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de la posse à l’usufruit collectif

Le changement agricole est intrinsèquement lié à la distribution de la propriété. L’évolution de la structure foncière est un révélateur du changement de la société

INTRODUCTION

Tout au long de la période d’occupation de la pré-Amazonie, le Maranhão, et très largement la région d’Imperatriz, où les populations rurales restent relativement denses, ont absorbé une grande partie de l’explosion démographique des années soixante et alimenté les mouvements migratoires vers le reste de l’Amazonie. Ce processus d’attraction/fixation/expulsion est rythmé par l’apparition d’opportunités d’emplois temporaires ou liés à la croissance urbaine, la disponibilité de terres agricoles, les irrégularités foncières, les réseaux familiaux, grâce auxquels les populations rurales migrantes réussissent à se stabiliser pour des périodes plus ou moins longues.

Selon Lena (1992), le mécanisme d’occupation se décompose en trois temps :

1- La première époque est celle du peuplement, caractérisé par une importante densité de

posseiros ;

2- Dans un second temps, l’amélioration des conditions d’accès à la zone (ouvertures de routes, premiers déboisements) attire les spéculateurs et les éleveurs plus capitalisés, aboutissant souvent à un blocage de la situation foncière et à l’expulsion des occupants ;

3- Enfin, le processus d’incorporation des terres au marché foncier aboutit inévitablement à la concentration foncière, « pression modernisatrice » et exode rural.

Dans la région d’Imperatriz, si ces trois étapes se vérifient sans conteste jusqu’au début des années quatre-vingts, notre zone témoin présente en outre une double originalité qui a partiellement modifié ce schéma.

Tout d’abord, au début des années quatre-vingts, une expérience de régularisation foncière y a été conduite par l’Etat, avec l’objectif d’apaiser les conflits fonciers engendrés par les différentes formes d’occupation mais aussi officiellement d’offrir une chance aux petits propriétaires. Les propriétés sans titre reconnu valide ont été réquisitionnées, puis redécoupées en « glebas » avant d’être redistribués sous formes de lots entre les nouveaux propriétaires.

Ensuite, la délimitation d’une aire protégée, en écho aux préoccupations environnementales et à l’urgence des années quatre-vingt-dix, a complètement extrait une petite zone, la réserve extractiviste de Ciriaco, des dynamiques foncières habituelles.

C’est donc la zone de Ciriaco qui nous a servi d’exemple pour mettre à jour les différentes couches de la stratification foncière, des années soixante aux années 2000. On peut parler à la fois d’étapes (mouvement chronologique, axe horizontal) et d’étages (superposition synchronique, axe vertical). En effet, la structure agraire actuelle porte la trace des différents mouvements qui l’ont formée ; chaque mouvement foncier correspond à une époque précise, elle-même caractérisée par une rationalité qui lui est propre.

Nous avons, ici encore à l’aide d’un tableau chrono-thématique (tableau n° 11), cherché à mettre en parallèle, en trois grandes époques, les différents mouvements d’appropriation et d’occupation du sol, ainsi que les opérations foncières et l’impact de ces processus sur la couverture végétale au cours desquel s’est transformé le cadre socio-environnemental à Ciriaco.

L’APPROPRIATION DES TERRES LIBRES ET SES METHODES

Comment s’appropriait-on l’espace aux débuts de l’occupation ? Nous avons vu dans le chapitre précédent, à travers la création des premiers « centros » et les témoignages des pionniers, comment

Chapitre III – Régularisation foncière : de la posse à l’usufruit collectif

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opéraient les posseiros sur des terres « sauvages », qu’ils occupaient de fait mais ne possédaient « qu’en esprit ». Néanmoins, dans un état d’indéfinition foncière caractérisé, sur des terres d’Etat dites « libres » et improprement assimilées à des zones inhabitées, d’autres tentatives d’appropriation de la terre se manifestent : de nouveaux acteurs apparaissent et font appel à d’autres « outils » pour formaliser la propriété, usant de méthodes « érudites, lettrées » mais souvent frauduleuses. Ils s’appuient particulièrement sur un élément : les actes de propriété61. Nous avons ainsi remonté la chaîne foncière [cadeia dominial] de la « Fazenda Campo Alegre », recoupé certaines transmissions et suivi son démantèlement jusqu’à l’annulation des différents actes dans les années soixante-dix, avec l’objectif de montrer comment ces actes crééent un niveau de réalité parallèle à la réalité de l’occupation ipso facto.

LA REGULARISATION FONCIERE ET LA DYNAMIQUE DE LA CONCENTRATION

En réponse aux fortes tensions foncières, l’intervention du gouvernement militaire dans l’organisation foncière, sanctionnée par l’attribution individualisée d’actes de propriété, a pu être vécue comme un soutien à la privatisation rigide des terres au détriment des posseiros. Néanmoins, cette opération a été conduite par le Getat avec un objectif double : casser le mécanisme de la spéculation foncière afin d’assurer la paix sociale dans la région.

Quel public était visé par cette opération de régularisation foncière ? Ce procédé d’attribution des terres a-t-il permis aux petits agriculteurs d’accéder durablement à la propriété et de se stabiliser ? Grâce aux procès-verbaux établis par le Getat lors de l’attribution des actes de propriété, nous avons établi le portrait des propriétaires présents en 1984 sur cette partie de la Gleba Campo Alegre. Comment ceux-ci sont-ils armés pour enrayer la dynamique de la concentration foncière ou au contraire y participent-ils ?

LA « REFORME AGRAIRE ECOLOGIQUE »

La dernière empreinte foncière de l’Etat dans la zone se caractérise par l’imposition d’un dispositif d'occupation différencié, une aire protégée d’usage durable de type « réserve extractiviste », dédiée à la protection de l’environnement et des populations extractivistes. Ce dispositif, parfois qualifié de « reforme agraire écologique » se caractérise notamment par un retour à la propriété fédérale de la terre et le transfert d’un droit d’usufruit collectif aux populations locales.

Qui sont les extractivistes en question ? Entre idéaux et aménagements, comment interprètent-ils l’imposition du collectif et des principes de la durabilité ? D’autre part, l'accès à la terre en échange du respect de règles environnementales constitue-t-il une variable d'acceptation/négociation d'un modèle de société plus « durable » ?

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Nous ferons la différence entre « titre de propriété » : attestation des droits de propriété ou de jouissance d'un bien, et « acte de propriété » : acte notarié reconnaissant la possession d'un bien (CNRTL, 2009).

Tableau 11: Transformation du cadre socio-environnemental à Ciriaco (1955-2009) : appropriation et occupation du sol, opérations foncières et couverture végétale

Périodisation

I- Appropriation privée et « sauvage » II- Régularisation foncière III- Réforme agraire

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