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La combinaison de ces éléments atteste que les migrations continues entretiennent les déboisements, mais également que la stabilité sur un lot n’est pas synonyme de pratiques écologiques.

Selon Campari (2005), la stabilité sur un lot dépend des revenus que celui-ci génère, mais la bonne santé économique est souvent à rapprocher d’une intensification des déboisements. En effet, les bénéfices générés par la vente de la production agricole sont souvent investis dans l'extension des zones déboisées. Et vice-versa : le ralentissement des défriches peut attester d’une faible productivité, et augurer d’un prochain abandon – et de l’arrivée d’un nouvel occupant, etc.

En d’autres termes, les migrations ou la stabilisation sont déterminées par la réussite économique, qui elle-même se construit sur les déboisements et les alimente.

Nous présentions au début de ce chapitre la migration comme un indicateur du développement durable. Il serait en réalité plus juste de présenter la stabilisation comme déterminant du développement durable. En effet, la migration – ou l’absence de migration – doit être considérée comme une condition de base du développement durable plutôt que comme un moyen de la mesurer. Dans le cadre d'une réflexion sur le développement durable, la stabilisation est envisagée comme un adjuvant, en vertu d’un double mécanisme : elle opère au niveau environnemental, en cherchant à atténuer l’ampleur des déboisements à l’échelle régionale. Néanmoins, il est évident que la stabilisation de la petite agriculture ne constitue pas la solution unique de la réduction des taux de déboisement en Amazonie, qui ont d’autres causes (voir à ce propos Fearnside, 1990 ; Margulis, 2003 ; Le Tourneau, 2004).

D’autre part, la stabilité des colons sur une durée suffisamment longue est primordiale pour assurer que s'enclenche une dynamique entre les trois dimensions du développement durable. De fait, les projets de développement sont élaborés sur le présupposé d’une population en voie de stabilisation. La majorité des projets de développement durable repose en effet sur l’adhésion des familles concernées, sur leur établissement dans l’aire du projet, mais peut-être plus encore sur leur engagement à moyen et long terme. En ce sens, les perspectives d’évolution futures sont déterminées par la capacité des familles à demeurer sur leur lieu de résidence pour y appliquer les dispositions du projet dans lequel elles s’insèrent. En d’autres termes, la stabilisation des familles est le premier pas pour tenter de mettre en place un modèle de développement plus durable.

L’ENVIRONNEMENT ET LA TERRE

La pauvreté rurale et la recherche d’un meilleur revenu sont reconnues comme les principaux déterminants de la migration (Martine, 1978 ; De Reynal et al., 1997). Le succès d’une politique visant à « résoudre le problème migratoire » repose donc sur sa capacité à augmenter significativement les opportunités économiques. En ce sens, la fixation des travailleurs ruraux dans des dispositfs de colonisation n’a de chances d’atténuer les flux migratoires que si elle repose sur des mécanismes d’amélioration des revenus et d’intégration au marché (Sawyer, 1984 ; Léna, 1992a). C’est sur ce point que bon nombre de projets de lotissement agraire ont achoppé, et se sont avérés insuffisants ou inadaptés pour garantir la sédentarisation des agriculteurs : les expériences menées le long des trois grands axes amazoniens n’ont pu constituer que des solutions à court terme (celui de la génération), entretenant un cycle permanent de migrations.

D’autre part, le développement durable repose sur le principe que la mobilité et les activités humaines doivent s’encadrer dans les limites environnementales : si la stabilité repose sur le succès économique, celui-ci doit faire l’objet d’un encadrement pour pouvoir se construire sur des bases écologiques. C’est avec l’objectif de renforcer

Chapitre II – Migrations et peuplement – Enquêtes biographiques à Ciriaco

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l’association stabilisation/activités agricoles/durabilité qu’ont émergé différentes solutions alternatives : réserves extractivistes (résex), réserves de développement durable (RDS), « lotissements agraires durables » (PAS-Projeto de Assentamento Sustentável), Projets Agroextraticvistes (PAE), etc.

Ces dispositifs sont régis par des parti-pris, des logiques et des instances spécifiques : certains répondent à des politiques environnementales, d’autres à des politiques agraires. Mais tous sont ancrés au principe qu’il est possible de coloniser de manière durable l’Amazonie grâce à l’agriculture familiale et l’extractivisme. Ou en d’autres termes que les petits agriculteurs, au même titre que les populations agroextractivistes, sont des acteurs légitimes du développement durable en Amazonie. Pour cela, ces différents mécanismes d’occupation partagent la caractéristique d’associer une modalité foncière à des restrictions d’ordre écologique.

En effet, deux éléments s’ajoutent au modèle des PA sur lesquels reposait le modèle de colonisation des années soixante-dix : l’imposition de pratiques durables est entendue comme une façon de revoir les bases sur lesquelles survit la population rurale, tandis que la propriété collective de la terre, en immobilisant le patrimoine foncier, abolit la revente des lots agricoles, et idéalement le turnover.

Dans le cas des lotissements agraires durables, l’association proposée est très proche des modèles développés pour les aires protégées d’usage durable (résex, RDS). Faut-il craindre que les politiques à l’origine de ces PAS développent une vision utopiste de l’agriculture familiale, forcant le rapprochement avec les populations traditionnelles ? (Arnauld de Sartre, 2009) Cette population est-elle prête à conditionner ses pratiques agricoles à une conscience écologique ?

LE RURAL ET LURBAIN

En parallèle de ces dispositifs qui reposent sur l’ancrage d’un groupe à un territoire, de plus en plus d’études font le constat que les stratégies de la population rurale reposent de façon croissante sur une diversification des activités mais aussi sur l’articulation de plusieurs lieux de vie (Grandchamp-Florentino, 2001 ; Arnauld de Sartre, 2003). Aujourd’hui, les stratégies de reproduction familiale des agriculteurs semblent s’appuyer tant sur l’urbain que sur le rural, aussi bien par le jeu de la migration temporaire que par la constitution de réseaux dispersés entre villes et campagnes. Des agriculteurs établissent résidence en ville tout en continuant à entretenir leurs parcelles agricoles ; parfois les jeunes adultes travaillent en ville et contribuent par leur salaire à soutenir la production agricole de leurs parents ; souvent, les grands-parents prennent en charge leurs petits-enfants, lorsqu’ils habitent en ville pour les études ou, lorsqu’ils résident à la campagne, tandis que les parents partent chercher du travail en ville.

Par le jeu des solidarités entre parents et pays, les phénomènes de multi-résidence s’amplifient (Eloy, 2005), facilitant et intensifiant la circulation des personnes. La fréquentation rurale ou urbaine est inégale, et dépend essentiellement de l’implication dans les activités rurales.

Aujourd’hui, connaître la résidence principale d’un individu ne nous permet plus de savoir où il travaille, où il passe ses fins de semaine et ses vacances, ni même de savoir s’il vit avec sa famille. La notion de résidence n’est plus suffisante pour situer, dans le territoire, un individu dont l’espace de vie est organisé en réseau. L’homme mobile occupe simultanément plusieurs espaces (Hamelin, 2002, §35).

De fait, en raison de la multiplication des lieux de référence pour un même individu, ses formes d’appropriation du territoire, ses représentations de l’environnement et de sa responsabilité à son égard évoluent. Le développement durable, quant à lui, avant de se transformer en une dynamique, se présente la plupart du temps sous la forme d’un projet localisé. Il lui reste à s’adapter au défi de réussir à suivre les hommes dans leur déplacements.

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HAPITRE

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