marie-Lumière et Mallah qui sont à Douala et Père Sofo à Yaoundé. Ils rassemblent leur fonction sous le nom de «Bureau Lumière». Ces trois

personnages remplissent, selon l’auteur, la fonction traditionnelle des khamsi […], personnages qui détiennent au Cameroun un rôle social et religieux et sans doute le pouvoir le plus prestigieux. Qu’il s’agisse du prophète ou du prêtre exorciste, tous font le travail de la «guérison divine» (Tonda, 2001a, 2002). Bien qu’ils se soient positionnés dans le champ de la santé à partir du langage religieux et apportent un soulagement aux maux des patients désespérés, cela ne fait pas d’eux pour autant des professionnels au même titre que le guérisseur ou le biomédecin. Dans la mesure où il leur manque «l’essentiel apprentissage de l’organisme humain, auquel s’appliquent pendant des années aussi bien les étudiants de la Faculté» (de Rosny, 1992, p. 40) de médecine «que les futurs guérisseurs». Les patients se rendent chez les prophètes avant, pendant et/ou après les consultations à l’hôpital ou dans les Maisons, parce qu’ils y trouvent, selon de Rosny (1996, p. 104), «un complément mystique indispensable à leurs yeux qu’est la prière de guérison». Une autre raison qui fait des prophètes et prêtres des traitants non professionnels est que leur liturgie de guérison s’adresse parfois à plus de 400 personnes rassemblées au cours d’une séance de prière de guérison, et rares sont celles qui sont prises en charge individuellement. La prière s’adresse à un collectif de gens, comme s’il s’agissait des malades anonymes. Au camp chez Père Sofo par exemple, affirme une mère consultante rencontrée à la Fondation [Mère-Fondation#9]:

On n’a pas besoin de parler avec le Père. Il dit des choses, prie pour tout le monde. On y trouve des aveugles, des malades qui ont du cancer, etc. Moi quand j’y vais, je prends place derrière dans un endroit qui me permet de me recueillir, afin de prier pour que mes ancêtres et dieux fassent à ce que le remède que me donnent le guérisseur et le médecin aient une force de guérison pour délivrer mon enfant de sa maladie. Et puis quand mon heure arrive, je me lève tout doucement et retourne à la maison avec mon enfant. On ne demande rien à personne ; je me demande même s’il sait que je suis passée par là avec mon enfant. [Mère

d’un enfant malade méningite, 42 ans, commerçante]

Cet extrait peut être compris à deux niveaux. D’abord, il montre que les usagers de soins savent que la prière à elle seule ne suffit pas pour recouvrir la guérison ; ensuite, ils ne font pas du prophète un traitant professionnel pour autant que ses services ne sont pas payés. Par exemple, «Mallah et Marie-Lumière n’acceptent pas d’argent» (de Rosny, 1992, p. 185), ce qui place leur activité hors du champ d’exploitation professionnel où l’exigence de rétribution des prestations des services de santé reçus est de mise, comme on en voit couramment chez les guérisseurs. Ce sont ces deux aspects de l’activité des soins religieux qui nous ont amenés à faire une distinction radicale entre ce qui relève des services de soins professionnels et ce qui se situe hors de ceux-ci

: les traitements dispensés par les professionnels de la santé proprement dit. On sait que le milieu où se dit la prière de guérison offre un accueil chaleureux et communautaire qui est l’un des facteurs de santé que l’hôpital ne prend pas forcément en compte. Mais «même si elle a un effet sur la santé», relève de Rosny (1996, p. 104) sur ce point, «la prière n’en est pas pour autant une médecine !» Les données ethnographiques de notre étude l’ont montré suffisamment. Bien que les prêtres et prophètes ne se considèrent pas eux-mêmes comme des professionnels de la santé, ils forment un système de recours alternatifs s’inscrivant dans l’arsenal des choix thérapeutiques.

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